Austerlitz, texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

Austerlitz , texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

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© Danielle Voirin

 Le spectacle devait s’intituler Ruines, mais, à la suite d’un rêve, Gaëlle Bourges a repris titre du livre de l’auteur juif allemand W. G. Sebald (1944-2001). Dans ce roman, le personnage principal, Jacques Austerlitz, né dans le village maintenant polonais qui porte le nom de la célèbre bataille, reconstitue son histoire d’exilé par glissements et rencontres fortuites, d’une ville à l’autre. Ce titre rappelle à Gaëlle Bourges  la gare par où elle passait autrefois pour se rendre à la Grande Bibliothèque, un des endroits où Jacques Austerlitz recherche ses racines perdues, à travers les photographies dont W.G. Sebald  a truffé son ultime récit…

En suivant la structure aléatoire du roman, la chorégraphe mêle, sur un canevas onirique, ses  souvenirs à ceux de ses interprètes, avec images à l’appui. Sur scène, elle croise ainsi ses premiers pas de danseuse en herbe, ses années de formation et rencontres artistiques avec les réminiscences d’ Agnès (Butet), Camille (Gerbeau), Pauline (Tremblay), Alice (Roland), Marco (Villari) et Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK).

Sur un petit écran en fond de scène, comme un trou de mémoire, surgissent des images en noir et blanc : une jeune ballerine, un spectacle d’enfants… Et celles des maisons de famille des artistes, ou de lieux emblèmatiques de la création au XX ème siècle.  Ainsi la Mad Brook Farm, un communauté d’artistes au Vermont (Etats-Unis) où Steve Paxton développa la «contact improvisation». Et le Judson Church Theater à New York, un berceau de la danse post-moderne américaine  par où nombre d’artistes  français sont passés… Le groupe de danseurs et danseuses fait ainsi naître anecdotes communes et parcours qui les ont mis sur le chemin des autres.

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© Danielle Voirin

Ici, le hasard fait bien les choses: la chorégraphe cherchant l’œuvre de W.G. Sebald dans une bibliothèque tombe sur Le Rituel du serpent, un ouvrage d’Aby Warburg (1866-1929), un historien de l’art juif allemand interné à la clinique Bellevue à Kreuzlingen (Suisse) comme le fut aussi Vaslav Nijinski, la star des Ballets Russes (1889-1950) … Elle va donc  faire son miel e toutes ces informations, selon le principe du «bon voisin» développé par Aby Warburg: «Quand vous allez prendre un livre dans une bibliothèque, celui dont vous avez réellement besoin n’est pas celui-là, mais son voisin. »

Avec une voix off monocorde, Gaëlle Bourges égrène son texte aux accents durassiens (on pense à Hiroshima mon amour). Entre souvenirs intimes, moments d’histoire de la danse contemporaine, évocation des guerres et de la Shoah, les interprètes s’animent sporadiquement, ombres grises, estompées par un tulle tendu à l’avant-scène :  petites danses enfantines, esquisses de pas de ballets classiques, bribes de L’Après-Midi d’un faune… Et un moment-clef pour Gaëlle Bourges dans sa quête mémorielle: la reconstitution du rituel du serpent, dansé par  les Indiens Hopi au Nouveau-Mexique, photographié puis décrit par Aby Wartburg à une conférence qu’il donna à la clinique Bellevue. Ce qui lui valut une «guérison partielle ». Cette «danse éclair» fait resurgir le passé, de l’oubli.

Les musiques de Krystian et  Stéphane Monteiro a.k.a Xtronik correspondent aux évocations du texte. Ainsi que les costumes stylisés d’Anne Dessertine et les clairs-obscurs, fondus enchaînés et contre-jours créés par Maureen Sizun Vom Dorp. Du cousu main:  Gaëlle Bourges  croise les fils d’une mémoire collective. Se superposent ici la genèse de la pièce, ses rêves et réminiscences littéraires comme Walden d’Henry David Thoreau, les poèmes d’Emily Dickinson, le show Buffalo Bill’s wild west show, une offense à la mémoire amérindienne…

Dans ce labyrinthe infini de mots, images et mouvements, Gaëlle Bourges, comme à son habitude, convoque l’histoire de l’art. On se rappelle A mon seul désir (2015), élégante reconstitution de la tapisserie La Dame à Licorne ou, plus récemment, On va tout rendre, évoquant le pillage de l’Acropole d’Athènes par un ambassadeur britannique au début du XIX ème siècle et  (La Bande à) LAURA, autour du célèbre tableau Olympia d’Edouard Manet. 

Ici, texte et images prennent souvent le pas sur une danse fantomatique et certains spectateurs en ont été frustrés. Mais il faut se laisser bercer par cette douce rêverie spatio-temporelle en compagnie des spectres qu’Austerlitz ressuscite.
Nous avons été séduite par cette quête pour retrouver « dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, des lieux et des personnages qui au-delà du temps et d’une certaine manière, gardent un lien avec nous ».
Un dialogue poétique et politique émouvant sur les ruines du XX ème siècle.


Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 décembre au  Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris  (III ème).  T. 01 83 81 93 30.

Du 18 au 31 janvier, Théâtre Public de Montreuil-Centre Dramatique National (Seine-Saint-Denis).

Les 13 et 14 février, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Le 1 er mars, Théâtre Antoine Vitez- Scène d’Ivry (Val-de-Marne)  et du 5 au 7 mars, Théâtre de la Vignette, Montpellier (Hérault). 

 

 


Archive pour 16 décembre, 2023

Austerlitz, texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

Austerlitz , texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

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© Danielle Voirin

 Le spectacle devait s’intituler Ruines, mais, à la suite d’un rêve, Gaëlle Bourges a repris titre du livre de l’auteur juif allemand W. G. Sebald (1944-2001). Dans ce roman, le personnage principal, Jacques Austerlitz, né dans le village maintenant polonais qui porte le nom de la célèbre bataille, reconstitue son histoire d’exilé par glissements et rencontres fortuites, d’une ville à l’autre. Ce titre rappelle à Gaëlle Bourges  la gare par où elle passait autrefois pour se rendre à la Grande Bibliothèque, un des endroits où Jacques Austerlitz recherche ses racines perdues, à travers les photographies dont W.G. Sebald  a truffé son ultime récit…

En suivant la structure aléatoire du roman, la chorégraphe mêle, sur un canevas onirique, ses  souvenirs à ceux de ses interprètes, avec images à l’appui. Sur scène, elle croise ainsi ses premiers pas de danseuse en herbe, ses années de formation et rencontres artistiques avec les réminiscences d’ Agnès (Butet), Camille (Gerbeau), Pauline (Tremblay), Alice (Roland), Marco (Villari) et Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK).

Sur un petit écran en fond de scène, comme un trou de mémoire, surgissent des images en noir et blanc : une jeune ballerine, un spectacle d’enfants… Et celles des maisons de famille des artistes, ou de lieux emblèmatiques de la création au XX ème siècle.  Ainsi la Mad Brook Farm, un communauté d’artistes au Vermont (Etats-Unis) où Steve Paxton développa la «contact improvisation». Et le Judson Church Theater à New York, un berceau de la danse post-moderne américaine  par où nombre d’artistes  français sont passés… Le groupe de danseurs et danseuses fait ainsi naître anecdotes communes et parcours qui les ont mis sur le chemin des autres.

Austerlitz_8-11_014

© Danielle Voirin

Ici, le hasard fait bien les choses: la chorégraphe cherchant l’œuvre de W.G. Sebald dans une bibliothèque tombe sur Le Rituel du serpent, un ouvrage d’Aby Warburg (1866-1929), un historien de l’art juif allemand interné à la clinique Bellevue à Kreuzlingen (Suisse) comme le fut aussi Vaslav Nijinski, la star des Ballets Russes (1889-1950) … Elle va donc  faire son miel e toutes ces informations, selon le principe du «bon voisin» développé par Aby Warburg: «Quand vous allez prendre un livre dans une bibliothèque, celui dont vous avez réellement besoin n’est pas celui-là, mais son voisin. »

Avec une voix off monocorde, Gaëlle Bourges égrène son texte aux accents durassiens (on pense à Hiroshima mon amour). Entre souvenirs intimes, moments d’histoire de la danse contemporaine, évocation des guerres et de la Shoah, les interprètes s’animent sporadiquement, ombres grises, estompées par un tulle tendu à l’avant-scène :  petites danses enfantines, esquisses de pas de ballets classiques, bribes de L’Après-Midi d’un faune… Et un moment-clef pour Gaëlle Bourges dans sa quête mémorielle: la reconstitution du rituel du serpent, dansé par  les Indiens Hopi au Nouveau-Mexique, photographié puis décrit par Aby Wartburg à une conférence qu’il donna à la clinique Bellevue. Ce qui lui valut une «guérison partielle ». Cette «danse éclair» fait resurgir le passé, de l’oubli.

Les musiques de Krystian et  Stéphane Monteiro a.k.a Xtronik correspondent aux évocations du texte. Ainsi que les costumes stylisés d’Anne Dessertine et les clairs-obscurs, fondus enchaînés et contre-jours créés par Maureen Sizun Vom Dorp. Du cousu main:  Gaëlle Bourges  croise les fils d’une mémoire collective. Se superposent ici la genèse de la pièce, ses rêves et réminiscences littéraires comme Walden d’Henry David Thoreau, les poèmes d’Emily Dickinson, le show Buffalo Bill’s wild west show, une offense à la mémoire amérindienne…

Dans ce labyrinthe infini de mots, images et mouvements, Gaëlle Bourges, comme à son habitude, convoque l’histoire de l’art. On se rappelle A mon seul désir (2015), élégante reconstitution de la tapisserie La Dame à Licorne ou, plus récemment, On va tout rendre, évoquant le pillage de l’Acropole d’Athènes par un ambassadeur britannique au début du XIX ème siècle et  (La Bande à) LAURA, autour du célèbre tableau Olympia d’Edouard Manet. 

Ici, texte et images prennent souvent le pas sur une danse fantomatique et certains spectateurs en ont été frustrés. Mais il faut se laisser bercer par cette douce rêverie spatio-temporelle en compagnie des spectres qu’Austerlitz ressuscite.
Nous avons été séduite par cette quête pour retrouver « dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, des lieux et des personnages qui au-delà du temps et d’une certaine manière, gardent un lien avec nous ».
Un dialogue poétique et politique émouvant sur les ruines du XX ème siècle.


Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 décembre au  Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris  (III ème).  T. 01 83 81 93 30.

Du 18 au 31 janvier, Théâtre Public de Montreuil-Centre Dramatique National (Seine-Saint-Denis).

Les 13 et 14 février, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Le 1 er mars, Théâtre Antoine Vitez- Scène d’Ivry (Val-de-Marne)  et du 5 au 7 mars, Théâtre de la Vignette, Montpellier (Hérault). 

 

 

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