Invisibili,scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory
Invisibili, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory
Entre danse et théâtre, une création réalisée à Palerme. Ville où a été peinte en 1440 par un artiste inconnu une fresque murale dans la cour du Palais Sclafani: Le Triomphe de la mort qui sert de toile de fond au spectacle.
Pina Bausch y conçut Palermo Palermo, un ballet dont le metteur en scène s’inspire pour guider ses quatre danseuses, enfants de cette ville, comme le saxophoniste Gianni Gebbia qui les accompagne. Christopher Goddey, alias Chris Obehi, musicien et auteur-compositeur nigérian, lui est Palermitain d’adoption, arrivé par la mer sur un canot de fortune en 2016.
Devant cette fresque, reproduite sur une toile à l’échelle d’origine: six mètres sur six, et hissée sur scène comme une voile de navire, les interprètes affronteront la Faucheuse : un squelette grimaçant sur son cheval émacié à l’assaut de nombreux personnages.
Les surgissements et disparitions des artistes, crachés puis happés par l’image centrale de la Camarde triomphante, sont la trame de cette dramaturgie funèbre, au son du saxophone et rythmée par les légères pulsations du synthétiseur.La musique originale de Gianni Gebbia se marie parfois avec La Deuxième Suite pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach et Pari Intervallo d’Arvo Pärt…
Trois Parques drapées de noir folâtrent devant les personnages de la fresque, les imitent, s’en moquent… Elles emportent une frêle créature, la condamnant ainsi à une lente agonie dans les bras avides du cavalier décharné… A l’envers du décor, Hallelujah de Leonard Cohen, chanté par Chris Obehi, accompagne la danse des transies, assises sur des chaises… Une citation explicite de Pina Bausch dont le vocabulaire a influencé Invisibili…
Pour Aurélien Bory, Valeria Zampardi, Blanca Lo Verde, Maria Stella Pitarresi, Arabella Scalisi sont «les filles de Pina Bausch». «Les œuvres qui nous marquent sont comme des rencontres, elles nous changent à jamais. En arrivant ici, j’avais en tête ce mur en béton qui tombe au début de Palermo Palermo et cette dame qui se fraye un passage au milieu des débris.»
Il Trionfo della morte qui s’anime sous nos yeux et se transforme au fil du spectacle, a été peint quand la peste noire ravageait la Sicile comme toute l’Europe. Autres temps, autres fléaux: le cancer nous frappe en masse, comme les guerres et les naufrages en Méditerranée avec leurs victimes sans nom… Aurélien Bory ne se contente pas d’y faire allusion et met en scène l’agonie d’une cancéreuse à l’hôpital (autre clin d’œil à la mort de Pina Bausch) et nous surprend avec l’apparition d’un bateau pneumatique où s’agrippe le chanteur nigérian. Une séquence incongrue et un peu besogneuse qui tranche avec l’esthétique raffinée de la première heure.
«Le peintre et son assistant se sont représentés sur le côté de la fresque, regardant le spectateur, dit le metteur en scène. On y voit aussi des musiciens, des femmes qui dansent…» Comme ces artistes du passé, il veut nous montrer ces Invisibles, pour leur rendre un dernier hommage. Les costumes de Manuela Agnesini sont d’une simplicité sophistiquée et une habile machinerie donne vie au Triomphe de la mort sous les lumières d’Arno Veyrat.
Aurélien Bory, homme de théâtre complet que nous suivons depuis longtemps, nous a habitués au meilleur avec La Disparition du paysage, aSH, Dafné… (voir Le Théâtre du Blog) Invisibili n’y déroge pas, malgré nos quelques réserves «S’il n’y a pas de nécessité, disait Gilles Deleuze, il n’y a rien, ou pas grand-chose.» Il faut voir ce beau spectacle.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 20 janvier, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.
Les 30 et 31 janvier, La Coursive-Scène Nationale de La Rochelle (Charente-Maritime).
Du 6 au 10 février, Maison de la Danse, Lyon ; les 14 et 15 février, L’Agora-Pôle national des arts du cirque, Boulazac (Dordogne).
Et les 26 et 27 février, Le Parvis-Scène Nationale de Tarbes, (Hautes-Pyrénées).
Du 11 au 14 avril,Teatro Astra,Turin, puis à Florence, Modène, Bologne.