Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mise en scène d’Emmanuel Daumas
Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, mise en scène d’Emmanuel Daumas
En 1896, Constant Coquelin prend la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin et l’année suivante, avec lui-même dans le rôle principal, il monte aidé par son fils Jean, la pièce d’Edmond Rostand (1868-1918). Triomphe absolu! Vingt minutes de rappel! Et le ministre des Finances, Georges Cochery remet aussitôt sa propre Légion d’Honneur au dramaturge de vingt-neuf ans ! : »Je me permets de prendre un peu d’avance. »
Cyrano de Bergerac entrera ainsi dans l’histoire du théâtre malgré une critique partagée: pour Catulle Mendès, «M. Constant Coquelin vient de jouer le plus énorme, le plus extraordinaire, le plus parfait de ses rôles… il retrouve, en y joignant de neuves émotions, le beau romantisme hautain et farce à la fois, que lui conseillait, au temps de sa jeunesse, Théodore de Banville, notre maître et le sien; et ce soir, Coquelin a été prestigieusement, miraculeusement un Cyrano fantasque, tendre, futile, grand aussi, et mourant si tendrement, et si héroïquement et si tendrement encore. Ah! Que je suis content d’avoir vu l’œuvre d’un tel poète exprimée par un tel comédien .». En 2016, Alexis Michalik a créé au Théâtre du Palais-Royal, Edmond,une pièce où il raconte la création de Cyrano. (voir Le Théâtre du Blog)
Depuis la création le 28 décembre 1897, de nombreux acteurs ont porté le faux nez du héros romantique. Entre autres : Maurice Escande, Pierre Dux, Jacques Weber, Jean-Paul Belmondo, Jean Piat, Philippe Torreton, Olivier Gourmet, Eddy Chignara, tous très remarquables (voir Le Théâtre du Blog) Michel Vuillermoz et au cinéma : Daniel Sorano, Gérard Depardieu…
Cette fois, Laurent Laffitte incarne Cyrano. «C’était, dit-il, mon rêve d’acteur avec Dom Juan. Cette pièce est longue comme une Ferrari mais tout se déclenche très vite, et pour un acteur, c’est un rôle dur et athlétique. Le texte parle constamment de théâtre et Cyrano se met en scène, invente son propre mythe. Son arrogance vient compenser un complexe, une fêlure. »
L’acteur l’interprète ici avec une grande sensibilité et il devient l’ami qu’on souhaiterait tous avoir. Il aime son personnage et fait de la fameuse tirade des « Non merci… » un grand moment de théâtre. Yoann Gasiorowski interprète, avec justesse et sans éclats, le jeune et beau Christian de Neuvillette, dont Roxane est amoureuse. Mais on peine à croire aux sentiments qui existent entre Roxane et lui, et entre Cyrano et Roxane: l’interprétation de Jennifer Decker est hors-sol. Que vient-elle faire dans cette galère? Fantomatique comme Ophélie, elle joue pourtant sincèrement ce personnage décalé. Seule actrice sur le plateau, les autres personnages féminins étant joués par ses camarades masculins….
Laurent Stocker (Raguenau) Nicolas Lormeau (Comte de Guiche) accompagnent cette nouvelle mise en scène. Mention spéciale à Birane Ba qui marque d’une présence solaire Ragueneau, puis un Capucin et une irrésistible Mère Marguerite de Jésus au sourire enjôleur.
Cette mise en scène souffre de l’esthétique anti-naturaliste de la scénographie imaginée par Chloé Lamford… L’Hôtel de Bourgogne est ici une estrade en faux marbre, fermée par un rideau à dorures (rappelant les cabarets minables) et qu’on retrouve dans la plupart des beaux costumes d’ Alexia Crisp-Jones. «Emmanuel Daumas, dit Éric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, s’attaque avec un courage de Gascon au monument. Ce n’est pas le côté cocardier à la française qui le touche immédiatement mais bien ce que nous avons en nous de Cyrano, de peurs obscures, empêchement tu, et orgueil mélangés .».
Au début, le genre cabaret décalé surprend mais la pièce prend enfin une autre dimension… au quatrième acte, avec le siège d’Arras. Sur le plateau nu, les acteurs poussent des lits de fer superposés à l’avant-scène, en entonnant avec force une chanson gasconne…
Entrée au répertoire de la Comédie-Française en 1938, cette pièce a donné le goût du théâtre à nombre d’enfants et adolescents. Allez la découvrir: elle peut faire peur à des artistes et vu la nombreuse distribution donc le coût, elle reste donc peu jouée dans l’hexagone….
Jean Couturier
Jusqu’au 29 avril (en alternance), Comédie-Française, place Colette, Paris (Ier). T. : 01 44 58 15 15. Diffusion dans les cinémas partout en France, en direct le 25 janvier. Puis rediffusion à partir du 14 février.
Je ne suis pas d’accord avec cette critique d’un spectacle fade, pauvre et sans émotion aucune. Birane Ba (qui joue Lignières et non Ragueneau à l’acte I) ne sait pas articuler. Lafitte n’a aucune disposition pour le rôle, les personnages en travestis forcent à une distance contante, inadéquate à cette grande pièce romantique. Jennifer prend son rôle au sérieux, et elle est bien seule. Stocker est très bien comme d’habitude et Lormeau fait le minimum syndical. Indigne de la Comédie-Française selon moi, et à ne conseiller à personne. Applaudi sans aucune conviction le soir où j’y étais: les spectateurs sentent bien qu’il manque quelque chose…
Bonne fin d’année tout de même!