Paysage après la bataille, chorégraphie d’Angelin Preljocaj : répétitions publiques du Ballet Preljocaj Junior
Paysage après la bataille, chorégraphie d’Angelin Preljocaj, répétitions publiques du Ballet Preljocaj Junior
« Nous travaillons sur la transmission d’une œuvre, dit le chorégraphe. Il a initié cette jeune troupe en 2015 au Pavillon Noir-Centre Chorégraphique National à Aix-en-Provence où il a installé sa compagnie. Les douze apprentis de la septième promotion ont été choisis parmi trois cent-quarante candidats entre dix-huit et vingt-et-un ans, frais émoulus d’écoles supérieures. « Au Pavillon Noir, dit Angelin Preljocaj, les répétitions publiques sont fréquentes. Pour les danseurs, surtout quand ils sont jeunes, il est intéressant de travailler devant des spectateurs qui, eux, comprennent alors mieux les mécanismes de l’apprentissage.»
Pour la première fois, le Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt propose un rendez-vous intime avec la danse, à la Coupole devenue une salle de spectacle confortable au sixième étage de l’édifice entièrement rénové. Nous avons le privilège d’entrer dans la fabrication de ce ballet ravivé par les jeunes interprètes. Ici, ils répètent une séquence de la pièce qu’ils ont appris dans son intégralité (soixante-quinze minutes) pendant deux mois. avec des répétiteurs. Angelin Preljocaj les fait travailler et redécouvre son œuvre tableau par tableau, reprenant tout en détail : « C’est vous, leur dit-il, qui allez donner la précision à l’image ».
Un patient débroussaillage avec indications sur le nombre de pas, le rythme, les intentions de mouvement: le chorégraphe est toujours concret: «Tu la pousses, comme si tu voulais la planter comme un arbre. » «Tu tombes comme une flaque. » (…) « Tu te relèves comme un ressort.» «Mettez un peu plus de drame dans tout ça.» Ou encore, pour les petits moments plus légers : «C’est plus Fred Astaire, que Bob Marley.» Le maître leur apprend à anticiper les gestes: «Il faut que tout le corps soit en place sans qu’il y ait de parasite (…) La forme est déjà là, quand tu arrives. »
A la fin, sur la musique techno signée Goran Vejvoda et Adrien Chalgard, ces dix minutes de Paysage après la bataille prennent tournure. De longs arrêts sur image reproduisant des scènes de bataille, alternent avec dispersions véloces et regroupements. On entrevoit la nature contrastée de la pièce où l’agitation des corps fait place à des silences expressifs et clins d’œil humoristiques au «clubbing». «Ce ballet, écrivait le chorégraphe à sa création, se veut le résultat de joutes imaginaires entre personnages antinomiques: l’écrivain américain Joseph Conrad, et le peintre et sculpteur français Marcel Duchamp. Entre une approche intellectuelle de la création qui engendra l’art conceptuel, et une vision instinctive de l’art. Le corps possédant par nature ces deux tendances, devient alors l’enjeu du match.»
Sans y lire une dichotomie entre les passions sauvages, la noirceur d’Au cœur des ténèbres (1899), et l’univers froid de la conceptuelle Roue de bicyclette, on ressent à travers cette danse minutieuse, les enjeux de notre époque. Créé en 1997 en pleine guerre de Bosnie, la pièce rejoint nos angoisses devant les conflits actuels… Elle s’inspire des grandes peintures de la Galerie des Batailles au château de Versailles ou du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault. Avec des corps amoncelés, dispersés, déformés dans une raideur cadavérique…. Mais les danseurs sont bien vivants! Une mise en abyme troublante dans le contexte historique présent.
La tendance est à la reprise d’œuvres du passé, mais aussi contemporaines : celles de Pina Bausch, Dominique Bagouet, ou Maguy Marin (le fameux May B). Noces d’Angelin Preljocaj (1985) présenté à nouveau au festival Montpellier-Danse a enchanté le public (voir Le Théâtre du blog). Le chorégraphe veut transmettre son répertoire. «Je suis curieux de voir comment ces jeunes qui n’étaient pas nés au moment de cette création, vont s’en emparer et y introduire tout ce qu’ils vivent aujourd’hui».
Chaque promotion du Ballet Preljocaj Junior finit son cursus avec une reprise. «Une pièce qui n’est pas donnée meurt, dit-il. Ici, régénérée par les danseurs.» Il a été en France l’un des premiers à adopter le notation inventée par le mathématicien et choréologue Rudolf Benesh (1916-1975). « Cette écriture du mouvement, purement formelle sans affect ni dramatisation laisse toute liberté à l’interprète, contrairement à la vidéo incitant à une reproduction mécanique. »
Travail de fourmi, cette répétition nous montre comment Angelin Preljocaj invente un ballet, d’où part le mouvement et comment s’établit une complicité entre les corps dansants. Il guide au plus près ces jeunes artistes pour leur éviter les blessures. Il reste quelques mois avant la première en mars aux Rencontres des ballets juniors européens qui se feront au Pavillon Noir à Aix-en-Provence. Une tournée commencera en Roumanie.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 13 janvier, Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt, Place du Châtelet, Paris (Ier ). T. : 01 42 74 22 77.