Livre et revues

Frictions, numéro n° 9 hors série, consacré à François Tanguy

Jean-Pierre Han dans son éditorial dit avoir voulu éviter «l’écueil de la commémoration genre hommage à un l’artiste trop tôt disparu» et avec juste raison, a préféré laisser la parole à ce metteur en scène et directeur du Théâtre du Radeau fondé par Laurence Chable en 1977 établi en 84 dans un ancien garage nommé La Fonderie au Mans.
Mort il y a un an d’une septicémie foudroyante, François Tanguy, influencé par Tadeusz Kantor, avait conçu un théâtre proche d’installations en arts plastique avec de remarquables éclairages, de nombreuses musiques et bruitages: sons de cloches, bruit du vent, orage…
Par ailleurs, l’auteur et metteur en scène s’était engagé aux côtés des sans-papiers et pour la Bosnie en 1995, entama une grève de la faim avec Ariane Mnouchkine et Olivier Py, puis s’est battu pour la Tchétchénie, l’Ukraine et les sans-logis.

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Ce numéro s’ouvre sur un dernier texte théorique de lui, écrit en décembre 2022, à la demande du Théâtre des Treize Vents à Montpellier où il devait créer Par autan. Et Jean-Pierre Han parle très bien d’Orphéon, le dernier spectacle de François Tanguy. Pour lequel il avait imaginé un scénographie particulière dans une sorte de chapiteau à Saint-Denis en banlieue de Paris , un «espace très savamment désorganisé», comme il l’a toujours fait, avec un étonnant bric-à-brac de praticables blancs, chaises de cuisine, longues de tables, rideau à fleur dérisoire.  Avec aussi une matière textuelle «volée» aux deux William: Shakespeare et Blake, Franz Kafka, Luigi Pirandello…

Il y a aussi un article de Laurence Chable, la fondatrice du Théâtre du Radeau sur les ateliers menéspar François Tanguy et de superbes cahier-photos de Didier Goldschmidt, Daniela Hornichova, Simon Hattier, Pierre Grobois, Didier Grappe où on voit très bien depuis Woyzeck-Büchner, Fragments forains (1989) et Le Chant du Bouc (1991)à quoi correspond l’univers à haute teneur poétique de François Tanguy avec ombres portées, petits rideaux blancs brechtiens volant au vent de nombreux châssis savoureusement entassés dans le fond… Un bon ensemble qui rend bien compte du travail de ce créateur attachant.

Frictions
numéro 9 hors série. 15 € .


L’Arche et la galère
, un éditeur sur le pont
de Rudolf Rach, traduit de l’allemand par Silvia et Jean-Claude Berutti-Ronelt

L’Arche-édition a été créée par Robert Voisin il y a déjà soixante-quatorze ans! et a été rachetée par Rudolf Rach en 86. Les domaines de publication avaient d’abord été:  la psychanalyse, la philosophie et l’esthétique avec, entre autres, des livres de  Jean WahlAndré GideRené Leibowitz, Louisa Düss et Wilhelm Reich.
En 1953, Robert Voisin se tourne vers le théâtre et fonde Théâtre Populaire, une très bonne revue bimestrielle d’analyse qui contribua au mouvement de rénovation du répertoire sous l’égide du T. N. P. de Jean Vilar. Et une légendaire collection qui enchanta notre adolescence : à prix très modique, on trouvait le texte de la pièce et des photos en noir et blanc ( mais quand même!) et si pour des raisons techniques, les photos manquaient à l’appel, était joint un bon pour avoir le cahier photos quand on revenait plus tard au T.N.P. Heureuse époque… Répertoire pour un théâtre populaire, une collection bon marché qui regroupait les grandes œuvres dramatiques de tous les temps. Et L’Arche a publié dès 54 les œuvres de Bertolt Brech traduites en français.
Rudolf Rach édita très vite le théâtre contemporain et le théâtre jeunesse et créa aussi une collection d’essais philosophiques Actuellement le catalogue compte environ 800 titres. Avec les œuvres classiques:  Bertolt Brecht toujours mais aussi Anton Tchekhov, Ivan Tourgueniev, August Strindberg.. Et parmi les auteurs contemporains, Pina Bausch, Lars Noren, Dario Fo, Thomas Bernhard, Martin Crimp, Jan Fabre, Jon Fosse le ernier prix Nobel de littérature, Federico Garcia Lorca, Elfriede Jelinek, Sarah Kane… Et chez les Français, Fabrice Melquiot, Chistophe Pellet…

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L’Arche et la galère (383 pages) est une sorte d’autobiographie où Rudolph Rach raconte son enfance en Allemagne puis ses débuts dans l’édition avant de venir à Paris. « Cette version française de deux textes de l’auteur publiés en Allemagne en 2020 aux éditions Bittner est en accord avec l’auteur, un ensemble réduit pour privilégier la vision de Rudolph Rach, éditeur (tant en Allemagne qu’en France) mais sans occulter la relation de l’auteur avec son pays d’origine. »
Mais cela reste passionnant d’un bout à l’autre et on voit très bien la longue « galère » qu’il a connue, lui l’Allemand- pas toujours bien vu !-depuis le rachat de l’entreprise à Robert Voisin, l’indispensable rénovation des locaux en mauvais état, la reconstitution totale des stocks entassés à Paris mais aussi dans une grange près du Mans, les diverses péripéties de son installation dans la capitale… Bref, il fait, comme l’indique le titre, un travail forcené avec sa petite équipe et est souvent au bord de l’épuisement. Et il y a de quoi ! Il doit à la fois gérer au mieux l’entreprise dont les caisses sont vides, négocier les contrats notamment en Allemagne, dont l’un mal ficelé concernant l’œuvre de Brecht était le fond de commerce de L’Arche avec une clause léonine qu’il doit rattraper avec sa fille, sinon il était menacé de la faillite. Il devait aller aussi très souvent discuter les droits avec les auteurs outre-Rhin dans des conditions houleuses, entre autres avec Thomas Bernhard ou F. Xaver Kroëtz dont, entre autres Travail à domicile, Haute-Autriche, Concert à la carte (1976), puis Terres mortes (1991)  Pulsion (1999)  sont éditées par l’Arche. Mais il doit aussi examiner et mettre au point les contrats avec les grands théâtres allemands comme la Schaubühne, ou la grande Pina Bausch, méfiante et à la volonté de fer, quand il s’agissait de ses droits à elle, auteure de spectacles. Un travail souvent passionnant, mais d’une rare exigence…

Rudolf Rach montre très bien à la fois tous les arcanes et du théâtre français, à la fois privé et public : une source d’étonnement permanent pour un étranger comme lui . Mais il a sans aucun doute un regard beaucoup plus lucide sur les auteurs, traducteurs, metteurs en scène, producteurs de théâtre… chacun avec leurs exigences.
L’auteur a eu une remarquable intuition de l’évolution que va connaître le théâtre à la fois en Allemagne et en France. Et en cela, il apporte un témoignage essentiel pour les gens de théâtre et les chercheurs qui veulent essayer de comprendre le fonctionnement théâtral et culturel en général de notre pays. Et il analyse très finement la mise en scène contemporaine comme le dit justement son éditeur Les Solitaires intempestifs et ce livre « vient enrichir une vision à long terme de l’évolution parallèle de nos deux pays sur plus de soixante-dix ans : jusqu’où nous ressemblons-nous, cousins germains, à partir d’où Français et Allemands demeurent-ils foncièrement différents ? »

Le texte rigoureux de Rudolph Rach fait ici bon ménage avec un sens de l’humour quand il parle de ses rencontres avec Patrick Modiano, ou de ses relations conflictuelles quant aux droits de représentation de L’Opéra de Quat’ sous avec la S.A.C.D. : «Un mélange de bonne conscience et de bureaucratie dure à cuire : c’est ce qui fait sa force. »
Et, malicieusement, il ajoute plus loin: « Je ne me serai jamais senti français, même avec un passeport français. Tout simplement, parce qu’il me manque un certain nombre de conditions préalables pour me sentir français.» Et dans la presse, on lui a souvent «renvoyé dans la figure » comme il dit, le fait qu’il soit allemand, même s’il était éditeur reconnu  à Paris…   depuis plusieurs dizaines d’années. Comme une amie originaire du Gard qui enseignait quarante ans dans une école d’art à l’Est de la France, s’est entendu dire par une collègue: «Quand repartez-vous chez vous, dans le Midi?»

Nous sommes un bien curieux pays ! Rudolf Rach et Katarina von Bismarck ont pourtant réussi à remonter L’Arche devenu aussi une agence théâtrale française importante, puisqu’elle représente une centaine d’auteurs…
Offrez, ou offrez-vous ce livre, vous ne le regretterez pas… Il se lit d’un trait et apporte un excellent éclairage sur l’édition et le spectacle contemporain dont il faut remercier Rudolph Rach. Il a engagé en 2015, Claire Stavaux, spécialiste de la dramaturgie allemande à Paris III qui lui a succédé il y a six ans, à la tête de la célèbre maison…

Ph.du V.

Les Solitaires Intempestifs, 19 €.

 


Archive pour 26 décembre, 2023

Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg, traduction de Marianne de Ségol-Samoy, mise en scène de Christophe Rauck

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Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg, traduction de Marianne de Ségol-Samoy, mise en scène de Christophe Rauck 

 Ce spectacle, en forme de conte cruel, créé en 2021 au Théâtre du Nord, est repris pour la seconde fois au Théâtre de Nanterre-Amandiers. Christophe Rauck entend ainsi prolonger la vie des pièces:  un geste à la fois éthique, écologique et économique. 

La Fille-Roi, reine des neiges, encagée dans une vitrine où s’amoncellent des flocons, se vit comme une «anomalie ».  Comment être libre et régner ? Comment refuser le mariage quand le pays réclame une descendance et assumer sa passion pour une dame de compagnie? Comment s’émanciper des cauchemars de l’enfance : un père aimé mort à la guerre et une mère en exil ?  

La pièce s’inspire de la vie de la légendaire reine Christine (1626-1689) avec une vision contemporaine des problèmes liés au «genre» et au Pouvoir. Sara Stridsberg se nourrit de l’Histoire, pour créer un personnage aussi complexe que la structure de la neige…  Enfant unique du roi Gustave-Adolphe de Suède, elle a six ans quand elle accède au trône. Elevée comme un garçon, habile cavalière et chasseuse mais aussi fine diplomate et femme de lettres, elle s’entoure de penseurs, dont René Descartes. Mais elle abdiquera en 1654, après dix ans de règne, au profit de son cousin qu’elle refuse d’épouser. Elle quittera la Suède pour de longues pérégrinations à travers l’Europe, avant de s’établir à Rome.

Image finale de la pièce, ce départ : la liberté! Après d’âpres débats avec le Régent : le Pouvoir, et son fiancé: Love, sa dame de compagnie, Belle et le Philosophe, ou encore avec le fantôme sanguinolent de son père… Aux prises à des pulsions contradictoires, l’autrice ne trahit pas sa source historique mais situe cette pièce à une époque indéterminée et brouille les temporalités de la fable.
Christophe Rauck donne vie à ces personnages grâce à une direction d’acteurs minutieuse et une mise en scène au rythme sans faille, malgré quelques longueurs et scènes répétitives. Sarah Strisberg sacrifie parfois au dogmatisme féministe -et c’est dommage- pour rendre justice à ce personnage emblématique du matrimoine et questionner ainsi les rouages du pouvoir masculin.
Marie-Sophie Ferdane, en scène tout au long du spectacle, incarne la Fille-Roi avec énergie et nuances: froide devant ses pairs ou brûlant de passion pour la tyrannique Belle (Carine Goron), fondant d’amour pour sa mère, mutine, jouant aux jeux de la guerre avec le Roi Mort (Thierry Bosc avec une perruque et très en forme)… A la fois enfantine et dame de fer, avec une androgynie féminine, elle évolue très à l’aise d’une humeur à l’autre, dans ou hors le cercueil de verre sur lequel la neige tourbillonne ou s’amoncelle en manteau protecteur. Scénographie d’Alain Lagarde avec des images où la lumière froide du Grand Nord contraste avec des zones plus sombres et plus chaudes. 

Dans ce paysage de contes d’Andersen, le Philosophe, sous les traits d’un Africain frigorifié (Habib Dembélé), inculque à la femme-Roi capricieuse la notion de libre-arbitre et la pousse à le suivre vers les pays chauds. Mais il mourra d’un refroidissement, comme Descartes à Stockholm en 1650. L’exercice du libre-arbitre, quand soufflent des vents contraires, à l’intérieur comme à l’extérieur des personnages, pourrait être le cœur de la pièce. «Une des raisons d’être de ma littérature est de faire naître le paradoxe», dit l’écrivaine suédoise que Christophe Rauck a mis en scène avec bonheur, après La Faculté des rêves en 2019. 

 Mireille Davidovici

 Du 7 au 19 janvier au Théâtre de Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine). T. 01 46 14 70 00.

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