Fatatras! Inventaire de Jacques Prévert, mise en scène de Gérard Rauber, arrangement musical de Damien Nédonchelle

Fatatras! Inventaire de Jacques Prévert, mise en scène de Gérard Rauber, arrangement musical de Damien Nédonchelle

Jean-Paul Farré, Anne Baquet et leur metteur en scène ont été bercés, comme tant d’adolescents par Jacques Prévert et ont imaginé une sorte de «concept poétique où on retrouve ses poèmes mis en musique.» Ce grand poète savait jouer avec la substance des mots et le vocabulaire du quotidien. Il les associe ou les oppose avec humour, parfois sur fond de provocation surréaliste du genre : «Notre Père qui êtes aux cieux / Restez-y…
Il maîtrisait parfaitement les figures de style classiques. Ainsi le zeugma (en grec : attelage avec un verbe et deux compléments d’objet sans rapport entre eux) la parodie, entre autres, de Charles Péguy, les calembours (mots semblables en son ou en sens), des syllepses (glissements entre le sens propre et le sens figuré d’un mot), les néologismes et proverbes imaginés par lui, les allitérations volontaires-et non involontaires comme dans les articles non relus…), les rimes loufoques, les énumérations d’objets ou de personnes, les anaphores avec des mots-refrains -seuls ou ensemble. Comme: Rappelle-toi et «Barbara répétés neuf fois dans le célèbre poème éponyme.
Et souvent tout proches d’une chanson et de
l’oralité. Avec aussi, une rare maîtrise de l’évocation visuelle, sans aucun doute sous l’influence du cinéma : Jacques Prévert a été le scénariste de Marcel Carné. Ce qui donne un ton reconnaissable entre tous, à ses textes. Il avait une admirable connaissance de la langue française et jouait sur les mots dans la tradition de Rabelais, Labiche… et plus récemment de Valère Novarina avec ses listes. Et dont Le Repas des Hommes  a connu un formidable succès au Théâtre de la Colline en octobre dernier ( voir Le Théâtre du Blog).

Les thèmes : dénonciation de la guerre et du capitalisme, plaisirs de la vie quotidienne retrouvés à Paris après la guerre, défense de la classe ouvrière exploitée… Paroles (1948) a été édité juste trente ans après le premier conflit mondial où fut tué le grand-père de Jacques Prévert savait donc de quoi il parlait et s’en prend à la bourgeoisie mais avec encore plus virulence à l’armée, la religion, le clergé, les puissants banquiers et industriels, la colonisation, les valeurs chères au maréchal Pétain (Travail, Famille, Patrie). Notamment dans La Pêche à la baleine, ici chantée sur la musique de Joseph Kosma.

On l’a un peu oublié mais il faut rappeler qu’avant d’être le scénariste de Marcel Carné, Jacques Prévert a été aussi (il y a déjà presque un siècle!) de 32 à 36, l’auteur principal du groupe Octobre. Anarchiste revendiqué, il caricaturait avec férocité, les politiques et les gros industriels dans, entre autres, La Bataille de Fontenoy ,ou ridiculisait les bourgeois dans La Famille Tuyau de Poêle.
Cette compagnie d’agit-prop très engagée à gauche, jouait un théâtre politique dans la rue, les usines en grève ou les meetings ouvriers, des sketchs ou des chœurs parlés devant un public populaire.Ses acteurs débutants furent ensuite des auteurs ou artistes importants,  comme la bien connue Margot Capelier, future reine du casting, Pierre Prévert, le frère de Jacques, Raymond Bussières, comédien de théâtre et de cinéma, Maurice Baquet, à la fois acteur et violoncelliste, et tiens, comme c’est bizarre… le père d’Anne Baquet! Puis les metteurs en scène Jean-Louis Barrault, Roger Blin le créateur quelque vingt ans plus tard d’En attendant Godot, Jean Dasté, futur directeur de la Comédie de Saint-Etienne, le chanteur et acteur Mouloudji, Sylvain Itkine, acteur et metteur en scène résistant qui sera fusillé par la Gestapo en 44, les futurs réalisateurs Yves Allégret et Jean-Paul Le Chanois… 

© Alexis Rauber

© Alexis Rauber

Cela se passe au sous-sol du Théâtre de poche, des banquettes pour le public mais pas de scène avec dans le fond un beau rideau rouge foncé et quelques accessoires : un parasol, un fauteuil, deux tables hautes de bistrot montées sur roulettes, une grosse malle ancienne pleine d’instruments de musique. Tout cela emballé de draps blancs façon Christo: pas l’idée du siècle mais bon, cela passe.
Jean-Paul Farré, remarquable acteur et pianiste, Anne Baquet, tout aussi soprano et actrice, vont en une heure et demi, offrir au public une sorte de voyage dans l’univers  de Jacques Prévert avec 
Fatatras, un mot-valise d’après Fatras, un recueil de poèmes et de patratas… Ainsi vont défiler issus pour une dizaine de Paroles (1948) et mis en musique par Joseph Kosma comme Je suis comme je suis, La Pêche à la baleine, Les Enfants qui s’aiment, En famille, Inventaire,Déjeuner du matin, Dans ma maison.  Ou la célèbre Barbara où le poète dit toute son horreur de la guerre dans une Brest en ruines. Et aussi la non moins célèbre, Les Feuilles mortes ensuite chantée par Juliette Gréco. Des textes comme La famille Tuyau de poèle ou d’autres moins connus, mais tous d’une grande qualité littéraire.
Jean-Paul Farré qui a souvent joué au Poche-Montparnasse et Anne Baquet ont une  diction impeccable, une grande présence sur le plateau et un jeu d’une unité, et d’une précision viruose. Bien dirigés par Gérard Rauber, ils ont visiblement un grand plaisir à interpréter avec générosité, ces chansons et ces textes bien choisis de Jacques Prévert. Et le public à les savourer.
Les thèmes? La dénonciation de la guerre, les plaisirs de la vie quotidienne à Paris avec encore un centre ville assez pittoresque, les graves inégalités sociales, la Nature comme dans Pour faire le portrait d’un oiseau. Paroles est paru en 46 donc juste après la fin des combats  et trente ans après ceux de 14-18 où fut tué le grand-père de Jacques Prévert… qui sait donc de quoi il parle. L’anarchiste qu’il n’ a jamais cessé d’être, s’en prend avec virulence à la bourgeoisie,l’armée, la religion, le clergé, les puissants banquiers et industriels, la colonisation, les valeurs chères à Pétain :Travail, Famille, Patrie.

Sur la petite scène, dans le fond un rideau rouge foncé, quelques accessoires ( fauteuil, tables hautes de bistrot montées sur roulettes, belle et grosse malle ancienne plein) d’instruments de musique) enveloppées de draps blancs ( pas l’idée du siècle mais bon, cela passe)
Jean-Paul Farré, acteur et pianiste, Anne Baquet, soprano et actrice vont en une heure et demi offrir au public une sorte de voyage avec Fatatras, mot-valise d’après Fatras, un recueil de poèmes de Jacques Prévert et de l’interjection patratas. Ainsi vont défiler issus pour une dizaine de Paroles (1946),mis en musique par Joseph Kosma Je suis comme je suis,La Pêche à la baleine, Les Enfants qui s’aiment, En famille, Inventaire, Déjeuner du matin, Dans ma maison ou la célébrissime Barbara où le poète dit toute son horreur de la guerre dans une Brest bombardée et en ruines.  
De nombreux poèmes de 
Paroles ont été mis en musique par Joseph Kosma ou Henri Crolla  et ensuite interprétés dès 1935, par, Marianne Oswald puis Yves Montand, Germaine Montero, les Frères Jacques avec la fameuse La Pêche à la baleine (1949). Et la non moins célébrissime Les Feuilles mortes fut ensuite chantée par Juliette Gréco. Marlène Dietrich, Serge Reggiani (Pater noster), Jean Guidoni chantèrent aussi Jacques Prévert qui aura sans doute été le poète le plus populaire du XX ème siècle, même s’il fut boudé par certains critiques.

Il y a aussi dans Fatatras des textes moins connus du public mais tous d’une grande qualité littéraire.  Le très bon acteur et pianiste qui a souvent joué au Poche-Montparnasse et la chanteuse comédienne, sont virtuoses chacun à sa façon. Mais ils ont en commun une diction ciselée, une grande présence et une remarquable unité de jeu. Bien dirigés par Gérard Rauber, ils interprètent visiblement avec grand plaisir mais sans prétention ces chansons et textes bien choisis.
Sur la musique d’un petit orgue de barbarie (cher à Jacques Prévert) ou d’instruments sortis de la grosse malle: un mélodica, avec un tube souple de plusieurs mètres où souffle Jean-Paul Farré! sur lequel Anne Baquet pianote pour accompagner une chanson. Ou un piano-miniature, des tubes en plastique colorés servant de percussions…
Aucun temps mort dans ce petit cabaret, à la fois tendre et comique, chaleureusement applaudi par le public habituel du Théâtre de Poche. Et aussi-c’est rare-par des lycéens en service commandé qui ne boudaient pas leur plaisir, sans doute étonnés par la modernité et l’humour ravageur d’une œuvre qui a, en général, quatre-vingt ans déjà… comme leurs grands-parents..
Des bémols? Parfois les acteurs-chanteurs et musiciens semblent en faire un peu trop mais, comme disait Jérôme Savary, cela vaut mieux, que de n’en faire pas assez. Et il y a une fausse fin à laquelle Gérard Rauber pourrait facilement remédier.
A part cela, cette mise en scène des textes où chaque mot fait sens, est généreuse et efficace, avec de remarquables interprètes et pour une fois, sans vidéos, micros H.F, fumigènes et basses électroniques du théâtre actuel….
Ici que du bonheur…Une pensée pour Philippe Tesson qui dirigea le Théâtre de Poche disparu en février l’an passé et aujourd’hui repris par sa fille Stéphanie. Il aurait sans aucun doute bien aimé ce
Fatatras, promis à un bel avenir. Allez voir ce petit mais très grand spectacle.

En guise de remerciements aux interprètes et au metteur en scène, ces quelques lignes de La Condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt: «La poésie qui a pour matériau le langage, est sans doute de tous les arts le plus humain, le «moins-du monde», celui dans lequel le produit final demeure le plus proche de la pensée qui l’a inspiré. La durabilité d’un poème est produite par la condensation, comme si le langage parlé dans sa plus grande densité, concentré à l’extrême, était poétique. »

Philippe du Vignal

Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21. 


Archive pour 26 janvier, 2024

Mirkids, chorégraphie de Jasmine Morand

Mirkids, chorégraphie de Jasmine Morand

La chorégraphe suisse nous avait captivés l’an dernier avec les jeux d’optique dans Lumen, au théâtre des Abbesses (voir Le Théâtre du Blog). Ici, elle nous invite à nous allonger et, dans un miroir géant tendu au plafond, à contempler des images kaléidoscopiques, reflets de huit danseurs évoluant dans un cylindre cloisonné, avec autour, le public… Une boîte magique ressemblant à un zoo-trope, l’ancêtre du cinéma où les interprètes réalisent des figures géométriques comme tracées aux compas. Ils tendent les bras, écartent les jambes, se vrillent, se superposent en une fascinante symétrie, dessinant cercles, rosaces, étoiles à multiples branches, ribambelles circulaires, mandalas… dans un mouvement permanent et hypnotique, sur la musique de Dragos Tara. Puis, crescendo, ils se livrent à des ébats ludiques, avec des poses animalières parfaitement synchronisés, ce qui amuse les enfants.

©Céline Michel

© Céline Michel

Couchés en épis autour du plateau et bercés par cette danse éthérée, nous entendons en même temps les pas résonner derrière nous. Les vibrations engendrées par le poids des corps nous tirent parfois de notre rêverie aérienne. Nous pouvons aussi, en nous retournant, entrevoir par intermittence, les danseurs par des interstices laissés dans la paroi cylindrique. Un défilement cinétique rappelle les images du photographe Eadweard Muybridge (1830-1904) décomposant le mouvement pour étudier la locomotion animale et humaine.

Mirkids (Mir comme miroir, kids comme enfants), version jeune public de Mire (2016) a été  réalisé à partir d’une nouvelle bande sonore. Le compositeur s’est tourné vers une musique écrite pour, et par les enfants, à partir d’ateliers autour d’images comme des mosaïques, mandalas, vitraux… Sont ainsi nés des fragments de partition ensuite interprétés par le cours de clarinette au Conservatoire de Vevey (Suisse). Ces instruments couvrant une large palette de tessitures, textures et dynamiques.

Les costumes qui épousent les anatomies, se sont teintés de dégradés roses et bleus pastel, donnent de la douceur à cette fresque animée, dans les lumières contrastées  de Rainer Ludwig. Pour composer sa pièce, la chorégraphe a eu recours à un jeu de miroirs, une glace au sol reflétant à son tour les images projetées au plafond. Une technique apprise d’une amie marionnettiste, explique-t-elle..

©x

© Céline Michel

Après quinze ans de travaux chorégraphiques avec la compagnie Prototype Status, Jasmine Morand a éprouvé le besoin de s’adresser à un autre public: «La création pour les enfants apparaît aujourd’hui comme une évidence dans mon parcours artistique ! ».

Elle leur offre ici une belle aventure poétique, avec cette pause de trois quart d’heure pour oublier les bruits et le stress urbains. Il faut aller aussi voir Mire fonctionnant selon le même principe…

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 28 janvier, programmé avec Mire, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, place du Châtelet. Paris (Ier). T. 01 42 74 22 77.  

 Du 9 au 17 février, au festival Antigel, Théâtre Am Stram Gram, Genève ( Suisse).

Les 28 et 29 février, Kaserne, Bâle (Suisse).

Le 21 mars, au festival Kidanse, La Faïencerie, Creil (Oise).

 

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