TRASH ! conception de Gorka Gonzalez et Jony Elias


TRASH ! conception de Gorka Gonzalez et Jony Elias

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© Jean-Louis Verdier

En scène, quatre percussionnistes en vêtements de travail et casques de chantier dans un décor évoquant une décharge publique. Chargés du tri des ordures, ils récupèrent et détournent de  leur usage  tout ce qui peut produire du son. C’est musical, drôle et entraînant.

On réalise vite qu’il s’agit de musiciens au solide métier. Doués d’une étonnante inventivité, Gorka Gonzalez, Miguel Angel (Micky) Pareja Bruno Alvez et Frank Mark utilisent bidons, sacs plastiques, ustensiles, caisses à outils, pneus…  Des bouteilles de gaz vides deviennent, sous leurs baguettes, des steel-drum et, avec un ballon de basket, Gorka Gonzalez – fondateur de Trash-  improvise un solo à couper le souffle. Avec des bouteilles plastiques accordées selon la gamme, ils interprètent un extrait de la Lettre à Elise de Beethoven et du Cancan d’ Offenbach. Une série de numéros ludiques et bien orchestrés, exécutés à un rythme d’enfer.


Les bouteilles de gaz vides deviennent sous leurs baguettes des still drums. et sur un ballon de basket, Gorka Gonzalez improvise un remarquable solo. Sur des bouteilles en plastique accordées selon la gamme, les musiciens  interprètent un extrait de La Lettre à Elise de Ludwig van Beethoven et du Cancan de Jacques Offenbach. Des numéros ludiques et bien orchestrés, jexécutés à un rythme d’enfer.

C’est drôle et ces artistes espagnols franchissent allègrement l’obstacle de la langue par des  borborygmes, onomatopées, gromelots, conférant ainsi au spectacle une visée internationale.

Le public est largement invité à participer. Pour le plus grand plaisir des jeunes et des plus petits qui chantent, répondent et trépignent. Même si les plus âgés n’adhèrent pas à tout, voire trouvent certains moments un peu racoleurs, il s’agit là d’un excellent spectacle à voir en famille à l’occasion des fêtes de fin d’année.

La  compagnie et son spectacle éponyme ont été créés en 2021  en coproduction et au sein de la compagnie Yllana installée à Madrid. Cette dernière, fondée en 1991, s’est spécialisée dans le spectacle sans parole  musique, pantomime, acrobatie. Elle a réalisé ou produit trente-sept spectacles, diffusés dans quarante-huit  pays, en majorité hispanophones. Elle  conçoit des événements et des animations (Carnaval de Madrid, camps d’été culturels).Elle revendique ainsi 16. 000 représentations et dispose de quatre écoles de théâtre.

Jean-Louis Verdier

Jusqu’au 28 janvier, 13 ème Art, place d’Italie, Paris (XIII ème)

Le 2 février, Franconville (Val-d’Oise) ; le 3 février, Soissons (Aisne) ; le 9 février, Vizille (Isère) ; le 10 février, Brignais (Rhône).

Le 14 mars, Mérignac (Gironde) ; le 16 mars, Plaisir (Yvelines).

Le 19 avril, Queven (Morbihan) ; le 27 avril, Plaisir-du-Touch (Haute-Garonne).

Le 3 mai, Sélestat (Bas-Rhin).

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Archive pour décembre, 2023

Le Quai de Paul Duvaux et Simon Guillemot, mise en scène de Celia Kourt

Le Quai de Paul Duvaux et Simon Guillemot, mise en scène de Celia Kourt

Cela se passe en un temps que certains spectateurs ont connu mais cela fait déjà soixante ans… En juillet 1962, après dix ans de «pacification» comme on disait, la guerre d’Algérie est terminée à la suite des accords d’Evian. Mais avec ses multiples conséquences économiques et familiales pour les Algériens et une population française partie en catastrophe pour  un pays inconnu d’eux. Des Français exilés en métropole.

Sur un quai d’une petite gare française, le sergent Romain Mira (Paul Duvaux) rentre en France comme Rachel Duval (Marie Iasci) et Souâd Belkacem (Sara Syr). Ils attendent tous un train à une époque où les TGV n’étaient pas nés et où on mettait plus de quinze heures en changeant plusieurs fois, pour aller de Marseille en Bretagne. Les trains vont moins vite et les voyageurs ont le temps de faire connaissance et de partager des souvenirs parfois douloureux quand ils vivaient en Algérie.
Certains travaillaient pour l’armée française et de jeunes appelés du contingent allaient aussitôt dans le bled, traumatisés par une guerre qui ne porte pas son nom et absolument pas entraînés. Paul Duvaux, un jeune sergent, meurtri, refuse qu’on lui parle encore d’Algérie. Rachel Duval, née à Oran dans une riche famille juive a fait des études de psycho, ne connaît pas d’autre pays et en veut à l’armée française qui n’est pas vraiment intervenue quand eut lieu le
 massacre d’Oran trois mois et demi après la signature des  accords d’Evian deux jours après la reconnaissance officielle de l’indépendance. Il y eut alors plus de trois cent Européens et une centaine d’Algériens pro-Français morts et disparus. Charles Meursault, grand ami de Romain, rencontrera Rachel qui l’aidera à entrer au service des renseignements d’Oran Souad Belkacem est l’amie d’enfance de Rachel. Elle avait épousé un membre actif du Front de Libération Nationale et sera torturée par l’armée française. Elle a perdu fils mari et pays et va se réfugier en France.. Robert (Arthur Toullet) fait la manche dans la gare et se pense libre comme l’air et maître de lui-même. Il y a aussi le chef de gare (Valentin Guilbot) chernchant les contacts avec les clients et un cheminot (Arthur Toullet) qui passe de temps en temps sur le quai.

«Le Quai, disent ses auteurs, vous plongera au sein d’un conflit chaotique et de ses conséquences sur les hommes et les femmes qui l’ont traversé. Un débat philosophique se dessine alors à travers un spectacle haut en couleurs, regroupant de nombreux personnages apportant chacun leur pierre à l’édifice. » Mais a-t-on vu un conflit non chaotique? Quant au débat philosophique?  Haut en couleurs ?.. Et ces petites scènes mises bout à bout ne font pas vraiment une pièce! Les jeunes acteurs: Paul Duvaux, Simon Guillemot, Marie Iasci, Sara Syr, Arthur Toullet, Valentin Guilbot et Camille Helbeïe -anciens élèves de Raymond Acquaviva- ont tous une excellente diction et une bonne gestuelle.
Le personnage du chef de gare absolument pas crédible aurait pu être éliminé. Il y a quelques scènes émouvantes entre Rachel et Paul mais la dramaturgie, une fois de plus,  est aux abonnés absents. Célia Kourt fait ce qu’elle peut pour diriger ses camarades mais les dialogues sont pauvrets et à l’impossible, nul n’est tenu… Les auteurs se sont lancés dans une pièce à structure « classique » avec quelques moments drôles pour l’alléger (mais c’est raté). Et un th^étre documentaire exige recherches et mise en scène ad hoc. Ils  auraient sans doute mieux fait de choisir des extraits de documents, lettres, extraits de presse, témoignages sur cette époque douloureuse *. Bref, il y a encore du pain sur la planche mais ces jeunes acteurs font preuve de qualités indéniables pour un jour construire avec leur metteuse en scène, un véritable spectacle sur le même thème… A suivre.

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 14 janvier, Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 33 42 03.

* Il suffit de demander:  nous pouvons sans doute fournir au moins un document laissé par un jeune officier sorti de Saint-Cyr et aussitôt embarqué pour l’Algérie. Ayant échappé de peu à une embuscade, meurtri, écœuré, il finira par déserter, vivra en Afrique de petits boulots avant de revenir en France des années plus tard après une amnistie… 

Chamonix, mise en scène de Philippe Nicolle, texte de Philippe Nicolle et Gabor Rassov, création musicale d’Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf et Anthony Dascola

Chamonix, mise en scène de  Philippe Nicolle, texte de Philippe Nicolle et Gabor Rassov, création musicale d’Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf et Anthony Dascola

26000 couverts, cette compagnie de théâtre de rue et de salle, créée par Philippe Nicolle il y déjà trente-cinq ans, est maintenant bien connue du public avec des spectacles comme entre autres, Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare, L’Idéal Club, un leur grand succès (trois cent représentations en dix ans), Véro 1ère, Reine d’Angleterre (voir Le Théâtre du Blog).
Avec un solide vocabulaire théâtral apprécié du public: un burlesque explosif, un langage poétique, une scénographie souvent fondée sur un savant mélange d’art contemporain décalé, une mise en scène privilégiant le jeu des acteurs, une habile inversion  des conventions et allant -parfois de façon appuyée-vers le théâtre dans le théâtre… Philippe Nicolle est aussi l’inventeur, avec l’artiste Fred Toush, des Manifs de droite *souvent reprises.
Il sait diriger une compagnie d’artistes qui sont à la fois acteurs, chanteurs et musiciens, et il possède une grande maîtrise de l’espace scénique et un sens des images incontestable. Mais pourquoi cette caricature de la comédie musicale et de l’opérette?    »Parce que ,dit-il trop modestement,  je ne connais rien à la comédie musicale. Parce que West Side Story, parce que Mary Poppins, Hairspray. Parce que Peau d’Âne. Parce que l’opéra-rock, Tommy, Rocky Horror Picture Show, The Wall (oui je sais, c’est des films mais je vous ai dit que je n’y connaissais rien). Pour raconter des histoires, voyager dans les futurs. (…) Parce que L’Idéal Club finissait sur une scène de comédie musicale et qu’on en veut encore. Parce qu’on veut danser, chanter, faire les idiots dans ce monde trop lourd… »(…)  S’attaquer à la comédie musicale, c’est poursuivre ce que les 26.000 Couverts font depuis toujours, explorer les formes scéniques populaires. Les Tournées Fournel exhumait les reliques d’un théâtre forain disparu, Le Premier championnat de France de N’importe Quoi questionnait par l’absurde la société du spectacle sportif, Le Grand Bal embarquait les spectateurs à travers les clichés du bal populaire fin du XX ème siècle, Au Temps des Croisades était une opérette de 1900 rafraîchie et dépoussiérée, et L’Idéal Club une incartade au pays merveilleux du music-hall. »
Philippe Nicolle, ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts de Dijon où il a sans doute eu de bons professeurs d’histoire de l’art, a réussi à inventer un genre, celui de la parodie burlesque et poétique. Et Chamonix, cette fausse comédie musicale fonctionne parfaitement grâce surtout à ses interprètes: Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Olivier Dureuil, Patrick Girot, Erwan Laurent, Clara Marchina, Florence Nicolle, Philippe Nicolle ou Gabor Rassov, Ingrid Strelkoff  et aussi à un univers artistique délirant mais rigoureusement construit.
En vedette, une exceptionnelle sculpture surréaliste qui mériterait d’être un jour conservée au nouveau département Scénographie du musée de Moulins (Allier) . Un gros ver blanc (incarné si on peut dire par un acteur, il a seulement des moignons). Ce dernier avatar d’être humain inquiétant parle en se baladant dans un petit chariot aux roues de bois, lui aussi télécommandé.

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Il y a aussi un détournement efficace d’une œuvre facilement identifiable par le public, des dépaysements surréalistes et la reproduction d’images kitsch, comme cette scène initiale où un chœur de tyroliens ridicules chante devant une montagne enneigée en contreplaqué. Cela rappelle les scénographies de Michel Lebois avec ses beaux palmiers peints de Zartan, frère mal-aimé de Tarzan ou Les derniers jours de solitude de Robinson Crusoë, de 68 à 72, au Magic Circus de Jérôme Savary. Tous deux anciens élèves des Arts Déco de Paris…
Il y a aussi la belle image d’une ventouse à déboucher les éviers de quatre mètres de hauteur qui vient capturer une fleur… Puis, arrive un vaisseau spatial manipulé sur fond noir par des acteurs, donc avec des moyens simples mais efficaces. Ou ce décor ringard de forêt comme on pouvait encore en voir dans les années cinquante dans les petits théâtre de province. Ou encore ce Bernard, un buffet télécommandé où sont assis deux personnages foutraques protégés par leur ceinture de sécurité, les pieds posés sur des tiroirs à moitié sortis. Au centre du meuble,  un Clown de Bernard Buffet, un peintre surtout actif dans les années cinquante et assez populaire mais honni des critiques et intellectuels.. Mais son nom prononcé par un acteur est inconnu des jeunes qui, chose rare, remplissaient la salle et riaient de bon cœur. Un clin d’œil un peu raté mais pas grave du tout!

 

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Le thème de cet opéra-rock-comédie musicale déjantée : un vaisseau spatial après des siècles d’errance dans le cosmos va être contraint de se poser sur une planète sans doute inhabitée. L’équipage se pose la question : Dans quel sens introduire un suppositoire. Et devra-t-il oui ou non, éradiquer une population qui a généré, en vrac : des milliards d’humains imbéciles, le camp d’Auschwitz mais aussi les panta-courts, l’amour, la musique, les apéricubes, inventé Chamonix (dont il ne faut pas prononcer le x à la fin, si on veut passer pour un vrai montagnard) avec son golf dix-huit trous et la fondue savoyarde dont on peut mourir d’ overdose, les modes d’emploi pour utiliser les cure-dents, l’esclavage, le toilettage des caniches nains…. »Et la plus grande espèce de prédateurs que le monde ait connue, dit Philippe Nicolle, même le Tyrannosaurus Rex était un petit rigolo à côté. (…) Certains d’entre nous trouvent Kim Jong Un et Donald Trump bien coiffés.
Parce qu’on trouve dans certains supermarchés des bananes épluchées emballées sous plastique. Parce que certains font couler l’eau du robinet pendant qu’ils font la vaisselle. Parce que d’autres mangent la bouche ouverte (vous pouvez les dénoncer dès aujourd’hui sur le site : dénoncetonmaritafemme. »

Nous apprendrons quelles sont les vraies origines du cosmos et comment la vie est apparue sur terre, mais aussi que «l’extinction de l’humanité aura lieu dans un an et ce qu’est un Intra (taille, poids, nombre, nom, prénom et date de naissance de chacun). « Et nous saurons « qui est Dieu et quelle est la meilleure façon de l’aimer et de chanter sa gloire. « 
Philippe Nicolle sait déconstruire les hiérarchies en art et l’usage social même du théâtre. Avec cette contestation éthique sur fond de science-fiction, il se moque aussi gentiment de la sur-consommation par la bourgeoisie et  sa compagnie 26.000 couverts s’est déjà inscrite dans l’histoire du théâtre actuel.

Ce théâtre, souvent drôle et insolent, remplit de joie tout le public et les lycéens venus nombreux sont ravis et ont longuement applaudi. Donc, nous n’allons pas faire la fine bouche et jouer au vieux critique ronchon… Il y a rarement de bons spectacles comiques dans le théâtre subventionné et ceux du privé sont souvent vulgaires et sans intérêt. Excellente direction d’acteurs, aucune rupture de rythme dans le jeu, texte avec quelques pépites de langage, images souvent fabuleuses, technique impeccable….
Côté dramaturgie, il y a des faiblesses évidentes et ce Chamonix, passé les soixante premières minutes, s’essouffle  et il y a nettement une demi-heure de trop. Ce qui rend-et c’est vraiment dommage-ce spectacle un peu décevant. La faute à quoi? A un scénario un peu compliqué et une fois de plus, à l’utilisation de ces foutus micros H.F. retransmettant les voix des acteurs et la musique sur scène: cela crée vite une saturation sonore préjudiciable à la mise en scène de cette parodie. Mais sans doute la plus aboutie des 26.000 couverts. (On pardonnera quelques jets de fumigènes faciles : pour nous les dixièmes de ce mois!) Même si la science-fiction comme la parodie burlesque ne sont pas vraiment votre tasse de thé, surtout au théâtre et même si les places ne sont pas données : 35 € ! (mais il y a des tarifs: jeune à 12 € ), cet ovni théâtral a de grandes qualités et peut vous intéresser. Laurence de Magalhaes et Stéphane Ricordel, les nouveaux directeurs du Théâtre du Rond-Point, ont bien fait d’inviter  ce spectacle…
Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 décembre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T . : 01 44 95 98 21.Les 12 et 13 janvier, Points Communs-Scène Nationale de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise).
Et les 1 et et 2 février, Mons (Belgique).
*A Chalon-sur-Saône, la première manifestation, « Jeune France rue », a écrit Sylvie Clidière, modèle de la Manif de droite (tenues BC-BG, Marseillaise à la flûte et slogans caricaturaux) a lieu le 22 juillet, conduite par Philippe Nicolle, Pascal Rome et Fred Tousch.
Le lendemain, les « Intermittents pas feignants » accompliront une marche sportive et le jour suivant, Jacques Livchine rassemblera « L’Armée de l’art » avec tambours, soldats encagoulés et une banderole : « L’art est une arme de construction massive ». Des spectacles sont offerts aux habitants à la sortie des usines et dans les quartiers populaires, une solidarité se construit avec les Chalonnais. »


Les tombes de Serge Diaghilev et d’Igor Stravinsky au cimetière San Michele à Venise

Les tombes de Serge Diaghilev et d’Igor Stravinski au cimetière San Michele à Venise

Un carré du cimetière très dépouillé, presque abandonné et où les tombes sont parfois éloignées les unes des autres. Pas d’autre choix que d’y aller en vaporetto: cela exige donc un effort. Ce cimetière est comme hors du temps, peu fréquenté et inconnu du grand public… Alors que Venise, la cité des Doges est, elle, envahie par les touristes toute l’année. Il faut aller se recueillir dans cet endroit où règne une véritable paix et une exceptionnelle sérénitéLe danseur et chorégraphe Serge Lifar, dans La Musique par la danse de Lulli à Prokofiev avait curieusement écrit: «À partir de 1912, avec la consécration de Stravinski, musicien de génie mais qui vient de renoncer au folklore musical et chorégraphique si magnifiquement exploité dans ses  premiers ballets, L’Oiseau de feu et Pétrouchka, découverts par Diaghilev, la situation devient encore plus confuse. En effet, Igor Stravinski a pris bonne note de la fière déclaration de Fokine annonçant que n’importe quelle musique peut être interprétée par la danse. Sa musique, foncièrement rythmique, n’a pu être considérée comme dansante qu’à la faveur d’un étrange malentendu. Tout ce qui est rythmique, n’est pas dansant. Mieux encore, rien n’est plus étranger à la danse que la plupart des partitions de Stravinski en raison de leurs constants changements de mesure.  Cette musique alourdit la danse et se l’asservit, plutôt qu’elle ne l’enrichit et, inversement, la danse n’ajoute pas grand-chose à cette musique.» Un pont de vue assez étonnant chez cet ancien directeur de la danse à l’Opéra de Paris! Il avait pourtant été l’élève de Serge de Diaghilev qui, artistiquement, a été très lié à Igor Stravinski.

 

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Et sans eux, la célèbre compagnie des Ballets russes n’aurait jamais existé. Leur relation, pendant vingt ans depuis 1909 jusqu’à la mort de leur directeur était faite de respect, estime mutuelle et parfois de conflits. En témoigne cette lettre écrite en 1926 par Serge de Diaghilev à Igor Stravinski, à la suite d’un malentendu: «Mon cher Igor,  c’est avec des larmes que je lis ta lettre. Pas une minute, je n’ai cessé de penser à toi autrement que comme à un frère. Je me sens donc aujourd’hui tout joyeux et empli de lumière du fait qu’en pensée, tu m’as embrassé comme tel. Je me rappelle la lettre que tu m’avais écrite après la mort de ton frère Goury. Je me rappelle aussi celle que moi-même je t’ai écrite, il n’y a pas bien longtemps et où je te disais que, me trouvant en proie à un trouble profond, je songe que tu vis presque à la porte à côté dans le monde, je commence à me sentir mieux. Pardonner, me semble-t-il, n’est au pouvoir que de Dieu seul: lui seul peut juger. Mais nous autres, pauvres petits débauchés, devrions, dans nos moments de querelles et de repentirs, avoir assez de force pour nous embrasser en frères et oublier. Ceci peut évoquer la soif de pardon ; si tu l’as, oriente-la vers moi. Je ne jeûne pas, je ne vais pas à confesse et je ne communie pas (je ne suis pas pratiquant). Cependant, je te demande de me pardonner mes péchés, volontaires ou involontaires et de ne garder dans ton cœur que ce sentiment d’amour fraternel que j’éprouve pour toi.  Seriocha. »

Serge de Diaghilev, premier imprésario du XX ème siècle, commande à Igor Stravinski une partition inspirée du conte russe L’Oiseau de feu. Chorégraphiée par Michel Fokine, l’œuvre connait un triomphe à l’Opéra de Paris en 1910. Au théâtre des Champs-Elysées, la première du Sacre du Printemps le 29 mai 1918, fait scandale. La pièce ouvre une ère nouvelle dans l’histoire de la musique et Igor Stravinski écrit: «Je voulais présenter le renouvellement continuel de la nature, la peur et la joie de la vie qui s’écoulent à flots, des plantes et de tous les êtres vivants. Dans l’introduction, j’ai fait exprimer par l’orchestre la peur qui étreint tous ceux qui se trouvent en face des forces élémentaires. Je voulais reproduire un peu de la panique de l’homme devant l’éternelle beauté et son tremblement de crainte devant la lumière du soleil; son cri de terreur semblait contenir de nouvelles possibilités musicales. De cette façon, l’orchestre tout entier reproduit la naissance du printemps.»

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L’œuvre préférée du compositeur devient une création emblématique des Ballets Russes. En août 1929, Serge de Diaghilev disparaît. Une faille dans la vie d’Igor Stravinski.. et une rupture définitive avec son passé russe qui devient citoyen français en 1934 puis émigre aux Etats-Unis en 1940. Il épousera en secondes noces Vera de Bosset qui repose à ses côtés à Venise, la ville d’adoption de Serge de Diaghilev:  sa tombe dans le carré orthodoxe du cimetière San Michele sur une île au milieu de la lagune où on accède par vaporetto, est couverte de chaussons de danse offertes par des danseuses. L’âme de Seriocha est ainsi bien protégée. Igor Stravinski, meurt, lui, à New York en 71 et, selon ses dernières volontés, a été enterré dans ce même cimetière à quelques mètres de Serge de Diaghilev sous une simple pierre. Après les dernières notes de son Requiem Canticles à la chiesa di San Giovani e Paolo, le cercueil a rejoint en gondole son ami de toujours. Une belle histoire immortelle…

Jean Couturier

Le Grand sot, chorégraphie de Marion Motin

Le Grand sot, chorégraphie de Marion Motin

«Whisky, cigars and no sport » disait Winston Churchill pour expliquer sa longévité. Ce « no sport »  du premier ministre anglais qui avait tenu tête à l’Allemagne nazie, a pu inspirer le titre No Logo : la tyrannie des marques, du livre de l’autrice canadienne Naomi Klein qui dresse un état des lieux de la société de consommation. Marion Motin, elle, tourne en dérision le sport nautique et le sport en général, dans la perspective des fameux J.O. qui menacent à court terme le peuple parisien. Déjà pas mal ! Le logo à trois bandes d’un équipementier d’outre-Rhin, est ostensiblement porté par trois danseuses et cinq danseurs (de tout gabarit).

La greffe théâtre-danse, que certains qualifient doctement de rhizome, profite toujours au théâtre mais aussi à l’art du cabotinage dont les muses sont légion… A peine installés dans la salle pas encore obscurcie, nous en avons un avant-goût. Alexis Sequera, un jeune homme en robe de chambre style Sacha Guitry, se lance dans des tirades, parfois des impros, voire des citations. Entre autres de  Sens dessus dessous (1978), un sketch de Raymond Devos qu’il créa juste en face au Théâtre Antoine… Comme l’indique la chaise côté jardin, Alexis Sequera, par intermittence et pendant une heure, fera office de maître de cérémonie, maître-nageur, arbitre des élégances…

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Entrent en scène (ou en Seine) pour ne plus la quitter Marie Bégasse, Caroline Bouquet, Manon Bouquet, Lorenzo Dasse, Achraf Bouzefour, Gonzalo Garabán, Julien Ramade, Sulian Rios qui vont interpréter l’opus de Marion Motin, chorégraphe en vogue (ou d’une nouvelle vague) qui a travaillé avec Madonna, Stromae, Christine and the Queens, Angèle…
Vu la déco-la chaise mentionnée plus haut-et les costumes: survêtements d’aujourd’hui, shorts, tennis puis maillots de bain et vu aussi la gestuelle à l’unisson généralement observée par le groupe. Vu aussi l’énergie débordante des interprètes avec quelques échappées solitaires, vu enfin le titre-calembour, le thème est bien ici le sport…
La natation, bien sûr (malgré l’absence de plongeoir), la boxe (l’octet ne manque pas de punch), le judo avec quelques roulades enrichissant ce
Grand Sot ). On pense aux parodies de Charles Chaplin, Georges Pomiès et Jacques Tati. Nous avons, quant à nous, été sensible à la prestation spectaculaire de Lorenzo Dasse.

La musique pour la gym, gym tonique, gym rythmique, entraînement cardio, aérobic popularisée de 82 à 86 par Véronique et Davina à la télévision et ailleurs par Jane Fonda, stimule les pratiquants, adoucit les entorses et mène la danse. Marion Motin n’y va pas avec le dos de la cuiller  et Le Boléro de Maurice Ravel (1928) donne tout de suite le ton avec son entame ramollo, sa longueur en bouche, sa langueur en boucle, son crescendo, son emphase… Une musique accentuée par la sono d’Éric Dutrievoz.
La barcarole des Contes d’Hoffmann (1881) de Jacques Offenbach calme tout un chacun. Alternent ensuite balades sentimentales comme Mr Blue (1959) et rocks électrisants. Les lumières avec variations chromatiques et effets stroboscopiques de la chorégraphe et Judith Leray sont efficaces. Le final, avec la célèbre musique de Bohemian Rhapsody (1975) du groupe Queen, suscite les applaudissements d’un public venu nombreux…

 Nicolas Villodre

Jusqu’au 16 décembre (et prolongations), La Scala de Paris, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

Notre vie dans l’art, Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago, Illinois en 1923, écriture et mise en scène de Richard Nelson, traduction d’Ariane Mnouchkine

Notre vie dans l’art, Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago (Illinois) en 1923, écriture et mise en scène de Richard Nelson, traduction d’Ariane Mnouchkine

Toutes les créations du Théâtre du Soleil ont toujours été mises en scène par sa directrice Ariane Mnouchkine.  Sauf  une courte adaptation, drôle et virulente d’un opéra d’Offenbach monté une seule fois dans une petite salle du XIV ème par les acteurs eux-même pour continuer à travailler en l’absence d’Ariane Mnouchkine malade. Et Je suis le juge et fais régner l’ordre,  un sketch d’agit-prop en sept minutes  joués dans la rue en 72 par trois acteurs dont Jean-Claude Penchenat qui fonda ensuite le Théâtre du Campagnol. Enfin, un beau petit spectacle pour enfants monté par Georges Bonnaud en 74 et Kanata,  du grand metteur en scène québécois Robert Lepage.

Elle a choisi cette fois de confier sa troupe à un autre metteur en scène qu’elle-même… Cela se passe il y a un siècle avec des conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago en 1923  sont le fond de sauce de cette pièce. Ils sont venus aux Etats-Unis, venus en bateau bien sûr  loin de leur famille et de leur pays. Mais ils ne se sentent pas complètement en sécurité  sur le cours d’une journée, alors qu’ils sont loin de chez eux. Il a des menaces politiques et les finances font grise mine. Mais c’est le vingt-cinquième anniversaire de leur théâtre qu’ils fêtent avec un excellent dîner arrosé à la vodka dans la pension familiale où ils logent, Constantin Stanislavski, le directeur de la troupe  et ses acteurs dont Olga Kniper, la veuve d’Anton Tchekhov, parlent, mangent et chantent ,parfois seuls ou en chœur boivent, portent des toasts. Et ils disent qu’ils vont faire des sketchs. Bref, même si leur vie là-bas est assez précaire, ils préfèrent s’amuser sans trop penser à la grande tournée qui les attend et à leur retour en Russie….

 

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Ces acteurs ont joué les pièces d’Anton Tchekhov; en Union Soviétique, cela ne leur donne aucune légitimité face au pouvoir révolutionnaire  qui les considère faisant partie des bourgeois. Et ici, les Américains les prennent presque pour des bolchéviques dont il faut mieux se méfier. Bref, ils sont mal vus et malgré leur solidarité, ils ont de quoi broyer du noir…
Les Russes émigrés aux Etats-Unis, dits Russes blancs, viennent voir  le spectacle et chez eux, on soupçonne ces acteurs de fréquenter les capitalistes.  Mais ils ont un atout majeur dans leur pauvre existence: leur compagnie est soudée  et ont l’habitude de vivre ensemble sur scène comme à la ville. Déjà âgés ou la quarantaine, ou plus jeunes encore,  ils se connaissent bien, parfois sans doute de façon intime…

Le metteur en scène new yorkais célèbre là-bas mais peu connu en France, a été invité par Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil. «Cela raconte, dit-elle,  un dimanche très particulier de la vie du Théâtre d’Art de Moscou (…) Oui, alors que la Russie patauge dans le sang des Ukrainiens et de ses propres soldats et qu’elle jette dans ses cachots le meilleur d’elle-même, Richard Nelson invoque un groupe inoubliable, insurpassable d’artistes, d’êtres humains, dont, il y a maintenant un siècle, la vie fut irrémédiablement tordue, ruinée, ravagée, par un système dont on avait espéré qu’il ferait le bonheur de l’humanité. Et qui, en quelques mois, avait transformé une immense respiration populaire en un laboratoire de poisons, de contentions et d’assassinats. »

De chaque côté d’une scène bi-frontale, le public est assis sur les gradins avec hauts dossiers en bois, et il a aussi, côté jardin et côté cour, des sièges sur l’espace scénique pour quelques spectateurs. Aucun décor mais deux tables que les acteurs vont disposer bout à bout puis couvrir d’une grande nappe blanche et deux autres petites et une vingtaine de chaises paillées ou en bois un peu partout. Jusque là tout va bien…
Oui, mais voilà, le texte est d’une pauvreté affligeante comme si l’auteur-metteur en scène n’arrivait pas à dépasser la banalité: et au théâtre c’est une exercice de haute voltige. Y traiter de la vie quotidienne avec des paroles anodines pou en faire jaillir tout un sous-texte n’est pas à la porté de tout le monde. Bref,  n’est pas Tchekhov qui veut, et dont s’inspire souvent Richard Nelson ou plus près de nous, les Allemands Botho Strauss ou Franz Xaver Kroetz… Rien à faire, le spectacle n’arrive jamais à vraiment décoller et le metteur en scène n’arrive pas à donner corps à ses personnages, malgré le jeu des remarquables acteurs du Soleil tous très à l’aise et complices : Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, , Hélène Cinque, , Clémence Fougea, Judit Jancsó, Agustin Letelier, Nirupama Nityanandan, Tomaz Nogueira, Arman Saribekyan.Mention spéciale à Maurice Durozier et Georges Bigot.
Résultat prévisible: le spectacle passé les vingt premières minutes se met à dangereusement ronronner. La faute à qui: dabord à ce texte qui ne fait pas vraiment sens. Mais aussi à une mise en scène  qui manque de force et on ne comprend pas que Richard Nexon,  homme dexpérience, ait conçu une mise en scène aussi statique: le repas dure une vingtaine de minutes mais des deux côtés de la scène, nous ne pouvons voir que les personnages nous faisant face.

Ce samedi après-midi dans une salle pas très remplie, le public un peu âgé et inconfortablement assis, sennuyait, voire sommeillait. Mais autant que la jeune fille près de nous qui ne regardait plus la scène et jouait avec ses bracelets  Richard Nelson semble avoir quelques ennuis avec la temporalité et ces deux heures quinze interminables où on nest passionné par rien où on n’apprend rien, se terminent plutôt quelles ne finissent. Et ce qui aurait pu à la rigueur être une pochade en une heure et quelque, ne tient pas la route. Le public nétait pas dupe et il y a eu trois rappels seulement! 

Que sauver de cette médiocrité: le jeu brillant des acteurs dont l’unité de jeu, la gestuelle, la diction, la sensibilité… sont rares et précieux. Reste à savoir pourquoi et comment Notre vie dans l’art a bénéficié du soutien dEmmanuel Demarcy-Mota, directeur du Festival d’automne. Qui de son équipe a lu ce texte?  Et pourquoi Ariane Mnouchkine a-t-elle accueilli ce spectacle? Là, très franchement, il ny pas le compte! Le théâtre contemporain a parfois de ces mystères Vous aurez  sans doute compris quil est inutile de vous précipiter à la Cartoucherie, surtout quand les places sont à 35 €!

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 6 décembre ; jusqu’au 3 mars, dans le cadre du Festival d’automne, au Théâtre du Soleil, route du Champ de manœuvre, Bois de Vincennes. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 74 24 08, tous les jours de 11 h à 20 h pour les collectivités et groupes d’amis (10 et +) . T. : 01 43 74 88 50, du lundi au vendredi de 11 h à 18 h. 
 

Les Suppliques, conception, écriture d’après les lettres de Edith Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen et Charlotte Lewin et mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

Les Suppliques, conception, écriture d’après les lettres de Edith Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen et Charlotte Lewin, mise en scène de Julie Bertin et Jade Herbulot

À l’origine de ce spectacle, un documentaire de Jérôme Prieur sur la découverte par l’historien Laurent Joly qui préparait sa thèse sur le régime de Vichy, de milliers de lettres adressées au Commissariat général aux questions juives. Des suppliques bouleversantes où des familles disent leur incompréhension, leur profonde détresse mais aussi leur indignation, eux citoyens français d’être soumis à des lois clairement anti-juives, que Pétain, grand partisan d’une collaboration avec l’ennemi, n’hésita pas à promulguer. Et suppliant le maréchal qui ne les lirait jamais, d’intervenir en faveur d’un proche peut-être disparu  dans un camp d’extermination…

Julie Bertin et Jade Herbulot, depuis leur sortie il y a dix ans du Conservatoire National ont fondé le Birgit Ensemble et travaillent sur des matériaux documentaires pour en faire un théâtre non documentaire mais documenté avec entre autres: Berliner Mauer: Vestiges, Memories of Sarajevo  2017) et Dans les Ruines d’Athènes sur la crise de la dette grecque.  Les Oubliés. Alger-Paris ( 2019). Avec des fortunes diverses… (voir Le Théâtre du Blog) : «Nous ne mettons pas en scène des enquêtes, disent-elles. Et si l’on part de documents, c’est pour en faire tout autre chose : du théâtre, en mettant le jeu des acteurs au centre de nos créations. »

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Une scénographie bi-frontale pour une centaine de spectateurs avec à chaque bout d’un étroit plateau rectangulaire quelques meubles et accessoires : buffet, tables chaises,, grande photo de Pétain… Avec quatre interprètes qui vont lire quelques unes de ces lettres : Edith Schleifer, Gaston Lévy, Renée Haguenauer, Alice Grunebaum, Léon Kacenelenbogen et Charlotte Lewin.Mais aussi jouer les personnages de ces autrices et auteurs, assis à la table de leur salle à manger. Gilles Privat et Marie Bunel jouent les pères et mères qui passent du désespoir à la plus minime espérance. Salomé Ayache et Pascal Cesari interprètent ces jeunes qui ne savent rien de leur proche avenir. Présence et jeu sobre tout à fait remarquable des quatre interprètes. Comment ne pas être ému aux larmes à la lecture de ces suppliques où un mari, une femme, un jeune homme, une jeune fille bien français depuis plusieurs générations (mais de confession juive et donc écrivent sans espoir au Maréchal Pétain. Pour demander un peu d’humanité ! Il y a aussi des témoignages : des enfants et leur proches raflés par la police française. Destination Drancy vers Auschwitz… Un père refuse l’évidence de s’enfuir, alors que sa femme plus lucide le supplie de le faire. Mais ce sera trop tard .

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Mais ce spectacle est fondé sur une dramaturgie faiblarde avec des petites scènes de la vie familiale sans beaucoup de rythme et et cette scénographie bi-frontale avec tout son stock d’accessoires à chaque bout du plateau ne fait pas non plus grand sens. On repense à ce petit chef-d’œuvre ( 1975) donc il presque cinquante ans et nous nous en souvenons comme si c’était hier dont on a peut-être parlé au Conservatoire National à ces metteuses en scène : Catherine théâtre-récit d’après le roman d’Aragon, Les Cloches de Bâle, où dix solides acteurs, assis ou debout autour d’une table nappée de blanc dans un dispositif bifrontal. Ils donnaient uen ampleur magnifique à ce texte. Depuis cette scénographie a été reprise par de nombreux metteurs en scène…

La mise en scène a souvent un côté pléonastique, comme ce portait de Pétain gagesque encadré avec son visage d’un côté et sa nuque de l’autre, des accessoires souvent inutiles qu’on dévoile petit à petit , ou encore des effets faciles et stéréotypés comme ces fumigènes (le quatrième de la semaine pour nous!) transpirant du sol et envahissant régulièrement le plateau.
Ces Suppliques, un matériau exceptionnel, méritait mieux que cette réalisation correcte mais pâlichonne. Non désolé ce spectacle ne propose pas ici « une écriture singulière, espérant faire œuvre de mémoire. » comme le disent un peu vite Julie Bertin et Jade Herbulot.
Enfin, cela aura permis à quelques centaines de spectateurs de découvrir ces Suppliques et c’est une piqûre de rappel sur cette tragédie qu’ont connue des milliers de familles juives, n’est jamais inutile. A vous de décider si le voyage jusqu’à Saint-Denis vaut le coup…


Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 décembre, Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique National,  59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.  (Navette payante au retour).

Du 18 au 24 janvier Théâtre de Châtillon-Clamart (Hauts-de-Seine). Du 23 au 25 janvier Comédie de Reims-Centre Dramatique National ( Marne).

À voir : Les Suppliques, documentaire de Jérôme Prieur.

 

Relative Calm, chorégraphie de Lucinda Childs, mise en scène et scénographie de Robert Wilson

Relative Calm, chorégraphie de Lucinda Childs, mise en scène et scénographie de Robert Wilson

 En 1981, cinq ans après leur mémorable opéra Einstein on the Beach, musique de Philip Glass, Robert Wilson et Lucinda Childs se retrouvaient pour créer Relative Calm. Ils en présentent aujourd’hui une nouvelle version en trois actes mais avec juste la première partie: Rise. Entre  post-moderne danse et hommage aux Ballets russes, Lucinda Childs vient meubler les interludes avec des extraits des Cahiers de Nijinski.

Rise porte la marque si particulière de la chorégraphe: douze danseurs s’élancent dans l’espace, en formation géométrique qui se divise en groupes et sous-groupes, selon de savantes combinatoires. Leur gestuelle mécanique sculpte les corps: bras en balancier, hanches souples, ils se plient, se cambrent souvent sur demi-pointe. La partition rhapsodique de Jon Gibson, compositeur américain de musique minimaliste disparu il y a trois ans, est implacable, comme leurs pas comptés et les entraîne dans un mouvement perpétuel.

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Sur Pulcinella (Suite) d’Igor Stravinski, la deuxième partie, Knee play 2, tranche avec la fougue initiale. La chorégraphie prend alors un caractère hiératique avec les costumes rouge ou blanc ou noir de Tiziana Barbaranellin qui font penser à ceux des fameux Ballets Russes. Une danseuse et deux danseurs interprètent une sorte de rituel de cour, suspendent leurs mouvements, figés sous les lumières rasantes et les contre-jours. Ces personnages étranges et solennels seront bousculés par un chœur joyeux virevoltant sur des pas de danse populaire.

Nous retrouvons avec bonheur la grammaire de Lucinda Childs dans le dernier tableau Lumière sur l’eau, reprise de l’emblématique Available Light (1983), où la troupe se rassemble sur la musique répétitive de John Adams.
Agnese Trippa, Giovanni Marino, Irene Venuta, Sara Mignani, Nicolò Troiano, Asia Fabbri, Mariagrazia Avvenire, Mariantonietta Mango, Giulia Maria De Marzi, Xhoaki Hoxha, Cristian Cianciulli et Gerardo Pastore tournoient de plus en plus vite en un mouvement fluide et fascinant, à la mesure de cette partition hypnotique.

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Robert Wilson, magicien de la lumière, travaille sur l’espace-temps du plateau. «Mon travail porte sur le structure, dit-il, et a donc une dimension architecturale.»  Des tubes fluo rouge ou blanc encadrent le sol et sur un écran en fond de scène, apparaissent, au rythme de la musique, des figures géométriques.
Pour Rise, des traits, noir sur blanc ou blanc sur noir,verticaux, horizontaux et en diagonale, créent des effets d’optique avec des cercles rouges,concentriques ou des spirales infinies accompagnant les mouvements circulaires de Lumière sur l’eau. Et des yeux, allusion aux dessins obsessionnels de Vaslav Nijinski qui, sombrant dans la folie, n’a pu danser Pulcinella, créé par Leonid Massine en 1920.

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Les interprètes de la MP3 Dance project, dirigés par Michele Pogliani, ancien danseur de la compagnie new yorkaise de Lucinda Childs, se donnent à fond. Les figures empruntées au vocabulaire classique mais avec des trajectoires changeantes, happent le regard. Mais dommage, cette magie cinétique est interrompue par des intermèdes statiques et un peu hors-sol -même quand ils sont joués par une Lucinda Childs au mieux de sa forme- devant les images d’un léopard qui bondit au ralenti, puis d’un troupeau de buffles qui charge.
Relative Calm nous fait revivre les années mythiques mais pas si calmes que ça… de la danse contemporaine outre-Atlantique.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 3 décembre, Chaillot-Théâtre national de la Danse à La Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, Paris (XlX ème). T. : 01 40 03 75 75.

 

Mouton noir, texte de Paul Molina, mise en scène de Wilmer Marquez

Mouton noir, texte de Paul Molina, mise en scène de Wilmer Marquez

Labellisé « Olympiade Culturelle » (bon ! )ce court spectacle a été créé à Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux (Indre). Ce solo à base autobiographique de Paul Molina ( vingt-huit ans) passionné de free-style est un cocktail de texte, acrobatie, jonglage avec un ballon. Hérité des figures réalisées aux entraînements par les joueurs de foot il y une vingtaine d’années, le « free-style» est encore peu connu en France mais assez populaire auprès des jeunes générations. Mais attention, il y faut une très bonne souplesse, une résistance physique, une exceptionnelle précision dans le geste et un travail tenace au quotidien…Bref, Paul Molina n’est pas n’importe qui.

Il y a deux ans, Jérôme Montchal, directeur d’Equinoxe-Scène Nationale à Châteauroux, l’avait vu s’exercer devant cette salle et lui a proposé de faire un spectacle. Paul Molina, avec Mélodie Joinville et Wilmer Marquez ont préparé et testé ce Mouton noir dans des festivals, avant de le créer en septembre dernier sur le plateau de cette Scène Nationale.
Ici, cela se passe dans un grand gymnase à Celin, une ville toute proche de Douai. Pas la grande chaleur! Pour accueillir une centaine de spectateurs dont beaucoup de jeunes et d’enfants les gradins en dur et devant des chaises en plastique et des bancs (pas attachés, merci la sécurité!). Le petit espace scénique un peu perdu dans cet arène sportive est au ras du sol donc pas non plus l’idéal pour le second et le troisième rang de spectateurs: ils ne voient pas toujours bien ses figures et ce genre de performance mériterait plus d’intimité mais bon, Paul Molina opère ici courageusement et sans micro H. F..

Il va nous raconter sa vie de jeune homme au lycée puis en classe prépa (première, deuxième année et redoublement) pour enfin intégrer non H.E.C. ou l’E.S.S.E.C. mais une autre grande école privée de commerce. Il travaillera ensuite dans une boîte de marketing. Déjà un beau parcours mais cette acrobatie-jonglage lui restera accroché au cœur et il y consacrera tout son temps libre.
Il a bien réussi à bien gagner sa vie après avoir réussi un concours difficile, alors pourquoi, se dit-il, ne pas aussi être le meilleur en free-style. Il sera troisième
au Super Ball 2022 (catégorie Rookie),au championnat du monde et il va avec ses complices créer Mouton noir.

On le voit s’échauffer à vue avant l’entrée du public populaire -loin entre autres de celui des Ateliers Berthier-Odéon à Paris- et cela fait du bien… Ici, pas grand-chose à voir avec le théâtre proprement dit, même s’il y a un texte mais plutôt avec ce qu’on nomme la performance, en arts plastiques. Sur le mur du fond et sur le sol, des dalles noires s’imbriquant qu’il va retourner. Laissant apparaître des graffitis colorés et Paul Molina demandera au public de venir après le spectacle,  les compléter…

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Paul Molina, avec humour et une incomparable virtuosité, jouer pendant quarante-cinq minutes de ce ballon rond. Avec aussi, la grande précision des footballers professionnels.  Il fait tourner sur un doigt. Ou allongé au sol, alternativement sur ses deux pieds. Ou il le fait circuler-figure connue chez les jongleurs-sur ses bras, puis sur la nuque. Brillantissimes, ces belles images poétiques ravissent le public.
Mais le texte -pas toujours clair-est un peu faible et on aurait aimé qu’il ait cette même précision et cette même poésie, pour nous dire qui il a été et qui est maintenant l’artiste intermittent qu’il est devenu? Quels sont ses espoirs ses doutes et ceux de ses parents? Comment se voit-il dans quelques années? Pourquoi cette discipline très exigeante fait-elle partie au plus profond de sa vie ? Là, cette autobiographie a un goût de trop peu….
Cette performance a quelque chose d’émouvant mais comme elle est devenu un spectacle, il faudrait absolument revoir les choses : le metteur en scène aurait pu nous épargner un fond sonore bruyant (proche de Rameau, dit la note d’intention mais que nenni !) et des éclairages approximatifs. Il y a aussi quelques temps morts, une fausse fin et une petite dose inutile de fumigène (pour évoquer ceux des stades ? Et la troisième pour nous cette semaine : un véritable poncif cette saison) Mais ce Mouton noir a de grandes qualités et une impressionnante tournée devant lui. Donc à suivre.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 8 décembre à la salle des sports Jolliot-Curie, Sin-le-Noble (Nord), Tandem Scène nationale-Hippodrome de Douai/Théâtre d’Arras,du 6 au 9 décembre. Maison de la Culture de Bourges-Scène Nationale ( Cher) le 16 décembre.

Festival Spring en Normandie (différents lieux) du 14 au 21 mars. Scène nationale du Sud-Aquitain, Bayonne ( Pyrénées-Atlantiques) du 27 au 29 mars.

Quai des Rêves, Lamballe-Armor, ( Côtes-d’Armor) du 5 au 7 avril Théâtre d’Auxerre-Scène conventionnée (Yonne) le 11 avril. Théâtre Beaumarchais, Amboise (Indre-et-Loire). Le 18 avril, Théâtre L’Eclat, Pont-Audemer ( Eure) le 20 avril. Festival Rencontre des jonglages, La Courneuve ( Seine-Saint-Denis) du 26 au 28 avril.

Théâtre de Sénart-Scène nationale (Seine-et-Marne) les 21 et 22 mai. Théâtre La Passerelle-Scène nationale de Gap, du 31 mai au 2 juin.

Scène Nationale d’Orléans-La Passerelle, Fleury-les-Aubrais (Loiret) les 4 et 5 juin. Lieux publics-Centre national des arts de la rue et de l’espace public et Pôle Européen de production, Marseille (Bouches-du-Rhône) du 8 au 12 juin. La Verrerie d’Alès, Pôle National Cirque Occitanie (Gard) du 13 au 15 juin. Le Safran d’Amiens-Scène conventionnée (Somme), les 19 et 20 juin

Théâtre du Cloître- Scène conventionnée, Bellac (Haute-Vienne), du 1er au 6 juillet. Le Cratère-Scène nationale d’Alès (Gard) du 4 au 6 juillet. Espace Georges Sadoul, Saint-Dié (Vosges), le 8 juillet.

Saint-Jean-de-Monts ( Vendée) le 20 septembre.

Nuit du cirque, Le Sirque-Pôle National Cirque de Nouvelle Aquitaine, Nexon ( Haute-Vienne), les 16 et 17 novembre.

 

Chapter 3: The Brutal Journey of the Heart chorégraphie de Sharon Eyal et Gai Behar

2 Chapter 3 - Photo by

© Stefan Dotter for Dior

 

Créée en 2019, cette pièce est la dernière d’une trilogie : OCD Love (2016) et Love Chapter 2 (2017) consacrée à l’exploration du sentiment amoureux. Ici, les battements de cœur rythment le corps collectif de la L-E-V Dance Company. Nous retrouvons avec plaisir le vocabulaire si particulier de Sharon Eyel et Gai Behar qu’ils ont décliné ensuite dans Into the Hairy et dernièrement Jakie avec le Nederlands Dans Theater (voir le Théâtre du Blog)

 Les sublimes costumes en tissu imprimé avec un grand cœur rouge, conçus par la styliste Maria Grazia Chiuri (Christian Dior Couture), sculptent les anatomies des interprètes, tous exceptionnels. Parés de cette seconde peau, Keren Lurie Pardes, Darren Devaney, Alice Godfrey, Guido Dutilh, Johnny McMillan, Juan Gil, Nitzan Ressler et Frida Dam Seidel dansent avec ardeur, épousant de manière quasi organique la musique électronique de DJ Ori Lichtik avec parfois des élans latino ou disco : autant de respirations dans cette plongée brutale au vif des émois amoureux…

La chorégraphe exige un engagement extrême et une tension intense pour traduire physiquement des états émotionnels. La tribu se défait et se recompose en un mouvement perpétuel: échappées en duos sensuels, petits pas de côté vers la liberté..  Puis les danseurs s’agglutinent en un tout organique. Leurs bras et jambes semblent être des tentacules se déployant et se rétractant. Les lumières d’Alon Cohen traduisent toutes les couleurs de l’amour: rouge de la passion, vert spectral du dépit, clairs-obscurs de la mélancolie…

4 Chapter 3 - Photo by

© Stefan Dotter for Dior

 Sharon Eyal cite volontiers Little Life de l’autrice américaine Hanya Yanagihara : «Les choses se cassent et parfois se réparent. Et vous réalisez que la vie se réorganise pour compenser votre perte, parfois à merveille.» Ici, les corps érigés comme des flèches et oscillant sur la pointe des pieds, les torses cambrés à l’extrême et les petits gestes allusifs des mains constituent sa signature : «Je travaille à l’instinct, dit-elle, je mets la peau de mon âme à nu.» Et les artistes suivent ses indications: « silence, sécheresse, peur, intégrité, secret, nostalgie, noir, lune, eau, odeur, démon, froideur, couleur… »

Issue de la Batsheva Dance Company où elle a été danseuse, puis chorégraphe et directrice artistique associée, Sharon Eyal a développé un style minimaliste avec techniques gaga d’Ohad Naharin et bases classiques, avec aussi un penchant pour le «groove» et l’«underground clubbing culture». Un monde d’où vient Gai Behar qui a créé avec elle, en 2015, leur compagnie L-E-V, maintenant installée en France. Il faut aller la découvrir. Sharon Eyal et Gai Behar sont  aussi artistes-invités de grands ballets.
La chorégraphe, née à Jérusalem, se dit aujourd’hui le cœur brisé par la guerre que mène son pays: on peut l’entendre dans cette pièce exigeant du public et des artistes, une grande concentration.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 5 décembre dans le cadre de Fréquence Danse, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème). T. : 01 53 35 50 00.

Les 2 et 3 février, Comédie de Genève (Suisse); le 8 février, L’Onde, Vélizy-Villacoublay (Yvelines); le 20 février, Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil (Eure).

Love Chapter 2 , du 21 au 23 mars, Théâtre du Rond-Point, Paris ( VIII ème) 

Into the Hairy, les 9 et 10 avril, Comédie de Clermont-Ferrand. Du 12 au 14 avril, avec Chaillot-Théâtre national de la Danse, à la Grande Halle de la Villette, Paris (XIX ème).

 

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