Festival d’Automne Angela (a strange loop), conception, texte et direction de Susanne Kennedy, conception et mise en scène de Markus Selg (en anglais surtitré)

Festival d’Automne:

Angela (a strange loop), conception, texte et direction de Susanne Kennedy, conception et mise en scène de Markus Selg (en anglais surtitré)

 «C’est quoi ce bordel.» dit un comédien vers la fin de la pièce mais en voix enregistrée en studio comme pour ses camarades. Une voix retravaillée par les créateurs et par Richard Janssen, designeur sonore. «Le temps se transforme en espace. (…) Tu dois accoucher de toi même (…) Pour se défaire d’un tourment, il faut commencer quelque part! Tu as toussé un bébé. »
Susanne Kennedy, quarante-sept ans, est une créatrice allemande qui, en 2019, a conçu avec l’artiste Markus Selg, Coming Society, un projet de théâtre interactif présenté à  la Volksbühne de Berlin.
Angela (a strange loop) a été créé au dernier festival d’Avignon, un texte d’inspiration surréaliste de Susanne Kennedy sur la vie d’une jeune influenceuse atteinte d’un covid long qui, dit-elle, s’apparente presque à une maladie auto-immune où le corps lutte contre lui-même. Le virus est parti depuis longtemps mais le corps d’Angela surréagit. Durant le confinement, je me suis beaucoup intéressée à l’explosion sur les réseaux sociaux, du phénomène des influenceurs.
J’ai suivi certains des comptes où les gens parlaient beaucoup d’eux-mêmes et parfois de leurs maladies et j’y ai trouvé des pistes fascinantes pour imaginer ce personnage d’Angela. Je me suis aussi beaucoup intéressée au Théâtre et la Peste d’Antonin Artaud. Selon lui, la maladie affecte le corps, mais aussi la société. »

© Julian Röder

© Julian Röder

Quand ils veulent faire du théâtre « décalé », certains se réfèrent toujours à Antonin Artaud, sans en avoir en rien son génie…. Ici, malgré un parti pris de non-jeu, il y a la belle présence d’Ixchel Mendoza Hernández (Angela) et la qualité-voix et violon-de Diamanda La Berge Dramm, une étrange femme à moitié nue et le crâne totalement rasé.Qui incarne-t-elle? Un ange tombé du ciel ou  l’inconscient d’Angela… En tout cas, elle est surprenante et capte les regards.
La scénographie s’inspire de l’esthétique des jeux vidéo, avec couleurs flashy très mode et projections en trois D dans une cuisine fonctionnelle Ikea, puis dans les mondes colorés et hypnotiques de la science-fiction.

Mais cet objet théâtral expérimental distille un ennui profond, malgré sa relative courte durée (une heure quarante ! ). Une fois raccourci, il aurait -peut-être- une place comme performance dans un musée d’art contemporain. Son « esthétique » marquera éventuellement la mémoire des seuls spectateurs qui n’ont pas dormi. Après le spectacle, certains vont sur le plateau vérifier la réalité des éléments de décor et les accessoires. Prêts à les acheter ?

 Jean Couturier

Jusqu’au 17 novembre, Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 


Archive pour novembre, 2023

Un Pas de chat sauvage de Marie NDiaye, adaptation de Waddah Saab, Blandine Savetier, mise en scène de Blandine Savetier

Un Pas de chat sauvage de Marie NDiaye, adaptation de Waddah Saab, Blandine Savetier, mise en scène de Blandine Savetier

 La metteuse en scène, comme l’autrice, ont été artistes associée au Théâtre National de Strasbourg sous la direction de Stanislas Nordey. Blandine Savetier  a présenté  dans ce lieu Love and Money de Dennis Kelly en 2014, et créé Neige d’Orhan Pamuk en 2017, L’Odyssée d’Homère en 2019 et 2020, Nous entrerons dans la carrière (voir Le Théâtre du Blog) l’année suivante et sa dernière création, Un pas de chat sauvage, de Marie NDiaye, en Mars 2023. Elle a choisi d’adapter ce récit,  envoûtant et d’une grande finesse littéraire, en théâtre musical. Un pari esthétique risqué mais assumé et réussi !

La narratrice, une professeure d’université et chercheuse, veut écrire un roman sur Maria Martinez, chanteuse cubaine, surnommée la Malibran noire. Mais elle ne trouve pas l’inspiration. Son roman stagne et l’angoisse de la page blanche entraîne la chercheuse dans un espace intérieur insupportable. Première étape d’un cheminement existentiel qui va s’avérer plein de mystères et de moments cruels.
Fascinée par Marie Martinez, la narratrice n’est pas la seule! Elle reçoit un courrier électronique d’une femme se faisant appeler Marie Sachs qui lui demande où elle en est dans ses recherches… Comment sait-elle qu’elle veut écrire un livre sur cette chanteuse noire? Premier mystère ! La narratrice refuse de lui répondre, puis finit par lui envoyer un message.
Marie Sachs et Marie Martinez: même prénom, et comme la Malibran noire, chanteuse! Elle invite la romancière  en mal d’inspiration, à venir la voir chanter au cabaret de l’Alhambra. C’est le premier des trois tours de chant auxquels Marie Sachs la convie. Ces moments de cabaret comme les actes d’une tragédie, font progresser en intensité tragique, leur relation et leurs destinées dionysiaques.

L’existence et le rapport à l’autre face au modèle, l’idole : La Malibran, -rapport mimétique à souhait, la narratrice est à la fois fascinée et rebutée par Marie Sachs - vont se manifester crescendo en ne cessant d’accroître le sentiment de cette passion effrénée pour Marie Martinez, vécue par les deux femmes. La narratrice : l’ intellectuelle, Marie Sachs : l’artiste, deux univers opposés : celui d’Apollon et celui de Dionysos. 

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Studio ERE

Marie Martinez  a existé et est dans le récit, un personnage testamentaire. Cette singularité du personnage dramatique donne à la pièce,  la capacité de faire revivre notre XIX ème siècle, à travers l’existence de la Malibran. Cette pièce musicale est aussi documentaire. Personnage mythique, la  chanteuse et guitariste est née en 1820 à La Havane et a vécu à Paris, aux Etats-Unis et en Angleterre, avant de mourir mystérieusement.
Nous ressentons la dimension tragique du récit, les tempéraments forts et si différents, les obsessions et angoisses intimes des personnages. Natalie Dessay dans son interprétation de la chercheuse universitaire est bouleversante ! Marie NDiaye a écrit ce  Pas de chat sauvage avec une grande sensibilité, un esprit pertinent, et peu commun. Blandine Savetier a su, en nuance subtile,  traduire le colonialisme, le statut de la femme-artiste, le racisme, la puissance et l’insolence de l’art face à la bourgeoisie, la difficulté d’être soi, le rapport à l’autre, la jalousie…La transposition, du texte à la scène, en le geste artistique et politique de la metteuse en scène, fait vibrer et résonner avec perspicacité toute la théâtralité enfouie dans le texte littéraire et poétique de Marie NDiaye.  

Marie, prénom de femme, prénom sacré: Sainte-Marie, est porté par les trois personnages féminins : deux artistes et une intellectuelle, le théâtre et la vie réelle se retrouvent ! Et nous restons fascinés par la beauté et justesse de cette mise en vie de leur destin incroyable. 
Décor sobre mais d’une grande intensité : juste un piano entre la scène et les gradins, et une toile sur laquelle est reproduite la salle à l’italienne de l’Odéon à Paris…
A mesure que la pièce évolue, la toile s’affale et laisse apercevoir en fond de scène, la loge de l’artiste faiblement éclairée par une lampe de chevet avec quelques photos et un tableau de Marie Martinez par le célèbre photographe Nadar. Autre élément marquant, la projection en fond de scène d’une photo cadrée sur un  regard profond aux yeux d’une douce beauté mélancolique, et noble.  
Le public est émerveillé par les chants et les danses interprétés avec grâce et joie par Anne-Laure Segla et à un moment marquant par Natalie Dessay.  Une surprise : la présence inattendue et bienvenue du compositeur de la musique, Greg Duret. Il est aussi personnage du spectacle ! Magicien, diablotin, meneur de revue, bigarré et burlesque, il incarne l’art du théâtre et ses masques. La comédie prend place dans le drame tragique…

La scénographie de Simon Restino et la mise en scène de Blandine Savetier mettent en valeur la dimension dionysiaque du récit. Les costumes inventifs aux merveilleux et élégants tissus, variés en terme de style et plein d’élégance mais aussi d’humour, et en parfaite résonance avec les contextes de l’histoire,  la création des lumières de Louisa Mercier, un jeu subtil entre le sombre et les rouges, le vert et le noir et blanc, laissent éclater les tourments profonds mais aussi le lien violent entre Marie Sachs et la narratrice, et l’irrésistible appel de l’autre.
La musique originale en live sur scène de Greg Duret et tout l’univers sonore : les bruits, les cris, sont d’une force rare tout comme les moments chorégraphiques, d’une poésie et d’une maîtrise exceptionnelles. 
La danseuse, chanteuse et comédienne Anne-Laure Segla reprenait ce soir-là pour la première fois le rôle. Superbe performance ! 

Nous sommes à la fois touchés et fascinés: la puissance de l’art se heurte ici avec un violent désir, à celle de la connaissance. La sensibilité et la beauté de cette pièce musicale, sa fougue et sa liberté de ton, son sens de la vie indépendante de tout système, son écoute des lointains et son « pas de chat sauvage » rappellent au public enthousiaste qu’on ne peut supporter le chaos de l’existence sans «ce mensonge utile» et esthétique de la transfiguration poétique. Ce spectacle avec le jeu puissant de tous les comédiens-chanteurs,  traduit la beauté, l’émotion et la pensée d’un récit captivant, ici transposé à merveille sur scène…

 Elisabeth Naud

Spectacle créé au T.N.S. à Strasbourg et vu à la Maison de la Culture de Bourges (Cher) le 8 novembre.

Le 15 novembre, Le Carreau, Scène Nationale de Forbach (Moselle).

Du 12 au 22 mars, Théâtre des Bernardines-Les Théâtres, Marseille (Bouches-du-Rhône).

Du 29 juin au 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (Vaucluse).

Le texte de Marie NDiaye est publié aux éditions Flammarion.

Hélène après la chute,texte et mise en scène de Simon Abkarian

Hélène après la chute, texte et mise en scène de Simon Abkarian

L’auteur-metteur en scène et ancien acteur du Théâtre du Soleil, avait créé en 2012 Ménélas Rebétiko Rhapsodie où le roi de Sparte blessé se confiait sur l’enlèvement d’Hélène, sa femme par le jeune et beau Pâris, fils de Priam, roi de Troie. Puis une version de la fameuse tragédie de Sophocle avec Électre des bas-fonds.
Ici, la guerre de Troie entre Grecs et Troyens est finie, Pâris, l’amant de la belle Hélène  est mort au combat et elle retrouve Ménélas  dans sa chambre, celle de Pâris. Rideaux rouge et bleu, murs dorés, miroirs un peu partout comme dans un bordel au luxe bien vulgaire, grandes portes en fond de scène coulissantes avec ensuite, une grande statue noire amputée des bras, un grand canapé monté sur roulettes (Hélène y restant assise ou pas ou avec Ménélas, c’est selon).

© Antoine Agoudjian

© Antoine Agoudjian

On le sait, ce genre de clin d’œil scénographique, ici très appuyé ! fonctionne rarement au théâtre ou alors il y faut du génie et il écrase ici les protagonistes. L’ensemble du décor aussi imposant que laid, ne facilite en rien le jeu des acteurs. Et côté costumes, Hélène (Aurore Frémont) aux longs cheveux blonds mais (mal) décolorés est en maillot de bain noir, les seins presque nus  et vêtue d’un long manteau, avec de hautes chaussures dorées. Comme le tissu du grand canapé, lui aussi doré comme les murs… Tous aux abris. La tenue militaire de Ménélas (Brontis Jodorowsky)- un habit bleu foncé (à boutons eux aussi dorés)  et un grand manteau de tulle noir)- est sobre et plus convaincante !

Un bon argument de pièce et  à notre connaissance, pas exploité. Là, Simon Abkarian a visé juste. L’ancien couple qui s’est autrefois aimé, se retrouve après dix ans d’une guerre terriblement longue et épuisante pour leurs pays. Ménélas a été blessé physiquement et moralement mais cherche quand même à revoir Hélène. » Tu es parie sans te retourner et moi j’ai souffert sans désir de guérison. (…) Vous avez embarqué en dansant, enlacés l’un dans l’autre. L’au n’efface rien, tout est gravé dns mes yeux. Ce matin-là, debout sur la jetée, j’ai cessé d’être Ménélas. Ce matin-là, le roi de Sparte est tombé à genoux dans le creux d’une vague qui s’échouait sans fin. » On le devine, les retrouvailles ne vont pas être des plus faciles (sinon il n’y aurait pas de pièce!) et une joute verbale commencera très vite entre eux…
Les personnages tragiques féminins, contrairement à ce que l’on dit souvent, ne manquent pas dans le théâtre antique. Et cela dès Eschyle, avec dans Les Perses, Atossa, la vieille reine sublime et mère de Xerxès, puis dans Les Sept contre Thèbes, Ismène et Antigone, dans L’Orestie: Clytemnestre, Electre, Cassandre, la déesse Athéna et les terribles Euménides. Et chez Sophocle, de nouveau, Electre, Antigone, mais aussi Jocaste.
Et chez Euripide, encore Electre et Clytemnestre, mais aussi Andromaque, Hermione, Alcmène, Vénus, Phèdre, Diane, Les Bacchantes, et encore Antigone et Ismène  Et Hélène, personnage d’une tragédie éponyme (pas la meilleure du grand dramaturge…) Et c’est bien une des rares Hélène avec celle de L‘Iliade d’Homère avec celle de la célébrissime opérette La Belle Hélène de Jacques Offenbach…

Simon Abkarian lui, habilement, fait se retrouver dans une après-guerre Ménélas et Hélène.  Avec leurs vies respectives depuis dix ans, leurs promesses, leurs souvenirs, leurs échecs et leurs reproches et qui sait, peut-être un vieux reste de passion amoureuse… ils ont sûrement des choses à se dire. Mais pourquoi Pâris tient-il à revoir Hélène qui n’est sûrement plus celle qu’il a connue. «Pourquoi m’as-tu fait venir? dit-elle Que veux-tu de moi ? Que vas-tu faire de moi ? »
Dans la légende homérique, Ménélas pardonnera à Hélène. Ils mettront huit ans à revenir à Sparte, après avoir connu diverses errances en Méditerranée.
Et elle aurait alors été une épouse fidèle.
Ici, Pâris lui fait bien comprendre que, guerrier accablé par le temps à faire cette guerre, il reste aussi un homme juste et doux… Mais elle doit aussi admettre qu’il a tout pouvoir sur celle qui a vécu avec un homme du camp adverse.
Qu’ont-ils à gagner l’un et l’autre à ces retrouvailles? Pourront-il refaire l’amour ensemble? «Ce qui m’a toujours ému dans les tragédies, ce sont ces moments fatidiques où le temps s’arrête et où les personnages qui sont censés être l’un à l’autre, ne savent plus se reconnaître, dit subtilement Simon Abkarian.  Ils ne savent plus croire ni au retour ni à la résurrection de l’autre. Malgré leurs yeux et leurs oreilles, ils nient l’évidence même de la présence et exigent autre chose qu’un corps. Ce qu’ils veulent, c’est un souvenir venu du fond de leurs mémoires, un récit qui saurait déjouer les doutes les plus coriaces, un secret qui les lierait dans la nuit de leurs étreintes perdues. »

Simon Abkarian brode avec subtilité  (les dialogues poétiques ont quelque chose de La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux) sur l’histoire de cette Hélène devenue, après la mort de Pâris, la femme de Déiphobos, un autre fils de Priam. Mais une fois finie la guerre de Troie, elle retrouva Ménélas qui la ramena dans son palais à Sparte, après huit ans de voyage. Ici, nous la voyons seulement partir avec lui , la main dans la main vers la grande porte du fond, une  très belle image… Cela dit, la mise en scène est loin d’avoir la même qualité que le texte. Mais surtout la direction d’acteurs est aux abonnés absents! Brontis Jodorowsky a une présence indéniable mais laisse souvent tomber ses phrases dans sa barbe.
La qualité de la gestuelle d’Aurore Frémont ne laisse aucun doute (merci l’Ecole Jacques Lecoq) mais, côté diction là, on l’entend souvent très mal. Sauf, quand, à de rares moments, elle est face public. Simon Abkarian doit revoir les choses en urgence: c’est vraiment dommage que ce texte intéressant soit aussi mal dit. Alors à vous de voir si cela vaut le coup mais on l’aura compris, ce spectacle est bien décevant et la salle était loin d’être pleine!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 25 novembre, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 Square de l’Opéra-Louis Jouvet,  Paris (IX ème). T: 01 53 05 19 19.

Le 15 décembre, Théâtre de Suresnes ( Hauts-de-Seine).

Les 19, 20, 21 et 22 décembre, La Criée-Théâtre national de Marseille.
Le texte de la pièce est édité chez Actes-Sud-papiers.

 

Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

Cartographie imaginaire, texte d’Yvan Corbineau, mise en scène d’Elsa Hourcade

2.7Au Soir -Cartographie Imaginaire   01

©Kalimba

Création du collectif Le 7 au Soir et troisième volet du récit d’Yvan Corbineau, La Foutue bande, de loin de la Palestine, qu’il a écrit lors de nombreux séjours en Cisjordanie. Cette “matière-texte“ a donné lieu au Bulldozer et l’Olivier (2017), et à La foutue Bande (2020), à la Scène nationale Culture commune (voir Le Théâtre du blog).
Depuis, cette «foutue» Bande de Gaza est dramatiquement foutue! Comment en parler aujourd’hui ? L’auteur quitte ici les rives du réalisme pour nous entraîner dans l’espace métaphorique d’un territoire mouvant, énigmatique où va se perdre un marcheur solitaire. La carte qu’il a en mains se dérobe à la lecture, faute de légendes et il se heurte à un mur sans issue, réduit à tourner en rond.

 «C’est l’histoire, dit Judith Morisseau, d’un chemin impossible pour les habitants d’un pays morcelé, ou celle d’un auteur égaré.» Comme Alice au pays des merveilles, la comédienne s’engouffre dans un labyrinthe semé d’embûches, représenté par les dessins qui s’inscrivent sur le tulle transparent de l’avant-scène. De petits objets, animés en direct par la graphiste installée à jardin, s’affichent aussi sur l’écran.
La comédienne doit jouer dans les plis et replis d’un immense drap blanc-le désert ?- manipulé à vue par Yvan Corbineau pour créer sans relâche des creux et des bosses, un ciel nuageux, et parfois engloutir la narratrice. Le marcheur anonyme, à la recherche d’une improbable sortie, nous emmène dans un rêve éveillé fantasmagorique où se confondent dans le texte et graphiquement, une multitude de points de vue, contrôle, départ, fuite, mais aussi de points d’orgue, de suspension… Sa carte devient illisible et il doit s’en remettre au hasard à coups de dé, ou consulter le
Livre des légendes qui tombe des cintres mais dont les tiroirs ne livreront pas leurs secrets. D’étape en étape, d’épreuve en épreuve, il revient sans cesse à son point de départ:  un rocher au pied d’un mur sans brèche.
Au gré de ce parcours onirique, Judith Morisseau reste à juste distance de son personnage et navigue avec grâce dans la danse infernale du décor et le paysage sonore crée et diffusé par Jean-François Oliver, parmi les dessins et projections d’objets ludiques imaginés par la scénographe Zoé Chantre, sous les lumières de Thibault Moutin. Une minutieuse coordination orchestrée par Elsa Hourcade.

Le collectif 7 au soir a entamé un long compagnonnage avec Culture Commune. Et le spectacle a eu lieu à l’Espace culturel Jean Ferrat à Avion, partenaire de cette Scène nationale multipolaire qui, de la Fabrique théâtrale de Loos-en-Gohelle ( Pas-de-Calais), rayonne dans l’ancien bassin minier de l’Artois.
Ce soir, les habitants d’Avion sont venus nombreux. Ils connaissent le travail de la compagnie, pour avoir élaboré pendant un an avec elle, un spectacle collectif en marge de la création de
Cartographie imaginaire. Des ateliers d’écriture et de jeu ont abouti à Chemins de traverse, joué par les habitants du quartier de la République avec pour thème, les parcours et itinéraires bouleversés à cause d’un environnement urbain en mutation.

Cartographie imaginaire a vraiment sa place dans cette municipalité communiste jumelée avec le camp de réfugiés palestiniens de Bourj El Barajneh au Liban et la ville de Qustra en Jordanie. Et cette fiction à la tonalité beckettienne nous renvoie avec élégance et pudeur à une situation sans issue. La poésie et la fantaisie constituent ici une échappatoire possible.

«Voilà que nous marchons en silence vers une dernière errance/ Nous nous tenons tous par la main/ Et nous avançons solitaires dans le désert du monde/ Peu nous importe désormais que quiconque nous aime.» C’est un extrait d’un poème écrit le 25 octobre dernier par l’auteur palestinien Samer Abu Hawwash, «dans un moment de douleur et devant le constat que le monde entier a abandonné Gaza ».

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 10 novembre au Centre culturel Jean Ferrat, Avion (Pas-de-Calais). Les 30 novembre et 1er décembre, Les Passerelles, Pontault-Combault (Seine-et-Marne). T. : 01 60 39 29 90.

Les 1 er et 2 février, Théâtre Berthelot, Montreuil (Seine-Saint-Denis) T. : 01 71 89 26 70.

En mars, au festival MARTO dans le cadre de la Nuit de la marionnette.

Culture Commune-Fabrique Théâtrale, Scène nationale du Bassin minier du Pas-de-Calais, rue de Bourgogne, Base 11/19, Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). T. : 03 21 14 25 35.

Foutue Bande, de loin la Palestine est publié aux éditions Passage(s).

Magie entre potes de Donovan Haessy

Magie entre potes de Donovan Haessy

Originaire d’Hartmannswiller, un village du Haut-Rhin près de Mulhouse, ce magicien de vingt-trois ans est très populaire chez les adolescents, avant même le charismatique Éric Antoine, et cela après seulement quelques années de pratique. Cette « star des réseaux sociaux» a 700.000 abonnés sur YouTube, 321.000 sur Instagram et plus d’un million sept sur TikTok. Spécialité : la magie de rue, très inspirée par celle de David Blaine qu’il admir

 

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Petit, Donovan s’intéresse au paranormal et veut devenir un super-héros. Quand il a onze ans, sa grand-mère lui offre sa première boîte de magie et apprend la prestidigitation avec des livres, des vidéos sur YouTube et Internet. L’année suivante, il commence à se produire dans les restaurants, et de treize à quinze ans, enchaîne les prestations dans la rue mais aussi dans son collège.
En 2015, premier solo et l’année 2017 sera décisive avec un passage à l’émission La France a un incroyable talent qui le révèle au grand public, jusqu’à la demi-finale. Il participe à FantaXYou2, un concours d’influenceurs sur Internet et il rencontre alors des personnalités du web, de la télé, de la chanson et du cinéma qui vont stimuler son ascension. Il y a cinq ans, la chaîne belge RTLTVI lui offre sa propre émission de télé où il réalise des tours dans la rue.
Puis il commence à se produire sur scène en Belgique. De 2021 jusqu’à l’an dernier, il fait une vingtaine de dates en France avant une résidence au Palace, pendant le festival off d’Avignon.

Deuxième saison à Paris pour ce spectacle après des représentations à guichet fermé au Métropole d’octobre 2022 à février de cette année. Il s’est installé à l’Apollo Théâtre (deux cent places), en résidence tous les mercredis cet automne et avec Magie entre potes, nous invite à une soirée genre intimiste qu’il a organisée dans son appartement. Ici, il a reconstitué un salon avec bar, tabourets… Dans son village, dit-il, il n’y a vraiment personne et rien à faire ! Il va demander leur participation à une dizaine de personnes.
«Les premières fois que je suis monté sur scène, dit-il, je n’étais pas bien, j’avais envie de vomir… des cartes!» (production de cartes à la bouche). Il demande au public comment il le connait et la majorité répond : par les réseaux sociaux.
Il se présente ensuite vite fait et dit qu’il vient d’un petit village alsacien où vient d’être installée la wifi 2G ! (il met son téléphone portable en équilibre sur l’index). Le magicien invite ensuite les spectateurs à se mettre à l’aise chez lui et, en retirant sa veste, fait apparaître de sa manche, une grande bouteille dHeineken, mécène de cette soirée.

A dix ans, Donovan avait commencé à faire des tours. Sa première spectatrice qui ne voyait pas grand-chose (cela l’arrangeait bien), fut sa grand-mère… Il utilise des cartes dites jumbo, toutes différentes et qu’il fait défiler. Puis, il va en faire choisir une, à une spectatrice qui jouera le rôle de sa mamie. Il montre ensuite la carte choisie imprimée sur le dos de son T-shirt.
Donovan Haessy l’ouvre et en tire deux foulards qui changent à l’instant même de couleur. Il enclave ensuite deux anneaux chinois et montre malheureusement le truc comme jadis Éric Antoine. Et il réarrange un Rubik’s cube mélangé.
Le magicien met ensuite une cassette audio dans un poste : un anachronisme puisque dans les années 2010, il n’y avait plus de bande magnétique mais plutôt des CD) et il suit les instructions d’une voix pour manipuler un foulard et une banane qui se plie en deux pour être empalmée et disparaître grâce au foulard.

Entre sur scène Kilam, son colocataire et assistant; l’air ahuri, il débarrasse les accessoires. Donovan Haessy répète qu’il s’agit de sa première soirée entre potes et que dans son village de six cent soixante-quatre habitants, les adolescents ont tous quarante-cinq ans! Il demande à deux célibataires majeurs de venir sur scène pour une expérience fondée sur des tests de la NASA pour savoir si des ingénieurs peuvent aller vivre ensemble dans l’espace.
Le magicien présente des caleçons et chaussettes de toutes les couleurs sur un étendoir. La fille et le garçon mettent tout le linge dans une panière et le mélangent. Ils prennent ensuite au hasard et les yeux fermés, un caleçon et une chaussette pour voir s’ils correspondent. Malheureusement ce ne sont pas les mêmes motifs et le plan de rencart a foiré! Mais pas pour tout le monde! Il va montrer qu’il porte la même paire de chaussettes et le même caleçon choisis. Il peut donc, soit repartir avec le garçon, ou avec la fille… Cette séquence présentée avec humour, est en fait l’adaptation du vieux tour dit « à l’enveloppe » , ici transposé avec un panier à linge.

« Dans toutes les soirées, dit le jeune magicien, il y a une contre-soirée où quelques-uns se mettent à l’écart pour discuter d’autre chose.» Et il propose à trois spectateurs une séance de spiritisme pour «s’ambiancer » façon Halloween (nous sommes le 1er novembre). Mais il faut être majeur et exempt de pathologie cardiaque.
Il leur demande quelle est leur passion dans la vie et il fait assoir une jeune femme bras tendus et les yeux fermés sur une chaise au milieu de la scène. Et il prie  la deuxième personne assises aussi sur un tabouret, de se tenir de la même façon et il la touche avec une carte à jouer sur l’avant-bras, ce que ressent la jeune femme à distance. Et ensuite la troisième personne s’assied sur la chaise pour une nouvelle expérience avec Lucie, une poupée vaudou du XVIII ème siècle.
Donovan Haessy établit alors un contact visuel entre la personne et la poupée pour qu’elles soient connectées. Il passe la flamme d’un briquet au dessus de la main de la poupée jusqu’à la brûler et y faire une marque noire… qu’on verra dans la main de l’autre spectateur assis.
Pour terminer, une grande aiguille est piquée sur les fesses de la poupée et au même moment, le spectateur sursaute sur sa chaise. Pour remercier ses invités, le magicien leur offre une bière ou un Fanta… et extrait un Donut de sa bouche.
Cette séance spirite détonne un peu mais est rondement menée avec une belle progression dramatique et Donovan Haessy utilise des techniques simples bien présentées (PK touch, Le tour de la cendre-Vaudou) et la chaise électrique pour une fois « bien » justifiée, même si cela reste douloureux pour le spectateur…)

Aux mêmes invités, il propose un jeu de chaises musicales avec deux tabourets. Le dernier qui arrive à s’assoir dessus, gagne un paquet de chips… Musique ! Les invités tournent et deux arrivent à s’asseoir. Un tabouret est retiré et ne reste finalement plus qu’une jeune femme assise. Elle gagne le paquet de chips contenant une petite enveloppe avec un mot écrit : «Bravo, tu as gagné 1.000€… Sauf, si tu t’appelles Maëlle, si tu portes des lunettes et si tu as gagné un paquet de chips. » (description exacte!)

 Donovan Haessy parle de la magie qu’il préfère et qui l’a fait connaître sur les réseaux sociaux, celle de rue. Il propose à ses invités d’en réaliser un tour sur scène et demande à son colocataire Kilam de lui apporter des accessoires qui « fassent rue », comme ce grand panneau signalétique bleu de parking. On entend alors un fond sonore de voitures. Pour faire monter au hasard une personne sur scène, un nounours géant est lancé deux fois dans la salle et tombe sur un jeune garçon. Donovan Haessy lui demande de choisir entre les familles d’un jeu de cartes (pique, cœur, carreau ou trèfle), ainsi qu’une valeur. Le garçon est invité à regarder dans le dos du nounours où se trouve un jeu de cartes dans un étui. Le magicien révèle la carte choisie, seule carte retournée face en bas dans le jeu (effet Brainwave).

 Il invite ensuite une jeune femme à qui il offre une boisson comme à chaque invité et il propose de montrer une technique pour draguer les filles. Il fait choisir librement à une spectatrice une carte dans un jeu jumbo, puis la lui fait signer. Il plie la carte en quatre et la met dans la bouche de la spectatrice.
Donovan Haessy fait de même avec une carte d’un jeu normal, la signe, la plie et la met dans sa bouche. Il s’approche alors doucement de la carte de la jeune femme et au contact, les deux cartes avec leur signature qui se transpose, changent de place !
Donovan Haessy garde avec lui le jeune garçon et lui demande s’il aime les super-héros et les mangas. Il lui dit qu’enfant, il rêvait d’avoir un super-pouvoirs tel celui de voler comme Spiderman.
Le garçon est alors invité à choisir un manga parmi six et de dire stop sur une page qu’il a choisie, en mémorisant un objet dessus. Le magicien va lire maintenant dans ses pensées en annonçant quelques lettres et en écrivant exactement sur une ardoise l’objet choisi !  Il offre au garçon un bandana (son ancien objet fétiche estampillé « Donovan ») pour lui transmettre ses super-pouvoirs et lui propose de l’aider à faire léviter un tabouret de bar avec la veste du magicien posée négligemment dessus….Une judicieuse variation de la table flottante (Floating table de Dirk Losander), avec un autre petit meuble et une veste, en guise de nappe.

 « Il y a toujours, dit-il, un mec qui reste et traîne en fin de soirée ; il tape l’incruste quand on a déjà tout remballé ». Ce mec, c’est Kilam, invité à ranger l’appartement  mais rien ne va se passer comme prévu…avec Donovan Haessy, il prend bien des rouleaux de papier cuisine pour nettoyer mais ils boivent aussi un dernier verre… là, les choses dérapent avec l’apparition d’une grande bouteille de bière ! Les compères entament alors une chorégraphie avec leur rouleau respectif pour réaliser des transpositions de verre et de bouteille, puis produisent une quinzaine de bières avec plusieurs rouleaux sur une musique rythmée et entraînante. C’est encore une fois une astucieuse adaptation du tour : la multiplication de bouteilles,avec, à la place des tubes en carton qui ne veulent rien dire, un objet usuel qui fait sens.

 Donovan Haessy parle du syndrome contemporain d’immortaliser les choses avec smartphones et réseaux sociaux. Il réalise qu’il est suivi par un million de personnes… Un peu plus que les habitants de son village alsacien ! Toutes ces personnes sont en train de changer sa vie et il les remercie.
Il propose ensuite de réaliser une photo-souvenir Instagram avec ses invités et propose à une spectatrice de s’asseoir sur un tabouret. Il écrit trois mot sur une ardoise mais cachés et lui donne un morceau de papier plié.
Le magicien va maintenant faire choisir trois images d’une série de trois qu’il tire d’un carton à dessin : une ville, un costume et un accessoire.
Les images choisies aimantées sont mises sur le panneau de signalisation pour constituer une image composite décalée (Donovan Haessy en habit de paysan avec un bouclier à New York). Le papier de prédiction est déplié et il y est écrit : « non » (en rapport à la question : as-tu deviné l’image ?).
Ensuite l’ardoise retournée fait apparaître les trois mots qui correspondent parfaitement au choix de la spectatrice. Sur le papier à nouveau déplié, apparaissent maintenant les trois mots identiques et une grande photo A3 correspondant à l’image composite !

 Nous sommes arrivé avec beaucoup de réserves à ce spectacle : la surexposition de Donovan Haessy sur Internet et dans les médias ne présageait pas une conversion scénique réussie. Il y a énormément d’offres de magie sur les réseaux sociaux, jusqu’à l’indigestion. Mais très peu d’élus qui passent du virtuel, au réel : la magie n’est en effet pas la même derrière une caméra avec un point de vue unique, ou à la télévision avec une gestion à 360° des angles morts, ou sur une scène quand il faut construire une mise en scène et à établir une connexion avec la salle.

Nous avons craint le pire au début du spectacle, quand Donovan Haessy reprend certains effets de magie de rue  très basiques et effectue des tours sortis d’une boîte  ringarde, mais après la première séquence, le ton change et il y a des trouvailles originales. Et nous sommes sorti de ce spectacle d’une heure quinze avec une irrésistible envie de mordre la vie à pleine dents.
Au-delà des tours réalisés, Donovan Haessy transmet une joie de vivre, une énergie, avec un sourire ravageur et un charmant petit accent alsacien. Il a un capital sympathie énorme et essentiel pour être populaire et être aimé.
Cela se confirme quand il fait monter sur scène et qu’il traite comme ses potes : avec bienveillance, sincérité et sens de la communication. Après le spectacle,  il n’hésite pas à rencontrer avec une grande humilité le public et signe des autographes, se fait prendre en photos. Il semble vivre ce succès avec un certain détachement…

Nous souhaitons à ce jeune et talentueux magicien  qui connaît une exceptionnelle ascension, de toujours garder la même humilité.

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 1er novembre à l’Apollo Théâtre,  18 rue du faubourg du Temple, Paris (XI ème). T. : 01 43 38 23 26.

 

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)

Violetta and Arabuli in Abastumani - (1)

© Irakli Sharashidze

 Tbilissi, dans les années 90. Alfred et Violetta vivent un amour contrarié par la guerre civile qui éclate à la chute de l’Union Soviétique alors qu’Alfred est parti, invité en Italie à un congrès d’astronomie. De délicieuses marionnettes vont nous raconter leur histoire, inspirée par  La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas et son adaptation par Guiseppe Verdi La TraviataCette version actuelle est teintée du vécu de Rezo Gabriadze, longtemps exilé à l’étranger pour raisons politiques et qui retrouva son théâtre confié à un ami, après cinq ans d’absence, dont plusieurs en France.

Alfred et Violetta fut la première création du théâtre Gabriaze fondé par Rezo à Tbilissi en 1981, dans une petite salle en bois au cœur de la vieille ville. Le grand marionnettiste a remanié sa pièce peu avant sa mort en 2021: nouveaux décors, nouveaux personnages, nouvelles musiques, nouvelles lumières. Leo, son fils, héritier de son œuvre, en a repris la mise en scène et la première mondiale a eu lieu  au Théâtre Goldoni, à Venise l’an passé.

Nous sommes accueillis devant le castelet par le vieux directeur du théâtre, une marionnette à la ressemblance de son créateur… Un peu distrait, il nous prie d’être indulgents. Puis le rideau s’ouvre sur les rues de Black Jack, un quartier populaire de Tbilissi où habite Violetta. Sous ses fenêtres, de petits personnages actionnés grâce à des fils et des tringles, bavardent, et parlent littérature et politique.

Alfred et Violetta de Rezo et Leo Gabriadze (en géorgien surtitré)  dans marionnettes cukoo-irakli-sharashidze-300x200

Cuсkoo © Irakli Sharashidze

Les marionnettistes, dont nous devinons le visage et les mains, passent avec une dextérité exceptionnelle d’un personnage à l’autre. Et en un clin d’œil, ils changent les toiles peintes au graphisme coloré, plantent les éléments de décor. Sous leurs doigts agiles, tout s’anime et parle: un bavard et facétieux corbeau propage les nouvelles; un vieux cheval, survivant de Stalingrad dans un ancien spectacle (La Bataille de Stalingrad ) devient ici l’infirmière de Violetta ; la locomotive de Ramona qu’on a pu voir au festival d’Avignon, personnifie avec nostalgie l’ex-Union Soviétique.

Les détails pittoresques s’insinuent dans les tableaux successifs: une mouche taquine un dormeur, un oiseau batifole autour des amoureux, un pigeon s’insurge contre la vente du buste de Karl Marx sur lequel il est né. Et dans un castelet miniature, a lieu une scène parodique de La Traviata à la Scala de Milan. Ces incises poétiques insufflent humour et fantaisie à ce drame qui finira bien.

L’auteur a su créer un univers plastique et graphique singulier, doucement ironique où ses personnages attachants nous bercent dans la langue chantante de l’ancienne Colchide…«Quelle merveille d’être émerveillé !  » disait Peter Brook, quand il découvrit ce théâtre enchanteur dans les années 80 à Tbilissi.  Nous espérons que Leo Gabriaze, par ailleurs réalisateur de films d’animation dont Rezo, un documentaire tourné à partir des souvenirs d’enfance de Rezo Gabriadze, continuera à faire rayonner le théâtre de son père.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’ au 30 novembre, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

 

Farces et nouvelles d’Anton Tchekhov, mise en scène de Pierre Pradinas

Farces et nouvelles d’Anton Tchekhov, mise en scène de Pierre Pradinas

Deux farces : Les Méfaits du tabac, L’Ours traduction d’André Marcowicz et François Morvan , suivis d’une nouvelle, La Mort d’un fonctionnaire, traduction d’Elsa Triolet, à la fois dite et jouée. Mais il y a aussi une autre série avec la célèbre et merveilleuse Demande en mariage, L’Ours et une nouvelle, Un Drame,  qui est programmée plus tard…

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Il y a ici toute une galerie de personnages que le célèbre auteur fait vivre dans ses nouvelles dont il transformera certaines en courtes pièces. Au programme, la vie de ces petits bourgeois avec leur travers, leur inconsciente cruauté mais aussi leurs amours inavoués mais aussi leur tendresse… Comme dans ses grandes pièces: Oncle Vania, Ivanov, La Mouette, Les trois Sœurs, La Cerisaie…

 

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Dans les Méfaits du tabac, un court monologue, Ivan Ivanovitch Nioukhine, seul et triste, est à ce qu’il dit, bouffé par son épouse qui dirige un pensionnat-école de musique. Elle l’a obligé à faire une conférence en province sur les méfaits du tabac. Mais cela ne l’intéresse en rien et il ne sait ce dont il va pouvoir parler à un auditoire qui n’a aucune envie de l’écouter.
Alors le pauvre Niouchkine improvise lamentablement et raconte les affres de la vie de couple et se plaint du caractère de son insupportable femme… Quant aux ennuis que procure le tabac, le public attendra et nous n’en saurons jamais rien….
Philippe Rebbot, avec son minable complet à veste croisée et ses longues chaussures noires pointues, a une grande présence et sait donner à Niouckhine quelque chose d’humble et pathétique. Et c’est souvent brillant… mais il aurait intérêt à travailler sa diction, trop approximative.

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L’Ours est une petite farce en un acte (1888). Elena Ivanovna Popova, jeune  propriétaire terrienne séduisante avec ses jolies petites fossettes, est veuve depuis sept mois. Volontairement retirée du monde, elle vit seule. Louka, son vieux valet, lui annonce la visite de Grigori Stépanovitch Smirnov, un exploitant agricole à qui son mari devait de l’argent.
Mais elle refuse d’abord de le recevoir. Lui, très endetté, exige de lui parler : il ne peut plus attendre et lui réclame son argent. Enfin il est admis à parler à Elena qui lui réclame à nouveau le montant de cette dette. Elle lui répète dix fois qu’elle le comprend mais qu’elle ne peut rien faire pour lui: elle n’a actuellement aucun argent disponible et ce n’est pas négociable, lui dit-elle en colère. Smirnov devra attendre le retour de son intendant le surlendemain. C’est à prendre ou à laisser.

Lui aussi très en colère, Smirnov annonce à Elena Ivanovna Popova qu’il restera chez elle, jusqu’à ce qu’elle le rembourse. Même quand son valet s’interpose, il se fait menaçant: «Tu es malade pendant un an, je ne bouge pas d’ici pendant un an ».
Elena Ivanovna Popova le provoque alors en duel et fait alors chercher un coffret de pistolets les Smith & Wesson de son mari… Mais elle ne s’est évidemment pas s’en servir et demande à Grigori Stépanovitch Smirnov de l’aider. Et il commence à admirer l’incroyable énergie, le caractère pas commode et l’audace de cette jeune femme…
On sent qu’il a déjà capitulé et qu’il va doucement tomber amoureux. Il ne parle même plus de dette et s’avouera vaincu: «Je tombe amoureux, la tête la première! Je demande votre main. Oui, ou non ? » Silence d’Elena… Qui ne dit mot consent?
Les corps se rapprochent et ils s’embrassent. Bref, le duel n’aura jamais lieu et le mariage entre ces deux grands coléreux n’est pas loin. Emotion perceptible dans la salle.
C’est sans doute le meilleur moment de cette courte soirée. Remarquablement dirigés par Pierre Pradinas, Maloue Fourdinier et Quentin Baillot sont tout de suite très crédibles et excellent dans ces personnages aussi têtus l’un que l’autre, mais finalement aussi fragiles dans leur solitude et une fois épuisée leur colère, capables d’une grande tendresse…

Enfin dans La Mort d’un fonctionnaire, une nouvelle de 1883, Ivan Dimitritch Tcherviakov, fonctionnaire de police, est assis au deuxième rang à l’Opéra. Mais impossible de faire autrement, il éternue… sur la tête du général Brisjalov. Il lui présente aussitôt ses excuses et de nouveau, à l’entracte. Cela énerve ce général qui n’y pensait plus. Mais rien à faire, Ivan Dimitritch Tcherviakov  craint qu’il pense qu’il l’a fait exprès.
Revenu chez lui, il en parle à sa femme. Inquiète, elle lui conseille d’aller encore présenter ses excuses le lendemain. Il va donc le voir et s’excuse pour la troisième fois mais Brisjalov reste indifférent. Tcherviakov recommencera une quatrième fois! le général, excédé, l’accuse de se moquer de lui. Et la cinquième fois, il le renvoie. Tcherviakov en est malade et il « a l’impression que quelque chose se rompait dans son ventre». Il rentre chez lui , se couche tout habillé et meurt aussitôt…
Les acteurs font le boulot mais bon, cette nouvelle à la fois dite et jouée, malgré une critique amusante de la servilité d’un petit fonctionnaire, ne nous a pas vraiment touché…
Ces deux courtes pièces et cette nouvelle ont un format court et peuvent se jouer n’importe où. « Tchekhov bien sûr, y excelle, dit Pierre Pradinas. Elles s’adressent à un large public et ont l’exigence et la profondeur de ses grandes  pièces. »
Mais le spectacle est un peu court et nous en aurions bien repris une louche, malgré, au début, un petite scène de théâtre dans le théâtre sans aucun intérêt et que Pierre Pradinas aurait pu nous épargner. Nous avons regretté que La Demande en mariage au lieu de cette Mort d’un fonctionnaire, n’ait pas fait partie de ce programme… Uen erreur de tir.  Alors à voir? A vous de décider, mais même une trop petite dose de Tchekhov, cela ne se refuse pas…

Philippe du Vignal


Spectacle joué du 8 au 12 novembre, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des -Champs, Paris (VIème). T. : 01 45 44 57 34.

Du 14 au 26 novembre, Les Méfaits du tabac, Une demande en mariage, Un Drame. 

Du 28 novembre au 3 décembre, Une Demande en mariage, Les Méfaits du tabac, La mort d’un fonctionnaire.

Du  5 au 17 décembre, L’Ours, Les Méfaits du tabac et La Mort d’un fonctionnaire.

Du 19 décembre au 7 janvier, Une Demande en mariage, Les Méfaits du tabac, La Mort d’un fonctionnaire.

 

Marche silencieuse du dimanche 19 novembre à 14 h

Marche silencieuse, dimanche 19 novembre à 14 heures

 

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Rejoignez-nous…
Nous organisons une marche silencieuse, solidaire, humaniste et pacifique qui s’ouvrira avec une seule et longue banderole blanche.
Ni revendication politique ni slogan. Drapeaux et mouchoirs blancs seront les bienvenus…

Nous partirons de l’Institut du monde arabe vers le Musée d’art et d’histoire du judaïsme pour  aller ensuite place des Arts et métiers.


Le 7 octobre dernier, le monde s’est réveillé éventré, les viscères de son humanité entre les mains. Les vies de 1.450 civils israéliens ont été broyées, exterminées, détruites, un massacre perpétré par les milices terroristes du Hamas. Et deux cent-quarante autres civils israéliens kidnappés restent introuvables.
Depuis le 7 octobre , il y a eu le 8, le 9, le 10… jusqu’à ce jour et jusqu’à quand? Depuis, le sang ne cesse de couler… Des civils palestiniens meurent à leur tour, toutes les heures et tous les jours, sous les bombardements de l’armée israélienne.
Et le nombre des morts s’ajoute au nombre des malheurs…
A ce nombre hors du nombre, il faut multiplier la peine de chaque individu par dix, par vingt. Pour une seule de ces vies perdues, ce sont dix, vingt vies effondrées, dévastées de frères, sœurs, mères, amis, amours, enfants, bambins, pères, repères. Une somme incalculable de chagrins.

Depuis le 7 octobre, l’horreur et la souffrance déchirent Palestiniens et Israéliens selon une mathématique monstrueuse qui dure déjà depuis longtemps. Cette guerre fratricide nous touche toutes et tous. Peu importe nos raisons ou affinités de part et d’autre du mur, nous souhaitons qu’elle cesse immédiatement et que ces peuples puissent enfin vivre en paix. Des peuples pris en otage par des politiques que nous ne pouvons maîtriser, qui nous dépassent. Nous sommes des témoins impuissants!

Aujourd’hui, le monde est dramatiquement divisé. Aujourd’hui, nos rues sont divisées. Une immense vague de haine s’installe peu à peu et tous les jours, des actes antisémites et violences en tout genre surgissent dans nos vies. Les mots: choix et clan nous sont imposés : «Choisis ton clan. »
Mais quand la mort frappe, on ne pleure ni se réjouit en fonction de son lieu de naissance. On se tait, on prie, on pleure avec ses proches, on a de la compassion et on est humain. À cette injonction de choisir un camp à détester, il est urgent de faire entendre une autre voix, celle de l’union, multiple, polyphonique, vivante et la preuve du lien si puissant qui existe en France entre citoyens juifs, musulmans, chrétiens, athées, agnostiques…
C’est la voix jumelle à laquelle s’ajoute celle de toutes les humanités, bontés, empathies et de tous les ébranlements. Cette voix-là existe. Ces consciences-là, ces utopies-là, ces amitiés-là, ces amours-là existent, à l’unisson de nos cœurs.
Plus que jamais, il est urgent de la faire entendre ensemble et qu’avec elle, se  retissent maille à maille les tissus déchirés de nos rues. Forte et unie, elle n’a pas besoin de parler: le silence, nos visages et nos corps côte à côte seront la plus belle réponse aux vociférations de tous les extrêmes!
Le collectif  Une autre voix.

Présidente: Lubna Azabal, actrice. Arnaud Antolinos, secrétaire général du Théâtre national de la Colline. Clémentine Célarié, actrice et réalisatrice. Vito Ferreri, auteur et scénariste. Julie Gayet, actrice, scénariste et réalisatrice. Christelle Graillot, agent artistique. Baya Kasmi, scénariste et réalisatrice. Wajdi Mouawad,  auteur et metteur en scène. Jamila Ouzahir, attachée de presse.
Parmi les signataires, Aure Atika, Yamina Benguigui, Juliette Binoche, Sami Bouajila, Marion Cotillard, Abdel Raouf Dafri, Olivier Dahan, Agnès Jaoui, Arthur Nauzyciel, Denis Podalydès…

GrandreporTERRE #8 Mémoire pour l’égalité contre le racisme, conception de Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo

GrandreporTERRE #8 Mémoire pour l’égalité contre le racisme, conception de Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo
Depuis qu’ils dirigent le Théâtre du Point du Jour à Lyon, Angélique Clairand et Eric Massé ont entamé une série documentaire rassemblant deux fois l’an des artistes et journalistes et que nous avons suivie avec intérêt (voir Le Théâtre du Blog). Ils font de ce lieu une maison de création, avec un programme en prise sur l’actualité et  tissent des liens avec des compagnies locales, hexagonales ou étrangères pour des projets socialement engagés.
Comment faire théâtre à partir d’éléments fournis par un journaliste? A chaque Grand ReporTERRE, sa solution. Pour Lucie Berelowitsch, placer Rokhaya Diallo dans un contexte professionnel, notamment dans des débats houleux quand elle intervient sur les plateaux de télévision pour l’égalité raciale, de genre, et religieuse. On peut entendre ses chroniques sur R.T.L. ,L.C.I., B.F.M. et C8 et sur le podcast Kiffe Ta Race (Binge Audio). Éditorialiste pour le Washington Post et chercheuse au Centre de recherches « Gender+Justice Initiative » de l’université privée de Georgetown à Washington, elle connaît bien les mouvements anti-raciaux et décoloniaux aux États-Unis comme en France. 
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Nous allons partir avec elle et la metteuse en scène sur les traces de ces mouvements en France: « Qui se souvient, dit-elle,  de la marche pour l’égalité et contre le racisme »? Thème du premier documentaire de la journaliste sur un événement né il y quarante ans après de rudes affrontements au quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône), puis sur le meurtre raciste d’un enfant de treize ans à Marseille.

De Marseille, ils partirent à dix-sept, dont neuf issus des Minguettes. A Paris, le 3 décembre, la marche qui a été accueillie partout avec bienveillance, s’achève par un défilé réunissant plus de 100.000 personnes.
Une délégation rencontre le président de la République François Mitterrand qui promet alors une carte de séjour et de travail valable dix ans une loi contre les crimes racistes, et un projet sur le vote des étrangers aux élections locales…
. Une époque où le groupe de raï lyonnais Carte de Séjour chantait ironiquement Douce France/ Cher pays de mon enfance…

Autres temps, autre mœurs: qu’ont à voir les manifestations contre les violences policières ou les récentes émeutes urbaines, quand Nahel Merzouk, un franco-algérien de dix-sept ans a été tué à bout portant à par un policier en juin dernier,  avec cette marche pacifiste inspirée par Gandhi et Martin Luther King?
Le mal profond de la société française s’exprime autrement. Pourquoi ?
« Qui sait, dit Rohkhaya Diallo, que, depuis 2006, le 10 mai est une « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition“ ? »  Même si la France est le seul État qui ait déclaré la traite négrière et l’esclavage:  » crime contre l’humanité » ,  pour cette journaliste:  «le suprématisme blanc tue toujours ».
De la répression coloniale, à la répression policière, il n’y a qu’un pas et elle évoque la carrière édifiante d’un Pierre Bolotte, chef adjoint du cabinet du préfet du Morbihan en 1944, sous Vichy, puis administrateur colonial en Indochine et Algérie. Nommé au secrétariat général du de la Guadeloupe en 1951, il fait tirer sur les manifestants, avant d’être nommé préfet de Seine-Saint-Denis et de créer la Brigade anti-criminalité (B.A.C.) trop connue des activistes d’aujourd’hui !
Pour aborder toutes ces questions, cinq chapitres ponctués par les chants de Cindy Pooch, accompagnée par Baptiste Mayoraz. Cette artiste lyonnaise née en France, s’inspire du gospel et des musiques du Cameroun où elle a grandi. Elle ponctue le spectacle de ses compositions et reprises de Nina Simonne et évoque aussi son itinéraire. Elle s’est longtemps sentie «invitée» en France, avant de s’interroger sur les questions d’un racisme systémique.
Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo nous parleront aussi de la fameuse intersectionnalité, un concept popularisé par l’activiste afro-américaine Kimberlé Crenshaw, et désignant les formes croisées de domination, oppression et discrimination selon le genre, la race, la couleur, la religion, la sexualité …..

Un montage ironique d’extraits d’émissions télévisées montre le « manruppting », une pratique masculine: couper la parole aux femmes, en raison de leur genre. Nous voyons clairement des hommes interrompre Rokhaya Diallo, avec mépris et balayer ses arguments sans même l’écouter… On assiste aussi  à l’enregistrement d’un podcast intitulé SDDR, clin d’œil à l’article premier de la Constitution française: «sans distinction d’origine de race ou de religion ».

Enfin, une arrivée-surprise: Toumi Djaidja va recadrer le spectacle. « Bonjour, la France de toutes les couleurs » avait lancé à dix-neuf ans, ce fils de harki en tête de la marche des beurs pour l’égalité et contre le racisme.  Il avait initié cette action après avoir survécu à des blessures infligées par la police: « Il ne faut pas confondre la justice avec le vengeance. « Et à propos des récentes émeutes: «La haine déconstruit, la non-violence déconcerte, désactive la violence. » 

Quarante ans après, son message n’a pas changé: «Il faut continuer à marcher, une marche pour l’égalité pour tous, celle de la France que je chéris.» Pour conclure, un entretien filmé avec Angela Davis mené par Rokhya Diallo, il y a trois ans: «La négritude, dit la militante américaine, c’est se battre pour la liberté de tous. »

Avec ce Grand ReporTERRE, Lucie Berelowitsch,  Rokhaya Diallo et  Cindy Pooch réinterrogent avec humour et sensibilité les dominations et discriminations à la veille des nouvelles lois sur l’immigration.  Ces artistes engagées nous rapellent ces mots du grand auteur nigérian Chinua Achebe, : «Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire,cl’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. »

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 8 novembre, Théâtre du Point du Jour, 7 rue des Aqueducs, Lyon (Vème). T. : 04 78 25 27 59.

Prochain Grand ReporTERRE : les 15 et 16 février.

Luz d’Elsa Osorio, adaptation et mise en scène de Paula Giusti

 Luz dElsa Osorio, adaptation et mise en scène de Paula Giusti

Luz: lumière, le nom de l’héroïne. L’autrice assistait à la première de ce spectacle de la compagnie Toda Via Teatro, dirigée par Paula Giusti. D’origine argentine, elle a choisi, avec l’adaptation de ce roman qui a connu un beau succès, de témoigner sur la tragédie des « desaparecidos », ces disparus, opposants politiques secrètement arrêtés et tués en Argentine entre 76 et 83 pendant la dictature militaire… Mais sous un nouvel aspect, celui des bébés volés.

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Cela nous touche d’autant plus qu’il fait écho à d’autres tragédies, celle des enfants ukrainiens enlevés par les Russes pour se les approprier et les rééduquer, et à celle toute récente des enfants et bébés pris en otage par le Hamas dont on ne sait ce qu’ils deviendront. Ils sont notre avenir mais aussi des proies à saisir pour toutes les dictatures et les politiques totalitaires.

 

Née en 1976 au début de la dictature argentine, Luz a vingt ans. Fille d’un des responsables de la répression,, elle a des doutes sur sa naissance et, de question en question, va enquêter seule sur l’histoire de son pays et sur ses origines à elle. Pas à pas, fragment après fragment, le spectateur découvre en même temps qu’elle, nous servant de guide, les prisons où les détenues politiques accouchaient et où les médecins falsifiaient les déclarations de naissance pour offrir ces nouveaux-nés à des familles de militaires. Et dans le cas présent, à un couple en mal d’enfant.

Nous ne dévoilerons la trame complexe de cette pièce car une écoute active est proposée au spectateur qui doit réunir bribes et éclats de vérité, se poser des questions et résoudre l’Enigme. Toute une part de mystère est préservée dans l’obscurité du plateau troué de pans de lumière où se développe l’action.

Rien n’est clair sur le moment. Le public, placé en situation de recherche, fait partie du processus. Dominique CattaniLarissa CholomovaPablo Delgado, Armelle Gouger, Laure Pagès et Florian Westerhoff s’adressent à la metteuse en scène, assise dans la salle. Pour accentuer les rebondissements du récit, ils sont constamment en mouvement et deviennent manipulateurs de marionnettes, tout en noir sur leur costume de scène. Les poupées à taille humaine sont parfois réduites à un visage qui emprunte les bras et les jambes des « koken » du théâtre japonais,  pour s’animer.
Ainsi est présentée la mère biologique de Luz, qui appartient maintenant au monde des Morts… un magnifique personnage. Parfois ce sont de minuscules créatures comme celles qui représentent les grands-parents dans le petit théâtre d‘une valise ouverte. On voyage.  Sur un petit drap tendu par deux acteurs, juste le nom projeté de la ville où se trouve l’enquêteuse, puis le drap s’envole. Et une autre aire de lumière s’ouvre : scènes jouées, conversations téléphoniques, voix off, jeu en ombres chinoises, entrée de Luz indiquant une piste au public.
Aucun pathos mais de petites lampes braquées sur les visages et jouant de leurs reliefs, évoquent aussi les interrogatoires… Carlos Bernardo,installé côté cour près des spectateurs, lance la musique qu’il a composée et introduit les sons. Eclairé par l’ordinateur, son visage et son regard sensible sont visibles et, à chaque seconde, il participe activement à cette quête collective de vérité.

Paula Giusti parle d’un « théâtre de l’urgence ». Urgence de rappeler que la démocratie est en danger, que les dictatures se renforcent, se défendent ou renaissent, menaçantes. Tout ici  est fait ensemble, à la manière du Théâtre du Soleil et sans jamais nous plonger dans un désespoir inutile, en nous transmettant, grâce à cette démarche artistique et à cette invention créatrice, l’énergie dont nous avons besoin en ces temps obscurs…

Béatrice Picon-Vallin

Jusqu’au 26 novembre, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite.

Luz ou le temps sauvage d’Elsa Osorio, traduit de l’espagnol, est édité chez Métailié.

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