Carte noire nommée désir, texte et mise en scène de Rébecca Chaillon

 

Carte noire nommée désir, texte et mise en scène de Rébecca Chaillon

Vers 1990, Carte Noire, un café nommé Désir était un slogan publicitaire bien connu. Ici, le café a disparu et l’autrice et metteuse en scène avec ce spectacle créé en 2021 veut éradiquer les clichés qui ont encore la vie dure, attachés au corps des femmes noires.
Avec sept performeuses « afro-descendantes »: Estelle Borel, Aurore Déon, Maëva Husband (en alternance avec Olivia Mabounga) Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby, Davide-Christelle Sanvee. »
C’est plus facile de s’entourer de personnes blanches dit-elle, on les croise plus dans le réseau théâtral. (..) Mon premier spectacle s’appelait Huit  femmes avec  uniquement des blanches et l’équipe de Carte noire nommée désir a été constituée en écho et en réponse, quinze ans ans plus tard…

Ici, la créatrice a voulu unir à la fois jeu, poésie, danse, musique, chant, acrobatie, mime et nous emmène avec elle dans une sorte de voyage initiatique… La colonisation sous différentes formes par la France de gigantesques territoires d’Afrique de l’Ouest n’est pas si loin… et elle met le doigt où cela fait mal: sexualisation des femmes à outrance, mépris organisé, employés noirs mal traités, pillages des ressources, etc….
Et il y a quelques textes assez drôles comme ces petites annonces de magazine où des hommes, blancs pour la plupart, cherchent une âme sœur noire avec force détails parfois sexuels. Ou cette tirade d’une grande bourgeoise européenne qui se félicite en termes méprisants d’avoir engagé une perle noire. Et aussi un court et très beau texte lu par une autre performeuse: absente pour cause de maladie, Fatou Siby dit toute la difficulté de vivre dans un petit appartement en banlieue parisienne avec une nombreuse famille africaine et le manque de sommeil  quand il faut pourtant faire face à d’épuisantes journées de travail…

Rébecca Chaillon a invité les spectatrices noires et les personnes transgenre à venir en fond de scène s’asseoir sur des canapés, face aux gradins du public. Elles auront même droit à un rafraîchissement. Une façon de mettre les choses au point, avant même que ce «spectacle performatif» ne commence…
Puis elle nettoie (trop longtemps!) le sol blanc avec une serpillère. Elle revendique haut et fort son identité bisexuelle et l’affirmation chez elle d’un geste politique ne laisse ici aucun doute y compris dans la forme.
Une performance en art contemporain signifie une action faite par une ou un artiste, ou mais moins souvent par un collectif d’artistes, face à un public averti avec de nombreux peintres, sculpteurs, vidéastes, compositeurs… Et où la gestuelle, la danse comme la musique et/ou la peinture en train de se faire, sont plus importants que le texte souvent réduit à un poème ou quelques phrases. Étymologiquement ce mot parformance (XVI ème siècle) vient de l’ancien français: parfourmir ou parfournir, parfourmer ou parformer (XIII ème siècle). Soit: accomplir, exécuter, achever. Avant d’entrer, il y a une cinquantaine d’années dans le vocabulaire  de l’art contemporain pour le meilleur mais aussi pour le pire,  dans les écoles d’art.

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Ici il s’agirait d’un « spectacle performatif » comme on nous l’annonce au début, et absolument collectif, avec  huit artistes noires de plusieurs disciplines-ce qui est rare-et qui s’inscrit dans l’histoire déjà longue de ce mouvement d’art. Créé au Centre Dramatique National de Nancy, puis joué au festival d’Avignon et maintenant dans un théâtre national parisien pour trois semaines: ce qui est rare.
Comme toute performance ou happening, ce « spectacle performatif » peut éventuellement être soumis aux réactions fortes du public, complice mais aussi parfois hostile. Et par définition, il est aléatoire et jamais identique d’un soir à l’autre. Beaucoup plus qu’une pièce de théâtre où en général tout est codifié. Cela peut rendre les choses intéressantes… ou pas du tout. C’est une loterie….
Le compositeur John Cage nous avait dit en 72 (mais en riant) qu’une dose d’ennui était même le propre d’un happening. Mais la notion d’ennui était déjà un des moteurs du romantisme: voir Chateaubriand, Musset, Vigny… Et il n’est pas: indifférence (sinon il n’y aurait pas deux mots) et John Cage avait aussi précisé dans un texte : « L’ennui, c’est nous qui nous le donnons (…) l’ennui ne surgit que si nous le suscitons nous-mêmes. (…) Il n’y a plus d’ennui dès lors qu’il n’y a plus d’ego.» Une démarche dans la performance alors fondée, comme sa musique,  non sur des qualités dites esthétiques mais sur le processus de réception.

Le désintérêt, plus fort que l’indifférence, étant alors nécessaire au principe d’autonomie d’un objet scénique, relevant quand même d’une esthétique non théâtrale. Plus ou moins loin de toute sensibilité quant à ce qui est montré/dit/joué/chanté/dansé… Le public, en général invité et complice et, étant  prié de faire avec… Et il y a alors une sorte de fusion entre l’expérience esthétique et la vie ordinaire, mais où les créateurs jouent sur la durée et sur l’espace.
Ici, les règles sont différentes et précises: nous sommes dans un théâtre national avec des techniciens ultra-compétents et tout le matériel nécessaire et où le public, assis sur des rangées de fauteuils paie ses places pour voir un  » spectacle » qui a été bien rodé … Sur un plateau blanc représentant  » un Occident enfermant» (??? sic)  où tous les accessoires, sauf la harpe, sont aussi blancs, va alors se succéder des provocations en rafales comme au début, un interminable lavage du plateau-immacul-en quelque vingt minutes par la performeuse en chef.

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Dans un silence total, cette provocation n°1 est volontairement fondée sur un acte sans intérêt, un étirement du temps et en silence, excepté le léger bruit de l’eau quand Rébecca Chaillon plonge la serpillère dans le seau…

Pour bien nous montrer une certaine vanité de la parole occidentale et/ou l’humiliation qu’ont dû subir ses ancêtres? D’abord en pantalon, socquettes et haut blanc, enduite de poudre blanche, ensuite à moitié puis totalement nue et assumant un surplus de poids:«Je montre ce que je suis vraiment, je suis transparente. La nudité enlève une couche de protection ou de mensonge possible entre le public et moi. Elle correspond à un travail de rapprochement, d’empathie, de crudité, de cruauté… En tant que performeuse, je me pense comme un vecteur qui permet au public d’entrer en contact avec lui-même. » (…) Dans Carte noire nommée désir, l’idée était de choisir comment nous voulions manipuler, montrer, présenter nos corps. C’est très troublant pour plein de gens mais il s’agit bien d’un double mouvement : on dénonce ce qu’on nous fait, tout en nous le faisant à nous-mêmes. On pourrait croire qu’on reconduit l’oppression, mais en fait c’est très différent. C’est une réappropriation de notre image.

 

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Pendant ce temps, Ophélie Mac qui est céramiste, tourne sur une table basse une dizaine de petits pots, avant d’aller laver soigneusement le corps entier de Rébecca Chaillon, ce qui met encore une dizaine de minutes… Et il y a souvent- et c’est dommage-des  provocs faciles comme ce gag: les jeunes femmes  vont dans la salle embarquer sacs à main, vestes et manteaux des spectateurs, avec cette phrase lâchée en conclusion: «Voilà ce que la colonisation nous a fait.» Quand les fameux acteurs jumeaux Waclaw et Leslaw Janicki dans Les Mignons et les Guenons (74) de Tadeuz Kantor allaient eux aussi piquer au vestiaire les manteaux -dont certains en fourrure- les spectatrices de Chaillot, assez choquées, riaient jaune. Merveilleux théâtre iconoclaste d’une autre époque…

L’indifférence peut conduire à l’exaspération : là aussi, c’est à prendre ou à laisser.  Mais le public bourgeois adore être malmené, enfin pas trop… Ici, nous nous ennuyons assez souvent mais en percevant esthétiquement cet « ennui ». Ce qui n’est pas la même chose et Rébecca Chaillon nous l’offrira jusqu’au bout avec une grande générosité… Malheureusement sans véritable mise en scène.
Et elle aurait pu nous épargner des effets usés comme les lumières stroboscopiques les fumigènes et autres débordements de mousse… Ou ce jeu interminable et même pas drôle du genre Questions pour un champion avec le public, les gagnants étant récompensés par des barres chocolatées ! Là, le second degré rejoint le premier: tous aux abris….
Comme dans toute performance, il n’y a pas de hiérarchie de valeur entre les composantes artistique et nous ne le reprocherons pas à cette créatrice. Cette Carte noire est annoncée au début comme un «spectacle performatif ». Comprenne qui pourra. Quelle serait alors la différence avec une «performance spectaculaire » ?
Ici, pas de récit ni de véritable enchaînement mais un seul fil rouge: le règlement de comptes avec le racisme que continuent à subir ses amies noires et elle-même. Aux meilleurs moments, Rébecca Chaillon le dit assez bien, en images comme en texte. C’est le plus souvent une discrimination même infime dans la vie quotidienne et un jugement plus sévère quand il y a un léger dérapage par rapport aux normes établies…
En fait, pour Rébecca Chaillon-et c’est bien vu-le théâtre  chargé d’histoire appartient au pouvoir mâle… Diriger un théâtre national est un phénomène récent : Muriel Mayette a été la première femme à administrer la Comédie-Française en 2006!  Et Dominique Hervieu (mais avec José Montalvo) est nommée deux ans plus tard, directrice du Théâtre National de Chaillot,
Mais la performance artistique est surtout un espace féminin avec  le corps comme  expression de base depuis Gina Pane (1939-1990), Marina Abramović (avec, au début Ulay, son compagnon mort il y a trois ans), Sophie Calle, Orlan… « L’acte perfor­ma­tif, selon Juliette Bertron et Carole Halimi, dans sa visibi­lité ou son invisi­bi­lité, est le lieu d’une interro­ga­tion tangible, à même de véhicu­ler des savoirs comme en détour­ner ou en interro­ger d’autres. Si ce médium a pu servir de terrain aux revendi­ca­tions féministes, c’est que les femmes s’y trouvent à la fois actrices, créatrices et sujets. »

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Rébecca Chaillon reconnaît avec honnêteté que, forcément, elle triche et qu’il y a dans cette Carte Noire des moments de théâtre. Mais elle dit aussi beaucoup aimer les musées donc les arts plastiques. Aucun doute là-dessus, elle sait fabriquer des images parfois très réussies.
Comme, entre autres, cette fabrication de ses longues tresses, en silence par les performeuses qui vont toutes s’y mettre, un repas-foutoir où elle rient et parlent très fort autour d’une longue table nappée de blanc (tiens, encore une citation de Tadeusz Kantor?). Ou cet enfilage de bébés blancs sur une perche…

 

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Puis il y aura de nouveau, un lavage collectif et total du plateau avec des draps blancs, un exercice  épuisant: là on est bien dans la stricte performance   d’art, dit corporel mais collective. Puis, l’une des jeunes femmes montera sur le corps de ses amies pour aller se réfugier dans une grosse boule de câbles suspendue et une circassienne évoluera dans une roue Cyr,  continuant à tourner sans elle, avant de s’immobiliser définitivement sur le sol dans un clac rompant un silence absolu : une superbe fin…
Applaudissements très fournis et ovation debout comme souvent maintenant, d’une partie du public souvent jeune, mais applaudissements seulement polis de jeunes et moins jeunes confondus…
Huit Africaines disent ici leur colère et aussi leurs joies en chantant et dansant: un spectacle assez rare, même si nous ne pouvons être d’accord sur une démarche parfois facile et racoleuse.
Rébecca Chaillon montre qu’elle a un véritable sens de l’image et de l’espace.  Mais elle maîtrise moins celui du temps et ces deux heures et quarante, même si cela fait partie du jeu, sont bien longues pour ce qu’elle veut dire sur une scène et avec les moyens du théâtre. Dommage! Nous espérons vous avoir au moins donné un petit éclairage pour savoir si vous avez envie d’aller voir ce «spectacle performatif» aux allures de conte actuel.

Philippe du Vignal

Du 28 novembre au 17 décembre, Odéon-Théâtre de l’Europe, aux Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVIII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 

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Archive pour décembre, 2023

40° sous zéro/L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles de Copi, par le Munstrum Théâtre, mise en scène de Louis Arène

40° sous zéro/L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles de Copi, par le Munstrum Théâtre, mise en scène de Louis Arène

Il fallait l’audace de ses compatriotes argentins en exil comme Alfredo Arias avec son groupe TSE pour monter  les pièces de Copi de son vivant. Ou un Jorge Lavelli qui fit sensation avec Les Quatre Jumelles en 1973, au Palace. Depuis, d’autres se sont emparés de ce théâtre inclassable mais toujours aussi mordant. Le texte laconique de Copi, avec jurons et blagues salaces, exige une grande vélocité des interprètes.
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Dans L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer, un triangle amoureux,  déportées en Sibérie, Madre et sa «fille» Irina vivent dans une maison perdue dans la steppe «par quarante degrés en-dessous de zéro», entourées de loups. Madame Garbo, la professeure de piano d’Irina, amoureuse de son élève, déboule…
Et bravant l’ultra-violence de Madre, elle va essayer d’emmener Irina en Chine. Mais elles ne partiront pas. Madame Garbo dit avoir  «un sexe d’homme » qu’on lui aurait greffé malgré elle, à Casablanca. Dans cette même ville, Madre et sa fille ont changé de sexe mais elles, de leur propre chef. Un chien passe, dévorant tout sur son passage… Ni hommes ni femmes ou les deux à la fois, ces bannis de la normalité, à l’identité sexuelle incertaine, entretiennent des rapports brutaux, brouillés 
en plus par des questions de parenté.

Une «grande folle» en majesté, arrive, prélude à ce diptyque dans les  parois mouvantes en tissu blanchi, évoquant un repaire gelé et ouvert à tous vents. Des demi-masques très fins déforment légèrement crânes et visages. Mais cette seconde peau conserve aux traits leur plasticité. Pour appuyer le caractère louche et excentrique des personnages, les acteurs avec faux culs et faux seins, ont des costumes démesurés, avec accessoires décalés: raquettes de tennis pour marcher dans la steppe ou patins à glace pour glisser sur la « blanche » des Jumelles.

Coiffes et maquillages outrés gomment encore plus les différences entre les sexes. Les corps se démembrent, les viscères et le sang giclent…  et le décor explose avec effets grand-guignolesques. Les acteurs à l’énergie sans limites nous entraînent dans un univers interlope et fantasmagorique; ils  donnent un élan joyeux et un humour noir à ce spectacle dont l’esthétique est bien celle de Copi: derrière la beauté et le factice des apparences sous les costumes chatoyants, plumes et paillettes, les êtres se décomposent.

 L’auteur n’hésitait devant rien pour déstabiliser l’ordre bourgeois et hétérosexuel:  entre scatologie et sado-masochisme, pour interroger les notions de normalité. Sous cette avalanche d’images et gags forcenés, s’ouvrent les portes d’un enfer: celui des arrière-boutiques, des pissotières et du sida…  dont mourut Copi.
Louis Arène et les comédiens  du Munstrum Théâtre en mêlant kitch, cruauté et exhibitionnisme, mènent les situations au-delà de l’absurde, rendent le sordide délirant et poétique loin de toute vulgarité de Copi et exploitent à fond la veine comique de la pièce. Le public, nombreux et reconnaissant, applaudit à ce périlleux exercice…

Mireille Davidovici

Du 13 au 15 décembre à 20 h, Théâtre 71-Malakoff, Scène Nationale 3 place du 11 novembre, Malakoff (Hauts-de-Seine).

Le Théâtre complet de Copi est publié aux éditions Christian Bourgois.

Entretien avec Chloé Cassagnes

 

Entretien avec Chloé Cassagnes

Cette artiste, créatrice de masques, accessoires et marionnettes, s’est aussi formée à la magie nouvelle et ses spectacles participent des arts de la scène et de la rue mais aussi des arts plastiques. Elle explore le traitement du corps et son mouvement et cherche à faire vivre le monde de l’inanimé.

-Quel est votre parcours ?

-Au Conservatoire Jean-Philippe Rameau à Paris, j’ai rencontré le masque et la marionnette. J’ai toujours eu une passion pour l’objet et le théâtre : c’est vraiment ce que je voulais faire.  Et j’ai travaillé comme actrice et créatrice de marionnettes, masques et accessoires pour des compagnies théâtrales, sociétés de production audiovisuelle ou institutions, telles que la Philharmonie de Paris.  Il y a dix ans, j’ai mis un pied dans l’univers du cirque, quand j’ai rencontré Cécile Mont-Reynaud de la compagnie Lunatic : j’ai alors apporté un regard extérieur sur ses spectacles et travaillé à leur scénographie. 

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©x La Femme coupée en  deux

Parallèlement, j’ai développé des projets à la croisée des arts de la scène, de la rue et des arts plastiques. En 2015, j’avais suivi une formation Écriture magique-Magie nouvelle du Centre National des Arts du Cirque et de la compagnie 14:20. Se sont alors ouvertes de nouvelles pistes de réflexion sur le réel et l’illusion.
Et pour mon premier spectacle
La Femme coupée en deux, j’ai créé la compagnie Les Bruits de la nuit. Puis j’ai rencontré Thierry Collet avec qui j’explore l’univers de la magie, et le marionnettiste Brice Berthoud des Anges au plafond. Nous avons conçu un cabaret de magie et marionnettes: L’Huître qui fume et autres prodiges. Des disciplines complémentaires qui ont une place essentielle dans mon travail. 

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©x L’Huître qui fume

Je m’intéresse à ce qui constitue l’intime et comment nos corps s’inscrivent dans le monde qui nous entoure. J’aime explorer les zones de frontière, les espaces de porosité entre le réel et ce qui ne l’est pas ou pourrait l’être. La magie avec ses effets et son histoire, m’apparait comme un vaste champ d’exploration de notre intériorité  et une porte d’entrée dans un imaginaire commun. Comme si avec les centaines de tours qui ont passé les siècles, elle rassemblait désirs enfouis et aspirations communes aux êtres humains, avec des couleurs différentes selon les sociétés mais avec quelque chose d’universel.
Quant à l’art de la marionnette et la mise en mouvement d’objet inanimés, ils ont quelque chose d’archaïque mais me permet d’aller dans des univers visuels très forts. Mais aussi de multiplier les niveaux de lecture et ainsi d’aller sur les chemins de l’imaginaire. 

-Quelles ont été vos influences?

-Le travail de Philippe Genty a été déterminant  et j’y ai trouvé un langage qui résonnait en moi et qui m’accompagne encore. Et les arts plastiques, entre autres, le surréalisme et le courant hyperréaliste, mais aussi le cinéma, en particulier, celui de David Lynch. Avec la création de La Femme coupée en deux, s’est constituée une belle et joyeuse équipe aux multiples savoir-faire, qui partage un goût pour l’union des disciplines. Ainsi, une étroite collaboration s’est faite entre Thomas Mirgaine, créateur sonore, Alice Faure, dramaturge, Maxime Burochain constructeur aux multiples facettes… Avec la marionnette, la magie, les arts forains visuels et sonores, nous avons poursuivi l’exploration des espaces entre réel et imaginaire.  Notre compagnie Les Bruits de la nuit est implantée aux ateliers de la Briche à Saint-Denis ( Seine-Saint-Denis)  et bénéficie d’un compagnonnage du Théâtre-Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). 

-Pourquoi avoir intégré magie et illusion dans vos créations?

-La magie donne à voir l’impossible et la marionnette cherche à donner l’illusion de la vie. Ces arts me semblent avoir beaucoup de choses à se raconter et ont de nombreuses techniques en commun : ils peuvent donc se nourrir mutuellement. La magie est aussi le décor et le point de départ de mes spectacles.. A partir de là, se créée un monde imaginaire et poétique.

Dans La Femme coupée en deux, un solo créé l’an dernier,  l’assistante du magicien est à ce moment si particulier où deux parties d’elle se séparent. Durant le spectacle, il s’agit d’étirer le temps et d’explorer ce vide et l’espace qu’il ouvre. Des marionnettes, des membres humains viennent alors le remplir. Entre assemblages et découpages, humour et explorations poétiques, ce sont d’autres corps qui s’inventent et se racontent au milieu de voix disloquées.
L’Huître qui fume et autres prodiges,
un cabaret avec numéros étranges, burlesques et poétiques, explore les zones de rencontre entre marionnette et magie. Imaginé par Thierry Collet, le marionnettiste Brice Berthoud et moi-même, il a été en tournée en France en 2021-2022.

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©x Miss Mandrilla

À l’occasion d’une fête foraine artisanale organisée par le collectif de La Briche en 2022, mes amis de la compagnie et moi, avons mis au point une version du célèbre entre et sort Miss Gorilla, ici nommée Miss Mandrilla où une femme se change en singe sous les yeux du public. Je suis fascinée par le paysage foisonnant de la magie  actuelles et il y a de nombreuses formes à inventer. Notamment dans une union des esthétiques, genres, et pratiques.
Je suis heureuse de pouvoir, à ma façon, prendre part à cette effervescence. Aujourd’hui, je travaille
pour 2026 à un nouveau projet  La Chambre où nous allons explorer l’adolescence avec escapologie, marionnettes et poésie…

 

Sébastien Bazou


Entretien réalisé le 1er décembre. https://lesbruitsdelanuit.fr/

 

Femme Capital , d’après l’essai de Stéphane Legrand, mise en scène et scénographie de Mathieu Bauer, musique de Sylvain Cartigny


Femme Capital, d’après l’essai de Stéphane Legrand, mise en scène et scénographie de Mathieu Bauer, musique de Sylvain Cartigny

Ayn Rand, autrice à succès, chantre de l’ultra-libéralisme et théoricienne d’un capitalisme individualiste, prône les valeurs de la raison, du mérite et de l’« égoïsme rationnel » Anti-communiste radicale, elle est aussi pour le laisser-faire,  face à toute forme de collectivisme ou de religion établis.
Ici elle est interprétée par Emma Liégeois accompagnée par sept des musiciens de l’Orchestre de Spectacle de Montreuil*. Enfermée dans une cage de verre -cercueil ou tribune-  la comédienne nous livre le discours de celle qui, avec aplomb, se disait aussi philosophe: «I’m a self-made woman.»

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Ayn Rand ©x

Peu connue en France mais célébrissime outre-Atlantique, Ayn Rand (1905-1982) a forgé dans ses romans comme Atlas Shrugged (La Grève) ou The Fountainhead (La Source vive), le concept des «premiers de cordée» auxquels le peuple devrait tout, et sans lesquels, il ne serait rien. Elle exalte l’héroïsme des entrepreneurs et les vertus du chacun pour soi. Donald Trump, Alan Greenspan (97 ans), président de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, de 1987 à 2006 et ami d’Ayn Rand qui a reconnu avoir été dépassé par les technologies d’automatisation des marchés financiers, les membres du Tea Party américain et les «libertariens» de tous les pays vénèrent Ayn Rand dont les livres aux Etats-Unis restent des best-sellers.

© Ch. Raynaud de Lage

© J.L. Fernandez

Mathieu Bauer et Sylvain Cartigny ne défendent en rien cette «déesse du marché » qui est, pour eux, le symbole détestable «du capitalisme comme mystique». Et ils ont mis toutes les distances entre elle et le public, sans verser dans la caricature. Au-dessus de sa cage de verre, l’icône d’un dollar scintille et ils la laissent enfermée là, dans son monde égoïste tandis que l’orchestre  joue gaiement des compositions originales, inspirées de la musique américaine de l’époque.

Les membres de l’Orchestre de Spectacle de Montreuil interviennent en contrepoint de la performance vocale d’Emma Liégeois qui chante des airs à la gloire du rêve américain comme I Happen to like New York de Cole Porter (1930) interprétée par Judy Garland.
Condamnée à rester dans sa tour d’ivoire, la comédienne entonne avec rage Lonely at the top de Randy Newman. Les distorsions étranges des musiques traduisent les contradictions d’Ayn Rand qui a travaillé comme lectrice de scénarios à Hollywood et a écrit en 1934 des pièces : Deal et Woman on Trial qui ont été jouées. En effet, cette star nationale méprisait les pauvres alors qu’un fond anarchiste chez elle la poussait à défendre les droits humains…

Ici, pas question de s’attacher à ce personnage, et ce spectacle musical, simple et direct, fait prendre conscience des idéologies perverses distillées dans le cinéma et la littérature populaires, sous-tendant le capitalisme. Il faut souhaiter que Femme Capital créé au Nouveau Théâtre de Montreuil et joué à Avignon l’été dernier, poursuive sa carrière.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 23 novembre à la Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris (XI ème) T. : 01 48 05 88 27.

*«L’annonce qu’avait fait publiée Sir Ernest Shackleton pour sa célèbre expédition antarctique m’a toujours semblé être le point de départ fondateur de cette impossible aventure artistique qu’est l’Orchestre de Spectacle de Montreuil, dit Sylvain Cartigny: «Demandons volontaires pour odyssée hasardeuse, petits salaires, froid mordant, longs mois d’obscurité totale, improbable retour en bonne santé, honneur et reconnaissance si succès… »

Femme Capital de Stéphane Legrand est publié aux éditions Nova.

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