40° sous zéro/L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles de Copi, par le Munstrum Théâtre, mise en scène de Louis Arène

40° sous zéro/L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles de Copi, par le Munstrum Théâtre, mise en scène de Louis Arène

Il fallait l’audace de ses compatriotes argentins en exil comme Alfredo Arias avec son groupe TSE pour monter  les pièces de Copi de son vivant. Ou un Jorge Lavelli qui fit sensation avec Les Quatre Jumelles en 1973, au Palace. Depuis, d’autres se sont emparés de ce théâtre inclassable mais toujours aussi mordant. Le texte laconique de Copi, avec jurons et blagues salaces, exige une grande vélocité des interprètes.
© x

© x

Dans L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer, un triangle amoureux,  déportées en Sibérie, Madre et sa «fille» Irina vivent dans une maison perdue dans la steppe «par quarante degrés en-dessous de zéro», entourées de loups. Madame Garbo, la professeure de piano d’Irina, amoureuse de son élève, déboule…
Et bravant l’ultra-violence de Madre, elle va essayer d’emmener Irina en Chine. Mais elles ne partiront pas. Madame Garbo dit avoir  «un sexe d’homme » qu’on lui aurait greffé malgré elle, à Casablanca. Dans cette même ville, Madre et sa fille ont changé de sexe mais elles, de leur propre chef. Un chien passe, dévorant tout sur son passage… Ni hommes ni femmes ou les deux à la fois, ces bannis de la normalité, à l’identité sexuelle incertaine, entretiennent des rapports brutaux, brouillés 
en plus par des questions de parenté.

Une «grande folle» en majesté, arrive, prélude à ce diptyque dans les  parois mouvantes en tissu blanchi, évoquant un repaire gelé et ouvert à tous vents. Des demi-masques très fins déforment légèrement crânes et visages. Mais cette seconde peau conserve aux traits leur plasticité. Pour appuyer le caractère louche et excentrique des personnages, les acteurs avec faux culs et faux seins, ont des costumes démesurés, avec accessoires décalés: raquettes de tennis pour marcher dans la steppe ou patins à glace pour glisser sur la « blanche » des Jumelles.

Coiffes et maquillages outrés gomment encore plus les différences entre les sexes. Les corps se démembrent, les viscères et le sang giclent…  et le décor explose avec effets grand-guignolesques. Les acteurs à l’énergie sans limites nous entraînent dans un univers interlope et fantasmagorique; ils  donnent un élan joyeux et un humour noir à ce spectacle dont l’esthétique est bien celle de Copi: derrière la beauté et le factice des apparences sous les costumes chatoyants, plumes et paillettes, les êtres se décomposent.

 L’auteur n’hésitait devant rien pour déstabiliser l’ordre bourgeois et hétérosexuel:  entre scatologie et sado-masochisme, pour interroger les notions de normalité. Sous cette avalanche d’images et gags forcenés, s’ouvrent les portes d’un enfer: celui des arrière-boutiques, des pissotières et du sida…  dont mourut Copi.
Louis Arène et les comédiens  du Munstrum Théâtre en mêlant kitch, cruauté et exhibitionnisme, mènent les situations au-delà de l’absurde, rendent le sordide délirant et poétique loin de toute vulgarité de Copi et exploitent à fond la veine comique de la pièce. Le public, nombreux et reconnaissant, applaudit à ce périlleux exercice…

Mireille Davidovici

Du 13 au 15 décembre à 20 h, Théâtre 71-Malakoff, Scène Nationale 3 place du 11 novembre, Malakoff (Hauts-de-Seine).

Le Théâtre complet de Copi est publié aux éditions Christian Bourgois.


Archive pour 1 décembre, 2023

Entretien avec Chloé Cassagnes

 

Entretien avec Chloé Cassagnes

Cette artiste, créatrice de masques, accessoires et marionnettes, s’est aussi formée à la magie nouvelle et ses spectacles participent des arts de la scène et de la rue mais aussi des arts plastiques. Elle explore le traitement du corps et son mouvement et cherche à faire vivre le monde de l’inanimé.

-Quel est votre parcours ?

-Au Conservatoire Jean-Philippe Rameau à Paris, j’ai rencontré le masque et la marionnette. J’ai toujours eu une passion pour l’objet et le théâtre : c’est vraiment ce que je voulais faire.  Et j’ai travaillé comme actrice et créatrice de marionnettes, masques et accessoires pour des compagnies théâtrales, sociétés de production audiovisuelle ou institutions, telles que la Philharmonie de Paris.  Il y a dix ans, j’ai mis un pied dans l’univers du cirque, quand j’ai rencontré Cécile Mont-Reynaud de la compagnie Lunatic : j’ai alors apporté un regard extérieur sur ses spectacles et travaillé à leur scénographie. 

©x

©x La Femme coupée en  deux

Parallèlement, j’ai développé des projets à la croisée des arts de la scène, de la rue et des arts plastiques. En 2015, j’avais suivi une formation Écriture magique-Magie nouvelle du Centre National des Arts du Cirque et de la compagnie 14:20. Se sont alors ouvertes de nouvelles pistes de réflexion sur le réel et l’illusion.
Et pour mon premier spectacle
La Femme coupée en deux, j’ai créé la compagnie Les Bruits de la nuit. Puis j’ai rencontré Thierry Collet avec qui j’explore l’univers de la magie, et le marionnettiste Brice Berthoud des Anges au plafond. Nous avons conçu un cabaret de magie et marionnettes: L’Huître qui fume et autres prodiges. Des disciplines complémentaires qui ont une place essentielle dans mon travail. 

©x

©x L’Huître qui fume

Je m’intéresse à ce qui constitue l’intime et comment nos corps s’inscrivent dans le monde qui nous entoure. J’aime explorer les zones de frontière, les espaces de porosité entre le réel et ce qui ne l’est pas ou pourrait l’être. La magie avec ses effets et son histoire, m’apparait comme un vaste champ d’exploration de notre intériorité  et une porte d’entrée dans un imaginaire commun. Comme si avec les centaines de tours qui ont passé les siècles, elle rassemblait désirs enfouis et aspirations communes aux êtres humains, avec des couleurs différentes selon les sociétés mais avec quelque chose d’universel.
Quant à l’art de la marionnette et la mise en mouvement d’objet inanimés, ils ont quelque chose d’archaïque mais me permet d’aller dans des univers visuels très forts. Mais aussi de multiplier les niveaux de lecture et ainsi d’aller sur les chemins de l’imaginaire. 

-Quelles ont été vos influences?

-Le travail de Philippe Genty a été déterminant  et j’y ai trouvé un langage qui résonnait en moi et qui m’accompagne encore. Et les arts plastiques, entre autres, le surréalisme et le courant hyperréaliste, mais aussi le cinéma, en particulier, celui de David Lynch. Avec la création de La Femme coupée en deux, s’est constituée une belle et joyeuse équipe aux multiples savoir-faire, qui partage un goût pour l’union des disciplines. Ainsi, une étroite collaboration s’est faite entre Thomas Mirgaine, créateur sonore, Alice Faure, dramaturge, Maxime Burochain constructeur aux multiples facettes… Avec la marionnette, la magie, les arts forains visuels et sonores, nous avons poursuivi l’exploration des espaces entre réel et imaginaire.  Notre compagnie Les Bruits de la nuit est implantée aux ateliers de la Briche à Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis)  et bénéficie d’un compagnonnage du Théâtre-Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). 

-Pourquoi avoir intégré magie et illusion dans vos créations?

-La magie donne à voir l’impossible et la marionnette cherche à donner l’illusion de la vie. Ces arts me semblent avoir beaucoup de choses à se raconter et ont de nombreuses techniques en commun : ils peuvent donc se nourrir mutuellement. La magie est aussi le décor et le point de départ de mes spectacles.. A partir de là, se créée un monde imaginaire et poétique.

Dans La Femme coupée en deux, un solo créé l’an dernier,  l’assistante du magicien est à ce moment si particulier où deux parties d’elle se séparent. Durant le spectacle, il s’agit d’étirer le temps et d’explorer ce vide et l’espace qu’il ouvre. Des marionnettes, des membres humains viennent alors le remplir. Entre assemblages et découpages, humour et explorations poétiques, ce sont d’autres corps qui s’inventent et se racontent au milieu de voix disloquées.
L’Huître qui fume et autres prodiges,
un cabaret avec numéros étranges, burlesques et poétiques, explore les zones de rencontre entre marionnette et magie. Imaginé par Thierry Collet, le marionnettiste Brice Berthoud et moi-même, il a été en tournée en France en 2021-2022.

©x

©x Miss Mandrilla

À l’occasion d’une fête foraine artisanale organisée par le collectif de La Briche en 2022, mes amis de la compagnie et moi, avons mis au point une version du célèbre entre et sort Miss Gorilla, ici nommée Miss Mandrilla où une femme se change en singe sous les yeux du public. Je suis fascinée par le paysage foisonnant de la magie  actuelles et il y a de nombreuses formes à inventer. Notamment dans une union des esthétiques, genres, et pratiques.
Je suis heureuse de pouvoir, à ma façon, prendre part à cette effervescence. Aujourd’hui, je travaille
pour 2026 à un nouveau projet  La Chambre où nous allons explorer l’adolescence avec escapologie, marionnettes et poésie…

 

Sébastien Bazou


Entretien réalisé le 1er décembre. https://lesbruitsdelanuit.fr/

 

Femme Capital , d’après l’essai de Stéphane Legrand, mise en scène et scénographie de Mathieu Bauer, musique de Sylvain Cartigny


Femme Capital, d’après l’essai de Stéphane Legrand, mise en scène et scénographie de Mathieu Bauer, musique de Sylvain Cartigny

Ayn Rand, autrice à succès, chantre de l’ultra-libéralisme et théoricienne d’un capitalisme individualiste, prône les valeurs de la raison, du mérite et de l’« égoïsme rationnel » Anti-communiste radicale, elle est aussi pour le laisser-faire,  face à toute forme de collectivisme ou de religion établis.
Ici elle est interprétée par Emma Liégeois accompagnée par sept des musiciens de l’Orchestre de Spectacle de Montreuil*. Enfermée dans une cage de verre -cercueil ou tribune-  la comédienne nous livre le discours de celle qui, avec aplomb, se disait aussi philosophe: «I’m a self-made woman.»

©x

Ayn Rand ©x

Peu connue en France mais célébrissime outre-Atlantique, Ayn Rand (1905-1982) a forgé dans ses romans comme Atlas Shrugged (La Grève) ou The Fountainhead (La Source vive), le concept des «premiers de cordée» auxquels le peuple devrait tout, et sans lesquels, il ne serait rien. Elle exalte l’héroïsme des entrepreneurs et les vertus du chacun pour soi. Donald Trump, Alan Greenspan (97 ans), président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, de 1987 à 2006 et ami d’Ayn Rand qui a reconnu avoir été dépassé par les technologies d’automatisation des marchés financiers, les membres du Tea Party américain et les «libertariens» de tous les pays vénèrent Ayn Rand dont les livres aux Etats-Unis restent des best-sellers.

© Ch. Raynaud de Lage

© J.L. Fernandez

Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny ne défendent en rien cette «déesse du marché » qui est, pour eux, le symbole détestable «du capitalisme comme mystique». Et ils ont mis toutes les distances entre elle et le public, sans verser dans la caricature. Au-dessus de sa cage de verre, l’icône d’un dollar scintille et ils la laissent enfermée là, dans son monde égoïste tandis que l’orchestre  joue gaiement des compositions originales, inspirées de la musique américaine de l’époque.

Les membres de l’Orchestre de Spectacle de Montreuil interviennent en contrepoint de la performance vocale d’Emma Liégeois qui chante des airs à la gloire du rêve américain comme I Happen to like New York de Cole Porter (1930) interprétée par Judy Garland.
Condamnée à rester dans sa tour d’ivoire, la comédienne entonne avec rage Lonely at the top de Randy Newman. Les distorsions étranges des musiques traduisent les contradictions d’Ayn Rand qui a travaillé comme lectrice de scénarios à Hollywood et a écrit en 1934 des pièces : Deal et Woman on Trial qui ont été jouées. En effet, cette star nationale méprisait les pauvres alors qu’un fond anarchiste chez elle la poussait à défendre les droits humains…

Ici, pas question de s’attacher à ce personnage, et ce spectacle musical, simple et direct, fait prendre conscience des idéologies perverses distillées dans le cinéma et la littérature populaires, sous-tendant le capitalisme. Il faut souhaiter que Femme Capital créé au Nouveau Théâtre de Montreuil et joué à Avignon l’été dernier, poursuive sa carrière.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 novembre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris (XI ème) T. : 01 48 05 88 27.

*«L’annonce qu’avait fait publiée Sir Ernest Shackleton pour sa célèbre expédition antarctique m’a toujours semblé être le point de départ fondateur de cette impossible aventure artistique qu’est l’Orchestre de Spectacle de Montreuil, dit Sylvain Cartigny: «Demandons volontaires pour odyssée hasardeuse, petits salaires, froid mordant, longs mois d’obscurité totale, improbable retour en bonne santé, honneur et reconnaissance si succès… »

Femme Capital de Stéphane Legrand est publié aux éditions Nova.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...