Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? d’après Gilles Deleuze, conception et mise en scène de Margaux Eskenazi

Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? d’après Gilles Deleuze, conception et mise en scène de Margaux Eskenazi

« L’art, c’est ce qui résiste. » dit Gilles Deleuze à une conférence donnée à la F.E.M.I.S. en 1987. Paroles de consolation pour Margaux Ezkenazi qui avait perdu sa foi dans le théâtre pendant le confinement. Cette allocution « sauveuse de foi » lui a permis de renouer avec la mise en scène. Elle en a fait un spectacle, entrant ainsi en dialogue avec Gilles sous les traits de  Lazare Herson-Macarel et Malik Soarès, au chant et à la guitare. 
Qu’y a-t-il de commun entre un samouraï et le philosophe ? Cité dans sa conférence comme œuvre de création exemplaire, Les sept Samouraï (1954) d’Akira Kurosawa la résistance de villageois. Il réussissent, à chasser les brigands qui ravageaient les campagnes environnantes. en embauchant des samouraïs errants, en quête de travail. Ils se battront pour trois bols de riz par jour…

«A quoi sert encore un samouraï ?», demande le plus jeune de ces guerriers à son chef, une fois les assaillants déguerpis. « Je crois que cette question m’a interpellée, dit Margaux Eskenazi. Je me sentais comme un samouraï qui se demande à quoi il sert en temps de crise.» Présente sur scène, elle nous raconte la genèse du spectacle.

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© Loïc Nys

Lazare Herson-Macarel ne singe pas le philosophe qui, pendant toute sa conférence* reste derrière son micro, tout à ses pensées. L’acteur impose une présence mobile, jusqu’à revêtir l’habit de samouraï et armé d’un bâton,  à participer  à la bataille décisive, en écho aux extraits du film, projetés sur des stores en bambou.
La scénographie zen de Julie Boillot-Savarin, dans un dispositif bi-frontal, reprend le décor rustique des Sept Samouraïs: des troncs d’arbres suspendus figurent les colonnes des maisons, des cordes délimitent le carrefour où les brigands sont piégés, des fleurs saluent le printemps revenu …

 Au fil de la conférence, Margaux Eskenazi fait part de ses questions et réflexions, en dialogue et en interaction avec un « Gilles » devenu une figure familière.  Elle revendique une écriture « rhizomique », à l’instar de la parole deleuzienne. Cela dit-elle, «nous permet aussi un lâcher-prise: la compréhension n’est pas uniquement intellectuelle, elle est sensible et physique. »

Elle prend donc la liberté de digressions comme La Ballade des pendus de François Villon entonnée en duo par Lazare Herson-Macarel et Malik Soarès,. Un poète cité par Gilles Deleuze parmi les créateurs qui, de Moïse à Kafka, Bach, Shakespeare, Dostoïevski…font acte de résistance dans une société où la communication, en ces années quatre-vingt, occupait déjà le haut du pavé.
Pour finir, le philosophe revient au cœur de son sujet, en faisant un distinguo: «L’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’art est irréductible à toute communication.» L’occasion d’égratigner la société de contrôle qu’en visionnaire, il pressent: selon lui,  communiquer, c’est transmettre une information et donc faire circuler un mot d’ordre. Et il prédit qu’aujourd’hui, plus besoin de «surveiller et punir » comme l’analysait Michel Foucault. Plus besoin d’enfermer: l’information met en place un système de contrôle, avec, notamment, les soins à domicile, et bientôt, le travail aussi à domicile…Tout ce que nous avons pu vivre pendant la pandémie de covid.

 Margaux Eskenazi voit alors en Gilles Deleuze: « le roi Lear de l’acte III, seul sur la lande ». A la fin de sa conférence, le philisophe citait  le peintre Paul Klee :  «Le peuple manque» et, sibyllin, il conclut: «Toute œuvre d’art est un appel à un peuple qui n’existe pas encore. » Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? devient alors une sorte de manifeste où chacun se reconnaîtra. Il faut souhaiter qu’après la création de la pièce à Lilas en scène, cette reprise  au Théâre de la Tempête soit un tremplin pour une tournée…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 décembre. Et joué jusqu’au 17 décembre, au Théâtre de la Tempête, route du Champ de manœuvre. Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 * :https://www.youtube.com/watch?v=2OyuMJMrCRw  

 A lire in Deux régimes de fous et autres textes (éditions de Minuit).

 

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