Notre vie dans l’art, Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago, Illinois en 1923, écriture et mise en scène de Richard Nelson, traduction d’Ariane Mnouchkine
Notre vie dans l’art, Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago (Illinois) en 1923, écriture et mise en scène de Richard Nelson, traduction d’Ariane Mnouchkine
Toutes les créations du Théâtre du Soleil ont toujours été mises en scène par sa directrice Ariane Mnouchkine. Sauf une courte adaptation, drôle et virulente d’un opéra d’Offenbach monté une seule fois dans une petite salle du XIV ème par les acteurs eux-même pour continuer à travailler en l’absence d’Ariane Mnouchkine malade. Et Je suis le juge et fais régner l’ordre, un sketch d’agit-prop en sept minutes joués dans la rue en 72 par trois acteurs dont Jean-Claude Penchenat qui fonda ensuite le Théâtre du Campagnol. Enfin, un beau petit spectacle pour enfants monté par Georges Bonnaud en 74 et Kanata, du grand metteur en scène québécois Robert Lepage.
Elle a choisi cette fois de confier sa troupe à un autre metteur en scène qu’elle-même… Cela se passe il y a un siècle avec des conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago en 1923 sont le fond de sauce de cette pièce. Ils sont venus aux Etats-Unis, venus en bateau bien sûr loin de leur famille et de leur pays. Mais ils ne se sentent pas complètement en sécurité sur le cours d’une journée, alors qu’ils sont loin de chez eux. Il a des menaces politiques et les finances font grise mine. Mais c’est le vingt-cinquième anniversaire de leur théâtre qu’ils fêtent avec un excellent dîner arrosé à la vodka dans la pension familiale où ils logent, Constantin Stanislavski, le directeur de la troupe et ses acteurs dont Olga Kniper, la veuve d’Anton Tchekhov, parlent, mangent et chantent ,parfois seuls ou en chœur boivent, portent des toasts. Et ils disent qu’ils vont faire des sketchs. Bref, même si leur vie là-bas est assez précaire, ils préfèrent s’amuser sans trop penser à la grande tournée qui les attend et à leur retour en Russie….
Ces acteurs ont joué les pièces d’Anton Tchekhov; en Union Soviétique, cela ne leur donne aucune légitimité face au pouvoir révolutionnaire qui les considère faisant partie des bourgeois. Et ici, les Américains les prennent presque pour des bolchéviques dont il faut mieux se méfier. Bref, ils sont mal vus et malgré leur solidarité, ils ont de quoi broyer du noir…
Les Russes émigrés aux Etats-Unis, dits Russes blancs, viennent voir le spectacle et chez eux, on soupçonne ces acteurs de fréquenter les capitalistes. Mais ils ont un atout majeur dans leur pauvre existence: leur compagnie est soudée et ont l’habitude de vivre ensemble sur scène comme à la ville. Déjà âgés ou la quarantaine, ou plus jeunes encore, ils se connaissent bien, parfois sans doute de façon intime…
Le metteur en scène new yorkais célèbre là-bas mais peu connu en France, a été invité par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil. «Cela raconte, dit-elle, un dimanche très particulier de la vie du Théâtre d’Art de Moscou (…) Oui, alors que la Russie patauge dans le sang des Ukrainiens et de ses propres soldats et qu’elle jette dans ses cachots le meilleur d’elle-même, Richard Nelson invoque un groupe inoubliable, insurpassable d’artistes, d’êtres humains, dont, il y a maintenant un siècle, la vie fut irrémédiablement tordue, ruinée, ravagée, par un système dont on avait espéré qu’il ferait le bonheur de l’humanité. Et qui, en quelques mois, avait transformé une immense respiration populaire en un laboratoire de poisons, de contentions et d’assassinats. »
Oui, mais voilà, le texte est d’une pauvreté affligeante comme si l’auteur-metteur en scène n’arrivait pas à dépasser la banalité: et au théâtre c’est une exercice de haute voltige. Y traiter de la vie quotidienne avec des paroles anodines pou en faire jaillir tout un sous-texte n’est pas à la porté de tout le monde. Bref, n’est pas Tchekhov qui veut, et dont s’inspire souvent Richard Nelson ou plus près de nous, les Allemands Botho Strauss ou Franz Xaver Kroetz… Rien à faire, le spectacle n’arrive jamais à vraiment décoller et le metteur en scène n’arrive pas à donner corps à ses personnages, malgré le jeu des remarquables acteurs du Soleil tous très à l’aise et complices : Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, , Hélène Cinque, , Clémence Fougea, Judit Jancsó, Agustin Letelier, Nirupama Nityanandan, Tomaz Nogueira, Arman Saribekyan.Mention spéciale à Maurice Durozier et Georges Bigot.
Résultat prévisible: le spectacle passé les vingt premières minutes se met à dangereusement ronronner. La faute à qui: d’abord à ce texte qui ne fait pas vraiment sens. Mais aussi à une mise en scène qui manque de force et on ne comprend pas que Richard Nexon, homme d’expérience, ait conçu une mise en scène aussi statique: le repas dure une vingtaine de minutes mais des deux côtés de la scène, nous ne pouvons voir que les personnages nous faisant face.
Ce samedi après-midi dans une salle pas très remplie, le public un peu âgé et inconfortablement assis, s’ennuyait, voire sommeillait. Mais autant que la jeune fille près de nous qui ne regardait plus la scène et jouait avec ses bracelets… Richard Nelson semble avoir quelques ennuis avec la temporalité et ces deux heures quinze interminables où on n’est passionné par rien où on n’apprend rien, se terminent plutôt qu’elles ne finissent. Et ce qui aurait pu à la rigueur être une pochade en une heure et quelque, ne tient pas la route. Le public n’était pas dupe et il y a eu trois rappels seulement!
Que sauver de cette médiocrité: le jeu brillant des acteurs dont l’unité de jeu, la gestuelle, la diction, la sensibilité… sont rares et précieux. Reste à savoir pourquoi et comment Notre vie dans l’art a bénéficié du soutien d’Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Festival d’automne. Qui de son équipe a lu ce texte? Et pourquoi Ariane Mnouchkine a-t-elle accueilli ce spectacle? Là, très franchement, il n’y pas le compte! Le théâtre contemporain a parfois de ces mystères… Vous aurez sans doute compris qu’il est inutile de vous précipiter à la Cartoucherie, surtout quand les places sont à 35 €!
Philippe du Vignal