Le Repas des gens,texte et mise en scène de François Cervantes

Le Repas des gens, texte et mise en scène de François Cervantes

© Christophe Raynaud de Lage-

© Christophe Raynaud de Lage

Pour cette création, François Cervantes,  auteur associé au Théâtre de la Criée à Marseille, maintenant dirigée par Robin Renucci, devait mettre en scène une nouvelle pièce mais cela n’a pu se faire. Et il est parti de son précédent spectacle Le Cabaret des absents où on offre un dîner sur la scène à  un couple qui n’est jamais venu au théâtre.
Robert et sa femme ne sont plus tout jeunes, sans qu’on puisse leur donner vraiment un âge. Elle a conclu depuis longtemps un accord avec lui et il n’a sans doute pas osé refuser: « Alors je lui ai dit: Bon, écoute Robert, ce qu’on a à se dire, on va le garder pour le dîner, et puis dans la journée, on se parle pas. Voilà. Ça va très bien comme ça. Et le texte aux courtes répliques, ressemble parfois curieusement à du Beckett. Robert : «  Oui. » Elle : « On aime parler quand on mange. » Robert : « Oui. » Elle : « C’est quand on mange qu’on parle. Robert: Oui. » (…)
Ces braves gens, comme on disait autrefois, vivent depuis toujours dans le même quartier dont ils sortent peu. Un quartier pas très riche où tout le monde se connait et s’entraide- une machine à laver sert à plusieurs familles- comme une sorte de tribu, avec ses bonheurs et ses malheurs. La maison de ce couple généreux est toujours ouverte et les gens passent au moment du dîner, boire un verre, manger un morceau et discuter. Comme ce cousin éloigné, directeur d’un théâtre, resté dîner avec eux.
Elle explique avec une certaine fierté pourquoi ils sont là : « Il nous a dit: vous ne voulez pas venir passer une soirée au théâtre? Je serais touché que vous veniez rencontrer le public, on vous invite à dîner.  On a accepté, et c’est pour ça qu’on est là. Et elle ajoute en confidence: «On nous a prêté une voiture. »

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Elle a fait un effort vestimentaire.. mais son tailleur rose fané est vieillot et son sac à main marron, des plus ringards. Lui aussi a essayé de s’habiller pour cette sortie et a mis une triste chemise bleu pâle, un aussi triste gilet gris et une veste.
Robert et sa femme arrivent un peu hésitants et paumés sur ce grand plateau où une table a été dressée pour eux deux. Au-dessus, un curieux lustre qui a dû servir autrefois pour un spectacle. Christian, le régisseur de scène tout en noir (Stéphan Pastor) les accueille avec attention et fera office de maître d’hôtel.
Ils découvrent avec étonnement la salle du théâtre. Devant eux, plusieurs centaines de personnes les regardent. Eux se demandent bien pourquoi mais ils les saluent poliment,  comme Xavier, le régisseur-lumière là-haut, même s’ils ne le voient pas. Puis ils se mettent à table face public. Ils savourent le vin et les plats. Christian les sert mais va aussi répondre à leurs questions naïves sur le fonctionnement d’un théâtre: « Eh ! Ben, tout est écrit ! On a un texte, tout est marqué ! Ce que les acteurs vont dire, ce qu’ils vont faire, par où ils vont entrer. Tout !/ Robert: «Ils disent toujours les mêmes phrases ? /Christian : Bien sûr ! »

Elle va se mettre à raconter la vie de sa famille, encore émue d’être sur scène, seule avec son mari devant tout ce public. Mais elle boit pas mal et est donc vite assez pompette, comme elle dit. »Oh ! La, la ! Oui, je mélange tout, je confonds avec des livres que j’ai lus. Oh ! La, la ! (Elle regarde la bouteille). «On n’a pas bu tant que ça pourtant… C’est cet endroit qui tourne la tête, c’est tellement émouvant. Et Robert ajoute timidement: «Quand même, fais attention.»
C’est tout, et c’est merveilleux. Suivra un dialogue aussi surréaliste avec réponse d’une syllabe ou trois maximum, quand Robert, avec un grand sérieux, essaye de trouver la recette du plat fumant qu’ils dégustent : «C’est un fond de blanc de volaille ? Christian : Oui. Robert : De la dinde, non ? Christian : Oui. Robert : Clarifié au blanc d’œuf? Christian : Oui. Robert : Au gros sel et à l’ail. Christian : Oui. Elle : C’est très bon. Christian : Merci. Robert : Du poivre, de l’oignon?  Christian : Oui. » Et tout le public rit de plus en plus…

« Leur hospitalité naturelle fait venir au plateau des fantômes de théâtre et la soirée devient une rencontre du visible avec l’invisible, dit joliment de ses personnages, François Cervantes. Il y a des millions de personnes qui ne sont jamais entrées dans un théâtre de leur vie et qui n’y entreront jamais (mais pour autant des millions de personnes sont contents de savoir qu’il y a des théâtres, sans pour autant y aller. »
Oui, c’est du théâtre dans le théâtre… Mais heureusement, très loin de ce qu’on voit d’habitude, en général facile et peu efficace. Et ici fait avec une grande intelligence scénique et en même temps, un indéniable capital de tendresse pour ces personnages d’une rare banalité que François Cervantes sait rendre terriblement émouvants. La démarche clownesque de Catherine Germain et Julien Cottereau, très crédibles dans le moindre geste ou intonation, est d’une rare qualité comique, toute en nuances. Et leur jeu est exceptionnel de vérité mais aussi d’une grande poésie.

Il faut la voir quand, elle,après avoir beaucoup trop bu, met avec un grand naturel, le reste de son verre, pour ne pas le perdre, dans son sac à main! Et lui, silencieux, quand il écoute très attentif ce qu’elle dit, en le ponctuant d’un seul oui, ou non. Ils ressemblent,  quarante après, aux personnages  imaginés par Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, ceux entre autres de leur célèbre Lapin Chasseur où le personnel d’un restaurant minable buvait lui aussi beaucoup…
Avec un comique d’une grande précision et vraiment savoureux, ce Repas des gens est aussi une sorte de manifeste et d’hymne au théâtre, comme à son public. Elle et Robert le disent  avec leurs mots à eux, du genre: «C’est ballot, quand même. C’est la première fois qu’on vient au théâtre, et y’a pas de théâtre ! (Au public): On est désolés, y’a pas de théâtre ce soir. (A Christian): « Ça n’a pas l’air de les déranger. Ils sont gentils quand même. » C’est superbement dit et récompensé par les rires sans fin du public, en osmose avec les acteurs.

Apparaît au milieu de la scène, une grande flaque d’eau qui augmente, assez menaçante. Ici, aucun naturalisme et c’est tant mieux. Puis en fond de scène, dans une nuée de fumigènes et sur une musique de basses électroniques: deux stéréotypes mais bon, on oubliera!), une revenante aux longs cheveux d’Agnès, une jeune fille morte noyée :un avatar d’Ophélie? jouée par Lisa Kramars. «Ma maison est à côté de la rivière, il doit y avoir mes parents et ma sœur Angèle. Je ne la retrouve plus la maison. Pourquoi est-ce que vous pleurez, madame ? Elle : Angèle, c’était ma grand-mère, vous êtes la petite sœur de ma grand-mère » Mais c‘est longuet, et pas le plus réussi de ce Repas des gens.
Puis, des châssis se lèvent et apparait tout ce grand plateau avec projecteurs, caisses, accessoires, rideaux… Un bel hommage au théâtre et au travail des techniciens, invisible mais nécessaire à tout spectacle.
Ensuite par une porte sur le côté de la salle, arrive
Sylvie, la fille du couple (Fanny Giraud). Elle  retrouve ses parents mais ne parle pas beaucoup. Il y a une très belle fin. Robert dit simplement: «Bonsoir, tout le monde.» Et sa femme lui répond : «On va se tourner vers la gauche, on va marcher jusqu’à la porte, et on va partir. Xavier mettra une musique de Schubert, quand on aura disparu.» Effectivement, les acteurs quittent la scène et nous entendons du Schubert. Deux minutes plus tard, ils réapparaissent pour saluer… dans leurs vêtements du quotidien et au naturel. Catherine Germain avec ses longs cheveux. Une métamorphose complète, histoire pour l’auteur et metteur en scène de préciser en un dernier clin d’œil, que nous sommes bien au théâtre et heureux d’y être…

Merci, François Cervantes pour ce spectacle qui fera date. Rares sont ceux que nous avons envie de revoir et celui-ci, nous le reverrons, quitte à sacrifier autre chose au festival d’Avignon, quand il y sera repris cette année. C’est si rare de rire en ces temps difficiles et le théâtre public actuel est plutôt du genre radin en comique! Le théâtre privé, moins, mais il y est très souvent vulgaire. Allez voir ce Repas des gens quand il passera près de chez vous ou en Avignon. C’est, nous vous le garantissons, le meilleur spectacle de cette saison et une authentique réussite.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé du 16 au 27 janvier, à La Criée, Théâtre National de Marseille, 30 quai de Rive neuve (VII ème). 

Du 29 juin au 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (relâche les mercredis: 3, 10, et 17 juillet).

 

 


Archive pour janvier, 2024

Musique de tables, d’après la partition de Thierry De Mey, conception et interprétation d’Éléonore Auzou-Connes, Emma Liégeois et Romain Pageard

Musique de tables, d’après la partition de Thierry de Mey, conception et interprétation d’Éléonore Auzou-Connes, Emma Liégeois et Romain Pageard

Développé à partir de la pièce éponyme en sept minutes pour trois percussionnistes sur table, créée en 1987, ce spectacle tient autant de la performance musicale que théâtrale. Les acteurs l’ont découverte quand ils étaient encore élèves à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Séduits par son potentiel scénique, alors qu’ils n’étaient pas musiciens, ils l’ont traduite en gestuelles, rythmiques et images. Résultat : un fascinant trio à six mains.

© Raoul Gilbert

© Raoul Gilbert

Thierry de Mey, compositeur, entre autres, pour les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaeker et Michèle Anne de Mey, a inventé une notation spécifique avec dix-neuf façons de taper sur la table pour créer différents sons, donc autant de positions de mains codifiées dans un répertoire de symboles. «Au point de rencontre entre musique et danse, dit-il, le geste importe autant que le son produit.»

Ici, blanches, noires, croches, triolets et autres rythmes alternent avec des résonances mates ou aigües, selon que l’on frappe le bois, de la paume, du bout des doigts, que l’on claque des mains, ou que l’on passe le tranchant d’une main sur la surface lisse…Les artistes ont imaginé une série de jeux de scène, sur les planches et dans l’espace, sous des éclairages rasants qui font surgir de l’ombre leurs bras ou leur tête

Dans la première partie, chacun cherche son style, le confronte à celui des autres, défie leur regard dans une rivalité ludique. Puis ils se mettent à l’unisson: les bras se croisent et les mains se baladent, comme de petits monstres à cinq pattes sans qu’on sache laquelle appartient à qui. Un étrange ballet sonore et visuel semblant émaner d’un corps à trois têtes et six bras et trente doigts.. Comme les danseurs, leurs doigts sont habillés des sparadraps blancs protecteurs: le bois est dur et les articulations, fragiles… Musique sur tables, un petit bijou de cinquante minutes de virtuosité et d’humour,  créé au Théâtre National de Strasbourg, est promis à une belle carrière.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 12 février, 2-4 Square de Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris (IX ème). T. : 01 53 05 19 19.

 

Tartuffe de Molière, mise en scène de Serge Noyelle et Marion Coutris

Tartuffe de Molière, mise en scène de Serge Noyelle et Marion Coutris

La première version de cette pièce devenue culte, fut créée à l’Hôtel de Bourgogne en 1664, mais a eu une vie agitée. Vite interdite à cause du scandale qu’elle provoqua, elle fut reprise cinq ans plus tard, avec un texte un peu moins virulent, (on dirait aujourd’hui autocensuré!) après avoir encore subi une autre interdiction…Cette œuvre emblématique du théâtre en alexandrins est restée d’une incroyable modernité plus de trois siècles après. Et aussi la plus jouée à la Comédie-Française, la maison de Molière, avec plus de 3.000 représentations! Mise en scène, entre autres, par Roger Planchon, Ariane Mnouchkine, Dominique Pitoiset, Luc Bondy, Stéphane Braunschweig, Ivo van Hove… (voir Le Théâtre du Blog).

« Cette mise en scène, dit Marion Coutris, a été d’abord jouée trois fois à Marseille puis en tournée, huit fois à Pékin, Shangaï et Chengdu avec celle d’En attendant Godot de Samuel Beckett, dans une traduction officielle sous-titrée. C’était l’occasion pour les Chinois de découvrir le répertoire français classique et du XX ème siècle. Nous étions déjà allés en Chine avec Serge en 2009. Ces mises en scène ont reçu un accueil chaleureux; après les saluts, les spectateurs montaient sur la scène pour venir nous voir.»
«Cela se passe dans une famille où Orgon et sa femme Elmire hébergent un homme qui n’est pas prêtre mais très engagé dans la religion catholique, dit Serge Noyelle. Orgon envoûté par cet individu hors-normes et fascinant, le reçoit somptueusement. Mieux, il lui offre en mariage sa fille mais ce soi-disant dévot exemplaire est un imposteur et va aussi essayer de séduire sa femme Elmire. Tartuffe échouera et pour se venger d’Orgon qui, enfin lucide, veut le mettre à la porte, il fera tout et il en a les moyens, pour lui piquer sa maison et ses biens. La pièce est encore tout à fait d’actualité.»
Tout est dit…

© Julien Florès

© Cordula Treml   Tartuffe et Elmire

Dans la vaste salle du théâtre des Calanques, une scénographie de Marion Coutris et Serge Noyelle, très épurée. Sur ce plateau d’une profondeur de 10 m et d’une ouverture de 21 m, heureusement réduit par deux larges bandes noires, il y a juste côté jardin, un canapé deux places vieux rose, et côté cour, un gros fauteuil club où se prélasse Tartuffe et derrière lequel se cachera Damis, le fils d’Orgon quand Tartuffe se pavane devant Elmire. Au milieu, une longue table nappée de blanc avec treize verres à pied. Aucun autre accessoire sinon, à côté, et au fond, devant un rideau, treize chaises de bistrot qui serviront ou pas. Une rigueur bien vue sur le plan pictural et bien venue. Des costumes contemporains, certains réussis comme celui de Tartuffe ou de Dorine, d’autres moins comme celui de Marianne, un peu style Deschiens mais bon…

Il n’y a ici aucune lecture personnelle de Tartuffe et devant ce chef-d’œuvre absolu de la comédie, Marion Coutris et Serge Noyelle ont bien visé : mieux valait rester humble et ne pas faire joujou comme d’autres, avec ce texte aux formidables dialogues toujours aussi vivants, plus de trois siècles après sa création. Et respecter à la lettre, le texte et ce scénario de premier ordre.
Dans toute comédie, des situations basculent plusieurs fois: ici, Tartuffe, d’abord piégé par un Orgon aveuglé par l’amitié/amour et d’une naïveté désarmante, est le maître et les enfants d’Orgon sont priés d’accepter ce cadeau empoisonné: Damis se révolte mais maladroitement et la toute jeune Marianne qui brûle d’amour pour le beau Valère, ne voit pas bien le danger… Pas plus qu’Elmire, la femme d’Orgon, elle aussi fascinée par ce jeune inconnu qui a réussi à s’introduire chez eux. Dorine, la servante lucide, fera tout pour protéger Marianne, ouvrir les yeux d’Orgon et pour que ce sale type sans scrupule quitte au plus vite la maison qui l’abrite.

© Julien Florès

© Cordula Treml Marianne et Dorine

Très habile, Tartuffe se revendique pécheur comme tout le monde. Avec un argument des jésuites vieux ennemis de Molière sur le refrain : nous sommes tous égaux et donc vous devez moralement-mais attention! je vous tiens et vous y avez aussi tout intérêt-me pardonner mon attrait pour le sexe féminin. Ensuite, Tartuffe sera piégé une seconde fois et ce sera la bonne quand il essayera de séduire Elmire devant la table où en dessous, Orgon a été placé pour tout entendre. Cette fois, tout est clair mais il tarde à sortir de sa cachette… Et alors, Tartuffe, en maître-chanteur qui connait son métier, va devenir menaçant : faute de n’avoir pas réussi à épouser la fille, ni à séduire la femme d’Orgon, il va lui ressortir une vieille affaire politique où il a été impliqué et assez dangereuse pour lui. Tartuffe, alors maître du jeu, va se venger en s’offrant sans scrupules la maison d’Orgon que, totalement inconscient, il lui a léguée. Ce bienfaiteur de Tartuffe est mis en demeure avec toute sa famille, de quitter sa maison.
Mais dans un magistral-et un peu facile- heureux
dénouementMolière fait un triple coup: Tartuffe, arrêté est mis hors d’état de nuire, Orgon récupère sa maison et une famille enfin apaisée. Et cerise royale sur le gâteau, le grand dramaturge remercie clairement Louis XIV son ami et protecteur qui finance sa compagnie… Il faut bien vivre et au XXI ème siècle , les choses ont-elles tant changé? Mieux vaut faire les yeux doux à Brigitte Macron et à Rachida Dati. A Orgon, l’Exempt signifiera: «Remettez-vous, monsieur, d’une alarme si chaude/Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude/ Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs/Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs./D’un fin discernement, sa grande âme pourvue/Sur les choses toujours, jette une droite vue. (…)

Marion Coutris et Serge Noyelle ont eu une belle trouvaille-jusqu’à ce jour, semble-t-il, inédite-faire jouer la pièce  par de jeunes acteurs et actrices dont leurs filles Jeanne (Dorine) et Camille (Elmire) qui imposent, vite et bien, leur personnage. Madame Pernelle, la mère d’Orgon, genre vieille dame autoritaire qui se mêle de tout, éblouie par Tartuffe, est superbement incarnée en deux scènes par Marion Coutris.

 

© Cordula Treml

© Cordula Treml

Nino Djerbir est un bon Orgon (mais pas très âgé), face à un Tartuffe (Lucas Bonetti, vingt-huit ans), impeccable dans ce rôle difficile. En costume et chemise noire, fines chaînes autour du cou , dont l’une avec une croix… il est à la fois, séduisant et terriblement inquiétant.
Calme et sûr de lui, il a la détermination et l’expérience indispensables aux escrocs en tout genre.

Guillaume Saly (Cléante) un peu plus âgé, est très juste en Cléante, le beau-frère d’Orgon, comme le sont Robin Manuella (Valère), Roman Noury (Damis, le coléreux fils d’Orgon) et Louison Bergman, (sa sœur Marianne) ou Julien Florès (Monsieur Loyal).Sans fioritures, mais avec rigueur et énergie, ces jeunes acteurs ont une belle présence et sont tous crédibles.
Et il y a une réelle unité de jeu.


Ici, ni fumigènes, micros H.F., basses électroniques, lumières stroboscopiques. Ouf! Cela fait du bien et tout irait donc pour le mieux, dans le meilleur des mondes moliéresques. Mais il y a un mais! dirait notre amie Christine Friedel. Comment en effet ne pas être partagé devant ce spectacle ? Cet immense plateau n’est pas fait pour
Tartuffe qui se joue dans une « pièce à vivre » , comme on dirait maintenant. Mais ici les comédiens se parlent souvent à plusieurs mètres de distance: comment faire autrement? A l’impossible, nul n’est tenu, disaient nos grand-mères. Et il y aurait suffisamment de place pour que public et interprètes cohabitent sur la même surface…
Et s’ajoute un réel problème acoustique: la réverbération des voix est telle que souvent, le texte passe à la trappe. Et ces jeunes interprètes (à part Lucas Bonetti/Tartuffe) maîtrisent parfois mal la difficile pratique de l’alexandrin.
Affaire de respiration, de diction et mais aussi d’approche de la langue… En six syllabes avec  césure, il nécessite un véritable apprentissage, comme celui que dispensaient les acteurs et excellents enseignants Nita Klein, Pierre Vial, ou Madeleine Marion, Antoine Vitez aujourd’hui disparus,
Quand Dorine, la servante au grand cœur mais au verbe haut, apostrophe Marianne : «Avez-vous donc perdu, dites-moi la parole./Et faut-il qu’en ceci, je fasse votre rôle ?/ Souffrir qu’on vous propose un projet insensé/Sans que du moindre mot, vous l’ayez repoussé». Ces vers sont aussi une musique parlée. Même l’écriture de Molière, Racine, ou des deux Corneille dépend de l’alexandrin. Ainsi
substantif et adjectif ne peuvent figurer en aval et en amont de la césure.Ce fameux alexandrin est une sorte de trésor national* arrivé jusqu’à nous (Apollinaire, ensuite Aragon, etc.), même dans les annonces triviales…«Le train ne peut partir que les portes fermées.» Ou «Attention à la marche en descendant du train. »

Alors que faire? Pour une future tournée ou une reprise, il faudrait revoir la diction de ce texte en alexandrins. Quant au plateau, cela dépendra du lieu où il se jouera… Et cela peut tout changer. En attendant, que vive Tartuffe… Comme le dit justement Marion Coutris, « la pièce reste une des premières du théâtre moderne», avec un scénario et un sens du dialogue incomparables.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 3 février, Théâtre des Calanques, Marseille.

* Voir le numéro spécial de Théâtre Public coordonné par Christine Friedel et l’excellent Dire le vers de François Regnault (avec Jean-Claude Milner), Le Seuil (1987).

 

 

Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Mateï Visniec, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Catherine Papageorgiou

Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Mateï Visniec, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Catherine Papageorgiou

Avec cette œuvre clairement antimilitariste(2005), l’écrivain roumain francophone met l’accent sur les conséquences humanitaires et la culpabilité d’une «victime», symptôme de tout désastre qui s’abat sur l’homme. Des cadavres s’entassent dans une pièce où la solitude de soldats morts écrase celle des vivants qui ont perdu leur enfant, ignorant aussi la terre (la tombe) qui les recouvre.
La Mère, représentant toutes les mères, s’exclame  : «Dans ce pays, une mère heureuse est une mère qui sait où sont enterré son enfant. (…) Elle peut s’occuper à volonté d’une tombe et est sûre que, dans cette tombe-là, se trouve bien le corps de son fils et non pas un cadavre de fortune ». Ce cri de désespoir universel s’accompagne d’actions presque uniques dans leur symbolisme. Ici, les femmes enterrent leur fils dans des chariots-tombeaux mobiles…

Mateï Visniec économise l’action avec une trouvaille ingénieuse: parmi d’autres, celle du présent-absent. Le fils (Vibko), protagoniste mort, réapparaît comme une ombre désirable  qui parle mais sans  jamais vraiment parler, à ses parents. Le tragique, dans la même économie, est imprégné d’actions violentes touchant au grotesque, en soulageant le spectateur et en rendant aussi pathétique, l’univers du deuil. Catherine Papageorgiou illustre le texte avec imagination, en soulignant le scepticisme amer que dégage le personnage d’une vieille Folle: «Tous les os mélangés, maintenant, c’est comme ça. À quoi bon vouloir une tombe ? Toute la terre est une tombe. »

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La metteuse en scène suit l’esthétique de l’auteur, fait évoluer les personnages dans un monde cauchemardesque entre réalisme et absurde, voire métaphysique.  Myrto Stampoulou a imaginé une scénographie où sont séparées clairement les actions, avec un objet caractéristique: une table boiteuse au centre du plateau est le signe de la destruction totale de la maison. Les costumes d’Irini Georgakila, la musique originale de Marina Chronopoulou et les éclairages de Kostis Mousikos contribuent à illustrer le deuil et l’identité des personnages.

Mania Papadimitriou, grande actrice grecque (la Mère) exprime avec une émotion contrôlée la profondeur et le poids du chagrin. Elle embellit aussi le rôle de la Patronne avec des éléments comiques: exubérance et extraversion. Dimitris Petropoulos évolue dans le même esprit, en exprimant intérieurement l’angoisse et le désespoir du Père mais il montre aussi le cynisme d’un impitoyable maquereau.
Tassos Lekkas incarne le Fils, traçant avec clarté la ligne de démarcation entre le monde des morts et celui des vivants. Il est également Caroline, un travesti intelligent qui condamne avec un esprit caustique toutes les idéologies qui ont mené l’Humanité vers des conflits sanglants et des impasses.

Alexandros Varthis interprète Stanko le Milicien, le nouveau Voisin, le Soldat, avec le poids des mots et une expression fondée sur l’exagération. Dans le Nouveau Voisin en particulier, il exprime de façon para-linguistique mais poignante l’attitude impitoyable d’un homme n’ayant ni barrières ni inhibitions… et à l’intelligence et à l’empathie limitées…
Elisa Skolidi joue Ida, une fille effrayée et vulnérable, réduite à se prostituer, transmettant terreur et insécurité. La danse sensuelle sur une barre suspendue (chorégraphie de Chrysiis Liatziviri et pole danse, Mello Diannellaki) symbolise l’éclat trompeur d’un monde nocturne où rien n’est ce qu’il semble être. , Elisa Skolidi excelle en Mirka, la vieille dame folle au visage mauvais et dans une transformation fulgurante, elle joue habilement des tons comiques ou dramatiques, toujours sur le fil du rasoir.

L’image finale de ce spectacle incontournable est le retour de la Fille, à la maison, optimiste malgré tout:«La maison n’est pas entièrement brûlée, on va s’en sortir. Et quand Ida creuse la terre et y plante une fleur, un jeune homme, sans dire un mot, arrose cette fleur avec… du papier-monnaie: l’argent gouverne le monde et c’est l’ennemi… Mateï Visniec serait sans doute heureux de voir ce spectacle !

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Bellos, 1 rue Kekropos, Plaka, Acropole d’Athènes. T. : 00306948230899.

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, traduction de François Regnault, version scénique et mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, traduction de François Regnault, version scénique et mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota

Une seule nuit et deux mondes : Athènes, la ville, ses lois. Et celui de la forêt, avec ses hors-la-loi et la magie. Ici, règnent les fées, esprits fantasques de la nature. Ici, vont s’égarer et se retrouver les amoureux. Hermia refuse le mariage avec Démétrius que son père lui destine et elle suit dans la forêt Lysandre, celui qu’elle aime…Héléna est  dans le secret mais trahit son amie, en espérant attirer sur elle l’attention et la reconnaissance de Démétrius…
Et alors les esprits de la forêt s’en mêlent : Obéron, le roi de ce monde brumeux, prie son serviteur Puck, ici démultiplié en fées garçons-filles, de verser le nectar d’une fleur d’amour sur les paupières des jeunes gens endormis, exténués par leur poursuite. Erreur de destinataires, la fleur sépare ceux qu’elle devait réunir. Les garçons déclarent leur soudaine et irrésistible passion à Héléna qui n’y comprend rien. Hermia est abandonnée et les jeunes filles se déchirent comme des collégiennes rivales…La fleur de passion entraîne encore d’autres dégâts, voulus, ceux-là : pour se venger de Titania, sa reine qui lui a «volé» son page, Obéron la condamne à tomber folle amoureuse du premier être vivant qu’elle rencontrera à son réveil.

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Ce sera le paysan Bottom, affublé d’une tête d’âne (passons sur les talents intimes prêtés à cet animal). Et enfin, pour fêter les noces de la reine Thésée et d’Hippolyte (les rôles masculins et féminins sont ici inversés), un groupe d’artisans va jouer, avec le plus grand sérieux et en vers rimés, La Tragédie de Pyrame et Thisbé, victimes de l’amour et de l’erreur, comme Roméo et Juliette. L’un croyant l’autre morte et se tuant sur son corps et l’héroïne se tuant vraiment devant la fin tragique de son aimé. Là-dessus, Obéron, avant la fin de la nuit, répare les maladresses de ses fées et de la dangereuse fleur.
Le mariage des princes d’Athènes annoncé au début peut enfin avoir lieu, comme la réunion des amoureux et la représentation de la pièce répétée par les artisans. Après quoi, bonne nuit, braves gens, un bon sommeil effacera (ou non ?) avant le jour, ces rêves étranges…

Emmanuel Demarcy-Mota a placé les histoires emboîtées de cette folle nuit sous un ciel sombre et changeant, dans une forêt mouvante, en jouant avec élégance, des trappes du grand plateau. La scénographie qu’il a conçue avec Natacha Le Guen de Kerneison, les lumières de Christophe Lemaire, la vidéo de Renaud Rubiano sont d’une grande beauté et en parfaite cohérence. Le metteur en scène a créé un monde sombre et transparent à la fois, avec ses disparitions et apparitions en beaux fondus, son vacillement et avec tout un jeu sur les profondeurs. Logiquement, les scènes à Athènes qui encadrent la pièce, se jouent à l’avant-scène, en lumière. Dans cette atmosphère très réussie, la compagnie du Théâtre de la Ville est impeccable : il faut rendre hommage en particulier à une diction parfaite.

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Nous aimerions qu’il n’y ait aucun « mais »… Manque ici le trouble. On comprend la souffrance des personnages, on ne perd rien de leurs passions, de leurs égarements. Mais nous voudrions bien être aussi un peu égarés nous-mêmes Et que cela craque (ce qui arrive quand même parfois, en particulier, aux amoureuses), que cela surprenne. On aimerait que la troupe pousse sa maîtrise jusqu’à « lâcher les coups ».
Mais ne nous plaignons pas : nous passons sans ennui aucun, ces ces deux heures et  nous avons le temps de se demander, à regarder ces jeunes couples défaits et refaits, ces rois et reines, si l’amour est un désir de possession? Un besoin vital de l’autre, au point de mourir de sa mort, comme Pyrame et Thisbé ?

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

La fin de la pièce donne un piste: si c’était, modestement, la capacité à se réconcilier ? Y compris, chers citadins, en se moquant des pauvres artisans, maladroits et généreux. Cela renvoie à une nouvelle question: si, après les sombres fastes de cette nuit, leur modeste représentation était le théâtre le plus authentique, le plus émouvant? Et ce Songe d’une nuit d’été nous a procuré un vrai bonheur: être assise dans une salle pleine avec un public heureux d’applaudir et d’exprimer son plaisir. Vive le public !

Christine Friedel

Jusqu’au 10 février, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 42 74 22 77.

La Brande, création collective de la compagnie Courir à la catastrophe mise en scène d’Alice Vannier

La Brande, mise en scène d’Alice Vannier 

En 1953, le docteur Jean Oury, psychiatre et psychanalyste français (1924-2014) a fondé la clinique de Cour-Cheverny (Loir-et-Cher), dite de la Borde,qu’il dirigea jusqu’à sa mort. Il a aussi été membre de l’École freudienne de Paris, créée par Jacques Lacan. Avec ses nombreux amis psychiatres, il chercha à redéfinir leur travail avec les patients, en abandonnant le modèle en cours. Un groupe mit ainsi au point une nouvelle psychothérapie et socio-thérapie institutionnelles (G.T.P.S.I.) et se réunira quatorze fois entre 60 et 66. La clinique de la Borde était située un peu à l’écart du monde, mais restait très ouverte.

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Après un spectacle sur La Misère du monde, le célèbre livre de Pierre Bourdieu, Alice Vannier a entrepris de parler de  l’aventure menée par ce jeune médecin de vingt-neuf ans. La brande: le lieu inculte où poussent des bruyères qui servent à fabriquer des palissades végétales depuis longtemps: un beau titre… A la Borde, soignants et soignés vivent ensemble dans une certaine mesure. «Cela remue, ça parle, ça délire, chacun apporte son histoire, son monde, dit Alice Vannier. On s’accorde et on se désaccorde. On met les errances en commun.. Manière d’interroger les rapports entre les fous et les sensés (ou les normopathes), ainsi que notre façon d’endosser des rôles, au théâtre ou dans la vie. Mais aussi de demander : où sont passées les utopies de naguère? »

Sur la scène, trois hauts murs décrépis avec trois portes dont une double porte-fenêtre une petite table qui sert de bureau, une autre grande table, un tableau de papier dont on tournera les pages pour laisser apparaître les dates et repères des années soixante, une véranda-fumoir (ici, on fume beaucoup ici comme dans les années soixante mais de fausses cigarettes). Et une belle pluie de feuilles mortes s’abattra sur le plateau mais sans que l’on sache vraiment pourquoi. Cette création collective sur l’expérience de psychothérapie institutionnelle a fait l’objet de sérieuses recherches préalables et a bénéficié d’un stage d’Alice Vannier et de sa dramaturge à La Borde. Bref, un travail en amont tout à fait respectable..

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Mais ensuite? La maudite «écriture de plateau» à partir d’improvisations a encore frappé! Et les dialogues sont faiblards: cette représentation de la folie nous a paru quelquefois un peu conventionnelle. A la limite, tout se passe comme si Alice Vannier s’était faite avoir par un « thème porteur » comme on dit, mais au théâtre assez casse-gueule. Même si la lenteur parait ici nécessaire, elle gère moins bien le temps, que l’espace. Au début, il y a une réunion des médecins sur leur travail du genre: psychothérapie institutionnelle pour les nuls… Mais bavarde, donc ennuyeuse au théâtre : «D’abord, bonsoir. Merci d’être là. Vous êtes nombreux, alors on va essayer d’être à la hauteur de la tâche… On va jouer aux vieux birbes quelques instants si vous le permettez et faire un travail de mémoire. Si ça peut servir à quelque chose… Alors, comme me l’a demandé Philippe, je vais parler un peu de cet endroit, pour que ça ne s’oublie pas, quand même, et puis je vais essayer de, de mettre un peu au clair mon parcours… Comment je suis arrivée ici ? Il faut remonter à…Oui…Mes premiers contacts avec la psychiatrie c’était vers 49. (C’était encore la période d’après-guerre) J’ai rencontré Jean Odin -que vous connaissez tous j’imagine?  » (…)

Et cela continue… Chesnaie : « Non, mais là, pardon, on part sur des bases communes, certes, mais ça ne doit pas impliquer pour autant qu’on ait tous le même style de pensée! Il faut qu’on garde quand même notre liberté d’expression, notre liberté de pensée. C’n’est pas parce que vous êtes des copains avec qui j’aime discuter avant tous les autres que j’devrais m’empêcher de taper du poing sur la table quand c’est nécessaire. Félix : C’est même une condition d’honnêteté ! Chesnaie : Et je pense d’ailleurs que c’est précisément parce que nous sommes des copains, mais aussi des hommes, des femmes de laboratoire qu’il faut qu’on ait la place de dire : « Je ne suis pas d’accord, etc » sans qu’ça fasse des crises de nerfs. Tant mieux qu’on n’soit pas d’accord. Si on tombe d’accord sur une petite question tous les trois ans ça sera très bien… Ce qui ne veut pas dire qu’on se réunira vingt mille fois sans jamais tomber d’accord!/Castelles : On est d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord.Odin : je crois que ce qui compte, ici, c’est qu’on puisse tout dire et tout entendre de l’autre, qu’on puisse avancer au-delà de tous les effets de groupe. Au-delà de toutes les difficultés de communication, on doit être dans un rapport vrai avec l’autre Brivette : C’est ce que dit Lacan avec “la parole vraie”! Vous avez vu, j’ai révisé pour tout à l’heure !

Bref, ces deux heures (avec une fausse fin!), sont plus que longuettes, malgré de bons moments comme l’arrivée d’une patiente, la grande colère du psychiatre (sans doute pour montrer que les médecins eux aussi peuvent avoir leurs faiblesses?), le désespoir d’une patiente hurlant et d’autres plus calmes où, dans la pénombre des patients, marchent à la recherche du sommeil. A la base, il y a une belle idée : les soignants et soignés sont ici joués alternativement par les mêmes acteurs qui passent d’un rôle à l’autre sans difficulté. Tous très crédibles. Mais les personnages de patients sont plus intéressants… Aucun doute, Alice Vannier sait diriger mais mieux gestuellement, qu’oralement: certains boulent leur texte. Et elle a un beau sens de l’image. Mention spéciale en tout cas à celui qui joue Michel, marchant avec lenteur, un peu voûté, affublé d’un grand pull. Créant ainsi un étonnant personnage…

Quand ils répètent grossièrement costumés Comme il vous plaira de Shakespeare pour la kermesse annuelle, cela commence à décoller avec une belle ronde. Mais soignés et soignants n’iront pas plus loin et nous restons frustrés.  C’est vraiment dommage! Alice Vannier a les qualités nécessaires à une metteuse en scène (même si elle aurait pu nous épargner plusieurs jets de fumigène qu’elle aurait bien du mal à justifier). Nous aimerions bien voir un travail d’elle, à partir d’un texte plus solide. L’écriture collective et ici, de cette compagnie, ne nous a jamais procuré un véritable plaisir théâtral…sans doute le point faible de ce spectacle qui gagnerait beaucoup à être sérieusement élagué.. C’est une maladie bien connue du théâtre contemporain: quand une jeune troupe a la chance de jouer dans un théâtre important, elle se doit se dire que c’est la chance de sa vie et alors occupe longtemps le plateau… Alors à voir? Oui, à condition d’être patient et… pas trop exigeant. Mais le public très nombreux et d’âges très divers, a chaleureusement applaudi les acteurs: ils le méritent.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 5 février, Théâtre de la Cité internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème). T. : 01 43 13 50 60. 

Looking for Jaurès de Marie Sauvaneix et Patrick Bonnel

Looking for Jaurès de Marie Sauvaneix et Patrick Bonnel

« Jaurès n’a cessé de clamer que le capitalisme et le nationalisme menaient structurellement, logiquement et inévitablement à la guerre. Cent ans plus tard, l’histoire bafouille. Quelles formes nouvelles vont prendre les débordements du libéralisme à outrance ?», s’est demandé Patrick Bonnel, quand il est parti à la rencontre de Jean Jaurès, pour incarner ce personnage historique?

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Formé par Marcel Bluwal au Conservatoire National, l’acteur a de la bouteille mais, en préambule, il se présente comme un artiste sur le retour qui, en rage contre le système, trouve un écho dans la parole du grand homme politique: « Après bientôt cinquante ans de carrière, deux envies s’imposent à moi, dit-il, jouer pour la première fois seul sur un plateau et parler de la marche du monde. Cela s’est soudain cristallisé sur Jean Jaurès.»

Après un début laborieux où Patrick Bonnel va chercher les rires dans le registre du café-théâtre, il installe un jeu de questions avec son double mythique. Par son truchement, le fondateur du Parti Socialiste et du quotidien L’Humanité relate son itinéraire personnel et idéologique: de l’agrégation de philo, à un destin national. Surgissent des thèmes en résonance avec notre aujourd’hui. Et l’acteur en profite pour égratigner nos derniers Présidents de la République socialistes qui ont tous renoncé à combattre le capitalisme.

 D’abord badins, les échanges se densifient. On apprend comment Jean Jaurès, né en 1859 à Castres (Tarn), benjamin de la Chambre des députés à vingt-six ans, parmi les Républicains «opportunistes», favorables à Jules Ferry, en vint cependant à dénonce les «lois scélérates du patronat contre les travailleurs et la collusion entre la presse et les politiques. » Comment il finit par prendre-tardivement-la défense du capitaine Dreyfus et ensuite fonder le Parti socialiste en 1902, puis le quotidien L’Humanité.  On entend aussi ses opinions sur l’éducation, quand en 1905, il collabora à la loi de séparation des Églises et de l’État, et arracha l’enseignement, au clergé … Il donna une définition de la laïcité qu’il est aujourd’hui bon de rappeler: « Liberté vivante qui ne se refuse aucun problème et ne s’interdit aucune hauteur » .

Cet homme fascinant au verbe haut et à l’accent du Tarn, va prendre le pas sur l’acteur et finira par le phagocyter. A la fin, Patrick Bonnel devient Jean-Patrick: costume d’époque et perruque de cheveux en brosse, il nous délivre la parole, prophétiquement douloureuse, de Jean Jaurès. Ses talents de tribun, sa clairvoyance politique et sa plume incisive nous fascinent. «Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage! » clame-t-il dans son ultime discours pour la paix, à Lyon. Cinq jours plus tard, le 31 juillet 1914, il est assassiné au café du Croissant à Paris. Ses paroles essentielles n’ont pas malheureusement pas été entendues au seuil de la grande boucherie que fut la Première Guerre mondiale.

Après ce texte sublime, Patrick Bonnel conclut son solo par Le Discours à la jeunesse (1903) : « L’humanité est maudite, si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante dont on peut toujours se flatter, qu’elle éclatera sur d’autres. (…) Le courage, c’est d’être tout, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe. (…) Le courage, c’est chercher la vérité et la dire, c’est ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.»

Puissent les jeunes générations entendre ces mots. Et même si son entrée en matière ne nous a pas entièrement convaincus, Patrick Bonnel nous donne accès à l’homme qui vibre derrière la figure historique avec talent, une belle générosité et sans prétention.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 2 avril, les lundi et mardi à 21 heures. Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris (IV ème). T. : 01 42 78 46 42.

Fatatras! Inventaire de Jacques Prévert, mise en scène de Gérard Rauber, arrangement musical de Damien Nédonchelle

Fatatras! Inventaire de Jacques Prévert, mise en scène de Gérard Rauber, arrangement musical de Damien Nédonchelle

Jean-Paul Farré, Anne Baquet et leur metteur en scène ont été bercés, comme tant d’adolescents par Jacques Prévert et ont imaginé une sorte de «concept poétique où on retrouve ses poèmes mis en musique.» Ce grand poète savait jouer avec la substance des mots et le vocabulaire du quotidien. Il les associe ou les oppose avec humour, parfois sur fond de provocation surréaliste du genre : «Notre Père qui êtes aux cieux / Restez-y…
Il maîtrisait parfaitement les figures de style classiques. Ainsi le zeugma (en grec : attelage avec un verbe et deux compléments d’objet sans rapport entre eux) la parodie, entre autres, de Charles Péguy, les calembours (mots semblables en son ou en sens), des syllepses (glissements entre le sens propre et le sens figuré d’un mot), les néologismes et proverbes imaginés par lui, les allitérations volontaires-et non involontaires comme dans les articles non relus…), les rimes loufoques, les énumérations d’objets ou de personnes, les anaphores avec des mots-refrains -seuls ou ensemble. Comme: Rappelle-toi et «Barbara répétés neuf fois dans le célèbre poème éponyme.
Et souvent tout proches d’une chanson et de
l’oralité. Avec aussi, une rare maîtrise de l’évocation visuelle, sans aucun doute sous l’influence du cinéma : Jacques Prévert a été le scénariste de Marcel Carné. Ce qui donne un ton reconnaissable entre tous, à ses textes. Il avait une admirable connaissance de la langue française et jouait sur les mots dans la tradition de Rabelais, Labiche… et plus récemment de Valère Novarina avec ses listes. Et dont Le Repas des Hommes  a connu un formidable succès au Théâtre de la Colline en octobre dernier ( voir Le Théâtre du Blog).

Les thèmes : dénonciation de la guerre et du capitalisme, plaisirs de la vie quotidienne retrouvés à Paris après la guerre, défense de la classe ouvrière exploitée… Paroles (1948) a été édité juste trente ans après le premier conflit mondial où fut tué le grand-père de Jacques Prévert savait donc de quoi il parlait et s’en prend à la bourgeoisie mais avec encore plus virulence à l’armée, la religion, le clergé, les puissants banquiers et industriels, la colonisation, les valeurs chères au maréchal Pétain (Travail, Famille, Patrie). Notamment dans La Pêche à la baleine, ici chantée sur la musique de Joseph Kosma.

On l’a un peu oublié mais il faut rappeler qu’avant d’être le scénariste de Marcel Carné, Jacques Prévert a été aussi (il y a déjà presque un siècle!) de 32 à 36, l’auteur principal du groupe Octobre. Anarchiste revendiqué, il caricaturait avec férocité, les politiques et les gros industriels dans, entre autres, La Bataille de Fontenoy ,ou ridiculisait les bourgeois dans La Famille Tuyau de Poêle.
Cette compagnie d’agit-prop très engagée à gauche, jouait un théâtre politique dans la rue, les usines en grève ou les meetings ouvriers, des sketchs ou des chœurs parlés devant un public populaire.Ses acteurs débutants furent ensuite des auteurs ou artistes importants,  comme la bien connue Margot Capelier, future reine du casting, Pierre Prévert, le frère de Jacques, Raymond Bussières, comédien de théâtre et de cinéma, Maurice Baquet, à la fois acteur et violoncelliste, et tiens, comme c’est bizarre… le père d’Anne Baquet! Puis les metteurs en scène Jean-Louis Barrault, Roger Blin le créateur quelque vingt ans plus tard d’En attendant Godot, Jean Dasté, futur directeur de la Comédie de Saint-Etienne, le chanteur et acteur Mouloudji, Sylvain Itkine, acteur et metteur en scène résistant qui sera fusillé par la Gestapo en 44, les futurs réalisateurs Yves Allégret et Jean-Paul Le Chanois… 

© Alexis Rauber

© Alexis Rauber

Cela se passe au sous-sol du Théâtre de poche, des banquettes pour le public mais pas de scène avec dans le fond un beau rideau rouge foncé et quelques accessoires : un parasol, un fauteuil, deux tables hautes de bistrot montées sur roulettes, une grosse malle ancienne pleine d’instruments de musique. Tout cela emballé de draps blancs façon Christo: pas l’idée du siècle mais bon, cela passe.
Jean-Paul Farré, remarquable acteur et pianiste, Anne Baquet, tout aussi soprano et actrice, vont en une heure et demi, offrir au public une sorte de voyage dans l’univers  de Jacques Prévert avec 
Fatatras, un mot-valise d’après Fatras, un recueil de poèmes et de patratas… Ainsi vont défiler issus pour une dizaine de Paroles (1948) et mis en musique par Joseph Kosma comme Je suis comme je suis, La Pêche à la baleine, Les Enfants qui s’aiment, En famille, Inventaire,Déjeuner du matin, Dans ma maison.  Ou la célèbre Barbara où le poète dit toute son horreur de la guerre dans une Brest en ruines. Et aussi la non moins célèbre, Les Feuilles mortes ensuite chantée par Juliette Gréco. Des textes comme La famille Tuyau de poèle ou d’autres moins connus, mais tous d’une grande qualité littéraire.
Jean-Paul Farré qui a souvent joué au Poche-Montparnasse et Anne Baquet ont une  diction impeccable, une grande présence sur le plateau et un jeu d’une unité, et d’une précision viruose. Bien dirigés par Gérard Rauber, ils ont visiblement un grand plaisir à interpréter avec générosité, ces chansons et ces textes bien choisis de Jacques Prévert. Et le public à les savourer.
Les thèmes? La dénonciation de la guerre, les plaisirs de la vie quotidienne à Paris avec encore un centre ville assez pittoresque, les graves inégalités sociales, la Nature comme dans Pour faire le portrait d’un oiseau. Paroles est paru en 46 donc juste après la fin des combats  et trente ans après ceux de 14-18 où fut tué le grand-père de Jacques Prévert… qui sait donc de quoi il parle. L’anarchiste qu’il n’ a jamais cessé d’être, s’en prend avec virulence à la bourgeoisie,l’armée, la religion, le clergé, les puissants banquiers et industriels, la colonisation, les valeurs chères à Pétain :Travail, Famille, Patrie.

Sur la petite scène, dans le fond un rideau rouge foncé, quelques accessoires ( fauteuil, tables hautes de bistrot montées sur roulettes, belle et grosse malle ancienne plein) d’instruments de musique) enveloppées de draps blancs ( pas l’idée du siècle mais bon, cela passe)
Jean-Paul Farré, acteur et pianiste, Anne Baquet, soprano et actrice vont en une heure et demi offrir au public une sorte de voyage avec Fatatras, mot-valise d’après Fatras, un recueil de poèmes de Jacques Prévert et de l’interjection patratas. Ainsi vont défiler issus pour une dizaine de Paroles (1946),mis en musique par Joseph Kosma Je suis comme je suis,La Pêche à la baleine, Les Enfants qui s’aiment, En famille, Inventaire, Déjeuner du matin, Dans ma maison ou la célébrissime Barbara où le poète dit toute son horreur de la guerre dans une Brest bombardée et en ruines.  
De nombreux poèmes de 
Paroles ont été mis en musique par Joseph Kosma ou Henri Crolla  et ensuite interprétés dès 1935, par, Marianne Oswald puis Yves Montand, Germaine Montero, les Frères Jacques avec la fameuse La Pêche à la baleine (1949). Et la non moins célébrissime Les Feuilles mortes fut ensuite chantée par Juliette Gréco. Marlène Dietrich, Serge Reggiani (Pater noster), Jean Guidoni chantèrent aussi Jacques Prévert qui aura sans doute été le poète le plus populaire du XX ème siècle, même s’il fut boudé par certains critiques.

Il y a aussi dans Fatatras des textes moins connus du public mais tous d’une grande qualité littéraire.  Le très bon acteur et pianiste qui a souvent joué au Poche-Montparnasse et la chanteuse comédienne, sont virtuoses chacun à sa façon. Mais ils ont en commun une diction ciselée, une grande présence et une remarquable unité de jeu. Bien dirigés par Gérard Rauber, ils interprètent visiblement avec grand plaisir mais sans prétention ces chansons et textes bien choisis.
Sur la musique d’un petit orgue de barbarie (cher à Jacques Prévert) ou d’instruments sortis de la grosse malle: un mélodica, avec un tube souple de plusieurs mètres où souffle Jean-Paul Farré! sur lequel Anne Baquet pianote pour accompagner une chanson. Ou un piano-miniature, des tubes en plastique colorés servant de percussions…
Aucun temps mort dans ce petit cabaret, à la fois tendre et comique, chaleureusement applaudi par le public habituel du Théâtre de Poche. Et aussi-c’est rare-par des lycéens en service commandé qui ne boudaient pas leur plaisir, sans doute étonnés par la modernité et l’humour ravageur d’une œuvre qui a, en général, quatre-vingt ans déjà… comme leurs grands-parents..
Des bémols? Parfois les acteurs-chanteurs et musiciens semblent en faire un peu trop mais, comme disait Jérôme Savary, cela vaut mieux, que de n’en faire pas assez. Et il y a une fausse fin à laquelle Gérard Rauber pourrait facilement remédier.
A part cela, cette mise en scène des textes où chaque mot fait sens, est généreuse et efficace, avec de remarquables interprètes et pour une fois, sans vidéos, micros H.F, fumigènes et basses électroniques du théâtre actuel….
Ici que du bonheur…Une pensée pour Philippe Tesson qui dirigea le Théâtre de Poche disparu en février l’an passé et aujourd’hui repris par sa fille Stéphanie. Il aurait sans aucun doute bien aimé ce
Fatatras, promis à un bel avenir. Allez voir ce petit mais très grand spectacle.

En guise de remerciements aux interprètes et au metteur en scène, ces quelques lignes de La Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt: «La poésie qui a pour matériau le langage, est sans doute de tous les arts le plus humain, le «moins-du monde», celui dans lequel le produit final demeure le plus proche de la pensée qui l’a inspiré. La durabilité d’un poème est produite par la condensation, comme si le langage parlé dans sa plus grande densité, concentré à l’extrême, était poétique. »

Philippe du Vignal

Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21. 

Mirkids, chorégraphie de Jasmine Morand

Mirkids, chorégraphie de Jasmine Morand

La chorégraphe suisse nous avait captivés l’an dernier avec les jeux d’optique dans Lumen, au théâtre des Abbesses (voir Le Théâtre du Blog). Ici, elle nous invite à nous allonger et, dans un miroir géant tendu au plafond, à contempler des images kaléidoscopiques, reflets de huit danseurs évoluant dans un cylindre cloisonné, avec autour, le public… Une boîte magique ressemblant à un zoo-trope, l’ancêtre du cinéma où les interprètes réalisent des figures géométriques comme tracées aux compas. Ils tendent les bras, écartent les jambes, se vrillent, se superposent en une fascinante symétrie, dessinant cercles, rosaces, étoiles à multiples branches, ribambelles circulaires, mandalas… dans un mouvement permanent et hypnotique, sur la musique de Dragos Tara. Puis, crescendo, ils se livrent à des ébats ludiques, avec des poses animalières parfaitement synchronisés, ce qui amuse les enfants.

©Céline Michel

© Céline Michel

Couchés en épis autour du plateau et bercés par cette danse éthérée, nous entendons en même temps les pas résonner derrière nous. Les vibrations engendrées par le poids des corps nous tirent parfois de notre rêverie aérienne. Nous pouvons aussi, en nous retournant, entrevoir par intermittence, les danseurs par des interstices laissés dans la paroi cylindrique. Un défilement cinétique rappelle les images du photographe Eadweard Muybridge (1830-1904) décomposant le mouvement pour étudier la locomotion animale et humaine.

Mirkids (Mir comme miroir, kids comme enfants), version jeune public de Mire (2016) a été  réalisé à partir d’une nouvelle bande sonore. Le compositeur s’est tourné vers une musique écrite pour, et par les enfants, à partir d’ateliers autour d’images comme des mosaïques, mandalas, vitraux… Sont ainsi nés des fragments de partition ensuite interprétés par le cours de clarinette au Conservatoire de Vevey (Suisse). Ces instruments couvrant une large palette de tessitures, textures et dynamiques.

Les costumes qui épousent les anatomies, se sont teintés de dégradés roses et bleus pastel, donnent de la douceur à cette fresque animée, dans les lumières contrastées  de Rainer Ludwig. Pour composer sa pièce, la chorégraphe a eu recours à un jeu de miroirs, une glace au sol reflétant à son tour les images projetées au plafond. Une technique apprise d’une amie marionnettiste, explique-t-elle..

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© Céline Michel

Après quinze ans de travaux chorégraphiques avec la compagnie Prototype Status, Jasmine Morand a éprouvé le besoin de s’adresser à un autre public: «La création pour les enfants apparaît aujourd’hui comme une évidence dans mon parcours artistique ! ».

Elle leur offre ici une belle aventure poétique, avec cette pause de trois quart d’heure pour oublier les bruits et le stress urbains. Il faut aller aussi voir Mire fonctionnant selon le même principe…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 28 janvier, programmé avec Mire, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet. Paris (Ier). T. 01 42 74 22 77.  

 Du 9 au 17 février, au festival Antigel, Théâtre Am Stram Gram, Genève ( Suisse).

Les 28 et 29 février, Kaserne, Bâle (Suisse).

Le 21 mars, au festival Kidanse, La Faïencerie, Creil (Oise).

 

Andromaque de Jean Racine, mise en scène de Jean-Yves Brignon

 Andromaque de Jean Racine, mise en scène de Jean-Yves Brignon

Cette pièce fait partie avec Phèdre et Bérénice du triptyque Racine de la compagnie, À visage découvert. Dans ces œuvres emblématiques de la tragédie classique, étudiées dès le secondaire. comme les autres du grand dramaturge, l’amour est vu comme une passion fatale. Et, à ce lien ravageur, s’ajoute un enjeu politique.

Jean Racine a vingt-huit ans quand Andromaque est créée le 18 novembre 1667 à l’Hôtel de Bourgogne à Paris. Une représentation privée avait eu lieu la veille dans l’appartement de la reine. La troisième tragédie de l’auteur (il en écrivit onze) est un triomphe. Cela se passe en Épire au moment où la guerre de Troie a pris fin. Les personnages sont étroitement liés, selon le principe de le chaîne amoureuse d’une pastorale romanesque.
Mais on est ici dans une tragédie, avec faux changements de situation et enchaînement inéluctable vers la mort: Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque, veuve d’Hector et restée fidèle à lui. Pyrrhus la retient prisonnière avec son fils Astyanax et pour le sauver, Andromaque accepte d’épouser Pyrrhus. Hermione, folle de jalousie, convaincra Oreste de tuer Pyrrhus. Ce qui sera fait le soir même du mariage. Hermione se donnera la mort aussitôt.

Cela fait toujours plaisir de découvrir une nouvelle mise en scène d’une pièce classique. Jean-Yves Brignon a voulu l’inscrire au cœur de la jeunesse et privilégier le thème de l’amour. Dans la splendide « Salle de bois », la représentation commence par l’entrée au fond du plateau, de jeunes gens. Ils tirent avec peine une malle. Où vont-ils ?Subitment ils s’arrêtent. Que se passe-t-il ? Avec empressement ils vident le coffre de voyage, et répandent sur le sol, vers choses et les costumes. Face à cette agitation, Les spectateurs sont désorientés, mais le calme revient et le théâtre dans le théâtre prend place. La joyeuse bande devient une troupe de saltimbanques qui s’apprête à nous offrir une représentation d’

Le metteur en scène a voulu situer cette pièce hors du temps.  Les costumes de Sévil Grégory pourraient être ceux d’aujourd’hui pour une fête  ou pour des numéros de cirque. La scénographie, aussi de Sévil Grégory tend vers le symbolique avec, au fond du plateau, une toile non figurative évoquant représentant un paysage marin; au centre, une guinde posée au sol, délimite l’aire de jeu ronde, bleue ou ses variations selon le jeu subtile des lumières (est-ce le ciel, la mer, le Styx, l’orage…) de Vincent Lemoine, comme la bande-son de Robinson Senpauroca, rock ou lyrique, produisent une modernité, une intensité dramatique, une violence, en  décalage -réussi-avec la musicalité de l’alexandrin.

Jean-Yves Brignon a extrait la pièce du contexte antique, dans un cadre neutre mais imagé. Une mise en scène, pleine de fougue et peu ordinaire pour une tragédie. Le jeu sensuel et sensible de Sophie Neveu (Hermione et Céphise) comme le visage juvénile, la précision des gestes, le jeu d’Augustin Dewinter (Pyrrhus et Pylade) répondent subtilement à cette vision de la pièce. Le spectacle parfois proche d’une atmosphère romantique, ou d’une histoire à suspens, l’énergie des acteurs, certains moments ludiques touchent le jeune public venu découvrir le théâtre de Racine. Mais… ils ne sont pas tous à la hauteur du parti-pris adopté par Jean-Yves Brignon qui revoit le genre de la tragédie et ce monument du théâtre français. À trop vouloir en faire dans l’expression des passions amoureuses, il vide le texte de sa substance poétique et superbement tragique ! Dommage…

Elisabeth Naud 

Jusqu’au 28 janvier, Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes+ navette gratuite. T. : 01 48 08 39 74.

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