Diari d’Amore : Dialogo et Fragola e panna de Natalia Ginzburg, mise en scène de Nanni Moretti (en italien surtitré)

Diari d’Amore : Dialogo et Fragola e panna de Natalia Ginzburg, mise en scène de Nanni Moretti (en italien surtitré)

Le réalisateur se tourne pour la première fois vers le théâtre. Y ayant pris goût pendant le covid période où il le fréquenta beaucoup, il a décidé de se lancer dans la mise en scène. La forme du journal intime lui est familière et Caro Diaro lui valut le prix de la mise en scène au festival de Cannes 1994.
Sous le prisme de l’intimité et avec un sens aiguisé de l’observation, ses films portent un regard très personnel, critique et amusé sur l’Italie contemporaine avec Le Caïman, une satire anti-Berlusconi (2006) ou Vers un Avenir radieux,  son dernier long métrage, plus amer (2023).  C’est sans doute l’ironie cruelle qui sous-tend  les scènes d’inimité domestiques écrites par Natalia Ginzburg qui a retenu son choix

 

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© Aberto Novelli

D’abord, une comédie grinçante Dialogo (Dialogue): Francesco et Marta, encore au lit par un matin pluvieux, parlent d’affaires domestiques, soucis d’argent mais aussi du chien et du serviteur des voisins… Des banalités où s’infiltre insidieusement le mépris du mari pour sa femme. Il n’a que critiques à la bouche. Mais tout à trac,  Marta révèle sa liaison avec leur voisin que Francesco porte en grande estime… Le ver était dans le fruit et on l’entend derrière les paroles du couple.

Dans Fragola e Panna (Fraises à la crème), le malaise s’installe dès l’entrée de Barbara  dans la maison de campagne cossue de Flaminia et de l’avocat Cesare. La jeune femme d’un milieu humble est aux abois : elle s’est enfuie, craignant que son mari ne la tue et vient demander de l’aide à Cesare. Mais il est absent.

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© Albeto Novelli

Sans pudeur, elle raconte alors à Flaminia la liaison qu’elle a avec son mari mais celle-ci reste de glace… Dans cet intérieur feutré mais froid se révèle l’hypocrisie d’une bourgeoisie bien pensante, aux valeurs éthiques vacillantes. Seule Tosca, la domestique, un personnage populaire attachant, trouve grâce sous la plume de l’autrice.

Décor conventionnel et mise en scène en retrait: Nani Moretti se contente de faire dialoguer les personnages. Valerio Binasco, Daria Deflorian, Alessia Giuliani, Arianna Pozzoli et Giorgia Senesi, tous excellents et bien dirigés, nous font ressentir les subtilités de ce théâtre des années soixante-dix dont les surtitres ne traduisent pas toutes les nuances des dialogues de Natalia Ginzburg.

Proches de la comédie de mœurs, les deux pièces révèlent la cruauté des dominants (hommes, bourgeois… ) en contradiction avec les valeurs qu’ils défendent: mariage, fidélité, charité, amitié… Il y a ici un ton léger dans ces drames intimes qui tournent à la comédie. On retrouve l’univers du cinéaste mais il lui manque une caméra pour apporter la distance et la folie qu’on aime dans ses films.

Diari d’Amore (un titre ironique à la Nanni Moretti), malgré une mise en scène trop convenue, nous fait redécouvrir grâce à des interprètes remarquables, l’écriture de Natalia Ginzburg (1916-1991). Peu connue en France, elle s’inscrit dans le mouvement néo-réaliste italien. Contemporaine d’Elsa Morante et d’Alberto Moravia, elle a aussi été traductrice et éditrice. Elle a aussi travaillé avec l’écrivain Italo Calvino.

Dans son théâtre, Natalia Ginzburg qui affirmait pourtant : «Je n’aime pas le féminisme », montre des femmes opprimées par le machisme et l’idéologie de classe. Diari d’Amore : Dialogo et Fragola e panna est le miroir d’une société bien pensante tendu aux spectateurs. Une raison d’y aller voir…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 30 novembre. Jusqu’au 7 décembre, T.N.P. 8 place du Docteur Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône). T. : 04 78 03 30 00.

Les 12 et 13 décembre, Châteauvallon-Liberté, Ollioules (Var);  du 15 au 17 décembre, Théâtre national de la Criée, Marseille.

Les 25 et 26 janvier, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Du 6 au 16 juin, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, Paris (IX ème).

Et en tournée en Italie.


Archive pour 3 décembre, 2023

Neige, texte et mise en scène Pauline Bureau ( spectacle tout public à partir de dix ans)

Neige, texte et mise en scène Pauline Bureau ( spectacle tout public à partir de dix ans)

Après Dormir cent ans (2018) et Pour autrui, créé il y a deux ans à La Colline (voir Le Théâtre du Blog) Pauline Bureau s’est ici inspirée de contes pour enfants dont le fameux Blanche-Neige recueilli et écrit en 1812 par les frères Jacob et Wihelm Grimm 
Une précision : nous avons failli ne pas voir ce spectacle pour des raisons indépendantes de notre volonté… Et cela aurait été dommage pour nos lecteurs.

Neige, une jeune fille (Camille Garcia) raconte à sa mère qu’elle a eu a du sang qui coulait mais qu’une amie de collège lui a prêté une serviette hygiénique. Un signal pour cette mère (Marie Nicolle), hautaine et pas commode en grand manteau strict… Elle sait qu’elle est encore séduisante mais pas pour longtemps. Bref, elle se sent menacée et voit avec amertume qu’elle a vieilli d’un seul coup et a changé de case : elle va devoir laisser la place à la génération suivante et assumer un jour être grand-mère. Elle indique sans aucune gentillesse à Neige qu’il y a d’autres serviettes dans la salle de bains…
Et Neige qui fait de la danse classique, (elle est en tutu bleu)  n’en peut plus de l’autorité maternelle et relit son Journal intime caché sous son matelas :«Toutes les règles de ma mère s’impriment au fer rouge. Ne ris pas si fort, ne mets pas de jean, qu’est-ce que c’est que ces baskets, sois gentille, sois jolie, sois polie. Coiffe-toi. Qu’est-ce que c’est que ce noir sous tes ongles et ces nœuds dans tes cheveux ? Si tu n’as rien à dire, tais-toi. Elle croit que je ne les écoute pas et pourtant je n’ai pas le choix, ces règles rentrent dans mes oreilles, trouvent le chemin de ma joie et taillent dedans jour après jour. »

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Bref, pour Neige, l’enfance est bien finie : elle coupe ses cheveux longs (symbole de sa mutation) et va se réfugier dans la forêt proche. Sa mère toujours aussi odieuse ne s’aperçoit de rien et lui dit qu’elle va souper (sans l’inviter avec eux!) avec son gentil et gros mari (Yann Burlot) dans un bon restaurant. Neige croit qu’elle est amoureuse de Chris (Anthony Roullier), un camarade de classe. Puis devant l’absence de Neige, ses parents préviendront la police.
Dans la forêt, Neige rencontrera un chasseur, ancien ingénieur agro (Régis Laroche) qui a rompu avec la civilisation et qui préfère vivre en ermite dans une cabane dans les bois, en se nourrissant de ce qu’il pêche et chasse. La policière (Claire Toubin) finira par retrouver Neige qui s’est transformée et a quitté ses vêtements de petite fille et son tutu de danse classique pour adopter doudoune et bottines. Entre temps, elle se sera fait une copine dans la forêt, Delphine, complice de Chris. Sa mère arrivera ensuite, puis son père en manteau où l’herbe a déjà poussé comme s’il commençait à devenir végétal (beaux costumes d’Alice Touvet), l’adjoint de la policière (Anthony Roulier).  Tous assoiffés d’une nature qui leur manque terriblement.

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Les images ici de toute beauté sont non une illustration mais l’âme même du récit. La scénographie d’Emmanuelle Roy sur laquelle repose tout le spectacle est de tout premier ordre. Avec les murs et le fond de la salle habillés d’écrans où passent des images de forêt en été, en hiver… Sur le grand plateau, côté jardin, de grands bouleaux et une grosse souche. Côté cour, une citerne d’eau très réaliste avec au dessus une plate-forme où on peut accéder par une échelle murale. La citerne à certains moments s’ouvre grâce une porte à glissière pour laisser voir : la chambre de Neige qui rêve à Chris son copain de lycée dont elle est tombée amoureuse et dont le visage apparaît en grand format sur le mur. Mais aussi le restaurant, le bureau de la policière…

 

(c) Christophe Raynaud de Lage

(c) Christophe Raynaud de Lage

Un groupe de jeunes dansent en fond de scène, un cerf passe en regardant le public et ensuite un loup qui va pousser un cri, et à la toute fin, une meute de loups arrive tranquillement s’installer sur tout le plateau Des images aussi hyperréalistes que fabuleuses avec vidéos et effets miroir signées Clément Debailleul, grand maître en magie. Des arbres verts apparaissent vers la fin. Et moment sublime, on pourra voir Neige et son amie monter sur la citerne, y descendre puis nager doucement à l’intérieur. (tournage subaquatique de Florence Levasseur). Aucun doute, elles y sont vraiment, puisqu’on les voit! Les enfants sont émerveillés comme nous adultes et nous entrons dans un univers magique singulier et vraiment impressionnant de poésie.  Grâce aussi à la remarquable scénographie et au travail de toute une équipe technique.

Mais comment ne pas être partagé? Là où cela va beaucoup moins bien: la dramaturgie de Benoîte Bureau est fondée sur des scènes trop courtes où les acteurs ont peu de grain à moudre. Ils arrivent difficilement à imposer leur personnage durant une heure et demi. La faute aussi à un dialogue parfois bien faible signée Pauline Bureau qui aurait aussi nous épargner quelques répliques faciles du genre:  » Si je ne t’aimais pas, dit le père à la mère, au restaurant, je ne boirais pas une tasse de neige carbonique? » Ou: « Allume ma vie et éteins ma peine. Je lècherai tes larmes et tu répareras mon cœur. La vie est sauvage. On n’a rien à perdre. Même pas cinq minutes. »
Tout se passe en fait comme si l’autrice qui dirige bien ses acteurs, n’était pas arrivée jusqu’au bout du travail théâtral sur le thème qu’elle voulait traiter : la transformation en adolescente puis en adulte.
On ne s’ennuie pas mais le spectacle qui a pourtant été joué plusieurs fois, manque encore de rythme et on peut se demander pourquoi la metteuse en scène qui a maintenant une solide expérience, n’a pas voulu faire ici un théâtre du silence, comme ceux de Bob Wilson autrefois. Mais en plus court, pour rester accessible aux enfants? Dommage! Un mien confrère me disait: « En progrès » Un peu dur! Mais ce spectacle aurait pu être plus convaincant.  A vous de choisir d’y aller ou non…  Au moins ici, les enfants quittent ce mariage du théâtre et de la magie,  avec des étoiles plein les yeux…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 1 er décembre. Jusqu’au 22 décembre, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).   Du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30 et le dimanche à 15 h 30; les mardis 5 et 12 décembre à 14 h 30 et 19 h 30; les jeudis 7 et 14 décembre à 14 h 30 et 20 h 30.

Les 11 au 12 janvier, Le Bateau Feu- Scène Nationale, Dunkerque (Nord); le 25 janvier, Théâtre Le Cratère-Scène Nationale, Alès (Gard).

Les 5 et 6 février,  Scène Nationale 61-Alençon-Flers-Mortagne (Orne).

Les 11 au 12 avril,  Espace des Arts, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Les 17 et  18 avril, Théâtre de Cornouaille- Scène Nationale, Quimper ( Finistère).

 

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