Les tombes de Serge Diaghilev et d’Igor Stravinsky au cimetière San Michele à Venise

Les tombes de Serge Diaghilev et d’Igor Stravinski au cimetière San Michele à Venise

Un carré du cimetière très dépouillé, presque abandonné et où les tombes sont parfois éloignées les unes des autres. Pas d’autre choix que d’y aller en vaporetto: cela exige donc un effort. Ce cimetière est comme hors du temps, peu fréquenté et inconnu du grand public… Alors que Venise, la cité des Doges est, elle, envahie par les touristes toute l’année. Il faut aller se recueillir dans cet endroit où règne une véritable paix et une exceptionnelle sérénitéLe danseur et chorégraphe Serge Lifar, dans La Musique par la danse de Lulli à Prokofiev avait curieusement écrit: «À partir de 1912, avec la consécration de Stravinski, musicien de génie mais qui vient de renoncer au folklore musical et chorégraphique si magnifiquement exploité dans ses  premiers ballets, L’Oiseau de feu et Pétrouchka, découverts par Diaghilev, la situation devient encore plus confuse. En effet, Igor Stravinski a pris bonne note de la fière déclaration de Fokine annonçant que n’importe quelle musique peut être interprétée par la danse. Sa musique, foncièrement rythmique, n’a pu être considérée comme dansante qu’à la faveur d’un étrange malentendu. Tout ce qui est rythmique, n’est pas dansant. Mieux encore, rien n’est plus étranger à la danse que la plupart des partitions de Stravinski en raison de leurs constants changements de mesure.  Cette musique alourdit la danse et se l’asservit, plutôt qu’elle ne l’enrichit et, inversement, la danse n’ajoute pas grand-chose à cette musique.» Un pont de vue assez étonnant chez cet ancien directeur de la danse à l’Opéra de Paris! Il avait pourtant été l’élève de Serge de Diaghilev qui, artistiquement, a été très lié à Igor Stravinski.

 

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Et sans eux, la célèbre compagnie des Ballets russes n’aurait jamais existé. Leur relation, pendant vingt ans depuis 1909 jusqu’à la mort de leur directeur était faite de respect, estime mutuelle et parfois de conflits. En témoigne cette lettre écrite en 1926 par Serge de Diaghilev à Igor Stravinski, à la suite d’un malentendu: «Mon cher Igor,  c’est avec des larmes que je lis ta lettre. Pas une minute, je n’ai cessé de penser à toi autrement que comme à un frère. Je me sens donc aujourd’hui tout joyeux et empli de lumière du fait qu’en pensée, tu m’as embrassé comme tel. Je me rappelle la lettre que tu m’avais écrite après la mort de ton frère Goury. Je me rappelle aussi celle que moi-même je t’ai écrite, il n’y a pas bien longtemps et où je te disais que, me trouvant en proie à un trouble profond, je songe que tu vis presque à la porte à côté dans le monde, je commence à me sentir mieux. Pardonner, me semble-t-il, n’est au pouvoir que de Dieu seul: lui seul peut juger. Mais nous autres, pauvres petits débauchés, devrions, dans nos moments de querelles et de repentirs, avoir assez de force pour nous embrasser en frères et oublier. Ceci peut évoquer la soif de pardon ; si tu l’as, oriente-la vers moi. Je ne jeûne pas, je ne vais pas à confesse et je ne communie pas (je ne suis pas pratiquant). Cependant, je te demande de me pardonner mes péchés, volontaires ou involontaires et de ne garder dans ton cœur que ce sentiment d’amour fraternel que j’éprouve pour toi.  Seriocha. »

Serge de Diaghilev, premier imprésario du XX ème siècle, commande à Igor Stravinski une partition inspirée du conte russe L’Oiseau de feu. Chorégraphiée par Michel Fokine, l’œuvre connait un triomphe à l’Opéra de Paris en 1910. Au théâtre des Champs-Elysées, la première du Sacre du Printemps le 29 mai 1918, fait scandale. La pièce ouvre une ère nouvelle dans l’histoire de la musique et Igor Stravinski écrit: «Je voulais présenter le renouvellement continuel de la nature, la peur et la joie de la vie qui s’écoulent à flots, des plantes et de tous les êtres vivants. Dans l’introduction, j’ai fait exprimer par l’orchestre la peur qui étreint tous ceux qui se trouvent en face des forces élémentaires. Je voulais reproduire un peu de la panique de l’homme devant l’éternelle beauté et son tremblement de crainte devant la lumière du soleil; son cri de terreur semblait contenir de nouvelles possibilités musicales. De cette façon, l’orchestre tout entier reproduit la naissance du printemps.»

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L’œuvre préférée du compositeur devient une création emblématique des Ballets Russes. En août 1929, Serge de Diaghilev disparaît. Une faille dans la vie d’Igor Stravinski.. et une rupture définitive avec son passé russe qui devient citoyen français en 1934 puis émigre aux Etats-Unis en 1940. Il épousera en secondes noces Vera de Bosset qui repose à ses côtés à Venise, la ville d’adoption de Serge de Diaghilev:  sa tombe dans le carré orthodoxe du cimetière San Michele sur une île au milieu de la lagune où on accède par vaporetto, est couverte de chaussons de danse offertes par des danseuses. L’âme de Seriocha est ainsi bien protégée. Igor Stravinski, meurt, lui, à New York en 71 et, selon ses dernières volontés, a été enterré dans ce même cimetière à quelques mètres de Serge de Diaghilev sous une simple pierre. Après les dernières notes de son Requiem Canticles à la chiesa di San Giovani e Paolo, le cercueil a rejoint en gondole son ami de toujours. Une belle histoire immortelle…

Jean Couturier


Archive pour 13 décembre, 2023

Le Grand sot, chorégraphie de Marion Motin

Le Grand sot, chorégraphie de Marion Motin

«Whisky, cigars and no sport » disait Winston Churchill pour expliquer sa longévité. Ce « no sport »  du premier ministre anglais qui avait tenu tête à l’Allemagne nazie, a pu inspirer le titre No Logo : la tyrannie des marques, du livre de l’autrice canadienne Naomi Klein qui dresse un état des lieux de la société de consommation. Marion Motin, elle, tourne en dérision le sport nautique et le sport en général, dans la perspective des fameux J.O. qui menacent à court terme le peuple parisien. Déjà pas mal ! Le logo à trois bandes d’un équipementier d’outre-Rhin, est ostensiblement porté par trois danseuses et cinq danseurs (de tout gabarit).

La greffe théâtre-danse, que certains qualifient doctement de rhizome, profite toujours au théâtre mais aussi à l’art du cabotinage dont les muses sont légion… A peine installés dans la salle pas encore obscurcie, nous en avons un avant-goût. Alexis Sequera, un jeune homme en robe de chambre style Sacha Guitry, se lance dans des tirades, parfois des impros, voire des citations. Entre autres de  Sens dessus dessous (1978), un sketch de Raymond Devos qu’il créa juste en face au Théâtre Antoine… Comme l’indique la chaise côté jardin, Alexis Sequera, par intermittence et pendant une heure, fera office de maître de cérémonie, maître-nageur, arbitre des élégances…

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Entrent en scène (ou en Seine) pour ne plus la quitter Marie Bégasse, Caroline Bouquet, Manon Bouquet, Lorenzo Dasse, Achraf Bouzefour, Gonzalo Garabán, Julien Ramade, Sulian Rios qui vont interpréter l’opus de Marion Motin, chorégraphe en vogue (ou d’une nouvelle vague) qui a travaillé avec Madonna, Stromae, Christine and the Queens, Angèle…
Vu la déco-la chaise mentionnée plus haut-et les costumes: survêtements d’aujourd’hui, shorts, tennis puis maillots de bain et vu aussi la gestuelle à l’unisson généralement observée par le groupe. Vu aussi l’énergie débordante des interprètes avec quelques échappées solitaires, vu enfin le titre-calembour, le thème est bien ici le sport…
La natation, bien sûr (malgré l’absence de plongeoir), la boxe (l’octet ne manque pas de punch), le judo avec quelques roulades enrichissant ce
Grand Sot ). On pense aux parodies de Charles Chaplin, Georges Pomiès et Jacques Tati. Nous avons, quant à nous, été sensible à la prestation spectaculaire de Lorenzo Dasse.

La musique pour la gym, gym tonique, gym rythmique, entraînement cardio, aérobic popularisée de 82 à 86 par Véronique et Davina à la télévision et ailleurs par Jane Fonda, stimule les pratiquants, adoucit les entorses et mène la danse. Marion Motin n’y va pas avec le dos de la cuiller  et Le Boléro de Maurice Ravel (1928) donne tout de suite le ton avec son entame ramollo, sa longueur en bouche, sa langueur en boucle, son crescendo, son emphase… Une musique accentuée par la sono d’Éric Dutrievoz.
La barcarole des Contes d’Hoffmann (1881) de Jacques Offenbach calme tout un chacun. Alternent ensuite balades sentimentales comme Mr Blue (1959) et rocks électrisants. Les lumières avec variations chromatiques et effets stroboscopiques de la chorégraphe et Judith Leray sont efficaces. Le final, avec la célèbre musique de Bohemian Rhapsody (1975) du groupe Queen, suscite les applaudissements d’un public venu nombreux…

 Nicolas Villodre

Jusqu’au 16 décembre (et prolongations), La Scala de Paris, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

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