Violence Forest, texte et mise en scène de Nina Negri

Violence Forest, texte et mise en scène de Nina Negr

© manuele-geromini

© manuele-geromini

 Avec ce solo performatif et musical, la metteuse en scène et chorégraphe italienne basée en Suisse aborde la question de la violence féministe.  Elle a confié à Laura Den Hondt, le rôle de Merry, un personnage de Pastorale américaine de Philip Roth (prix Pulitzer 1997). Une jeune fille de seize ans, révoltée contre la guerre au Viet nam, commet un attentat causant un mort. Elle prendra la fuite.
Ce roman traite de l’aveuglement d’un père face à l’embrigadement de sa fille mais il n’en sera pas question ici. Nina Negri s’attache à l’itinéraire de cette militante anticapitaliste des années soixante et soixante-dix qui devient, au fil du spectacle, une activiste actuelle.
L’autrice a puisé entre autres
dans le recueil théorique Feu! Abécédaire des féminismes présents, coordonné par Elsa Dorlin, philosophe et épistémologue. En passant par l’extrémisme féministe, on en arrive à l’éco-féminisme comme ultime refuge possible.

L’histoire de Merry s’articule en trois mouvements: Laura Den Hondt est d’abord une petite fille en jupe plissée, lovée dans l’une des sculptures monumentales en carton d’Eva Jospin. Elle joue avec un cheveu sur la langue pour exprimer le repli d’une l’adolescente mal dans sa peau.
La métamorphose se produit quand, aux violences policières contre les manifestants pacifistes, elle répond elle aussi par la violence. Dans un slam endiablé, Merry exprime sa révolte, avant de fuguer dans la jungle des villes. Puis, au terme d’une errance de pays en pays, à la recherche de nouvelles causes à défendre, elle s’engage pour la défense des animaux et de la Nature. 
Ensauvagée, elle rejoint alors la forêt.

Laura Den Hondt passe avec virtuosité par tous les états de cette Merry multipolaire, traversée par la violence du monde. Eva Jospin, dont c’est la première création au théâtre a conçu un imposant décor avec une superposition de morceaux de carton, découpés et collés pour construire en volume, forêts et paysages. «Ma forêt, dit-elle, est mentale et non figurative. Elle reflète des préoccupations humaines : l’idée de se perdre ou de se retrouver, notre rapport à l’enfance aux contes, comme Bambi ou Hansel et Gretel, aux peurs archaïques… Mes forêts sont propices à l’échappée mentale.» Elle a imaginé, avec l’aide du scénographe Marco Levoli, trois blocs monumentaux en carton aux formes tourmentées, comme celles de vieux troncs d’arbre et, en fond de scène, une futaie épaisse

Sous les variations de lumière de Lula, du clair-obscur aux rougeoiements stroboscopiques, cette nature de carton s’anime: quand Merry passe à l’acte, la forêt onirique de l’enfance devient une ville-fantôme aux tours verticales menaçantes. Enfin, elle se perdra dans un labyrinthe végétal, aussi confus que ses états d’âme. En dialogue avec cette architecture mutante, la musique originale de Boris Boublil, Franky Gogo et Gauthier Teuscher mêle interventions instrumentales et sons électroniques.

Malgré une fin un peu confuse où les idéologies à la mode se bousculent, la mise en scène précise et soignée met en valeur l’univers d’Eva Jospin et la performance de Laura Den Hondt qui travaille avec Nina Negri depuis quelques années en Suisse. En 2019, elle a joué sous sa direction M. la Multiple au Théâtre Vidy-Lausanne et l’année suivante, interprété Sous Influence  co-écrit avec elle. Un tandem à suivre.
Violence Forest, créé au Théâtre Vidy-Lausanne, se trouve programmé ici dans le cadre du festival itinérant Transforme, initié par la fondation d’entreprise Hermès, avec comme partenaires, le Théâtre de la Cité internationale à Paris, la Comédie de Clermont-Ferrand, les Subs à Lyon et le Théâtre national de Bretagne, à Rennes. On retrouvera la plupart des spectacles pluridisciplinaires 
de Transforme mêlant théâtre, danse, cirque ou arts visuels, dans ces quatre théâtres.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 25 novembre, Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIVème). T. : 01 85 53 53 85.

Du 19 au 23 mars, Comédie de Genève (Suisse).

Transforme:  à Paris du 16 novembre au 2 décembre; à Clermont-Ferrand du 11 au 26 janvier;  à Lyon du 20 mars au 12 avril; à Rennes du 16 au 30 mai 


Archive pour novembre, 2023

Livres et revues:

Livres et revues:

 Lac artificiel de Marine Chartrain

En périphérie d‘une ville, le long d’une route et près d’un lac artificiel, des adolescentes:  Laura et Salomé, cherchent à retrouver une fête. L’une imbibée de vodka-pomme mais l’autre, pas. Personne et aucun bus… Confessions et souvenirs se répandent et se répondent. Mais Laura finit par laisser en plan Salomé..

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Cette jeune autrice issue du département Écriture dramatique de l’E.N.S.A.T.T., a saisi leurs hésitations et absolus. L’errance et la quête de ces filles, sont vues avec une grande justesse, le cadre à la marge mal défini: comme une métaphore de l’adolescence.
Marine Chartrain a trouvé un ton et une situation justes. Ses dialogues et leurs extensions en monologues fonctionnent, et il y a comme on dit, une «atmosphère». Tout y est.  Une lecture en public à Théâtre Ouvert en mars dernier, en avait révélé la force dramatique. Pourtant, nous avons l’impression d’avoir affaire à une nouvelle bien écrite, plus qu’à une pièce. Mais Marine Chartrain est  une autrice à suivre…

City Stade de Sarah Hassenforder

Coïncidence ou projet éditorial ? Ce texte est publié au même moment. Près d’un stade une bande de jeunes se réunit pour faire la fête. Neuf adolescents, entre douze et dix-huit ans, sont là pour s’«éclater».
Danger des mots : la fête? Ne plus être là, assigné à une identité, aller voir ailleurs très haut, ou très bas, si on y est. Mais aussi danger d’aller trop loin, ce qu’ils et elles font,l’un après l‘autre. «J’ai peur de passer toute ma vie au même endroit/de me marier avec quelqu’un d’ici/d’envoyer mes enfants à la même école où j’étais/Et puis passer ma vie à bosser au snack. » dit une fille.

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Tout près, à côté et même au cœur de la bande, : la mort. La très jeune autrice qui a mené sa pièce jusque là, en a déjà écrit sur la jeunesse : Pépite (2020) et Bille et Bonnie l’année suivante. Est-elle aussi dans cette passe dangereuse ? En tout cas, l’écriture très maîtrisée, est chargée d’une poésie à la fois pudique et forte, avec comme une inquiétude en direct. Une autre écrivaine à suivre.

Dans ces textes, la fête est au centre : rite de passage, lieu où se reconnaît une génération, somme d’espoirs déçus, plaisir de l’instant… On dira que la fête, indispensable, incontournable, « c’est pas la joie »  et ces autrices le disent bien. Le tapuscrit joue ici son rôle : donner envie d’en savoir plus sur elles, et à un artiste de mettre en scène ces textes. Il en stimulera le potentiel dramatique, ici un peu masqué à la lecture par le soin porté aux «atmosphères»…
En 2023, City Stade a fait l’objet d’une mise en voix par Pierre Cuq à Théâtre Ouvert, dans le cadre de l’École pratique des auteurs de théâtre.

Christine Friedel

Tapuscrits, éditions Théâtre Ouvert.

 

Par Autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy

Par Autan, mise en scène et scénographie de François Tanguy

Des bourrasques amènent puis emportent les sept interprètes: un défilé permanent mais en constante transformation. La dernière fabrique d’images de François Tanguy décédé il y juste un an, nous plonge dans un tourbillon poétique et nous saisit d’émotion. L’autan, ce vent du Sud, dit le «vent des fous», a donné  son  titre à une dramaturgie éolienne où les rafales dispersent éléments de décor et acteurs, avant de les rassembler en de nouveaux paysages qui se transforment à vue avec des châssis qu’on installe. Dans cette boîte à jouer, évoluent Frode Bjørnstad, Samuel Boré, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly et Anaïs Muller.

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© Lestournet 

Le metteur en scène, lors d’un atelier au Théâtre des 13 Vents à Montpellier, avait tendu des draps entre quatre arbres mais le vent s’est levé, bousculant tout… Restait à imaginer pour ce Par Autan, des séquences où les acteurs en costumes comme sortis des malles d’un vieux théâtre, jouent brièvement les personnages échappés de la bibliothèque de François Tanguy… Pour un voyage aux climats variables: le cimetière du Prince de Hombourg, les paysages impressionnistes au bord du lac Léman des Microgrammes de l’écrivain suisse Robert Walser (1878- 1956)  ou une auberge des Alpes.
On entend aussi les affres métaphysiques des hommes envoyés par Richard III assassiner Clarence, la confession et sa parabole du petit oignon de
Grouchenka des Frères Karamazov Et le duo Vladimir/Estragon d’En attendant Godot, avec tout l’humour de Samuel Beckett, est aussi philosophique que l’histoire d’Agnès et du Triton dans Crainte et Tremblement de Søren Kirkegaard, ou les réflexions de Nina, la Mouette d’Anton Tchekhov

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© Lestournet 

Des rideaux coulissants blancs à la Brecht flottent au vent comme les robes et manteaux, et dévoilent les espaces.  Une longue planche un peu bancale accueille cette revue farfelue aux allures felliniennes, sur des airs de piano enregistrés ou joués sur scène, des chants d’oiseaux et cigales, des sons métalliques: une partition sonore d’Eric Goudard et François Tanguy qui a aussi imaginé avec François Fauvel les objets, meubles, rideaux, costumes et éclairages.

Un théâtre d’artisan poétique et cocasse à la fois, où le temps et l’espace s’articulent de manière organique. «Mais, écrivait François Tanguy, comme dirait l’autre de la fable impossible à reconstituer, on ne peut pas faire projet d’autre chose, que lancer le trait: «Allons donc, ça! Une pièce de théâtre? Oui, c’est ça le sujet : cette rencontre…cette randonnée. (…)  Et quoi ? -et non, te dis-je : un détachement-une attention, une persistance rétinienne, un gazouillement, te dis-je, une respiration, un âne, contre les essieux des chars. Mais les cieux eux aussi dans le litige : alors oui, une gravitation, un précipité parmi les trous et les trouées de sens, une retenue sans retenue au détour d’une chanson, et les oiseaux et les vallées, les ombres et les senteurs des trompettes (per la selva oscura) ou tout autre… Un recommencement. On reprend. » 

Cette œuvre inclassable ne se raconte pas mais se vit, s’éprouve… Et on en redemande, mais il n’y aura plus d’autres spectacles après ce Par Autan, créé en mai l’an passé au Théâtre des 13 Vents… Reste le désir de la compagnie maintenant conduite par Laurence Chable, sa fondatrice, de continuer à faire partager cette pièce et Item (2019). Reste aussi la Fonderie, une fabrique théâtrale installée au Mans depuis 92. Il faut espérer que la traversée du Radeau sera encore longue, pour que vive l’œuvre de cet artiste regretté.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 18 novembre, dans le cadre du festival d’Automne, au T2 G, 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers  (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 32 26 26.

La Fonderie, 2 rue de la Fonderie, Le Mans (Sarthe). T. 02 43 24 93 60.

Item
du 15 au 24 mars, Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes,  dans le cadre de BRUIT, festival de théâtre et musique.

Traces, un numéro hors-série de la revue Frictions dirigée par Jean-Pierre Han.

Trait, dessins de François Tanguy, galerie Hus, 4 rue Aristide Bruant, Paris (XVIII ème) du 1er novembre au 31 décembre.

Trait, François Tanguy,  une sélection de ses dessins par Laurence Chable et Anne Baudoux, introduction de Marie-José Mondzain, éditions Actes-Sud.

 

J’ai oublié un truc… mais ça va revenir ! de Benoît Rosemont, mise en scène de Daniel Krellenstei

 

J’ai oublié un truc… mais ça va revenir ! de Benoît Rosemont, mise en scène de Daniel Krellenstein

 Sur la scène, un tableau d’école, un grand jeu de taquin à la verticale et entre les deux, une banderole avec des lettres sur cartons. Le régisseur du spectacle présente avec humour, cette « conférence », « un bref exposé de dix minutes » sur la mémoire prodigieuse, une discipline spirituelle popularisée par Jacques Inaudi (1867-1950), l’un des plus extraordinaires calculateurs mentaux de tous les temps.

Sur des arrangement musicaux de Katy Varda, arrive alors le conférencier (Benoît Rosemont) en veste avec des roses ( comme son nom !) , chemise blanche et gros nœud-papillon, pantalon à pli, lunettes rondes et montre à gousset. Il semble coincé comme un vieux garçon d’autrefois et parle dans une français daté aux belles tournures de phrase. Un des nombreux leitmotivs : il s’adresse à sa mère, comme Norman Bates (en moins psychopathe… quoi que) dans le roman Psychose de Robert Bloch (1959) qui inspira à Alfred Hitchcock son célèbre film sorti l’année suivante. Et il fait la cour de façon empruntée aux spectatrices qu’il a invitées sur scène.

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Le conférencier se présente comme dit-il: «Benoît Rosemont, comme une rose sur un mont ! Le premier contact avec la mémoire , c’est à l’école quand on apprend l’alphabet. » Et il se dit « mnémoniste» c’est à dire une personne capable de mémoriser de très grandes quantités d’informations, qu’elles aient du sens ou non, grâce à un entraînement  quotidien et à une bonne faculté de mémoire.
Il y a
un carton où est écrit : compliment d’accueil (sic) !  Il parle en rimes et propose une série «de récréations mnémoniques et autres divertissements qui se font avec les nombres».  Il mémorise à l’envers comme pour s’échauffer cérébralement, puis récite la moitié de l’alphabet à l’endroit: de A à M et l’autre moitié: de Z à N. Puis il le récite à nouveau mais dans un ordre aléatoire et invite un spectateur à venir accrocher et isoler sur un ruban rouge, treize lettres choisies au hasard par le public. Il nomme ensuite les treize lettres, et celles non choisies qui restent sur la structure. Pour finir, il récite, à nouveau mais à l’envers., les treize lettres choisies

Ensuite Benoît Rosemont va jouer avec les nombres grâce au taquin, un jeu solitaire en forme de damier créé vers 1870 aux États-Unis et revendiquée par Sam Loyd.
Le modèle ici est placé à la verticale pour une meilleure visibilité avec un châssis sur pied. Composé de quinze petits carrés numérotés de un à quinze mais où la case n°16 est laissée vide. Il faut faire glisser et mettre dans l’ordre les quinze carrés numérotés après les avoir mélangés…

Pendant qu’un spectateur est invité à le faire, Benoît Rosemont range consciencieusement les lettres de l’alphabet dans de petits sacs brodés par sa mère. Un moment de comédie ponctué par la phrase : « C’est maman. »
Il se met alors un bandeau sur les yeux et dit qu’il va reconstituer l’ordre en quinze secondes mais n’y arrive pas. Il recommencera l’exercice plusieurs fois au cours du spectacle…
Puis il présente une expérience qui a fait la popularité du grand Jacques Inaudi. Deux  calculatrices sont distribuées dans la salle et une spectatrice va être priée d’utiliser l’option calculette de son smartphone.
Benoît Rosemont va alors deviner les extractions de racine carrée consécutives de trois nombres dites au hasard entre un et cent. Le premier élevé au cube (quatre chiffres), le deuxième à la puissance 4 (six chiffres) et le troisième à la puissance 5 (dix chiffres).

« La première calculatrice, c’est la main. », dit Benoît Rosemont qui donne l’exemple de la table de 9, avec la technique du doigt baissé. Il va alors se servir en magnésium dans un petit pot en verre pour reprendre des forces ; une « préparation de son apothicaire » qui évoluera en pot à cocaïne avec une paille (un autre leitmotiv…).
Bien « remonté», il va à nouveau essayer de gagner au jeu du taquin mais échouera encore.
«L’apprentissage des départements français à l’école était un excellent exercice pour la mémoire. Aujourd’hui, dit Benoît Rosemont, le jeu du bingo a pris la relève et sauvera la géographie en France ! »
Et une spectatrice est invitée à tirer six billes numérotées au hasard dans un bocal transparent en contenant quatre-vingt quinze. Les nombres sont inscrits sur le tableau d’école, avec, à chaque fois, le nom du département et celui de la ville où est la Préfecture.
Benoît Rosemont élève alors au carré les premiers nombres et note le résultat. Les deux suivants sont élevés au cube, puis à la puissance 4 et le dernier, à la puissance 5. Il va se lancer dans plusieurs opérations fantaisistes mais finalement logiques pour un consommateur de magnésium! Il demande : «Combien de semaines en février ? » et il annonce : « Treize semaines », à la grande stupéfaction de la salle.
Il va alors le démontrer dans une série d’opérations irrésistibles qui amusent les enfants mais qui procurent des maux de tête aux autres. Benoît Rosemont va à nouveau essayer de réussir au taquin, en se donnant, cette fois deux minutes. Encore un échec !

Il demande ensuite au public de lui dire cinq nombres de deux chiffres entre 1 et 100, pour composer un numéro de téléphone. Il répète l’opération avec une nouvelle série de cinq nombres pour composer un numéro de téléphone dans cent ans. Il récite ensuite la série des dix nombres, en dansant un tango….
Benoît Rosemond
pose alors une série de questions surréalistes et drôlissimes mais par thématique, dont une à rallonge : il lit un timbre-poste pour déterminer une suite aléatoire de : oui, ou de : non et qui sera inscrite au hasard par une spectatrice dans les dix-huit cases d’une spirale dessinée (un coquillage paléolithique) sur le tableau.
Il la regarde et mémorise alors rapidement la suite en partant du centre de cette spirale, puis demande à un spectateur de dire n’importe lequel de ces nombres de un à dix-huit (jusqu’à épuisement) et nomme les oui ou les non inscrits à la place correspondante.

Après l’avoir appelée par de petits noms doux et imagés tout au long de cette « conférence », Benoît Rosemont remercie la spectatrice et lui offre trois bouquets de fleurs artificielles. Il propose alors de réciter à nouveau le numéro de téléphone à rallonge, dix minutes après l’expérience et il y réussit ! Il se gratte beaucoup la tête, et complètement décoiffé, est de plus en plus comique.
Il reprend alors du « magnésium » pour faire une dernière expérience : u
n numéro de mnémotechnie célèbre mais jamais réalisé de la sorte !  Sur un tableau numéroté de un à vingt, sont être inscrits vingt mots, de préférence originaux ou incongrus, lancés par les spectateurs dont l’un va assister le mentaliste, en écrivant les mots à l’emplacement qu’ils désirent.
Pour le dixième mot, un numéro de série est inscrit avec lettres et chiffres différents. Benoît Rosemont, dos tourné au tableau, va mémoriser un par un les vingt mots et leur numéro. Puis il les récite ensuite, suivant un ordre aléatoire dicté par le public.
Plus l’expérience avance, plus le mentaliste stresse, il se touche les cheveux ou défait son nœud papillon et ses boutons de chemise pour dramatiser la situation (qu’il maîtrise bien entendu totalement !). Une fois les vingt mots devinés avec leur numéro, il doit aussi deviner ceux des cinq mots épelés au hasard puis faire l’inverse avec les numéros. Il complète la liste dans le désordre. Fin en apothéose : il récite toute la liste à l’envers de vingt à dix et de un  à  dix, plus le numéro de série du dixième mot. Mal de crâne assuré pour tout le public!
Benoît Rosemont a une une énergie débordante. Il se relève les manches et veut enfin gagner à ce taquin maudit! Il demande un nombre au hasard à un spectateur. C’est le trente. Il propose de le résoudre «à l’envers», c’est-à-dire derrière le cadre mais c’est encore raté…
Il s’agit en fait d’une ruse pour conclure la séquence en un carré magique impromptu: chaque colonne, additionnée à la verticale et à l’horizontale donne le même résultat : trente. Mais aussi en diagonale, au centre et aux extrémités !

Ce spectacle créé il y a dix ans sous le titre de Mnémosys est très bien rodé. Mise en scène, rythme, numéros et personnage sont au diapason pour offrir au public des moments de virtuosité qui ont exigé en amont, un énorme travail pendant des années et un entraînement quotidien. Durant quatre-vingt dix minutes, Benoît Rosemont se soumet à une gymnastique cérébrale, digne de grands athlètes… Nous restons stupéfaits.
Pour mieux faire passer les démonstrations de calculateur prodige et mnémomentaliste, souvent austères, il a choisi de jouer la comédie… Pari gagné avec cette double performance: extraordinaires facultés mentales et d’acteur  avec la création d’un personnage de fils à maman délicieux et crédible.
Benoît Rosemont, en accentuant mimiques et tics de langage, amuse le public qui rit beaucoup… Un spectacle magistral et unique dans le domaine ultra-formaté du mentalisme, fondé sur un décalage entre le sérieux des expériences et une remarquable posture clownesque…

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 12 novembre au Théâtre du Rempart, Semur-en-Auxois, (Côte-d’Or). (benoitrosemont.com)

Our of context-for Pina, conception et mise en scène d’Alain Platel

Our of context-for Pina, conception et mise en scène d’Alain Platel

Treize ans après sa création au Théâtre de la Ville à Paris, cette pièce mythique de l’artiste flamand a reçu l’accueil triomphal d’un nouveau public.
«Ce sont, disait-il, des gens qui arrivent quelque part et y restent trop longtemps, comme l’écrivait à l’époque Jean-Marc Adolphe. L’un après l’autre, donc, ils arrivent et se dévêtent de leur quotidien, ne gardant que leurs sous-vêtements (…) dans de frêles couvertures rose saumon.

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Suggérant la détresse de naufragés échoués, ou l’apparat d’un énigmatique rituel communautaire. Ensemble et séparément, les voilà comme fragments d’une humanité en quête de ce qui l’assemble, fût-ce à la lisière d’une bestialité fragile qui les voit se humer naïvement, avec une tendresse un peu gauche; en fond sonore, des brames se mêlent à un air d’opéra. Jamais pourtant, l’assemblée ne tourne à la meute. »

Ici, à Bobigny, les mêmes artistes sont présents dans une exceptionnelle complicité. Les tableaux conçus par Alain Platel, mélancoliques et pleins d’humour marqueront  la mémoire du public…  Chaque interprète avec sa personnalité et ce chorégraphe, comme Pina Bausch, travaille avec de «belles personnes, avec qui on a envie de partager un verre après le spectacle.» Mathieu Desseigne Ravel, Kaori Ito, Mélanie Lomoff, Ross McCormack, Quan Bui Ngoc, Romeu Runa, Elie Tass, Rosalba Torres Guerrero, Hyo Seung Ye, une tribu bienveillante…

Il y a aussi des accessoires atypiques, comme ces deux micros sur pied qui ont aussi leur vie. Tour à tour, les danseuses et danseurs jouent avec, en testent le son ou se prennent les pieds dans les fils. Le plateau nu rayonne de leur présence et de leur animalité. Quan Bui Ngoc se perd en contorsions au milieu du public, surpris et amusé; à la fin, Romeu Runna nous invite à danser avec lui.
Il y a une certaine nostalgie dans le choix des musiques des années quatre-vingt dont Aicha, la fameuse chanson de Khaled, ici chantée par Hyo Seung Ye.

Kaori Ito nous surprend toujours avec sa danse dissociée mais gracieuse. Comme les créations de Pina Bausch, Out of context-for Pina s’inscrit dans l’histoire du spectacle actuel. Merci à Alain Platel d’avoir faire revivre ce moment unique en une heure trente. Un des plus beaux hommages à la chorégraphe allemande disparue en juin 2009.

Jean Couturier

Spectacle vu le 18 novembre, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 60.

 

Dario Adiletta, métier : magicien

Dario Adiletta, métier : magicien

« A treize ans, di-il, j’ai vécu quelque chose d’extraordinaire à une foire à Sarno en Italie,où je vis. J’y avais acheté mon premier accessoire et cela m’a permis d’émerveiller ma famille, puis les amis et les amis de leurs amis. Un souvenir marquant et un coup de foudre déclenché par une forte prédisposition pour cet art fantastique devenu réel grâce à cette expérience partagée avec le public. De là, est née l’envie d’explorer ce vaste domaine…

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Autodidacte, j’absorbais autant que je pouvais et cherchais du matériel partout. Puis, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec le Ring 108, le club de magie de Naples où j’ai connu des gens qui partageaient la même passion et j’y ai aussi rencontré mes premiers mentors.
Mais la pratique est fondamentale et les compétences s’acquièrent grâce à la ténacité et à d’innombrables heures de formation. Mes parents ont été d’un immense soutien sur le plan émotionnel et pratique. Sans eux, je ne serais pas ici aujourd’hui. Peu de choses ont entravé mon chemin, mais des événements ont façonné ma façon de pratiquer. Aujourd’hui, je me spécialise dans la « magie de l’eau » avec un spectacle qui a valu à l’Italie le prix de «numéro scénique le plus original » aux championnats d’Europe de la Fédération Internationale des Sociétés Magiques 2021, et une septième place aux championnats du monde F.I.S.M. 2022.
Je ne me limite pas à la scène ou aux salles… et j’aime faire des choses insolites dans la vie quotidienne et me retrouve souvent à me produire dans des situations classiques, voire aux plus insolites. Je garde généralement mes créations pour le bon moment mais je travaille  aussi pour des fêtes privées, avec tout un répertoire de magie visuelle, close-up, grandes illusions, mentalisme etc. En quinze ans, j’ai embrassé tout ce que je pouvais.

De nombreux magiciens et illusionnistes du passé et contemporains m’inspirent toujours et partout. Mais regarder un film peut aussi déclencher de nouvelles idées. Il n’y a pas de limites et l’essentiel est de pouvoir capter des inspirations. La plupart des artistes puisent dans la nature, les événements, pensées et idées, souvenirs…. Même si j’ai toujours admiré mes amis collègues et mentors, chacun doit chercher sa propre voie, qui est unique. La magie de scène comme forme artistique me fascine le plus. Le conseil que je donnerais à un débutant? Trouver le club de magie le plus proche avec lesquels il échangera opinions et secrets. Il faut tirer le meilleur parti des moyens de communications actuels.

J’aime la direction que prend la magie contemporaine et le rôle qu’elle a acquis sur la scène mondiale. Avec de nombreux concepts innovants, très différents de ceux du passé et là, la Culture joue un rôle fondamental, comme dans la vie… Mais J’aime aussi beaucoup jouer au basket, faire de longues promenades dans les bois. J’ai un faible pour l’archéologie et l’Histoire en général. Enfin, je suis excellent en cuisine japonaise.

Sébastien Bazou

Entretien réalisé à Dijon (Côte-d’or) le 30 octobre. 

 

Le dixième anniversaire du Paris-Villette L’Expérience de l’arbre,conception, mise en scène et scénographie de Simon Gauchet

Le dixième anniversaire du Paris-Villette

Dix ans à la tête de ce théâtre: Adrien de Van et Valérie Dassanville célèbrent cet anniversaire avec un spectacle qui leur ressemble. Quand la Ville de Paris leur en a confié les rênes pour en faire une Scène contemporaine-Jeunesse, ils ont repris le flambeau d’un bel héritage. Peu avant la fermeture des abattoirs de la Villette en 74, l’actrice Arlette Thomas (1927-2015) y installa sa compagnie Le Théâtre Présent dans la Bourse aux bestiaux, alors à l’abandon.
Puis de 1986 à 2013, grâce à Patrick Gufflet qui l’a dirigé pendant vingt-six ans, arrive une nouvelle génération d’artistes : Yasmina Reza, Joël Pommerat, Claire Lasne …
Aujourd’hui, le Théâtre Paris-Villette dispose aussi d’une Scène associée Le Grand Parquet qui, rebaptisé Maison des artistes, accueille des équipes pour un moment de création et présenter des projets. C’est donc un lieu de repérage artistique.
Ici, dans la grande salle refaite à neuf, Simon Gauchet et un acteur de théâtre nô, vont parler arbres et théâtre. Notre amie Christine Friedel avait vu, il y a juste quatre ans,
L’Expérience de l’arbre à la Maison de la  Culture du Japon.

Mireille Davidovici

 

L’Expérience de l’arbre, conception mise en scène et scénographie de Simon Gauchet, sous le regard d’Éric Didry

Il était une fois un jeune metteur en scène français qui était aller chercher à Kyoto, avec respect et révérence, une leçon sur l’art du nô. Que pouvait-il donner en échange? Y revenir et transmettre à son professeur et partenaire, quelque chose du théâtre occidental. Ce qui eut lieu, dix ans plus tard.
Simon Gauchet, en résidence pendant trois mois à la villa Kujoyama et Tatsushige Udaka se sont retrouvés pour ce qui allait devenir 
L’Expérience de l’arbre.

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Il était une fois un arbre : celui qui, à Fukushima, avait résisté au tsunami, seul debout au milieu de soixante-dix mille pins abattus. Il ne vécut pourtant pas longtemps, infiltré d’eau salée contaminée. Mais les habitants décidèrent d’en faire le totem de leur propre résilience. Coupé en neuf morceaux, injecté de résine, redressé, il reste l’Arbre du Miracle. Cette histoire est liée au théâtre nô et Tatsushige Udaka nous rappelle qu’un arbre figure toujours dans le décor et c’est à lui que l’acteur s’adresse, même s’il est dans son dos. Et chaque personnage porte l’âme d’un cerisier, pin… L’arbre, comme le théâtre-bien qu’il ne nous l’ait pas dit- établissant un lien entre la terre et le ciel, entre le pays des morts et la lumière.

Une scénographie simple avec un toit en pagode juste évoqué et un écran où se projettent les ombres de branches. Et l’échange entre les partenaires garde quelque chose d’un plaisir enfantin: le Ôoooo grave, prolongé et puissant du théâtre nô a de la peine à sortir d’un gorge européenne! Et les Rrr des éructations d’Antonin Artaud (enregistrées sur un disque 78 tours plein de craquements) ont du mal à passer la gorge d’un acteur japonais!
D’une tradition, l’autre : le Breton va chercher vers la reconstitution du jeu et de la diction baroques (
Le Chêne et le Roseau, façon XVII ème) quelque chose qui serait une tradition (Benjamin Lazar lui a donné un coup de main). Mais il sait bien qu’il n’y a pas de symétrie possible entre théâtre occidental et théâtre japonais. D’un côté, la danse de l’éventail, vieille de sept cents ans, et de l’autre, l’incarnation d’un rôle et d’une adresse: les efforts patauds des apprentis, chacun de son côté, font rire.
Et se pose aussi, et de façon plus grave, la question de la transmission. Dans le Japon d’aujourd’hui, le nô est peut-être éternisé artificiellement, comme l’arbre-symbole….Une inquiétude en ces temps de mutations mondiales. Mais il y a de la joie à travailler sur les héritages. Dans la musique, à la fois ultra-contemporaine et presque baroque et religieuse, de Joaquim Pavy, Simon Gauchet peut reconstruire son arbre démembré et danser avec lui, longuement, Et à petits pas, revient Tatsushige Udaka, en costume de cérémonie…

Le spectacle, créé à Rennes au théâtre de la Paillette pour le festival du Théâtre National de Bretagne en 2019 est bien à sa place à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Il joue sur l’appétit et le plaisir des échanges entre deux cultures. Notre voyageur développe son Ecole Parallèle Imaginaire, hors des chemins battus et parfois sur des voies navigables et bâtit à Bécherel (Ile-et-Vilaine), le village du livre, un tiers-lieu en milieu rural. Ancré dans une tradition peut-être oubliée, le nouveau théâtre se réinvente au-delà des rituels de la représentation. Après cette Expérience de l’arbre, nous avons hâte d’en découvrir les jeunes pousses forestières…

 Christine Friedel

 Jusqu’au 19 novembre, Théâtre Paris-Villette, avenue Jean Jaurès, Paris (XIX ème).

Les 19 et 20 mars,Théâtre du bois de l’Aune, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Le 14 mai, Théâtre municipal de Saint-Lô (Manche)

Cross Roads to synchronicity, chorégraphie de Carolyn Carlson

Cross Roads to synchronicity, chorégraphie de Carolyn Carlson 

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© Frédéric Iovino

 L’élégance et la poésie de la créatrice américaine ne se sont jamais démenties, depuis Rituel pour un rêve de mort (1971) à son arrivée en France), jusqu’à Signes (1997), un grand succès à l’Opéra de Paris.
A
près Synchronicity (2012), avec la reprise de Crossroads to Synchronicity (2017), elle nous entraîne avec une ferme douceur dans une succession de tableaux oniriques avec toujours, une patte très personnelle. Et au terme de «chorégraphie», elle préfère celui de «poésie visuelle» pour désigner son travail.
Carolyn Carlson, inspirée par Carl Gustav Jung, nous mène sur les « chemins de traverse vers la synchronicité». Pour ce philosophe et psychiatre suisse, le hasard fait bien les choses et nous envoie des signes, sous forme de coïncidences éclairantes qui arrivent à des moments cruciaux de nos vies: deuil, rupture, rencontre. Nous devenons alors réceptifs à ces signes qui font sens. 

Le peintre Cédric Carré a conçu un scénographie d’inspiration surréaliste où l’espace se creuse en mystérieux corridors de lumière. Crossroads to synchronicity met en scène des instants-clefs sous forme de courtes séquences. Un film en noir et blanc, réalisé par la chorégraphe, est projeté dans une petite fenêtre où les danseurs apparaissent comme leurs doubles fantomatiques, dans les eaux troubles de leurs perceptions subjectives. 

Juha Marsalo, Céline Maufroid, Riccardo Meneghini, Isida Micani ou Sara Simeoni, Yutaka Nakata, Sara Orselli se croisent, s’agrègent, s’affrontent, se quittent ; ils tombent, titubent, dansent un rock endiablé ou une valse triste, disparaissent, puis reviennent dans un flux perpétuel… Avec, autour d’une table et sur les chaises, devant une porte, des éléments qu’ils apportent puis qu’ils font disparaître.  La danse nous emmène vers des paysages contrastés, sur les musiques de John Adams, Ry Cooder, Bon Iver, Tom Waits, Laurie Anderson, Alela Diane, Jean Sibelius, Clint Mansell, Bob Dylan, Gavin Bryars, Bruce Springsteen, Henry Purcell. Comme pour un voyage dans l’Amérique des années soixante et soixante-dix…
Les interprètes se glissent dans ces fantasmagories avec une tendre énergie, habillés chic par Elise Dulac et Emmanuelle Geoffroy. Les femmes, à la longue chevelure et aux robes fluides, semblent flotter, deviennent farouches ou puissantes guerrières dans le même costume noir que leurs partenaires masculins Ceux -ci sont parfois torse nu avec de longs cheveux. Une manière de décloisonner les «genres» en douceur. ..

Elève d’Alwyn Nicolais (1910-1993) puis soliste dans sa compagnie, Carolyn Carlson fut ensuite étoile et chorégraphe à l’Opéra de Paris puis à la tête du Ballet Cullberg.  Après neuf ans à la direction du Centre Chorégraphique National de Roubaix, elle créa la Carolyn Carlson Company.
Aujourd’hui à quatre-vingt ans, elle poursuit une démarche créatrice, avec tact et dynamisme à la fois… Ce spectacle de soixante-douze minutes traduit en partie la synchronicité selon Carolyn Carlson. Une pensée poétique en mouvement, à la fois aigüe et gracieuse, énergique et rêveuse. Elle nous laisse méditer sur ces mots de Carl Gustav Jung: « Devenir fou ne relève pas de l’art mais extraire la sagesse de la folie, voilà tout l’art. (…) Si Dieu n’a pas joué aux dés, il n’avait pas le choix de créer autre chose qu’une machine qui, pour l’homme, n’a pas de sens. »

Mireille Davidovici

Jusqu’au 3 décembre, Théâtre Libre, 4 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 42 38 97 14.

Andromaque de Jean Racine, mis en scène de Stéphane Braunschweig

Andromaque de Jean Racine, mis en scène de Stéphane Braunschweig

Une tragédie en cinq actes et en alexandrins, écrite et créée en 1667 par Jean Racine qui devient alors un auteur reconnu. La plus jouée à la Comédie-Française et ailleurs.  Mise en scène brillamment par Antoine Vitez en 71, par Anne Delbée en 83, Roger Planchon en 89 avec Miou-Miou ( si, si) et Christine Boisson.  Et en 97 par Jean-Louis Martinelli en 97. La pièce continue, plus de trois siècles après, à fasciner acteurs et metteurs en scène.

Cela se passe après dix ans de guerre à Troie. Les Grecs sont victorieux mais, à quel prix! Ils ont perdu les meilleurs de leurs chefs militaires. Et Troie est anéantie : «Je songe, dit Pyrrhus avec mélancolie, quelle était autrefois cette ville : Si superbe en remparts, en héros si fertile, Maîtresse de l’Asie ; et je regarde enfin Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin. Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes, Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes, Un enfant dans les fers ; et je ne puis songer Que Troie en cet état aspire à se venger.  »
Pyrrhus, le fils d’Achille qui a tué Hector, a obtenu en butin Andromaque, sa veuve et le petit Astyanax, un orphelin qui représente à la fois l’ordre ancien mais aussi une future menace, pensent les Grecs. Adulte, il pourrait vouloir venger son père. Revenu dans son palais à Epire, au Nord de la Grèce près de l’Albanie actuelle, Pyrrhus reçoit Hermione, fille de Ménélas, roi de Sparte et d’Hélène, qu’il doit bientôt épouser. Mais il tombe amoureux d’Andromaque qui n’a pas encore fait le deuil d’Hector et n’est donc pas prête à vivre avec un autre homme….

©x Oreste et Pylade

©x Oreste et Pylade

Oreste, le fils d’Agamemnon, lui, aime Hermione amoureuse de Pyrrhus qui va l’abandonner et espérait l’épouser, Envoyé en ambassade par les Grecs, il exige que Pyrrhus livre Astyanax. «Ce fils encore enfant, auquel, malheureux, nous avons donné la vie, Hector, puisque tu n’es plus, tu ne seras point son appui et lui, ne sera jamais le tien.» disait  Andromaque dans L’Iliade.
Mais Oreste a aussi accepté cette mission pour revoir Hermione. Il sait que Pyrrhus doit épouser Hermione mais croit qu’elle acceptera maintenant de revenir avec lui en Grèce. A Andromaque, Pyrrhus dit l’exigence des Grecs mais refuse de livrer Astyanax. Mais ce sera donnant/donnant…Un corps grâce à un autre et il pense que s’il sauve son fils elle l’épousera. Mais rien à faire, elle tient à rester fidèle à Hector et beau chantage, Pyrrhus menace alors de livrer Astyanax aux Grecs.

©x Hermione

©x Hermione

Renversement de situation : Hermione veut bien partir avec Oreste, si Pyrrhus refuse de livrer Astyanax. Pyrrhus annonce alors qu’il va livrer l’enfant aux Grecs et épouser Hermione… Mais il est toujours amoureux fou d’Andromaque. Oreste, furieux et terriblement jaloux, veut enlever Hermione. Dans une célèbre scène, Andromaque essaye de persuader Hermione de sauver la vie d’Astyanax en influençant Pyrrhus mais Hermione impitoyable, refuse.
Andromaque supplie Pyrrhus de sauver son fils. Ce qu’il ferait si elle accepte de l’épouser mais elle
est déchirée entre son amour pour Astyanax et sa peur que Pyrrhus le tue. Elle accepte finalement ce mariage mais dit à Céphise qu’elle se suicidera aussitôt après.

Hermione sait qu’Andromaque a décidé d’accepter ce mariage. Elle demande à Oreste s’il l’aime, et lui demande de tuer Pyrrhus pendant le mariage. Oreste, là aussi c’est donnant/donnant: un corps vivant contre un corps mort! essaie de persuader Hermione de fuir avec lui et  propose de tuer Pyrrhus la nuit. Mais elle exige que ce soit en public et le jour pour faire mieux éclater sa vengeance.
Andromaque  finit par consentir au mariage avec Pyrrhus. Hermione, furieuse ne sait plus elle va : Pyrrhus, l’homme qu’elle aime, l’a deux fois trahie : « Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi :Andromaque, régnez sur l’Épire et sur moi.Je voue à votre fils une amitié de père ;J’en atteste les Dieux, je le jure à sa mère : pour tous mes ennemis je déclare les siens,Et je le reconnais pour le roi des Troyens. »

©x Andromaque

©x Andromaque

Oreste annonce qu’il a fait tuer Pyrrhus. Et Hermione désespérée, se suicide. Et lui en devient fou. Andromaque veut venger Pyrrhus: les Grecs dont Oreste et son fidèle Pylade, s’enfuiront…
Andromaque est bien la
seule de ce quatuor amoureux à avoir une vraie dignité et une volonté de revanche personnelle. Et la tragédie évoluera : elle accepte d’être mariée une seconde fois mais elle sera aussitôt encore veuve et deviendra reine. Mais l’orphelin Astyanax sera sauvé…

Amours non réciproques en chaîne, jalousie féroce d’Oreste et d’Hermione qui a une soif de vengeance et une pulsion de mort, parjures et humiliations que Pyrrhus fait subir: il reste attaché au passé mais cherche un nouveau bonheur personnel. «Elle est toute entière du côté de la Mort, disait Roland Barthes dans Sur Racine (1963) mais d’une mort active, possessive infernale; venue d’un passé très ancien, elle est plutôt force que femme. »
Cette rivalité entre peuples après la fin d’une conflit rappelle l’après 14-18 : plus de trente ans après, rien, surtout n’était encore réglé, et ravivé par la deuxième guerre mondiale.
Racine a bien chargé la barque de sa tragédie : meurtre de Pyrrhus, suicide d’Hermione, folie d’Oreste, tous les trois pris dans une passion amoureuse sans issue. Cette longue guerre même finie, aura eu de redoutables
effets secondaires et tous les personnages guerriers ou de leur famille, sont ressortis traumatisés.

«Nous sommes dans l’après-coup de cette guerre, dit remarquablement Stéphane Braunschweig, de nombreux vers, parmi les plus sublimes parce que porteurs d’effroi, nous en rappellent la violence inouïe, la barbarie sanglante, « cette nuit cruelle/Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle. « 
(…) Pyrrhus «souffre tous les maux qu’il a fait devant Troie» : cet amour fou, incongru, pour sa captive, pour sa victime, ne dit-il pas autre chose que l’amour – un besoin irrépressible de réparer ? Pyrrhus – roi d’Épire, allié des Grecs contre Troie, fils d’Achille, le meurtrier d’Hector – offre à Andromaque sa couronne et se dit même prêt à venger les Troyens, à mener une nouvelle guerre de Troie contre les Grecs : est-ce son amour qui l’emporte vers cette nouvelle folie guerrière ? Ou est-ce l’illusion qu’une guerre peut en annuler une autre ? est-ce le trauma du vainqueur ? Chez Pyrrhus en tout cas, le besoin de réparer dans l’amour menace à tout moment de se renverser en son contraire, la répétition de la barbarie : le meurtre d’un enfant innocent (comme Iphigénie), Astyanax, le fils d’Andromaque et d’Hector, l’héritier troyen.

Mais comment Andromaque pourrait-elle l’aimer (…) Sa fidélité à Hector n’est pas seulement celle d’une veuve, c’est un devoir de mémoire dont elle se sent dépositaire. Astyanax incarne cette mémoire, et elle s’apprête à le sauver au prix de sa propre vie. Une fois couronnée et Pyrrhus assassiné par ses anciens alliés, veuve une seconde fois et désormais reine d’Épire, c’est pourtant le désir de vengeance qui reprendra le dessus avec le sentiment de sa puissance retrouvée. (…) «Le fils d’Agamemnon » est d’abord une victime collatérale de la guerre de Troie : Oreste espérait épouser sa cousine Hermione, mais Ménélas a préféré récompenser le « vengeur de sa famille » en promettant sa fille à Pyrrhus. Envoyé par les Grecs en Épire pour exiger la mort d’Astyanax et mettre ainsi un terme définitif à la guerre de Troie, Oreste n’a accepté sa mission, que parce qu’il espère enlever Hermione.
Cette mission entre en conflit direct avec son intérêt amoureux, car en livrant le fils d’Andromaque, Pyrrhus devra renoncer à celle-ci et épouser Hermione. Ce n’est donc qu’en échouant dans sa mission, qu’Oreste peut espérer Hermione. Mais il se leurre dans tous les cas : Hermione ne l’aime pas, elle ne lui laisse espérer son amour que pour l’instrumentaliser dans son propre désir de vengeance. Oreste échouera sur tous les tableaux, comme si l’échec était son destin de héros suicidaire, il échouera même à trouver la mort. Cette conduite d’échec, il la partage sans doute avec Hermione qui n’aime que Pyrrhus, héros et fils de héros, vrai vainqueur de Troie, le seul dont la grandeur pourrait la hausser à la hauteur de sa mère. (…) La pulsion de mort, dans son désir de toute-puissance comme dans sa version auto-destructrice, traverse les deux « fils et fille de» Grecs. »

Cette analyse  fine et sensible de Stéphane Braunschweig sur le passé et le présent des personnages de cette chaîne amoureuse et les enjeux d’une guerre impitoyable, nous  aurions bien aimé l’entendre du moins en partie et en voix off, juste avant que les personnages n’arrivent. Il aurait éclairé plus d’un spectateur, pas toujours au fait de la guerre de Troie et de cette grande famille grecque…
Et sur le plateau? Murs nus et noirs de la très grande scène, avec, très impressionnante, au milieu, une flaque ronde de liquide rouge où est posée une table nappée de blanc avec dessus, un flacon de whisky et trois verres. Pour dire qu’on est aux XX ème ou au XXI ème siècle? Une chaise blanche, comme deux autres mais celles-ci renversées: pour dire la résistance d’Andromaque, la mort de Pyrrhus et celle  d’Hermione?
En tout cas, une installation d’art plastique réussie et qu’on verrait bien dans un musée d’art contemporain. Il y a ici des femmes et hommes en pantalons et chemises noirs (pas vraiment réussis mais bon…) et aussi l’ombre de la guerre, avec le chef de guerre Pyrrhus en treillis… Et cette flaque rouge qui suggère (un peu pléonastiquement?) le sang coulé, celui des morts à la guerre, et celle tragique de deux personnages qui va arriver…

Au début, Oreste  entre avec Pylade mais on comprend vraiment très mal ce qu’ils disent, après cela va mieux: le metteur en scène a visiblement choisi de ne pas respecter la scansion des alexandrins. Ce qu’avaient fait d’autres pour monter une tragédie de Racine ou Corneille. Mais sans doute un mauvais choix, puisque, du coup, on renonce à la musique si envoûtante et si exceptionnelle d’Andromaque que ce dramaturge de vingt-huit ans écrivit et fit jouer avec succès. Et ici les micros H.F dont sont  équipés les  acteurs, n’arrangent rien: il y a alors comme d’habitude, une uniformisation et un manque de nuances dans les voix! C’est à se demander comment on pouvait jouer sans, il n’y a pas encore si longtemps….
Pourtant Pierric Plathier (Oreste), Jean-Baptiste Anoumon (Pylade)  Alexandre Pallu (Pyrrhus), Jean-Philippe Vidal, (Phœnix, son gouverneur), Bénédicte Cerutti (Andromaque), Boutaïna El Fekkak (Céphise, sa confidente), Chloé Réjon (Hermione) et Clémentine Vignais (Cléone, sa confidente) dont plusieurs ont déjà joué dans les spectacles de Stéphane Braunschweig, sont des acteurs expérimentés.

Mais rien à faire, ils semblent avoir du mal à imposer leur personnage et le texte ne passe pas bien,  Et pourquoi, jouent-t-ils autant et inutilement- de leurs mains ou les gardent-t-ils dans leurs poches? Mention spéciale cependant à Chloé Réjon qui a une belle présence et qui s’en tire vraiment bien en Hermione.
Quand, presque à la fin, les acteurs jouent devant un grand châssis transparent (on ne sait trop pourquoi il arrive!), ils sont aussitôt plus audibles, et donc plus convaincants. Pas de miracle: un grand plateau nu est toujours intéressant sur le plan de l’image mais, revers de la médaille: sans châssis ni pendrillons, les voix se perdent dans les cintres. Ce qu’apprennent très vite les apprentis-scénographes aux Arts Déco…

Au total, un spectacle qui peut s’améliorer mais en ce soir de première, il était décevant.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème). Représentations surtitrées en anglais: les 18 et 25 novembre et les 2, 9, 16 décembre. En français: le 8 décembre. Et avec audio-description, les 7 et 10 décembre.

T.N.B.A, Bordeaux (Gironde), du 16 au 19 janvier.

Centre Dramatique National de Lorient ( Morbihan), les 1er et 2 février.

     
     
     

Sierras et Songlines deux créations de chorégraphes italiens avec le Ballet de Lorraine

Sierras et Songlines deux créations de chorégraphes italiens par le Ballet de Lorraine

Petter Jacobsson, directeur du Centre Chorégraphique de Lorraine, propose une danse contemporaine libre de toute école formelle et invite des artistes venus d’horizons variés. Comme Maud Le Pladec dont Static Shot qui connait une belle carrière  (voir Le Théâtre du Blog). La troupe dont nous avions salué les talents, s’engage ici avec énergie dans ces courtes pièces qui se répondent par leur caractère atmosphérique.

 

SIERRAS danses atmosphériques, chorégraphie de Michele Di Stefano, musique de  Lorenzo Bianchi Hoesch

Sierras et Songlines deux créations de chorégraphes italiens avec le Ballet de Lorraine dans actualites sierras-m.distefano-2laurentphilippe

Sur le sol et le fond de scène blancs brutalement éclairés, vingt-quatre interprètes dans une froideur crépusculaire. Musique cristalline. Les corps, avec une étonnante légèreté, évoluent dans un espace mouvant soumis à de constantes variations de lumière, couleur avec des LED passant par toutes les nuances de l’arc-en-ciel et intensité sonore.
Les danseuses et danseurs se dispersent puis se rassemblent, électrons vibrionnant dans un ordre aléatoire et souvent à contrejour. Ils semblent libres de leurs mouvements, en les répétant tout au long de la pièce sur différents tempos et en se les communiquant dans une solitude partagée. A partir de phrases définies et affinées par eux-mêmes, ces artistes articulent leur gestuelle en fonction d’un environnement instable.
La dramaturgie de Sierras repose donc sur un changement continu d’atmosphère, grâce à la création-lumière de Giulia Broggi, en phase avec les nappes sonores répétitives de Lorenzo Bianchi Hoesch. « La prise de décision que je demande aux danseurs et danseuses en temps réel transforme chacune des phrases en motifs d’ordre presque météorologique, dit le chorégraphe, je qualifierai ces danses d’atmosphériques: elles requièrent un état de corps très précis qui dépasse les simples techniques d’improvisation et transforme l’essence même de l’anatomie.»

En trente-trois minutes, on passe d’un paysage hivernal à un fond sous-marin, de la chaleur dorée de l’été, au rougeoiement d’un coucher de soleil… Aux interprètes de broder avec leur propre dynamique, sur la nudité de ces sites sonores et lumineux. Avec une  chorégraphie acérée, Michele Di Stefano met en valeur la personnalité et le style de chacun. Après des études sur le théâtre expressionniste allemand  et une expérience de chanteur dans un groupe de new wave, il a eu envie de mettre en valeur des présences scéniques. Avec sa compagnie de danse contemporaine mk, il explore les états des corps.
Bermudas, une création récente, traitait du mouvement perpétuel. Lauréat du Lion d’argent pour l’innovation en danse, à la Biennale de Venise, il est aujourd’hui artiste associé à la Triennale de Milan.

Songlines chorégraphie de Marco Berrettini musique de Daniel Brandt et Paul Frick

 

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Songlines-M.Berrettini-4©LaurentPhilippe

Un sol noir luisant où les corps se réfléchissent comme dans un miroir. Les interprètes s’aventurent portés par une musique disco, en ensemble pastel, bleu, jaune ou rose, façon survêtements chics et en chaussures à paillettes.

On les croirait dans un boîte de nuit, à esquisser des pas et à chercher leur place dans les carrés de lumière. D’étranges mouvements parcourent leurs corps quand ils s’approchent les uns des autres, comme électrisés. Puis ils vont défiler à marche forcée dans un «moonwalk» continu (une rétro-glissade avec un pas glissé vers l’arrière) avant de se laisser aller au sol pour un long temps de repos. Quand ils se relèveront, ils iront à reculons d’une coulisse à l’autre, avec de petits gestes libératoires.

Enfin, après un noir sec, nous les retrouvons de l’autre côté du miroir : derrière la toile du fond qui s’est levée, dans un paysage onirique, sous des baudruches dorées bougeant comme des poissons  dans un aquarium. Des couples se forment à l’avant-scène avant de se figer en plein élan: arrêt sur image. Puis une grosse chenille argentée rampe en crissant dans le silence.
Le chorégraphe joue des contrastes entre mouvements mécaniques et moments de relâchement. Le titre :«chant des pistes» fait référence au livre de l’Anglais Bruce Chatwin consacré aux rapports des Aborigènes d’Australie avec leur territoire. Ces peuples nomades vivent l’espace comme un labyrinthe de sentiers invisibles qui serpentent dans tout le pays et qui les mènent vers le « voie du savoir ». Sur les pas de leurs ancêtres, ils suivent ces pistes de rêve en chantant.

«Je voudrais transposer ici  les questions évoquées par Bruce Chatwin, dit Marco Berrettini : pourquoi l’homme est-il le plus agité et le plus insatisfait des animaux? Pourquoi les errants conçoivent-ils le monde comme parfait, alors que les sédentaires essaient toujours de le changer?» Pour y répondre, il laisse aux danseurs le champ libre pour faire surgir des moments de rêverie, au milieu d’une apparente rigidité.
Le chorégraphe italien né en Allemagne a dansé pour de nombreux chorégraphes en Europe dont Georges Appaix, François Verret et Pina Bausch. En 1986, il a fondé sa compagnie Tanzplantation, renommée ensuite Melk Prod et travaille aujourd’hui en Suisse.
Ici, Il n’utilise pas une grammaire fixe mais cherche à mettre en place des climats ouverts aux actions de ses danseuses et danseurs, vus comme «un organisme doté d’une intelligence propre».  Une fois de plus, le Ballet de Lorraine relève le défi avec une belle cohésion.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 12 novembre, à l’Opéra national de Lorraine, place Stanislas, Nancy (Meurthe-et-Moselle).

Ballet de Lorraine, 3 rue Henri Bazin, Nancy. T. : 03 83 85 69 00.

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