La Réponse des hommes, texte et mise en scène de Tiphaine Raffier

La Réponse des hommes, texte et mise en scène de Tiphaine Raffier

Cette pièce de la dramaturge que nous avons suivie depuis ses débuts (voir Le Théâtre du Blog) a déjà une longue histoire et a évolué. Elle n’avait pu être créée au festival d’Avignon mais le fut d’abord au Théâtre du Nord à Lille en 2020, puis à Nanterre-Amandiers, il y a deux ans. Et notre amie Christine Friedel en avait rendu compte dans ces colonnes. Ce spectacle avec seize interprètes est maintenant repris sur le vaste plateau de l’Odéon-Ateliers Berthier.

Elle a pour thème ou plutôt comme prétexte, neuf des commandements chrétiens bien connus et la réponse que peuvent y donner les femmes et les hommes d’aujourd’hui.  Vont s’afficher en projection les préceptes de l’Evangile selon Saint Matthieu: «Donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts».
«
Lors de mes pérégrinations sur les thèmes du don, du contre-don, de la dette et du sacrifice, je me suis interrogée sur la bonté et la compassion puis intéressée au Décalogue de Krzysztof Kielowski, un cycle de dix téléfilms qui s’inspire des dix commandements de la Bible. (…) Qu’est-ce que faire le bien ? Qu’est-ce que faire le juste ?

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Devant un haut mur gris avec à cour une double porte de secours à barre de sécurité et en haut, côté jardin, une autre petite porte donnant sur le vide du plateau comme pour dire une impossibilité de fuir. Avec des personnages d’aujourd’hui comme Judith, une jeune femme travaillant dans l’humanitaire. Mais  très dépressive, elle ne peut s’occuper de son bébé et veut l’abandonner.
Diego, un jeune homme dialysé attend la mort accidentelle  de celle ou celui qui lui offrira un rein, un père de famille va brûler un papier contenant un secret, au lieu d’en révéler le contenu…
Martial, un soldat accusé devant un tribunal, d’avoir par internet harcelé Nicolas, un autre soldat qui a fini par se suicider. Et Cyprien, un visiteur de prison, est en discussion avec un détenu dans un parloir minable…

Un grand mur gris obsédant et menaçant, quelques accessoires pour accompagner la vie d’une vingtaine de personnages dans une sorte de fresque. Tiphaine Raffier veut interroger dit-elle,« les dilemmes et les inquiétudes morales archaïques ou contemporaines qui nous habitent » et confronter les commandements des œuvres de miséricorde chrétiennes, à la réalité de notre monde contemporain. « Lors de mes pérégrinations sur les thèmes du don, du contre-don, de la dette et du sacrifice, je me suis interrogée sur la bonté et la compassion puis intéressée au Décalogue de Krzysztof Kieślowski, un cycle de dix téléfilms qui s’inspire des dix commandements de la Bible. (…) Pour les chrétiens, les œuvres de miséricorde sont une liste d’actions et de gestes concrets et ordinaires que chacun peut accomplir dans tous les domaines de la vie pour venir en aide à son prochain. »

Sur le plateau, la mise en scène et la direction d’acteurs de Tiphaine Raffier sont d’une rigueur absolue. Mais elle a du mal à articuler avec l’action scénique, les très grandes et souvent belles images-vidéo (le plus souvent des grossissements du visage des acteurs envoyés par un cadreur qui les suit (on oubliera des affreux micros H.F. sur la joue de certains!). Le texte est trop souvent faiblard comme, entre autres, celui des psychothérapies  imposées à des criminels pédophiles. Bref, ici, le textuel et le visuel d’une grande qualité picturale, ne font pas bon ménage. Le son d’Hugo Hamman est remarquable: quand les sirènes d’alarme retentissent régulièrement, cela fait froid dans le dos. Et c’est un bonheur d’entendre la musique d’Othman Louati, et celle de l’ensemble Miroirs étendus dont les interprètes jouent entre autres du Scarlatti. Un vrai moment de grâce… Tiphaine Raffier sait faire et bien faire. Aucun doute là-dessus. Et il y a parfois de belles idées comme cette clé USB, seul vestige-témoin d’une vie, après que les disques durs relatant cette vie aient été violemment cassés à coup de marteau, accompagnés par une vidéo de la fameuse danse des chaussures avec Fred Astaire. Oui, mais voilà, l’ensemble du spectacle flotte et on ne voit jamais où l’autrice et metteuse en scène veut vraiment aller. Elle joue sur un savoir-faire évident et compte sur ses acteurs: Salvatore Cataldo, Éric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Édith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlo, Adrien Rouyard tous impeccables comme les musiciens de l’ensemble Miroirs Étendus, Guy-Loup Boisneau, Émile Carlioz, Clotilde Lacroix Flore Merlin. Mention spéciale à Sharif Andoura qui enfile les rôles avec virtuosité. Mais que Tiphaine Raffier veut-elle nous dire? « Par définition, mes spectacles sont souvent très riches, beaucoup de choses sont dites et montrées afin de laisser au spectateur une liberté de «je» face à ce qu’il voit.» Bon! Mais un peu de modestie serait la bienvenue…

Et il faudrait qu’elle se débarrasse d’urgence d’une théâtralité assez conventionnelle, inspirée de celle de Frank Castorf et Julien Gosselin avec qui elle a travaillé. Cet usage du micro H.F. et l’emploi de la vidéo en permanence avec grossissement du visage des acteurs qui apparaissent sur la scène, le plus souvent suivis par un cadreur, commence à dater sérieusement… comme ces insupportables lumières fluo stroboscopiques!
Bref, il faudrait qu’elle soit plus en accord avec elle-même: le texte est vraiment peu convaincant, et donc vite ennuyeux… Et pour une fois, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec notre amie Christine Friedel qui trouvait ce «spectacle généreux»  et  que « l’autrice-metteuse en scène qui voit grand, se donne les moyens de son audace.»
Peut-être Tiphaine Raffier a-t-elle justement vu trop grand et comme souvent, de jeunes metteurs en scène, elle a une meilleure expression de l’espace, que du temps. Peu de spectateurs sont sortis mais nous avons eu la nette impression que ce spectacle, très inégal, en trois heures quarante avec un entracte de vingt minutes, gagnerait à être resserré en deux heures et quelque. A ces réserves près, La Réponse des Hommes mérite d’être vu pour son interprétation. Tiphaine Raffier n’est pas n’importe qui! Mais il faudrait que, elle nous surprenne à nouveau comme à ses débuts et avec sincérité, au lieu de jouer sur son savoir-faire…

 Philippe du Vignal

Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

Les textes des trois premières pièces de Tiphaine Raffier sont édités aux éditions La Fontaine et celui de La Réponse des Hommes, à L’Avant-Scène Théâtre.

 

 


Archive pour 10 janvier, 2024

La Réponse des hommes, texte et mise en scène de Tiphaine Raffier

La Réponse des hommes, texte et mise en scène de Tiphaine Raffier

Cette pièce de la dramaturge que nous avons suivie depuis ses débuts (voir Le Théâtre du Blog) a déjà une longue histoire et a évolué. Elle n’avait pu être créée au festival d’Avignon mais le fut d’abord au Théâtre du Nord à Lille en 2020, puis à Nanterre-Amandiers, il y a deux ans. Et notre amie Christine Friedel en avait rendu compte dans ces colonnes. Ce spectacle avec seize interprètes est maintenant repris sur le vaste plateau de l’Odéon-Ateliers Berthier.

Elle a pour thème ou plutôt comme prétexte, neuf des commandements chrétiens bien connus et la réponse que peuvent y donner les femmes et les hommes d’aujourd’hui.  Vont s’afficher en projection les préceptes de l’Evangile selon Saint Matthieu: «Donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts».
«
Lors de mes pérégrinations sur les thèmes du don, du contre-don, de la dette et du sacrifice, je me suis interrogée sur la bonté et la compassion puis intéressée au Décalogue de Krzysztof Kielowski, un cycle de dix téléfilms qui s’inspire des dix commandements de la Bible. (…) Qu’est-ce que faire le bien ? Qu’est-ce que faire le juste ?

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Devant un haut mur gris avec à cour une double porte de secours à barre de sécurité et en haut, côté jardin, une autre petite porte donnant sur le vide du plateau comme pour dire une impossibilité de fuir. Avec des personnages d’aujourd’hui comme Judith, une jeune femme travaillant dans l’humanitaire. Mais  très dépressive, elle ne peut s’occuper de son bébé et veut l’abandonner.
Diego, un jeune homme dialysé attend la mort accidentelle  de celle ou celui qui lui offrira un rein, un père de famille va brûler un papier contenant un secret, au lieu d’en révéler le contenu…
Martial, un soldat accusé devant un tribunal, d’avoir par internet harcelé Nicolas, un autre soldat qui a fini par se suicider. Et Cyprien, un visiteur de prison, est en discussion avec un détenu dans un parloir minable…

Un grand mur gris obsédant et menaçant, quelques accessoires pour accompagner la vie d’une vingtaine de personnages dans une sorte de fresque. Tiphaine Raffier veut interroger dit-elle,« les dilemmes et les inquiétudes morales archaïques ou contemporaines qui nous habitent » et confronter les commandements des œuvres de miséricorde chrétiennes, à la réalité de notre monde contemporain. « Lors de mes pérégrinations sur les thèmes du don, du contre-don, de la dette et du sacrifice, je me suis interrogée sur la bonté et la compassion puis intéressée au Décalogue de Krzysztof Kieślowski, un cycle de dix téléfilms qui s’inspire des dix commandements de la Bible. (…) Pour les chrétiens, les œuvres de miséricorde sont une liste d’actions et de gestes concrets et ordinaires que chacun peut accomplir dans tous les domaines de la vie pour venir en aide à son prochain. »

Sur le plateau, la mise en scène et la direction d’acteurs de Tiphaine Raffier sont d’une rigueur absolue. Mais elle a du mal à articuler avec l’action scénique, les très grandes et souvent belles images-vidéo (le plus souvent des grossissements du visage des acteurs envoyés par un cadreur qui les suit (on oubliera des affreux micros H.F. sur la joue de certains!). Le texte est trop souvent faiblard comme, entre autres, celui des psychothérapies  imposées à des criminels pédophiles. Bref, ici, le textuel et le visuel d’une grande qualité picturale, ne font pas bon ménage. Le son d’Hugo Hamman est remarquable: quand les sirènes d’alarme retentissent régulièrement, cela fait froid dans le dos. Et c’est un bonheur d’entendre la musique d’Othman Louati, et celle de l’ensemble Miroirs étendus dont les interprètes jouent entre autres du Scarlatti. Un vrai moment de grâce… Tiphaine Raffier sait faire et bien faire. Aucun doute là-dessus. Et il y a parfois de belles idées comme cette clé USB, seul vestige-témoin d’une vie, après que les disques durs relatant cette vie aient été violemment cassés à coup de marteau, accompagnés par une vidéo de la fameuse danse des chaussures avec Fred Astaire. Oui, mais voilà, l’ensemble du spectacle flotte et on ne voit jamais où l’autrice et metteuse en scène veut vraiment aller. Elle joue sur un savoir-faire évident et compte sur ses acteurs: Salvatore Cataldo, Éric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Édith Mérieau, Judith Morisseau, Catherine Morlo, Adrien Rouyard tous impeccables comme les musiciens de l’ensemble Miroirs Étendus, Guy-Loup Boisneau, Émile Carlioz, Clotilde Lacroix Flore Merlin. Mention spéciale à Sharif Andoura qui enfile les rôles avec virtuosité. Mais que Tiphaine Raffier veut-elle nous dire? « Par définition, mes spectacles sont souvent très riches, beaucoup de choses sont dites et montrées afin de laisser au spectateur une liberté de «je» face à ce qu’il voit.» Bon! Mais un peu de modestie serait la bienvenue…

Et il faudrait qu’elle se débarrasse d’urgence d’une théâtralité assez conventionnelle, inspirée de celle de Frank Castorf et Julien Gosselin avec qui elle a travaillé. Cet usage du micro H.F. et l’emploi de la vidéo en permanence avec grossissement du visage des acteurs qui apparaissent sur la scène, le plus souvent suivis par un cadreur, commence à dater sérieusement… comme ces insupportables lumières fluo stroboscopiques!
Bref, il faudrait qu’elle soit plus en accord avec elle-même: le texte est vraiment peu convaincant, et donc vite ennuyeux… Et pour une fois, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec notre amie Christine Friedel qui trouvait ce «spectacle généreux»  et  que « l’autrice-metteuse en scène qui voit grand, se donne les moyens de son audace.»
Peut-être Tiphaine Raffier a-t-elle justement vu trop grand et comme souvent, de jeunes metteurs en scène, elle a une meilleure expression de l’espace, que du temps. Peu de spectateurs sont sortis mais nous avons eu la nette impression que ce spectacle, très inégal, en trois heures quarante avec un entracte de vingt minutes, gagnerait à être resserré en deux heures et quelque. A ces réserves près, La Réponse des Hommes mérite d’être vu pour son interprétation. Tiphaine Raffier n’est pas n’importe qui! Mais il faudrait que, elle nous surprenne à nouveau comme à ses débuts et avec sincérité, au lieu de jouer sur son savoir-faire…

 Philippe du Vignal

Odéon-Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

Les textes des trois premières pièces de Tiphaine Raffier sont édités aux éditions La Fontaine et celui de La Réponse des Hommes, à L’Avant-Scène Théâtre.

 

 

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