Pinocchio d’après le conte de Carlo Collodi, adaptation, musique et mise en scène de Thomas Bellorini

Pinocchio,  d’après le conte de Carlo Collodi, adaptation, musique et mise en scène de Thomas Bellorini

Un célèbre conte adapté et souvent mis en scène, comme le récent et tout à fait remarquable Pinocchio  d’Alice Laloy (voir Le Théâtre du Blog). Metteur en scène averti, compositeur mais aussi chanteur, Thomas Bellorini est maintenant bien connu pour ses réalisations où intervient la musique. Ila créé À la périphérie de l’auteure turque Sedef Ecer où il aborda les notions d’exil et de frontières. Il a aussi mis en scène Le dernier Voyage de Sindbad d’Erri de Luca et en 2021, Femme non rééducable de Stefano Massini. Puis l’année passée, Tombeau pour Palerme (voir Le Théâtre du Blog) et cette année, Roberto Zucco.

Thomas Bellorini a adapté et mis en scène ce conte où Gepetto, un pauvre menuisier toscan, fabrique un pantin dans une bûche. Mais celui-ci pleurera, rira et parlera comme un enfant. Gepetto le nommera Pinocchio, à qui il arrivera de nombreuses aventures mais une Fée le sauvera. Il part ensuite avec son ami Lucignolo pour le Pays des jouets mais ils seront transformés en ânes. Jeté à la mer et avalé par un énorme poisson, il retrouve Gepetto dans son ventre. Puis il travaillera et deviendra un véritable petit garçon.

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Ici sur le plateau, de nombreux accessoires: deux tourets avec des câbles, et des tonneaux en fer faisant office de sièges mais aussi de batterie, une guirlande lumineuse, deux trapèzes dont un où se tient une acrobate qui se mettra aussi en équilibre sur un gros ballon rouge. Dans le fond, un petit écran avec quelques images fixes (pas très réussies) pour situer l’action- une cheminée, une carriole où sont assis des enfants, tirée par vingt jeunes ânes…
Et vers la fin, la neige tombe doucement ravissant les enfants, et des cintres tombent des baudruches rouge et jaune, de gros confettis rouges… En cinquante-cinq minutes, avec un acteur-conteur à l’excellente diction, vont ainsi défiler les aventures du célèbre pantin de bois dont le nez s’allonge quand il ment…
Pour l’accompagner, une belle fée qui joue aussi de l’accordéon, un pianiste et un guitariste mais aussi un homme à tout faire. Thomas Bellorini a réalisé cette mise en scène et composé une musique instrumentale avec quelques chansons… Sur le plateau,
Brenda Clark, Zsussanna Varkonyi, Céline Ottria, Samy Azzabi, Edouard Demande, François Pérache et Jo Zeugma font le boulot.
Et cela fonctionne? Oui, au début, mais ensuite pas vraiment… Le spectacle est rodé et tout s’enchaîne bien, les rapports récit/musique sont fluides, mais nous n’avons pas bien compris le pourquoi de cette mise en scène avec entre autres, un Pinocchio, ici représenté par une belle et jeune trapéziste qui effectue quelques sauts impeccables.. En fait, tout se passe comme si Thomas Bellorini avait voulu lier conte et musique pour en faire théâtre. Et même s’il y a de belles images, on reste sur sa faim et il aurait pu nous épargner ces inutiles jets de fumigènes en fond de scène.
Les enfants semblaient heureux d’entendre le célèbre conte mais les adultes qui les accompagnaient, ont applaudi frileusement. Ici, nous assistons en fait au récit de l’adaptation de ce conte sur fond musical dans un foutoir sympathique mais qui parasite le spectacle.  Et il n’y a pas d’incarnation: c’est le point faible de cette mise en scène.
Il nous souvient encore de l’adaptation d’une intelligence et d’une sensibilité exemplaire de Joël Pommerat que nous avions vue il y a déjà quinze ans, avec ces fonds noirs qui donnaient une forte présence à des personnages fascinants, joués par des acteurs exemplaires dont Philippe Lehembre.  Puis nous l’avions revue avec le même bonheur (voir Le Théâtre du Blog), mais sans ce grand acteur, hélas disparu quelques années avant.
Ici, manque le merveilleux et la poésie de Collodi mais aussi la dureté de la vie que subissent les adultes où, dans l’adaptation de Joël Pommerat, Pinocchio était projeté.
Alors à voir? A la rigueur mais ce spectacle est décevant -les enfants ont droit au meilleur, on ne le répètera jamais assez- et mieux vaut ne pas être trop exigeant. A vous de décider…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 27 décembre, Le Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. :  01 53 35 50 00.


Archive pour décembre, 2023

Matière(s) première(s) chorégraphie d’Anne Nguyen

Matière(s) première(s) , chorégraphie d’Anne Nguyen

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© Pierre Planchenault

La chorégraphe a délaissé pour un temps le hip-hop, sa marque de fabrique, pour découvrir  les danses afro-urbaines  d’aujourd’hui avec un groupe d’origine africaine. Si ce style  se propage à travers les réseaux sociaux il n’est guère arrivé sur les scènes françaises…  Anne Nguyen, après avoir dirigé un solo de Joseph Nama où il raconte par la danse comment il est venu à pied, depuis le Cameroun, va plus avant et à la source même de ce mouvement.

Elle a présente cette pièce, créée au récent festival de danse du Val-de-Marne, à la Manufacture-Centre de Développement Chorégraphique National-Nouvelle Aquitaine à Bordeaux où elle est artiste-associée pour deux ans.

 La difficulté première , nous dit-elle, a été de réunir les artistes avec papiers en règle : de nombreux excellents interprètes-mais sans visa-n’ont pu être embauchés ! Les trois garçons et les trois filles de Matière(s) première(s) résident en France ou y sont nés mais ils n’ont pas oublié leurs racines: le Cameroun pour Grace Tala, le Congo pour Dominique Elenga dite Mademoiselle Do’, le Burkina-Faso pour Seïbany Salif Traore, alias Salifus, le Gabon pour Ted Barro Boumba, alias Barro Dancer, enfin la Côte d’Ivoire pour Traore Nahoua, alias Black Woman et Marc Wilfried Kouadio, alias Willy Kazzama. Leur énergie à tous est communicative et Anne Nguyen, toujours à leur écoute mais sans complaisance, a imaginé cette pièce à partir de leurs propositions,

Cela commence en douceur par un solo féminin sur une musique soul américaine, rappelant que le jazz a ses racines en Afrique. Puis la danseuse est vite rejointe par ses partenaires qui se lancent à corps perdu dans une fusion de danses urbaines et traditionnelles. Chacun puise dans sa culture pour restituer pas et gestuelle de son pays, que les autres reprennent en chœur… ou refusent quand il s’agit d’une valse. Des individualités émergent du groupe, mais chacun partage généreusement sa technique avec ses camarades et le public.

Anne Nguyen veut raconter le quotidien de ses jeunes interprètes: ébats amoureux, chants partagés, rituels de groupe, addiction aux écrans et téléphones… Les violences subies s’inscrivent en filigrane dans cette dramaturgie portée par des musiques toniques : afro-électro, rap, etc.. Sous-titrée «ballet de danses africaines urbaines», cette pièce évoque en une heure avec des séquences à la lisière du mime, l’exploitation minière, ici suggérée par le titre
Fusils pointés et hommes à terre rappellent les guerres civiles en Afrique et la répression policière de par le monde….A chacun d’interpréter les figures narratives de ce ballet endiablé, matière brute qui a enthousiasmé les spectateurs de Bordeaux.

La Manufacture, une ancienne usine de chaussures reconvertie en théâtre dans les anées 90  est située au sud de  la ville, à la lisière de Bègles. Elle abrite aujourd’hui l’un des treize Centres de Développement Chorégraphique National qui ont pour mission  de diffuser les créations, inventer des temps forts pour la danse (festivals et autres manifestations en saison), accueillir en résidence des jeunes compagnies, poursuivre des activités de formation pour amateurs et professionnels…
Mais ce C.D.C.N. est aussi implanté dans l’ancienne chapelle Saint-Vincent avec studio et salle de soixante places à La Rochelle (Charente-Maritime) et y sont accueillis des artistes en résidence.

Stéphane Lauret, le directeur et Lise Saladain, la directrice déléguée, qui ont amené la danse à la Manufacture en 2019, ont enfin obtenu les crédits nécessaires pour aménager deux studios et une salle de trois cents places ( une centaine de plus que la jauge actuelle) avec une grande scène et un espace de restauration ouvert à tous.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 28 novembre à la Manufacture-Centre de Développement Chorégraphique National Nouvelle Aquitaine, 226 boulevard Albert 1er, Bordeaux (Gironde). T. : 06 77 10 72 40.

La Manufacture-Centre de Développement Chorégraphique National, La Rochelle (Charente-Maritime). T. : 05 46 43 28 82.

Matière(s) première(s) le 18 janvier, Théâtre Molière-Scène Nationale-Archipel de Thau, Sète (Hérault).

Underdogs,
le 5 mars, Centre culturel des Carmes, Langon et le 8 mars,  L’Entrepôt, Le Haillan ( Gironde) le 11 janvier.

Hip-Hop Nakupenda, le 13 janvier, Maison des Métallos, Paris (XI ème).

Héraclès sur la tête le 25 janvier, Théâtre Jacques Prévert, Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

 

 

Paul Houron, qui êtes-vous?

Paul Houron, qui êtes-vous?

 En 1970, avec un ami responsable des spectacles en milieu hôtelier, il a monté, encouragé par  l’impulsion par l’humoriste Alex Métayer, un sketch dans l’esprit de ceux de Pierre Dac et Francis Blanche. Avec, à la fin, une divination de numéros de téléphone choisis dans un annuaire (un complice était dans un placard avec un talkie-walkie !)
Un an plus tard, à bord du paquebot Massalia, il fit la connaissance de Géo Georges, président du Cercle magique marseillais qui lui prodigué mille conseils et offert une «carte aux points» géante de fabrication maison (il suffit de cacher certain point avec la main pour que deux points peuvent donner l’illusion d’un 3 ou d’un 1.  C’était sa première « routine » ! et il l’a gardé avec une grande reconnaissance.

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«L’ironie de la vie ? Musicien, technicien-régisseur, animateur et illusionniste, j’ai pendant plus de quarante ans, surfé entre technique-son, lumières, régie, scène, musique mais aussi magie ! Cela a constitué l’ensemble de mon métier de saltimbanque, toujours tenu à la marge en 2023…
J’ai eu le privilège de fréquenter lors d’engagements aussi multiples (croisières sur des paquebots, galas, hôtels de loisirs évènementiels, etc.), plusieurs magiciens. Ils m’ont aidé à enrichir et à peaufiner mon répertoire. Des rencontres inoubliables: Stéphane Gali, Géo Georges, Bernard Andreï, Jacques Delord, Jan Madd, Finn Jon, Juan Mayoral…
À soixante-seize ans, j’ai bien sûr un peu décroché mais je travaille encore à l’occasion pour des magiciens, en assurant la mise au point de détails électroniques; ou la bidouille nécessaire à la réalisation d’un gag… La création dont je suis assez fier est l’apparition de plusieurs saxophones que j’ai réalisée en 89 avec l’aide de Finn Jon, un conseiller implacable et redoutablement efficace, à bord du paquebot Mermoz.

Par hasard en 99, Paul Huron remplaça au pied levé le régisseur général du Musée des arts forains, épuisé à la suite d’une trop lourde charge de travail dans ce lieu devenu incontournable. Il se consacra jusqu’en 2017 uniquement à la régie des effets spéciaux que  le son directeur Jean-Paul Favand lui demandait. «Ce qui m’aura le plus marqué, est son extraordinaire intuition face aux nombreux dioramas qu’il avait sauvés miraculeusement de la destruction. Nous avons pu en en sublimer le potentiel… Aujourd’hui, je reste consultant pour effets spéciaux dans les manifestations extérieures que cet infatigable innovateur, met en œuvre dans son quadruple univers merveilleux des Pavillons de Bercy.

 Les magiciens et artistes qui l’ont marqué sont ceux qui ont compté dans sa vie : Jacques Delord, Stéphane Gali, Finn Jon, Jan Madd et Juan Mayoral. «Et, dit-il, comme aimait à le répéter Jean Gabin, pour faire un bon film, il faut trois ingrédients indispensables : une histoire, une histoire et une histoire… Je pense que nous devons avoir le même objectif, qui est hélas, souvent oublié par les jeunes magiciens qui nous assomment de techniques et fioritures sans poésie… »
« J’ai aussi partagé les aventures comme régisseur d’Alex Métayer, Pierre Repp, l’humoriste et acteur  (1909-1986) le duo Philippe Avron et Claude Evrard, les Compagnons de la chanson et ce cher Michel Galabru pour les effets spéciaux dans Jofroi, une comédie d’après Jean Giono et Marcel Pagnol, mise en scène  par Jean-Claude Baudracco (2014). »

 Il conseille à un débutant de ne pas singer les autres, de lire beaucoup, parler avec les anciens, inventer et savoir lever le pied… Pour lui, pas nécessaire que la “magie nouvelle” se nomme ainsi.  «  »Sois le magicien », l’incontournable maxime de Jacques Delord, résume à elle seule la question fondamentale que chacun d’entre nous doit se poser… La culture web ne remplacera jamais la lecture et les rencontres non-virtuelles. Une solide culture générale et la soif de connaître améliorent toujours le contenu d’une « routine”. A part cela, j’ai constitué, en quarante ans, une très belle collection de cent-cinquante microphones vintage et collector, certains rares ou insolites… »

 Sébastien Bazou

 Interview réalisée à Dijon (Côte-d’Or) le 12 décembre.

 

Un Rêve rêvé tout haut, un film de Bruno Choplin et Benoît Tiprez

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Un Rêve rêvé tout haut
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un film de Bruno Choplin et Benoît Tiprez

BBKB (Bordeaux-Bangui-Kinshasa-Brazzaville), une aventure nomade et culturelle sur le fleuve Congo qui est entrée dans l’histoire du théâtre franco-africain et qui a été filmée par ces cinéastes. Conçue et animée en 1990 par Sony Labou Tansi, écrivain et dramaturge congolais, et par les Français François Campana, directeur de l’association Kyrnea International et expert auprès de l’Agence intergouvernementale de la francophonie et Guy Lenoir, metteur en scène bordelais: « Nous étions dit-il, dans des pays où tout était à faire et nous avions l’impression d’être des pionniers.  »
Plusieurs troupes congolaises ont ainsi embarqué sur ce gros bateau pour environ cent passagers: le Rocado Zulu, Le Théâtre de l’Eclair et la troupe Ngunga. Mais aussi un marionnettiste togolais, le fameux chanteur et musicien congolais Loussialala de la poussière, Jano, des artistes québécois, un auteur, dessinateur et scénariste français qui a publié dans Métal hurlantB.D.Charlie Mensuel,… et a conçu de nombreuses bandes dessinées, un conteur belge  Sony Labou Tansi, lui, mit en scène L’Histoire de Franco. Et des scientifiques du LACITO (Langues et Civilisations à Tradition Orale), un laboratoire du C.N.R.S. de recherche (linguistique et anthropologie) venus étudier et recueillir plusieurs langues des Pygmées.

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©x Louissiala de la Poussière

En novembre 90, au long des fleuves Congo et Oubangui, des milliers d’habitants des villages du Congo-Brazzaville, du Zaïre devenu République Populaire du Congo et de la République Centre-Africaine sont venus sur les berges voir des spectacles de théâtre et de musique, entre autres, La Résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette, d’après William Shakespeare de Sony Labou Tansi, mais aussi en présenter.

Un projet financé par le ministère français de la Coopération à hauteur d’un million de francs (soit environ 150.000 €). Une expérience rare et inédite…  Sony Labou Tansi était à l’époque sans doute plus connu à l’étranger notamment en France où ses pièces ont été éditées: du foot, des chansons mais très peu de théâtre et d’arts plastiques au Congo. «Nous souffrons chez nous pour l’essentiel, de l’absence d’une réelle politique de diffusion. » (…) « C’est pour remettre la dimension magique aux choses, que j’écris. »
Sony Labou Tansi, Tchicaya U Tam’si, Sylvain Bemba, Emmanuel Dongala… ces auteurs ont été plus joués à Paris ou aux Francophonies de Limoges, que dans leur pays. «Il faut boxer la situation, disait Dieudonné Niangouna qui a été le premier artiste africain associé au festival d’Avignon il y a dix ans, puis au Théâtre national de Francfort et sa pièce M’appelle Mohamed Ali a été éditée aux Solitaires Intempestifs.
Un voyage de trois semaines mais les trois complices ont réussi ce pari artistique, Guy Lenoir avait kidnappé pour interpréter Juliette, Laure Smadja, une apprentie-comédienne (dix-neuf ans) venant juste d’entrer à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot (libérée par son directeur : comment refuser mais permission accordée à certaines conditions..)

Tableau de  Chéri Samba avec les étapes du voyages dans les trois pays

Le film retrace avec bonheur et précision-ce qui n’est pas incompatible-la vie sur ce bateau et à terre. Les artistes, techniciens, cinéastes étaient à la fois africains et européens. Guy Lenoir a ainsi mis en scène des acteurs congolais, marocains et algériens mais aussi français… Ils avaient conscience de vivre tous ensemble une aventure unique: présenter des spectacles dans la brousse devant un public très motivé.
La Résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette est une réécriture de Shakespeare où le dramaturge qui avait déjà écrit six pièces, reprend ici le thème de la haine réciproque entre des familles qui finira par tuer ces très jeunes amants. La pièce est beaucoup plus courte et Roméo est un métis; le père Montaigu, un blanc et sa femme, une belle mulâtre… Le père Capulet est un gros négociant blanc et la mère Capulet une métisse asiatique. Juliette est blanche. Le Père Christian est noir, la Nourrice, chinoise, et Tybalt, métis. Les Domestiques sont blancs et noirs, les Invités blancs….

© Catherine Millet

© Catherine Millet

L’auteur fait des allusions aux conflits entre familles dans la société congolaise. «Nous nous sommes suffisamment et assez profondément éventrés, dit Roméo, ma mère ce temps est celui de rêver des rêves neufs. » « As-tu compté tous les morts qu’ils nous ont plantés dans le ventre ? Ouvre les oreilles et vois ; ces cadavres que personne ne peut enterrer. Mercutio, Esclus, Paris, Maurice Montaigu, Benvolio Mantoue, Émilien Montaigu, Alphonse Montaigu, Marien Montaigu. » «Shakespeare, dit finement Sony Labou Tansi, n’aura été pour moi qu’un gros prétexte  pour remuer les cendres du monde insipide où nous pousse une époque dont toutes les espérances sont bâclées. » Cette pièce est aussi pour lui «une lettre confidentielle à tous ceux qui veulent rester humains dans un monde de plus en plus ensauvagé». Sony Labou Tansi est malheureusement mort du sida cinq ans plus tard comme son épouse, quelques jours après. Il aurait soixante-seize ans…

Bref, ce bateau  ressemblait le temps de quelques semaines à un centre culturel flottant provisoire, drapeau d’une Francophonie à l’époque bien vivante. Un projet, vu la situation actuelle en Afrique, qui s’apparenterait aujourd’hui à un doux rêve rêvé tout bas. Grâce à Sony Labou Tansi, Guy Lenoir et François Campana, tous les artistes qui ont participé à cette opération ont eu une grande chance…

Philippe du Vignal

Film vu le 16 décembre à la galerie: Le Bonheur est dans l’instant. Il sera prochainement mis en ligne et nous vous en avertirons.
Dans cette même galerie, 72 rue Amelot Paris (XI ème) métro : Saint-Sébastien-Froissart,  des rendez-vous artistiques (entrée gratuite) sont proposés par François Campana à l’occasion de ce trente-troisième anniversaire de BBKB. Et en février prochain à Bordeaux.

Exposition de photos et peintures: Portraits nomades d’Afrique et de Corse, de Linda Calderon et Catherine Millet.

Le 20 décembre à 18 h 30, diaporama Les Peuls de Catherine Millet.

Les 20 et 21 décembre, lecture par Jean Boisserie de textes de Sony Labou Tansi (entre libre).

Le 22 décembre à 18 h 30, Fanfan Mattei, figure du possible, un film de Fabien Delisle (2010).

 

Festival Bruits Blancs: treizième édition

Festival Bruits Blancs: treizième édition…

Avec un programme fourni, d’abord à Anis gras à Arcueil-Le Lieu de l’Autre (Val-de-Marne), avec Nacht, une création musicale de Frank Vigroux, Loïc Varanguien de Villepin et Antoine Schmitt. Et Deeat Palace, une performance de Marion Camy-Palou.

©x Noëlle Renaude

©x Noëlle Renaude

Puis, au Centre Georges Pompidou à Paris, quatre duos proches d’une performance, fondés sur un texte non édité ou parfois même en cours d’écriture d’un écrivain ou écrivaine, et d’autre part un interprète sur un instrument de musique classique ou électronique. Ainsi Noëlle Renaude, dramaturge qui a dit un beau texte sur le théâtre/Odile Auboin (alto); Antoine Mouton, photographe et animateur d’ateliers d’écriture, passionné de théâtre et cinéma et qui publie des écrits poétiques dans des revues/Vincent Courtois ( violoncelle).
Mais aussi Claude Favre, poète et performeuse qui aime dézinguer la syntaxe dominante avec des phrases lapidaires et superposées, des voix d’hommes et femmes/Pierre Jodlowski (console de musique électronique). Et Dorothée Zumstein qui poursuit l’écriture du texte sur Riace, un village de Calabre, symbole de la cause migratoire et dont le maire Mimmo Lucano fut condamné en 2017 à treize ans de prison pour délit d’hospitalité mais qui avait été relaxé en appel après un combat judiciaire et de solidarité. Un duo avec Hélène Breschand (harpe expérimentale).

©x Claude Favre

©x Claude Favre

Le 13 décembre à la M.A.C. de Créteil, Mariette Navaro/Franck Vigroux, Philippe Malone/Nadia Ratsimandredsy, Ismaël Jude/Bruno Chevillon. Des dialogues cette fois aux ondes Martenot-l’ancêtre du synthé créé il y a déjà plus d’un siècle par Maurice Martenot et pour lequel écrivirent aussitôt-excusez du peu!-Arthur Honegger, Darius Milhaud, Olivier Messiaen et le musicologue Jacques Chailley  pour Les Perses au Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne créé par Roland Barthes, des morceaux pour les ondes Martenot. Ces ondes qui accompagnaient aussi  entre les années cinquante et soixante-dix Édith Piaf, Catherine Sauvage, Léo Ferré ou Jacques Brel. Il y avait aussi à Pompidou, un dispositif électronique et une contrebasse.

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Trois jours après à Lanéjuols (Lozère), la Fabrique du Viala a reçu Juliette/Mezenc/ M. Loïc Varanguien de Villepin et Marine Bedon/Matthieu Guillin, pour croiser les textes avec des voix et une musique électronique. »C’est sûrement le signe de notre temps de préférer les fracas médiatiques au travail des artistes, dit Michel Simonot, aux manettes de ce festival avec le compositeur Frank Vigroux. Comme tous les autres services publics, celui de la culture est dans le collimateur. Au profit de l’industrie du spectacle. Cela renforce l’attention à porter, nous qui voulons changer le monde, à ceux qui en font leur matière. En déplaçant les regards. En créant des univers, des imaginaires nouveaux. »

Ici, pas de mise en scène, ni dialogue oral mais loin du bruit et de la fureur des micros H.F., fumigènes, lumières stroboscopiques et autres gadgets… un travail en deux heures sur la langue et sur l’expression musicale improvisée sur des instruments classiques ou électroniques générée par des machines et instruments. Avec, entre autres, des auteurs et autrices de tout âge, bien connus Noëlle Renaude (voir Le Théâtre du Blog) ou pas encore, Marine Bedon, une agrégée de philo qui écrit des monologues (Premier Amour) et de petites pièces comme Les belles Images.
Cette expérience aux résultats inégaux mais qui a déjà une histoire, mérite d’être poursuivie…

 Philippe du Vignal

Festival Bruits Blancs, soirée du 11 décembre, Centre Georges Pompidou, Paris ( III ème). 

Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? d’après Gilles Deleuze, conception et mise en scène de Margaux Eskenazi

Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? d’après Gilles Deleuze, conception et mise en scène de Margaux Eskenazi

« L’art, c’est ce qui résiste. » dit Gilles Deleuze à une conférence donnée à la F.E.M.I.S. en 1987. Paroles de consolation pour Margaux Ezkenazi qui avait perdu sa foi dans le théâtre pendant le confinement. Cette allocution « sauveuse de foi » lui a permis de renouer avec la mise en scène. Elle en a fait un spectacle, entrant ainsi en dialogue avec Gilles sous les traits de  Lazare Herson-Macarel et Malik Soarès, au chant et à la guitare. 
Qu’y a-t-il de commun entre un samouraï et le philosophe ? Cité dans sa conférence comme œuvre de création exemplaire, Les sept Samouraï (1954) d’Akira Kurosawa la résistance de villageois. Il réussissent, à chasser les brigands qui ravageaient les campagnes environnantes. en embauchant des samouraïs errants, en quête de travail. Ils se battront pour trois bols de riz par jour…

«A quoi sert encore un samouraï ?», demande le plus jeune de ces guerriers à son chef, une fois les assaillants déguerpis. « Je crois que cette question m’a interpellée, dit Margaux Eskenazi. Je me sentais comme un samouraï qui se demande à quoi il sert en temps de crise.» Présente sur scène, elle nous raconte la genèse du spectacle.

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© Loïc Nys

Lazare Herson-Macarel ne singe pas le philosophe qui, pendant toute sa conférence* reste derrière son micro, tout à ses pensées. L’acteur impose une présence mobile, jusqu’à revêtir l’habit de samouraï et armé d’un bâton,  à participer  à la bataille décisive, en écho aux extraits du film, projetés sur des stores en bambou.
La scénographie zen de Julie Boillot-Savarin, dans un dispositif bi-frontal, reprend le décor rustique des Sept Samouraïs: des troncs d’arbres suspendus figurent les colonnes des maisons, des cordes délimitent le carrefour où les brigands sont piégés, des fleurs saluent le printemps revenu …

 Au fil de la conférence, Margaux Eskenazi fait part de ses questions et réflexions, en dialogue et en interaction avec un « Gilles » devenu une figure familière.  Elle revendique une écriture « rhizomique », à l’instar de la parole deleuzienne. Cela dit-elle, «nous permet aussi un lâcher-prise: la compréhension n’est pas uniquement intellectuelle, elle est sensible et physique. »

Elle prend donc la liberté de digressions comme La Ballade des pendus de François Villon entonnée en duo par Lazare Herson-Macarel et Malik Soarès,. Un poète cité par Gilles Deleuze parmi les créateurs qui, de Moïse à Kafka, Bach, Shakespeare, Dostoïevski…font acte de résistance dans une société où la communication, en ces années quatre-vingt, occupait déjà le haut du pavé.
Pour finir, le philosophe revient au cœur de son sujet, en faisant un distinguo: «L’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication. L’art est irréductible à toute communication.» L’occasion d’égratigner la société de contrôle qu’en visionnaire, il pressent: selon lui,  communiquer, c’est transmettre une information et donc faire circuler un mot d’ordre. Et il prédit qu’aujourd’hui, plus besoin de «surveiller et punir » comme l’analysait Michel Foucault. Plus besoin d’enfermer: l’information met en place un système de contrôle, avec, notamment, les soins à domicile, et bientôt, le travail aussi à domicile…Tout ce que nous avons pu vivre pendant la pandémie de covid.

 Margaux Eskenazi voit alors en Gilles Deleuze: « le roi Lear de l’acte III, seul sur la lande ». A la fin de sa conférence, le philisophe citait  le peintre Paul Klee :  «Le peuple manque» et, sibyllin, il conclut: «Toute œuvre d’art est un appel à un peuple qui n’existe pas encore. » Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï ? devient alors une sorte de manifeste où chacun se reconnaîtra. Il faut souhaiter qu’après la création de la pièce à Lilas en scène, cette reprise  au Théâre de la Tempête soit un tremplin pour une tournée…

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 15 décembre. Et joué jusqu’au 17 décembre, au Théâtre de la Tempête, route du Champ de manœuvre. Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.

 * :https://www.youtube.com/watch?v=2OyuMJMrCRw  

 A lire in Deux régimes de fous et autres textes (éditions de Minuit).

Le Portrait de Dorian Gray adaptation du roman d’Oscar Wilde et mise en scène de Thomas Le Douarec

Le Portrait de Dorian Gray, adaptation du roman d’Oscar Wilde et mise en scène de Thomas Le Douarec

Une cinquième version scénique par Thomas Le Douarec sept ans après sa création. Ce roman  comme Le Petit Prince aura inspiré depuis plus d’un siècle, des pièces de théâtre mais surtout des films comme en 1916, celui du grand metteur en scène russe Vsevolod Meyerhold, des chorégraphies, comédies musicales, bandes dessinées, jeu vidéo…
Dorian, jeune et beau dandy londonien fait la connaissance d’Harry, chez son ami Basil Hallward, un peintre reconnu qui vient d’achever le portrait du jeune homme, un chef-d’œuvre qu’ils contemplent… Le peintre conscient de la fascination qu’Harry pourrait exercer sur Dorian, le prie de ne pas essayer de le séduire par les théories sur la jeunesse.
Mais Harry flatte Dorian:  «Un nouvel Hédonisme, voilà ce que le siècle demande. Vous pouvez en être le tangible symbole. Il n’est rien avec votre personnalité que vous ne puissiez faire. » Si c’était moi, qui toujours devais rester jeune, dit Dorian et si cette peinture pouvait vieillir !… Pour cela, pour cela je donnerais tout !… Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais… Mon âme, même ! «

 

© L. Lot

© L. Lot

Il va tomber amoureux de Sibyl Vane, une jeune actrice et lui promet le mariage. Mais amoureuse, elle va très vite mal  incarner ses personnages. Ce que voient Basil et Harry. Dorian la quittera brutalement, la laissant effondrée. Et sur son portrait, il discerne une expression de cruauté et s’aperçoit que son souhait a peut-être été réalisé. Harry lui apprend le suicide de Sibyl mais Dorian Gray ne ressent qu’une peine superficielle… Il devient alors jaloux de son portrait et souhaite que le tableau vieillisse à sa place pour pouvoir garder lui-même sa beauté d’adolescent. Il enferme le tableau à clé et son style de vie change alors radicalement : il court les bouges de Londres mais s’entoure d’objets rares et précieux…

Le portrait s’enlaidit, à cause des signes de l’âge et du péché. De plus en plus obsédé par le tableau et inquiet, il vérifie souvent la dégradation physique  de son image avec une certaine jouissance… Il finit par révéler son secret à Harry:il lui montre le portrait et le rend responsable de ce qu’il est aujourd’hui. Fou de rage, il tuera sans état d’âme son ami avec un couteau et se débarrassera ensuite du cadavre.
Un soir, Dorian retrouve dans les bas-fonds de Londres retrouve James Vane, le frère de Sibyl qui veut le tuer mais qui hésite, trompé par son éternelle jeunesse… Dorian lui échappe et vit dans la peur… Un de ses amis tuera dans un accident de chasse ce James et Dorian alors délivré de la menace, veut devenir meilleur pour que le portrait retrouve son aspect d’innocence. Après une bonne action, il court voir la toile mais elle  a les marques du péché et du temps. Dorian y enfonce le couteau… Un homme vieux et hideux est retrouvé mort, face au tableau mais il a le visage d’un jeune garçon à la beauté sublime. On reconnaîtra en lui Dorian Gray.

« Toute création, dit Thomas Le Douarec, a sa part d’obsession ou est le fruit d’une obsession.(…) C’est maintenant la cinquième fois que j’explore l’œuvre de Wilde. (…) Je me lance à nouveau dans la quête d’en faire cette fois-ci une vraie pièce de théâtre, avec l’espoir, peut-être illusoire, d’en faire un vrai classique. Je suis persuadé que Wilde, s’il avait pu échapper à la censure et à la morale de son époque, en aurait fait sa pièce de théâtre la plus aboutie… Rares sont les romans aussi bien dialogués que celui-ci : certaines scènes sortent tout droit du livre. Et par la suite, pour écrire ses meilleures pièces de théâtre, Wilde n’a jamais cessé de piocher dans son unique roman. »

Et cela donne quoi sur un plateau de théâtre? Certes, on retrouve de nombreux dialogues du roman  mais c’est encore une fois la même chose quand ils sont portés à la scène: rares ceux qui sortent positivement de l’opération. Ici, malgré de belles images comme la mort de la jeune actrice en robe rouge et même si les acteurs font le boulot, l’ensemble reste un peu terne et cette suite de petites scènes ne « fait pas vraiment théâtre » pour reprendre l’expression d’Antoine Vitez et on ne retrouve guère le climat fantastique et le merveilleux qui ont fait le succès de cette fiction.
Bref, le spectacle qui a déjà six ans et n’est joué que deux fois par mois -ceci explique sans doute cela- ronronne un peu et ne tient pas vraiment la route sur une heure et demi. Et sans doute, est-on plus sensible à un texte théâtral d’Oscar Wilde quand il l’écrit lui-même, comme Il importe d’être constant qu’avait monté avec succès Jérôme Savary en 96, qu’à une adaptation -toujours difficile de son célèbre roman, au théâtre et on peut comprendre la méfiance des metteurs en scène.
Mieux vaut donc sans doute le relire Le Portait de Dorian Gray.  Avec ses allusions à l’apparence des choses, au mythe de la caverne et à la beauté de l’âme chez Platon, mais aussi à celui de Narcisse, cette œuvre  fascine encore ses lecteurs…depuis 1890 et a exactement le même âge que le Théâtre du Ranelagh! Mais est-ce bien une raison suffisante pour y aller?
 
Philippe du Vignal
 
Théâtre du Ranelagh,  3 rue des Vignes, Paris (XVI ème). T. :  01 42 88 64 44. 

 

 

Le Petit Prince ,d’après Antoine de Saint-Exupéry mise en scène de François Ha Van


Le Petit Prince, d’après Antoine de Saint-Exupéry, mise en scène de François Ha Van (à partir de cinq ans)

Un conte poético-philosophique écrit en 1943 à New York et publié la même année puis trois ans plus tard en France après la mort de son auteur disparu à bord de son avion militaire en  Méditerranée. Vendu en des dizaines de langues à plus de 134 millions d’exemplaires! il a été adapté en chorégraphies, comédies musicales, films, bandes dessinées…et aussi un peu au théâtre. Les thèmes: pessimisme quant à la nature humaine, importance de se confier à un autre, appréhension de la différence, bonheur d’être curieux du monde mais aussi nécessité d’apprendre à être lucide  et de se protéger. »«On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». Bref, tout plein de bons sentiments.

C’est l’histoire d’un pilote dont l’avion tombe en panne et atterrit dans le désert, comme Antoine de Saint- Exupéry en avait fait l’expérience au Sahara quelques années plus tôt avec son mécanicien. Ils y survivront par miracle, grâce à l’aide de Bédouins.
L’aviateur va essayer de réparer le moteur de l’appareil quand un petit garçon  arrive et lui raconte qu’il vit seul sur une planète lointaine. Très amoureux d’une rose capricieuse, il  est parti en voyage  découvrir d’autres planètes dont notre bonne vieille Terre où il rencontre un homme d’affaires, un roi, un géographe, un allumeur de réverbères mais aussi à la fin un renard qu’il essaye d’apprivoiser pour en faire son ami.

Sur le plateau couvert de granulés, le Petit Prince (Hoël Le Corre) est le seul personnage visible, tous les autres étant interprétés par Philippe Torreton en off. Aucun décor que de belles vidéos de ciel, terre, etc…   et dessins au trait blanc sur fond noir, qui s’animent  comme entre autres, un fabuleux serpent pour illustrer et/ou accompagner la parole du petit Prince. Le tout réalisé par Moulla, un remarquable magicien (voir Le Théâtre du Blog). Sur une musique à la guitare électrique de Guillaume Aufaure, un peu trop envahissante.
La jeune actrice se sort plutôt bien de ce rôle difficile et il y a la belle voix de Philippe Torreton. Mais cela ne suffit pas et nous avons un peu l’impression d’avoir affaire à un Petit Prince au rabais. De toute façon, c’est toujours l’éternelle question: comment faire passer l’émerveillement qu’il  y a à lire un récit accompagné d’illustrations,  sur une scène?  A l’impossible, nul n’est tenu…

Thomas 0'Brien

©Thomas 0′Brien

Et le dialogue entre cette voix off permanente et  la jeune actrice  affublée d’un micro H.F. qui uniformise sa voix, ne peut pas fonctionner, même sur une petite heure. Faire du Petit Prince un spectacle pour enfants n’était pas sans doute pas une idée géniale! Et malgré les mots dithyrambiques de la note d’intention, c’est une mise en voix uniforme et assez sèche même avec quelques images réussies comme celle à la fin avec le Renard, plutôt qu’une véritable mise en scène, ne nous a pas fait rêver.  Et François Ha Van aurait pu nous épargner à la fin cet inutile jet de fumigène  (cela fera cinq dans la semaine pour nous… une véritable épidémie!)
On peut rêver d’autre chose : le grand Philippe Torreton disant seul une courte adaptation de ce conte dans une petite salle… Mais là, nous sommes resté sur notre faim et les applaudissements du public étaient assez mous. Les enfants et il y en avait beaucoup ce dimanche matin, méritent le meilleur mais ici, le meilleur était loin d’être au rendez-vous… Dommage.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 14 avril, La Scala, 13, boulevard de Strasbourg,  Paris  (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Austerlitz, texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

Austerlitz , texte et chorégraphie de Gaëlle Bourges

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© Danielle Voirin

 Le spectacle devait s’intituler Ruines, mais, à la suite d’un rêve, Gaëlle Bourges a repris titre du livre de l’auteur juif allemand W. G. Sebald (1944-2001). Dans ce roman, le personnage principal, Jacques Austerlitz, né dans le village maintenant polonais qui porte le nom de la célèbre bataille, reconstitue son histoire d’exilé par glissements et rencontres fortuites, d’une ville à l’autre. Ce titre rappelle à Gaëlle Bourges  la gare par où elle passait autrefois pour se rendre à la Grande Bibliothèque, un des endroits où Jacques Austerlitz recherche ses racines perdues, à travers les photographies dont W.G. Sebald  a truffé son ultime récit…

En suivant la structure aléatoire du roman, la chorégraphe mêle, sur un canevas onirique, ses  souvenirs à ceux de ses interprètes, avec images à l’appui. Sur scène, elle croise ainsi ses premiers pas de danseuse en herbe, ses années de formation et rencontres artistiques avec les réminiscences d’ Agnès (Butet), Camille (Gerbeau), Pauline (Tremblay), Alice (Roland), Marco (Villari) et Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK).

Sur un petit écran en fond de scène, comme un trou de mémoire, surgissent des images en noir et blanc : une jeune ballerine, un spectacle d’enfants… Et celles des maisons de famille des artistes, ou de lieux emblèmatiques de la création au XX ème siècle.  Ainsi la Mad Brook Farm, un communauté d’artistes au Vermont (Etats-Unis) où Steve Paxton développa la «contact improvisation». Et le Judson Church Theater à New York, un berceau de la danse post-moderne américaine  par où nombre d’artistes  français sont passés… Le groupe de danseurs et danseuses fait ainsi naître anecdotes communes et parcours qui les ont mis sur le chemin des autres.

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© Danielle Voirin

Ici, le hasard fait bien les choses: la chorégraphe cherchant l’œuvre de W.G. Sebald dans une bibliothèque tombe sur Le Rituel du serpent, un ouvrage d’Aby Warburg (1866-1929), un historien de l’art juif allemand interné à la clinique Bellevue à Kreuzlingen (Suisse) comme le fut aussi Vaslav Nijinski, la star des Ballets Russes (1889-1950) … Elle va donc  faire son miel e toutes ces informations, selon le principe du «bon voisin» développé par Aby Warburg: «Quand vous allez prendre un livre dans une bibliothèque, celui dont vous avez réellement besoin n’est pas celui-là, mais son voisin. »

Avec une voix off monocorde, Gaëlle Bourges égrène son texte aux accents durassiens (on pense à Hiroshima mon amour). Entre souvenirs intimes, moments d’histoire de la danse contemporaine, évocation des guerres et de la Shoah, les interprètes s’animent sporadiquement, ombres grises, estompées par un tulle tendu à l’avant-scène :  petites danses enfantines, esquisses de pas de ballets classiques, bribes de L’Après-Midi d’un faune… Et un moment-clef pour Gaëlle Bourges dans sa quête mémorielle: la reconstitution du rituel du serpent, dansé par  les Indiens Hopi au Nouveau-Mexique, photographié puis décrit par Aby Wartburg à une conférence qu’il donna à la clinique Bellevue. Ce qui lui valut une «guérison partielle ». Cette «danse éclair» fait resurgir le passé, de l’oubli.

Les musiques de Krystian et  Stéphane Monteiro a.k.a Xtronik correspondent aux évocations du texte. Ainsi que les costumes stylisés d’Anne Dessertine et les clairs-obscurs, fondus enchaînés et contre-jours créés par Maureen Sizun Vom Dorp. Du cousu main:  Gaëlle Bourges  croise les fils d’une mémoire collective. Se superposent ici la genèse de la pièce, ses rêves et réminiscences littéraires comme Walden d’Henry David Thoreau, les poèmes d’Emily Dickinson, le show Buffalo Bill’s wild west show, une offense à la mémoire amérindienne…

Dans ce labyrinthe infini de mots, images et mouvements, Gaëlle Bourges, comme à son habitude, convoque l’histoire de l’art. On se rappelle A mon seul désir (2015), élégante reconstitution de la tapisserie La Dame à Licorne ou, plus récemment, On va tout rendre, évoquant le pillage de l’Acropole d’Athènes par un ambassadeur britannique au début du XIX ème siècle et  (La Bande à) LAURA, autour du célèbre tableau Olympia d’Edouard Manet. 

Ici, texte et images prennent souvent le pas sur une danse fantomatique et certains spectateurs en ont été frustrés. Mais il faut se laisser bercer par cette douce rêverie spatio-temporelle en compagnie des spectres qu’Austerlitz ressuscite.
Nous avons été séduite par cette quête pour retrouver « dans ce qui a été et qui est déjà en grande part effacé, des lieux et des personnages qui au-delà du temps et d’une certaine manière, gardent un lien avec nous ».
Un dialogue poétique et politique émouvant sur les ruines du XX ème siècle.


Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 décembre au  Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris  (III ème).  T. 01 83 81 93 30.

Du 18 au 31 janvier, Théâtre Public de Montreuil-Centre Dramatique National (Seine-Saint-Denis).

Les 13 et 14 février, Maison de la Culture d’Amiens (Somme).

Le 1 er mars, Théâtre Antoine Vitez- Scène d’Ivry (Val-de-Marne)  et du 5 au 7 mars, Théâtre de la Vignette, Montpellier (Hérault). 

 

 

The Shadow whose prey the hunter becomes de Michael Chan, Mark Deans, Bruce Gladwin, Simon Laherty, Sarah Mainwaring, Scott Price, Sonia Teuben, mise en scène de Bruce Gladwin

The Shadow whose prey the hunter becomes de Michael Chan, Mark Deans, Bruce Gladwin, Simon Laherty, Sarah Mainwaring, Scott Price, Sonia Teuben, mise en scène de  Bruce Gladwin

Cette compagnie australienne était déjà venue au festival Paris-Quartiers d’été et ce spectacle a été créé au dernier festival de Rennes Comme L’Oiseau-Mouche à Roubaix, ses acteurs sont des handicapés mentaux. Ce qui ne les empêche pas de jouer merveilleusement bien. Il y a chez eux une concentration et on sent qu’ils ont envie avec une vraie générosité de nous faire partager leurs idées. Ils sont vraiment là solides et francs sans une ombre de cabotinage.
Il sera question d’intelligence artificielle et de ses conséquences sur la vie quotidienne et ces artistes se posent la question de savoir si elle nous rendra tous déficients sur le plan intellectuel. Mais aussi que résultera-t-il de la surproduction alimentaire. Le texte a son importance et affleure sans cesse le problème de la normalité, puisque ces artistes qui «jouent» ici ont aussi créé cette vraie-fausse réunion publique aussi dérisoire qu’attachante. Il y a ici en toile de fond, la situation des handicapés mentaux le plus souvent marginalisés mais tolérés dans leur famille et, au pire, exploités il y a encore peu dans des fermes ou dans des usines.

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Sur le plateau, six chaises gerbables que Scott Price et Sarah Mainwaring vont placer avec soin en long face public. Et à cour, un escalier en métal bleu sur roulettes qu’ils mettront au milieu de la scène puis qu’ils cacheront avec un bloc blanc rectangulaire. Ce qui fera une tribune d’où pourra parler Scott Price.
C’est à mi-chemin entre une performance que certains pourront trouver brute de décoffrage et un spectacle «normal» mais où ce qui y serait impossible acquiert ici une dimension artistique de tout premier ordre.
Comme la difficulté à marcher-elle a de sérieux ennuis de   hanches-et à mouvoir sa main droite de
Sarah Mainwaring. Ou la voix trop forte de Scott Price quand il monte à la tribune. Et la raideur et la marche saccadée de Simon Laherty trisomique, même quand il se met  à courir un peu. Ils ont une présence exceptionnelle, n’ont aucun ennui de texte dès qu’ils entrent sur le plateau et quand la voix de l’intelligence artificielle de l’ordinateur parle à Sarah, elle le traite de monstre….
Handicapés mentaux sans doute, mais terriblement lucides et intelligents, ils regardent bien en face le public et Sarah nous dit : « Nous avons tous un handicap mental. Vous acceptez que je dise ça. çà me va de partager mon diagnostic. Moi, j’ai été blessée à la tête. Je peux utiliser le mot: handicap. Ce n’est pas celui qui me décrit le mieux. » ( …)  » Ecoutez, je suis une personne handicapée. » (…) Et elle a ce merveilleux: 
«On est là pour vous aider. »
Simon Laherty lui dira simplement: «Je crois qu’ils ont compris.» Et après les saluts, le dernier à sortir de scène, il s’arrêtera trois fois pour nous saluer encore! Ce n’est rien mais quelle beauté et quelle intelligence ironique dans son regard. 

Cette pièce est un moment rare dans une rentrée théâtrale souvent un peu terne et une belle leçon d’humanité… Nous n’oublierons pas de sitôt le visage de ces acteurs.  Si vous pouvez, ne la ratez pas, mais attention, il reste deux représentations seulement.

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 17 décembre, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris ( XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

 

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