L’Amour de l’art, écriture et jeu de Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier
L’Amour de l’art, écriture et jeu de Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier
Elle a fait de longues études de philo puis a fait le choix d’être metteuse en scène et actrice. Avec le comédien et metteur en scène Antoine Thiollier, elle nous invite à une analyse picturale mais avec une remarquable ironie et un art du décalage virulent, voire poétique. Ici, des guides ou « médiateurs culturels » comme on dit maintenant.. Elle, en tailleur rouge, collants blancs et escarpins noir. Lui, en pantalon et veste, tennis bleu. Cela ne commence pas très bien avec des excuses en rafales sur leur état physique, « une rétrocession qui leur forcerait à quitter la salle». Comment croire une seconde à ce préambule-longuet et pas dirigé- qui ne fait pas vraiment sens et aurait pu être évité…
Puis, un laser rouge en main, les complices vont analyser ou plutôt faire semblant d’analyser des natures mortes de peinture dite classique sur le thème du memento mori avec une série de crânes. La première et la plus belle: Vanité (1644) de Philippe de Champaigne avec une évocation du Temps humain. Sur une longue pierre, au milieu un crâne, à droite un sablier en train de s’écouler, trop plein en haut, et à gauche, une belle tulipe qui, au XVII ème siècle, a fait la fortune des Hollandais.
Le peintre évoque la jeunesse avec cette fleur qui s’ouvre, la vie dans le sablier à moitié écoulé et la mort prochaine.Tout le monde n’est pas le formidable critique d’art Hector Obalk (voir Le Théâtre du Blog) qui a le pouvoir de faire jaillir toute la vie y compris dans ses détails d’une œuvre picturale projetée en grand format. Mais Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier s’y prennent assez bien. Même si les autres natures mortes sur écran dont ils parlent n’ont pas la même force. Mais avec un sérieux inimitable, ils se livrent avec le plus grand sérieux à une analyse truffée de bêtises et anachronismes. Ils savent avec talent mettre le doigt là où cela fait mal: de l’art de de parler pour ne rien dire, comme certains guides et conférenciers… Imbus d’eux-même et finalement loin des œuvres qu’ils sont censés faire découvrir. Efficace et assez drôle. Pas nouveau mais cela marche et le public rit volontiers.
Soit l’art comme terrain de jeu. «J’avais envie, dit Stéphanie Afalo, de travailler avec Antoine Thiollier qui a coécrit le spectacle avec moi et on se proposait des choses sans jamais tomber d’accord. (…) En lisant L’Amour de l’art de Pierre Bourdieu et Alain Darbel, la thématique s’est précisée. Nous pouvions dépasser le gag et creuser cette piste qui consiste à s’interroger sur la manière dont le musée, censé être accessible à toutes et tous, et malgré une volonté d’inclusion, renforce une sacralité et un sentiment d’illégitimité à parler des œuvres qui y sont présentées. Dans une interview, Pierre Bourdieu raconte ainsi que dans un documentaire, on voit un prolo et un bourgeois-je reprends ses termes- qui passent devant un tableau. Le prolo est embarrassé de sa propre inculture et refuse de dire quoi que ce soit. Le bourgeois dit: «Excellent, remarquable ! ». Il n’en sait pas plus mais met un mot passe-partout par dessus. Cette question m’a intéressée : cela ressemblerait à quoi de ne pas s’inhiber, que l’ignorance ne devienne pas une injonction au silence ? Comment pourrait-elle devenir un principe créatif et pas une source de honte ? »
Ici, avec son complice, l’ancienne philosophe Stéphanie Afalo dit devoir beaucoup à Ludwig Wittgenstein et s’amuse à imaginer avec intelligence une parodie fondée sur un détournement des codes du langage, sur les stéréotypes sémantiques et la mise en abyme de la bêtise. De là, «à voir la parodie non comme une simple moquerie mais comme le moyen d’accéder à une forme de créativité, d’ouvrir la voie à de nouvelles perspectives », c’est peut-être aller un peu vite… Et le troisième volet du spectacle : une analyse et une description gestuelle à deux sur un tableau que nous ne verrons jamais avec des personnages à l’avant et dans le fond de la scène représentée traîne un peu. Le « contrat» comme elle dit, avec une dimension parodique poussée à l’extrême, ne fonctionne pas aussi bien. Puis, à la fin, Stéphane Afalo reprend en la citant, la performance de l’artiste serbe Marina Abramovic, mondialement connue. Elle avait coupé un oignon cru face à une caméra, avec son ami, l’artiste allemand Ulay maintenant disparu… Pendant quelques minutes, la philosophe-actrice parle la bouche pleine de cet oignon cru, une autre belle mise en abyme de l’art contemporain. Puis elle embrasse avec une grande douceur, Antoine Thiollier… histoire de partager avec lui le parfum spécial de ce légume mythique? Celui qu’on voit souvent dans les natures mortes. Ou de l’art de bien finir un spectacle-sabotage intelligent qui se transforme en performance.
Vous l’aurez compris, il est assez inégal et nous ne voudrions pas faire à leçon à une philosophe mais Stéphanie Afalo semble confondre le temps et le mouvement. Pourtant aux meilleurs moments, L’Amour de l’art est plein d’humour et attachant. Trop long- c’est souvent le cas de spectacles qui se baladent entre théâtre et performance, cette pièce mériterait d’être dramaturgiquement mieux conçue et mise en scène. Donc à suivre…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 20 janvier, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.
Festival Les Singuliers, Le Cent-Quatre, Paris (XIX ème) les 24, 26 et 27 janvier.
Musée du Louvre, Lens (Nord), le 10 février.
Théâtre universitaire, Nantes ( Loire-Atlantique), le 21 mars.