Notre petit Cabaret texte et mise en scène de Béatrice Agenin et Émilie Bouchereau (Milho)

Notre petit Cabaret, texte et mise en scène de Béatrice Agenin et Émilie Bouchereau (Milho)

Cela se passe dans la petite salle du Paradis, au troisième étage du Lucernaire à Paris… qui ne serait peut-être pas un paradis s’il fallait faire sortir en urgence les quarante spectateurs par l’escalier en spirale et celui de secours située derrière cette petite salle. Clairement indiquées avant le spectacle par l’ouvreuse qui parait absolument confiante… Mais comment les deux dames âgées assises à côté de nous, pourraient-elles avec leur canne, descendre assez vite cet escalier en spirale ou se diriger sur le plateau vers la sortie de secours sur l’extérieur? Cela fait froid dans le dos!

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Ici, l’actrice Béatrice Agenin qui fut dix ans pensionnaire, puis sociétaire de la Comédie-Française, et sa fille Emilie Bouchereau, alias Milho, chanteuse, et musicienne. Réunies pour une grande heure et assez complices pour interpréter chansons et textes. Avec, côté jardin, Simon Fache au synthé, et côté cour, Antony Debray, aux percussions.
L’actrice dit impeccablement On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans d’Arthur Rimbaud. «Un beau soir, foin des bocks et de la limonade/Des cafés tapageurs aux lustres éclatants/On va sous les tilleuls verts de la promenade/Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin/L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière/Le vent chargé de bruits, la ville n’est pas loin/ A des parfums de vigne et des parfums de bière. (…) Vous êtes amoureux, loué jusqu’au mois d’août/Vous êtes amoureux, vos sonnets la font rire/Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût/Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire. » Diction impeccable et sensibilité… Nous sommes vite séduits…

Béatrice Agenin chante aussi avec impertinence et drôlerie Déshabillez-moi de Gaby Verlor et Robert Nyelé, une chanson érotique créée par Juliette Greco en 67. Elle raconte aussi sans citer d’abord son auteur, la jalousie de Swann dans A la recherche du temps perdu. Il «la tenait là, éclairée en plein par la lampe (…) dans cette chambre où, quand il le voudrait, il entrerait la surprendre et la capturer. » Le public est sidéré quand elle donne le nom de Marcel Proust
Il y aussi la parodie très drôle d’une audition avec un grand metteur en scène italien, pour le rôle de Phèdre. Jamais content de sa gestuelle, il rabroue l’actrice et l’interrompt sans cesse. Caricatural mais les alexandrins sont superbement respectés et cela finit en rap… Puis l’actrice et sa fille jouent-pas très bien-une scène de
Roméo et Juliette avec deux marionnettes à tige et comme décor, un balcon déplié dans une valise. Une mauvaise idée. Puis toutes deux racontent la passion d’un grand-père  pour la magie  avec une boîte truquée qui lui appartenait et font apparaître quelques boules rouges… Pas vraiment intéressant mais bon…
Emilie Bouchereau/Milho chante et joue aussi sa musique à la guitare électrique… Moins expérimentée que sa mère, et un peu raide, elle semble parfois mal à l’aise mais arrive à s’en sortir. Surtout à la fin, quand elle chante avec une grande justesse, la fameuse chanson autobiographique
Dis-moi quand reviendras-tu? (1961) de Barbara qui en avait écrit la musique et les paroles.

Des bémols? Une scéno pauvrette avec rideau aux petites étoiles en fond de scène et une grande poupée-marionnette pas réussie avec laquelle dansera Béatrice Agenin. Mais surtout une médiocre direction de ces actrices-chanteuses -il y a souvent un manque de rythme-et une mauvaise balance avec la musique: dans un aussi petit lieu, le son puissant des percussions et du synthé devient vite envahissant et, comme les interprètes ont un micro H.F. , cela n’arrange rien. Dommage! Béatrice Agenin et Emilie Bouchereau/Milho mériteraient d’être mises en scène. Mais ici, le public âgé semblait peu difficile et les a généreusement applaudi… A suivre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 21 janvier, Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 57 34.


Archive pour 7 décembre, 2023

Richard II de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène de Christophe Rauck

Richard II de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène de Christophe Rauck

Notre amie Christine Friedel qui a été opérée et qui reviendra heureusement parmi nous en janvier, avait rendu compte de cette création l’an passé à Avignon (voir Le Théâtre du Blog). Richard II reprise une première fois à Nanterre, y est jouée de nouveau. «Asseyons-nous, et racontons la triste histoire de la mort des rois». Ainsi commence cette fresque (1595)  inspirée par le règne au XIV ème siècle de Richard II d’Angleterre. C’est la première partie d’une tétralogie, les autres pièces relatent la vie des successeurs de ce jeune roi: d’abord Henry IV (première et seconde partie) et Henri V. L’intrigue est compliquée et nous vous la ferons donc courte… Bolingbroke, fils aîné de Jean de Gand et cousin du roi Richard II et Mowbray, duc de Norfolk, se provoquent en duel. Bolingbroke a accusé Mowbray d’avoir détourné l’argent pour payer les troupes royales, puis d’avoir comploté contre le roi, et enfin d’avoir fait tuer Woodstock, duc de Gloucester. La duchesse demande alors à son beau-frère, Jean de Gand, de venger son mari, Thomas de Woodstock mais il lui lit qu’il faudra attendre l’issue du duel: l’autorité de  Richard II n’est pas contestable. Le Roi essaye en vain de les réconcilier mais interrompt le duel puis condamne les adversaires à l’exil: six ans pour Bolingbroke, et à vie pour Mowbray.

L’année suivante, Jean de Gand mourant veut raisonner Richard qui n’accepte pas ses conseils. A sa mort, Richard annonce qu’il saisit tous ses biens pour financer la guerre en Irlande. Et il déshérite ainsi Bolingbroke qui va quitter la France. Il rassemblera des soldats abordera au nord de l’Angleterre et marchera vers le sud, rejoint par d’autres nobles de ses amis. Bolingbroke capture et fait tuer les quelques fidèles au roi Richard qui débarquera enfin au Pays de Galles, mais sans troupes. Trahi par ses derniers partisans, il sera lui aussi vite capturé. Bolingbroke réclame qu’on lui restitue ses titres et terres.  Richard II  lui dit que tout lui sera redonné.

© Ch. Raynbaud de Lage

© Ch. Raynbaud de Lage

Mais le roi impopulaire, bien seul et à bout de souffle, prend conscience que ses erreurs vont lui coûter cher et semble résigné à perdre sa couronne… Il a ces mots fabuleux devenus célèbres : «Je donnerai mes joyaux pour un chapelet. (…)  Et mon vaste royaume pour une petite tombe, une petite tombe, une pauvre petite tombe.» Richard II et la reine se disent adieu avec déchirement, puis il sera emmené en prison au château de Pomfret, et elle sera reconduite dans sa France natale. Lord Exton, un proche de Bollingroke qui a été sacré Henri IV, a cru qu’il aimerait être débarrassé de l’ancien roi Richard, maintenant seul en prison.

Allongé par terre, juste habillé d’une longue chemise blanche, il est encore plus fantomatique  et pitoyable.  Il aura ces terribles mots teintés d’humour shakespearien : «Ni moi, ni aucun homme qui n’est qu’un homme, ne sera satisfait de rien, jusqu’à ce qu’il soit soulagé de n’être rien. » Exton le tuera mais ce crime déplait à Henri IV!  Il annonce qu’il ira faire un voyage en Terre sainte pour se faire pardonner. Ainsi finit cette saga du crime avec l’abdication, puis l’assassinat de Richard.

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©x Jean Vilar

La pièce, une des plus célèbres de William Shakespeare en Angleterre et maintenant bien connue chez nous.  Jean Vilar  la crée en 47, dans la Cour d’Honneur du Palais des papes: c’est la première  jouée aux Semaines d’art qui ont préfiguré le festival d’Avignon. Elle sera reprise avec Gérard Philipe dans le rôle du roi,  au T.N.P. en 53-54 à Chaillot. Mais elle n’est pas si souvent jouée, vu la longueur du texte qui nécessite presque quatre heures de représentation et une importante distribution. Nous avions vu la remarquable mise en scène de Patrice Chéreau (il avait vingt-six ans!) avec lui-même dans le rôle-titre, celle d’Ariane Mnouchkine, toute aussi remarquable au Théâtre  du Soleil avec Georges Bigot. Et en 2018, celle, encore un peu brute de décoffrage mais tout à fait intéressante dans la traduction de Clément Camar-Mercier aux mots parfois crus, du jeune metteur en scène Guillaume Séverac-Schmitz  (voir Le Théâtre du Blog).

Christine Friedel avait été assez élogieuse envers ce spectacle à sa création au festival d’Avignon l’an passé et aussi joué au Théâtre des Amandiers à Nanterre, en novembre 22 et maintenant. Cela donne quoi? Nous sommes partagés…

© Ch; Raynaud de Lage

© Ch; Raynaud de Lage

Louis Albertosi, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Joaquim Fossi, Pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Lévêque, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente sont solides et ont tous une très bonne diction. Donc, en entend bien le texte. Mention spéciale  au grand Thierry Bosc, tout à fait remarquable dans le double rôle des frères Jean de Gand et le duc d’York. Et à Eric Halier, très crédible en Bolingbroke.

Micha Lescot, qui rêvait de jouer Richard II habillé d’un costume blanc actuel, apparait en silhouette longiforme impressionnante  et il y a des moments tout à fait émouvants dans ses monologues-on sent bien le Roi, las et épuisé par le pouvoir- ou quand il fait ses adieux pour toujours à la Reine avant d’être incarcéré. Mais pourquoi Christophe Rauck le fait-il autant gesticuler et monter, redescendre très souvent des marches? Cela parasite son jeu et c’est dommage.

La direction d’acteurs avec cette reprise aurait-elle perdu ses boulons en route? Christophe Rauck privilégie-mais c’est aux dépens du texte-les effets esthétiques comme ces belles images-vidéos mais pléonastiques en très grand format-d’immenses vagues (photo ci-dessous) et d’épais nuages noirs-les deux pléonastiques-ou encore ces gradins encombrant le plateau évoquant la Chambre des communes que les accessoiristes déplacent souvent, ou font tourner avec les acteurs  dessus (scénographie d’Alain Lagarde).

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Et était-il nécessaire de faire jouer les acteurs au début mais trop longtemps dans des cercles faiblement éclairés derrière un tulle noir. Donc on voit à peine leur visage… Le reste du plateau étant placé dans la pénombre comme souvent aussi par la suite… Pour dire la grande tristesse de cette fin de règne où un roi va être obligé d’abdiquer?

Tout cela n’est pas convaincant et il y a quand même trop de choses approximatives dans cette réalisation où manque sans doute une nécessité absolue, une certaine insolence comme, entre autres chez Ariane Mnouchkine, ou Thomas Ostermeier quand il montait par exemple, Richard III Et franchement, Christophe Rauck aurait pu aussi nous épargner ces trois stéréotypes inséparables actuels et qui ne sont pas dignes de lui: nappes de fumigènes à gogo, micros H.F uniformisant les voix, ronflements de basse électroniques, ou encore très gros plans du visage des personnages sur grands rideaux de tulle noir faisant office d’écran: des procédés ultra-usés qui font vieux théâtre… Toute cette communication non-verbale à base d’effets faciles et racoleurs, ne sert  ni le jeu des acteurs, ni la réception de ce texte si souvent magnifique par le public ! «L’empire visuel, auquel nous sommes aujourd’hui soumis, dit Marie-José Mondzain, se présente à nous de façon violente. (…) Il faut bien admettre que la violence dans le visible concerne, non pas les images de la violence ni la violence propre aux images mais la violence faite à la pensée et à la parole dans le spectacle des visibilités.» Au moins, on écoute le texte intact malgré les indispensables coupes nécessaires et le son uniforme des micros H.F. Mais ce n’est pas une mise en scène vraiment intéressante! Et nous resteront de cette représentation, quelques scènes où enfin l’émotion passait… Et nous aurons connu Christophe Rauck mieux inspiré quand il a monté Shakespeare (voir Le Théâtre du Blog)… On veut bien que ce Richard II ait connu le succès en tournée mais nous avons été déçus cette reprise et Christophe Rauck devrait quand même se demander pourquoi la salle était à moitié vide…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 22 décembre, Théâtre des Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre ( Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.

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