Farben, de Mathieu Bertholet, mise en scène de Cécile Givernet et Vincent Munsch par la compagnie Espace Blanc

Farben de Mathieu Bertholet, mise en scène de Cécile Givernet et Vincent Munsch (pour adultes)

©  Simon Gosselin-

© Simon Gosselin-

 Dès la première minute du spectacle, sous le bruit des bombes, un suicide. Il s’agit de Clara Immerwahr, première femme docteure d’une université en Allemagne en fin du XIX° siècle. Nous sommes le 1er mai 1915, à Berlin. Quinze jours auparavant, son mari, Fritz Haber, futur Prix Nobel de chimie 1918, vient de superviser la première attaque allemande au gaz moutarde, résultat de ses recherches, qui a fait 15.000 victimes à Ypres. Elle, qui avait juré que la science devait servir au progrès de l’humanité, est horrifiée par l’ambition de son mari, aiguillonné par le manque de reconnaissance manifesté par l’Empire allemand. Son statut de juif a bloqué sa carrière universitaire mais sa volonté, malgré cela, de servir son pays, l’a conduit à peaufiner une invention aussi spectaculaire, dans le cadre du déjà gigantesque Konzern de la chimie, Farben. Fritz, alors qu’il grandissait en célébrité, a toujours maintenu Clara « dans son métier de femme », cuisine et enfant, lui interdisant toute participation à ses recherches.

Telle est l’explication qu’avance Mathieu Bertholet, l’auteur suisse de Farben. La pièce a déjà été montée en 2012 sous la direction de Véronique Bellegarde, puis reprise en 2015 au Théâtre de la Tempête (voir Le Théâtre du Blog). C’est une autre adaptation, mêlant Théâtre et Marionnette, que présente aujourd’hui la Compagnie Espace blanc, dans mise en scène de Cécile  Givernet  et Vincent Munsch. Les comédiens, bien que vêtus de noir, manipulent et jouent à vue du public. Certains personnages ne sont représentés que par leur tête, animée à bout de bras et un gigantesque pantin intervient, représentation de l’autorité. Les espaces sont délimités par la lumière. évoluent les comédiens se déploient puis se resserrent sur un mini-praticable où évoluent les marionnettes. On évolue ainsi sans cesse sur plusieurs échelles de macro à micro dimensionnelles, de  réalisme à onirisme par le recours aux ombres chinoises. Les dates, comme autant de chapitres de cette histoire, s’inscrivent sur un écran, suivant les didascalies de l’auteur.

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Toutes les techniques du spectacle se mêlent: lumières et ombres, chant et bande son. Changements de décor et d’accessoires se font à vue, dans une volonté de montrer, jusqu’aux coulisses. L’intelligente scénographie de Jane Joyet crée un espace pluridimensionnel éclairé par Corentin Praud et soutenu par l’univers sonore omniprésent signé Kostia Cavalié et Vicent Munsch.

Honorine Lefetz campe une Clara toute en fermeté soutenue par Brice Coupet qui joue et manipule la marionnette Fritz. Blue Montagne, mezzo soprano, illustre l’action de chants a capella (chansons à boire allemandes notamment) et manipule les têtes en compagnie de Cécile Givernet.

 Cécile Givernet et Vincent Munsch ont fondé la Compagnie Espace Blanc en 2016 pour réaliser des spectacles qui peuvent recourir à la marionnette, aux ombres ou au théâtre. L’univers sonore est traité comme un langage dramaturgique à part entière. Ils privilégient les auteurs contemporains ; ils ont ainsi monté des textes de Luc Tartar, de Stéphane Bientz et Laurent Rivelaygue.

 

Depuis 2021, Espace Blanc dirige le Théâtre Halle Roublot à Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), spécialisé dans l’art de la marionnette. Le lieu est partagé avec  Le Comptoir (scène de création musicale) et La Nef (espace d’exposition), ce qui en fait un lieu en pleine effervescence. On l’aura compris, Farben est un excellent spectacle de marionnettes pour adultes! Durée une heure trente.

Jean-Louis Verdier

Jusqu’au 27 janvier, Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard, Paris (Vème). T. : 01 84 79 44 44.

Les 1er et 2 février, dans le cadre de Fontenay en Scènes, Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).

Le 11 mars, Théâtre Jean Arp, Clamart (Hauts-de-Seine), dans le cadre du Festival MARTO 

La pièce est éditée chez Actes Sud Papiers.

 


Archive pour 19 janvier, 2024

Le Problème lapin, cartographie 7 de l’Atlas de l’anthropocène de Frédéric Ferrer

Le Problème lapin, cartographie 7 de l’Atlas de l’anthropocène de Frédéric Ferrer

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C’est une reprise du spectacle qui avait été créé il y a deux ans à la Maison des Métallos à Paris. Nous vous prévenons: c’est on ne peut plus sérieux : le lapin déborde. Il faudra une conférence avec Frédéric Ferrer et Hélène Schwartz pour entrevoir l’ampleur et la profondeur du problème. Allons droit à la conclusion: comme l’humain, le lapin est une espèce à la fois invasive… et en voie de disparition.
Démonstration: tout le monde a entendu parler des ravages commis par les lapins en Australie. Amenés là naïvement pour la subsistance des marins (des immigrants ?), ils ont presque réussi à affamer l’île-continent en se multipliant… comme des lapins et en détruisant son agriculture.
Cataclysme inévitable? Après de vains massacres, il a fallu inventer un nouveau cataclysme, lancer un virus (tiens, tien!). La myxomatose eut l’effet escompté mais prit aussi le bateau du retour et ravagea le monde entier. Mais l’espèce releva la tête et redevint invasive… La question lapine, dit Frédéric Ferrer, est vaste, complexe et a de multiples  causes et effets.

On aura saisi le comique irrésistible de cette conférence fondée sur l’exactitude scientifique absolue des faits exposés, et sur le caractère imprévisible des rapports découverts entre eux. Dont la suite mathématique : 1 1 2 3 5 8 13 21… etc, un chiffrage de la prolifération lapine mais aussi la courbe correspondant au fameux nombre d’or, clé de l’architecture du Parthénon et du portait de Mona Lisa. Sans compter la rivalité grandissante et théâtrale entre les conférenciers, sur le manoir de Kerguelen en Bretagne ou l’invasion des îles du même nom par les pissenlits, que les lapins mangent par la racine, pour leur plus grand bien.
Sans oublier que le «doudou» en forme de lapin tend à supplanter le nounours, et que cela prolifère aussi de ce côté-là. À l’aide d’incontestables images, textes et graphiques projetés sur écran, l’ampleur du « problème lapin» s’impose. Le spectateur, qui vient au théâtre avec son actualité, ses questionnements graves, ne peut s’empêcher de voir aussi une image du problème des migrants imposé par les politiques. Ce n’était pas le projet de l’auteur–acteur, militant éclairé de la cause climatique, mais voilà, le théâtre vit au présent et lui fait écho.

Frédéric Ferrer l’a dit: il mettrait volontiers en scène un Shakespeare mais sa formation de géographe et l’urgence climatique l’entraînent irrésistiblement vers ses Cartographies. On n‘a pas oublié ses Tokyo forever I et II, une drôle et tragique représentation d’une commission internationale incapable de tenir ses engagements à ralentir le réchauffement climatique d’un degré, voire d’un demi-degré. Faux suspense: au petit matin, tout a fini par un accord à l’arrache et pour une fois  à la baisse, mais a minima.
À ne pas manquer cette autre conférence de Frédéric Ferrer À la Recherche des canards perdus, si elle passe à votre portée. La NASA avait tenté une expérience aussi sérieuse que fragile: larguer des canards en plastique sur la banquise et relever leur point d’arrivée pour mesurer la vitesse de la fonte des glaces arctiques…à condition de retrouver les dits canards!
Dans Le Problème lapin,  nous sommes aussi saisis par la capacité de la science et de la logique à créer des effets d’attente et des rebondissements palpitants. Et plus encore, par les coups de projecteur sur sur la science elle-même et ses objets, et sur la construction du savoir et du doute. Voir, à l’occasion d’un lever de rideau, l’analyse du mot: agnotologie (fabrique de l’ignorance), ou comment une « bonne » recherche scientifique financée par le lobby du tabac, peut noyer sa nocivité sous d’autres et multiples causes réelles du cancer du poumon, pour dégager sa responsabilité.

En février, Frédéric Ferrer a passé trois semaines à la Maison des Métallos pour une  coopérative artistique, impliquant un engagement qui déplace les lignes du théâtre en créant tout un éventail de formes participatives. En un mot, cette  CoOP demande de faire une  pièce avec un public vivant. Apéritif avec vins bio et terrine… de lapin, activités diverses,  invitation à bouger, à s’exprimer, à prendre part à la fabrication même du spectacle, avec questions et choix. C’est à la fois ludique et pédagogique mais quelquefois un peu laborieux. Ne pas se contenter d’apprendre dans le plaisir de l’œuvre et l’intelligence du rire, mais entrer dans le jeu. Un premier pas vers un engagement ? Peut-être bien une minuscule métaphore.

Heureusement, en dehors des jeux et mises en situation, et grâce aux recherches, entre autres, de Frédéric Ferrer et de sa compagnie Vertical Détour, les spectateurs-citoyens sont de plus en plus conscients de l’urgence réelle de la question. Et, si la science, bien pesée et bien pensée, nous aidait à passer de l’anthropocène-une ère géologique définie par la domination de l’espèce humaine qui modifie le monde pour le pire-au symbiocène, une autre espèce humaine vivant en bonne harmonie avec la Terre ?

En attendant, pour revenir à nos lapins, nous avons écouté avec grand plaisir les trente questions choisies parmi les cent soixante-dix-neuf posées par le public des Métallos et les réponses de Frédéric Ferrer et Hélène Schwartz, selon le compte à rebours. Et nous sommes sortis de là, obsédés par les lapins, au point d’entendre dans une chanson à la radio « le dernier lapin», au lieu du «dernier matin». Et sans avoir appris l’origine de l’expression : poser un lapin. On a dit d’abord au XIX ème siècle « poseur de lapin », par allusion à celui posé sur les tourniquets des jeux de foire, paraissant facile à gagner mais qu’on ne gagne jamais. Ainsi, poser un lapin serait pour un homme, ne pas payer une prostituée…

Christine Friedel

Jusqu’au 27 janvier, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. :  01 44 95 98 21.

 

On a tous crié : Oh! Non, pas elle ! Pas possible ! Elle n’y connait rien !

On a tous crié : Oh! Non, pas elle !  Pas possible! Elle n’y connait rien !

 

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C’est peut-être une bonne nouvelle que Rachida Dati n’y connaisse rien… Ce sera notre vingt-sixième ministre de la Culture: Le Théâtre de l’Unité que je dirige avec Hervée de Lafond, est subventionné depuis 71. Mais franchement, le seul (ou la seule) qui ait joué un vrai rôle pour nous, aura été Jack Lang, avec une augmentation  de 400 % de notre subvention! Tous ces ministres restent à peine deux ans et n’ont donc pas le temps d’inscrire la moindre marque sur le fonctionnement de la Culture.
Rima Abdul Malak préparait un nouveau genre de directrices et directeurs pour les institutions… Ce n’était pas idiot: le monde de la Culture a besoin de quelques secousses pour innover. Oui, mais voilà, elle a osé critiquer Gérard Depardieu et la loi Immigration. Punie, virée !

Sans arrêt, cela recommence avec ce lieu commun qu’est la « Démocratisation ». Rachida Dati va tomber dans le piège. Qui peut croire qu’un jour, le Théâtre National de l’Odéon à Paris sera rempli par des ouvriers? Il faut juste accepter cette idée qu’il n’est pas toute la Culture, ni le sommet. Des professeurs partageux de lycées de banlieue y emmènent leurs  élèves et leur disent, vous voyez: la Culture, c’est çà.
Mais on le sait bien, pour eux, c’est le rap, le hip hop, les musiques nouvelles, les festivals gigantesques. Il faudrait que l’on finisse par appliquer les droits culturels et déjà, changer l’appellation de ce ministère de la Culture et le nommer : ministère des Cultures.
En effet, il y en a des milliers de formes en France et cette échelle pyramidale devient insupportable: avec, tout en haut, la « grande et haute culture » de nos Théâtres nationaux dont  l’Opéra, etc. Et tout en bas, des formes plus populaires comme le théâtre de rue, le cirque, la marionnette, etc. On nous souffle qu’il y a une crise de la diffusion, qu’il faudrait dix fois plus de public, pour jouer dix fois plus. Mais il existe bien un  phénomène le T.L.M. (Toujours Les Mêmes) dans nos théâtres. Ceux qu’on a appelé méchamment: le public MAIF/Télérama, un peu âgé, cultivé et appartenant aux catégories socio-professionnelles privilégiées.
 En France, existent des centaines d’initiatives passionnantes dans les friches, campagnes, zones urbaines… Une revue comme Cassandre essayait de les mettre en lumière. Il faudrait expliquer cela à la nouvelle Ministre et lui faire visiter Le Channel de Calais, La Cité des arts de la rue, la Friche de la Belle de mai à Marseille et pourquoi pas, notre Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs). Avec nos Kapouchniks*, toujours complets, après leur création en 2014…
Nous raconterions aussi à la Ministre de la Culture, les neuf années du Centre d’Art et de Plaisanterie-Scène Nationale de Montbéliard… Chaque décembre, Les Réveillons des boulons nous permettaient de toucher la ville entière. Rachida Dati, enfant, a dû connaître le festival Chalon dans la rue, puisqu’elle est issue du quartier Le Pré-Saint-Jean.
Arrêtons de rêver… Sa nomination est, bien sûr, un coup politique, une prise de guerre pour affaiblir les L. R. et pour qu’une liste Rachida Dati aux élections municipales de Paris en 2026, ne soit pas gênée par la concurrence d’une candidature macronienne.
Ne soyons pas non plus butés: la crise du covid aurait été une opportunité idéale pour éradiquer un millier de compagnies, et de petits lieux fragiles. Le « quoiqu’il en coûte » nous a tous sauvés! Le 16 mars prochain à Montbéliard, aura lieu la cérémonie d’ouverture de la Capitale française de la Culture. Qui coupera le ruban? Sans doute, madame Rachida Dati !

Jacques Livchine, codirecteur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité
 

*Les Kapouchniks (en russe: soupe aux choux) sont  joués à Audincourt. Ce cabaret satirique très populaire, drôle et insolent  fait mal là où il faut, remarquablement conçu à partir de la presse mensuelle sur les faits sociaux et la politique et mis en scène le jour même par Hervée de Lafond et Jacques Livchine, avec une dizaine d’acteurs-chanteurs, un samedi  par mois sauf l’été, et cela depuis vingt ans! Et présenté dans la salle de répétitions du Théâtre de l’Unité (voir Le Théâtre du Blog).
Petite scène, éclairages bricolés, costumes attrapés sur un portant, accessoires piochés dans une caisse par les acteurs Et sièges et bancs pour le public, donc confort approximatif.Mais professionnalisme garanti et gros succès jamais démenti. La neige et le froid des rudes hivers en Franche-Comté n’ont jamais eu raison de la fréquentation!
Entrée gratuite (mais vu l’affluence, il faut réserver); à la sortie, chacun des cent-quatre vingt spectateurs donne au chapeau ce qu’il peut. Un cas sans doute unique et un très bon exemple de théâtre populaire. Ancré à Audincourt (14.000 habitants), une ville qui peut être fière de l’abriter et qui fait partie de la Communauté d’Agglomération de Montbéliard..
Mais ces Kapouchniks ont été peu joués ailleurs. Parfaitement ignorés par les directeurs successifs du Théâtre National de Strasbourg ou par les Centres Dramatiques Nationaux de la Région Est ! Comme s’ils  ne faisaient pas bon genre, ou sentaient carrément mauvais. Le théâtre contemporain a de ces mystères…
Il est en tout cas grand temps de revoir les structures de ses institutions comme de ses enseignements dont les services de la rue Saint-Dominique n’avaient guère fait preuve de clairvoyance. Mais jusque là, aucun ministre de la Culture n’a voulu/pu mettre les mains dans le cambouis. A suivre…

Philippe du Vignal 
 

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