Richard II de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène de Christophe Rauck
Richard II de William Shakespeare, traduction de Jean-Michel Déprats, mise en scène de Christophe Rauck
Notre amie Christine Friedel qui a été opérée et qui reviendra heureusement parmi nous en janvier, avait rendu compte de cette création l’an passé à Avignon (voir Le Théâtre du Blog). Richard II reprise une première fois à Nanterre, y est jouée de nouveau. «Asseyons-nous, et racontons la triste histoire de la mort des rois». Ainsi commence cette fresque (1595) inspirée par le règne au XIV ème siècle de Richard II d’Angleterre. C’est la première partie d’une tétralogie, les autres pièces relatent la vie des successeurs de ce jeune roi: d’abord Henry IV (première et seconde partie) et Henri V. L’intrigue est compliquée et nous vous la ferons donc courte… Bolingbroke, fils aîné de Jean de Gand et cousin du roi Richard II et Mowbray, duc de Norfolk, se provoquent en duel. Bolingbroke a accusé Mowbray d’avoir détourné l’argent pour payer les troupes royales, puis d’avoir comploté contre le roi, et enfin d’avoir fait tuer Woodstock, duc de Gloucester. La duchesse demande alors à son beau-frère, Jean de Gand, de venger son mari, Thomas de Woodstock mais il lui lit qu’il faudra attendre l’issue du duel: l’autorité de Richard II n’est pas contestable. Le Roi essaye en vain de les réconcilier mais interrompt le duel puis condamne les adversaires à l’exil: six ans pour Bolingbroke, et à vie pour Mowbray.
L’année suivante, Jean de Gand mourant veut raisonner Richard qui n’accepte pas ses conseils. A sa mort, Richard annonce qu’il saisit tous ses biens pour financer la guerre en Irlande. Et il déshérite ainsi Bolingbroke qui va quitter la France. Il rassemblera des soldats abordera au nord de l’Angleterre et marchera vers le sud, rejoint par d’autres nobles de ses amis. Bolingbroke capture et fait tuer les quelques fidèles au roi Richard qui débarquera enfin au Pays de Galles, mais sans troupes. Trahi par ses derniers partisans, il sera lui aussi vite capturé. Bolingbroke réclame qu’on lui restitue ses titres et terres. Richard II lui dit que tout lui sera redonné.
Mais le roi impopulaire, bien seul et à bout de souffle, prend conscience que ses erreurs vont lui coûter cher et semble résigné à perdre sa couronne… Il a ces mots fabuleux devenus célèbres : «Je donnerai mes joyaux pour un chapelet. (…) Et mon vaste royaume pour une petite tombe, une petite tombe, une pauvre petite tombe.» Richard II et la reine se disent adieu avec déchirement, puis il sera emmené en prison au château de Pomfret, et elle sera reconduite dans sa France natale. Lord Exton, un proche de Bollingroke qui a été sacré Henri IV, a cru qu’il aimerait être débarrassé de l’ancien roi Richard, maintenant seul en prison.
Allongé par terre, juste habillé d’une longue chemise blanche, il est encore plus fantomatique et pitoyable. Il aura ces terribles mots teintés d’humour shakespearien : «Ni moi, ni aucun homme qui n’est qu’un homme, ne sera satisfait de rien, jusqu’à ce qu’il soit soulagé de n’être rien. » Exton le tuera mais ce crime déplait à Henri IV! Il annonce qu’il ira faire un voyage en Terre sainte pour se faire pardonner. Ainsi finit cette saga du crime avec l’abdication, puis l’assassinat de Richard.
La pièce, une des plus célèbres de William Shakespeare en Angleterre et maintenant bien connue chez nous. Jean Vilar la crée en 47, dans la Cour d’Honneur du Palais des papes: c’est la première jouée aux Semaines d’art qui ont préfiguré le festival d’Avignon. Elle sera reprise avec Gérard Philipe dans le rôle du roi, au T.N.P. en 53-54 à Chaillot. Mais elle n’est pas si souvent jouée, vu la longueur du texte qui nécessite presque quatre heures de représentation et une importante distribution. Nous avions vu la remarquable mise en scène de Patrice Chéreau (il avait vingt-six ans!) avec lui-même dans le rôle-titre, celle d’Ariane Mnouchkine, toute aussi remarquable au Théâtre du Soleil avec Georges Bigot. Et en 2018, celle, encore un peu brute de décoffrage mais tout à fait intéressante dans la traduction de Clément Camar-Mercier aux mots parfois crus, du jeune metteur en scène Guillaume Séverac-Schmitz (voir Le Théâtre du Blog).
Christine Friedel avait été assez élogieuse envers ce spectacle à sa création au festival d’Avignon l’an passé et aussi joué au Théâtre des Amandiers à Nanterre, en novembre 22 et maintenant. Cela donne quoi? Nous sommes partagés…
Louis Albertosi, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Joaquim Fossi, Pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Lévêque, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente sont solides et ont tous une très bonne diction. Donc, en entend bien le texte. Mention spéciale au grand Thierry Bosc, tout à fait remarquable dans le double rôle des frères Jean de Gand et le duc d’York. Et à Eric Halier, très crédible en Bolingbroke.
Micha Lescot, qui rêvait de jouer Richard II habillé d’un costume blanc actuel, apparait en silhouette longiforme impressionnante et il y a des moments tout à fait émouvants dans ses monologues-on sent bien le Roi, las et épuisé par le pouvoir- ou quand il fait ses adieux pour toujours à la Reine avant d’être incarcéré. Mais pourquoi Christophe Rauck le fait-il autant gesticuler et monter, redescendre très souvent des marches? Cela parasite son jeu et c’est dommage.
La direction d’acteurs avec cette reprise aurait-elle perdu ses boulons en route? Christophe Rauck privilégie-mais c’est aux dépens du texte-les effets esthétiques comme ces belles images-vidéos mais pléonastiques en très grand format-d’immenses vagues (photo ci-dessous) et d’épais nuages noirs-les deux pléonastiques-ou encore ces gradins encombrant le plateau évoquant la Chambre des communes que les accessoiristes déplacent souvent, ou font tourner avec les acteurs dessus (scénographie d’Alain Lagarde).
Et était-il nécessaire de faire jouer les acteurs au début mais trop longtemps dans des cercles faiblement éclairés derrière un tulle noir. Donc on voit à peine leur visage… Le reste du plateau étant placé dans la pénombre comme souvent aussi par la suite… Pour dire la grande tristesse de cette fin de règne où un roi va être obligé d’abdiquer?
Tout cela n’est pas convaincant et il y a quand même trop de choses approximatives dans cette réalisation où manque sans doute une nécessité absolue, une certaine insolence comme, entre autres chez Ariane Mnouchkine, ou Thomas Ostermeier quand il montait par exemple, Richard III … Et franchement, Christophe Rauck aurait pu aussi nous épargner ces trois stéréotypes inséparables actuels et qui ne sont pas dignes de lui: nappes de fumigènes à gogo, micros H.F uniformisant les voix, ronflements de basse électroniques, ou encore très gros plans du visage des personnages sur grands rideaux de tulle noir faisant office d’écran: des procédés ultra-usés qui font vieux théâtre… Toute cette communication non-verbale à base d’effets faciles et racoleurs, ne sert ni le jeu des acteurs, ni la réception de ce texte si souvent magnifique par le public ! «L’empire visuel, auquel nous sommes aujourd’hui soumis, dit Marie-José Mondzain, se présente à nous de façon violente. (…) Il faut bien admettre que la violence dans le visible concerne, non pas les images de la violence ni la violence propre aux images mais la violence faite à la pensée et à la parole dans le spectacle des visibilités.» Au moins, on écoute le texte intact malgré les indispensables coupes nécessaires et le son uniforme des micros H.F. Mais ce n’est pas une mise en scène vraiment intéressante! Et nous resteront de cette représentation, quelques scènes où enfin l’émotion passait… Et nous aurons connu Christophe Rauck mieux inspiré quand il a monté Shakespeare (voir Le Théâtre du Blog)… On veut bien que ce Richard II ait connu le succès en tournée mais nous avons été déçus cette reprise et Christophe Rauck devrait quand même se demander pourquoi la salle était à moitié vide…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 22 décembre, Théâtre des Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre ( Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.