Tartuffe de Molière, mise en scène de Serge Noyelle et Marion Coutris

Tartuffe de Molière, mise en scène de Serge Noyelle et Marion Coutris

La première version de cette pièce devenue culte, fut créée à l’Hôtel de Bourgogne en 1664, mais a eu une vie agitée. Vite interdite à cause du scandale qu’elle provoqua, elle fut reprise cinq ans plus tard, avec un texte un peu moins virulent, (on dirait aujourd’hui autocensuré!) après avoir encore subi une autre interdiction…Cette œuvre emblématique du théâtre en alexandrins est restée d’une incroyable modernité plus de trois siècles après. Et aussi la plus jouée à la Comédie-Française, la maison de Molière, avec plus de 3.000 représentations! Mise en scène, entre autres, par Roger Planchon, Ariane Mnouchkine, Dominique Pitoiset, Luc Bondy, Stéphane Braunschweig, Ivo van Hove… (voir Le Théâtre du Blog).

« Cette mise en scène, dit Marion Coutris, a été d’abord jouée trois fois à Marseille puis en tournée, huit fois à Pékin, Shangaï et Chengdu avec celle d’En attendant Godot de Samuel Beckett, dans une traduction officielle sous-titrée. C’était l’occasion pour les Chinois de découvrir le répertoire français classique et du XX ème siècle. Nous étions déjà allés en Chine avec Serge en 2009. Ces mises en scène ont reçu un accueil chaleureux; après les saluts, les spectateurs montaient sur la scène pour venir nous voir.»
«Cela se passe dans une famille où Orgon et sa femme Elmire hébergent un homme qui n’est pas prêtre mais très engagé dans la religion catholique, dit Serge Noyelle. Orgon envoûté par cet individu hors-normes et fascinant, le reçoit somptueusement. Mieux, il lui offre en mariage sa fille mais ce soi-disant dévot exemplaire est un imposteur et va aussi essayer de séduire sa femme Elmire. Tartuffe échouera et pour se venger d’Orgon qui, enfin lucide, veut le mettre à la porte, il fera tout et il en a les moyens, pour lui piquer sa maison et ses biens. La pièce est encore tout à fait d’actualité.»
Tout est dit…

© Julien Florès

© Cordula Treml   Tartuffe et Elmire

Dans la vaste salle du théâtre des Calanques, une scénographie de Marion Coutris et Serge Noyelle, très épurée. Sur ce plateau d’une profondeur de 10 m et d’une ouverture de 21 m, heureusement réduit par deux larges bandes noires, il y a juste côté jardin, un canapé deux places vieux rose, et côté cour, un gros fauteuil club où se prélasse Tartuffe et derrière lequel se cachera Damis, le fils d’Orgon quand Tartuffe se pavane devant Elmire. Au milieu, une longue table nappée de blanc avec treize verres à pied. Aucun autre accessoire sinon, à côté, et au fond, devant un rideau, treize chaises de bistrot qui serviront ou pas. Une rigueur bien vue sur le plan pictural et bien venue. Des costumes contemporains, certains réussis comme celui de Tartuffe ou de Dorine, d’autres moins comme celui de Marianne, un peu style Deschiens mais bon…

Il n’y a ici aucune lecture personnelle de Tartuffe et devant ce chef-d’œuvre absolu de la comédie, Marion Coutris et Serge Noyelle ont bien visé : mieux valait rester humble et ne pas faire joujou comme d’autres, avec ce texte aux formidables dialogues toujours aussi vivants, plus de trois siècles après sa création. Et respecter à la lettre, le texte et ce scénario de premier ordre.
Dans toute comédie, des situations basculent plusieurs fois: ici, Tartuffe, d’abord piégé par un Orgon aveuglé par l’amitié/amour et d’une naïveté désarmante, est le maître et les enfants d’Orgon sont priés d’accepter ce cadeau empoisonné: Damis se révolte mais maladroitement et la toute jeune Marianne qui brûle d’amour pour le beau Valère, ne voit pas bien le danger… Pas plus qu’Elmire, la femme d’Orgon, elle aussi fascinée par ce jeune inconnu qui a réussi à s’introduire chez eux. Dorine, la servante lucide, fera tout pour protéger Marianne, ouvrir les yeux d’Orgon et pour que ce sale type sans scrupule quitte au plus vite la maison qui l’abrite.

© Julien Florès

© Cordula Treml Marianne et Dorine

Très habile, Tartuffe se revendique pécheur comme tout le monde. Avec un argument des jésuites vieux ennemis de Molière sur le refrain : nous sommes tous égaux et donc vous devez moralement-mais attention! je vous tiens et vous y avez aussi tout intérêt-me pardonner mon attrait pour le sexe féminin. Ensuite, Tartuffe sera piégé une seconde fois et ce sera la bonne quand il essayera de séduire Elmire devant la table où en dessous, Orgon a été placé pour tout entendre. Cette fois, tout est clair mais il tarde à sortir de sa cachette… Et alors, Tartuffe, en maître-chanteur qui connait son métier, va devenir menaçant : faute de n’avoir pas réussi à épouser la fille, ni à séduire la femme d’Orgon, il va lui ressortir une vieille affaire politique où il a été impliqué et assez dangereuse pour lui. Tartuffe, alors maître du jeu, va se venger en s’offrant sans scrupules la maison d’Orgon que, totalement inconscient, il lui a léguée. Ce bienfaiteur de Tartuffe est mis en demeure avec toute sa famille, de quitter sa maison.
Mais dans un magistral-et un peu facile- heureux
dénouementMolière fait un triple coup: Tartuffe, arrêté est mis hors d’état de nuire, Orgon récupère sa maison et une famille enfin apaisée. Et cerise royale sur le gâteau, le grand dramaturge remercie clairement Louis XIV son ami et protecteur qui finance sa compagnie… Il faut bien vivre et au XXI ème siècle , les choses ont-elles tant changé? Mieux vaut faire les yeux doux à Brigitte Macron et à Rachida Dati. A Orgon, l’Exempt signifiera: «Remettez-vous, monsieur, d’une alarme si chaude/Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude/ Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs/Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs./D’un fin discernement, sa grande âme pourvue/Sur les choses toujours, jette une droite vue. (…)

Marion Coutris et Serge Noyelle ont eu une belle trouvaille-jusqu’à ce jour, semble-t-il, inédite-faire jouer la pièce  par de jeunes acteurs et actrices dont leurs filles Jeanne (Dorine) et Camille (Elmire) qui imposent, vite et bien, leur personnage. Madame Pernelle, la mère d’Orgon, genre vieille dame autoritaire qui se mêle de tout, éblouie par Tartuffe, est superbement incarnée en deux scènes par Marion Coutris.

 

© Cordula Treml

© Cordula Treml

Nino Djerbir est un bon Orgon (mais pas très âgé), face à un Tartuffe (Lucas Bonetti, vingt-huit ans), impeccable dans ce rôle difficile. En costume et chemise noire, fines chaînes autour du cou , dont l’une avec une croix… il est à la fois, séduisant et terriblement inquiétant.
Calme et sûr de lui, il a la détermination et l’expérience indispensables aux escrocs en tout genre.

Guillaume Saly (Cléante) un peu plus âgé, est très juste en Cléante, le beau-frère d’Orgon, comme le sont Robin Manuella (Valère), Roman Noury (Damis, le coléreux fils d’Orgon) et Louison Bergman, (sa sœur Marianne) ou Julien Florès (Monsieur Loyal).Sans fioritures, mais avec rigueur et énergie, ces jeunes acteurs ont une belle présence et sont tous crédibles.
Et il y a une réelle unité de jeu.


Ici, ni fumigènes, micros H.F., basses électroniques, lumières stroboscopiques. Ouf! Cela fait du bien et tout irait donc pour le mieux, dans le meilleur des mondes moliéresques. Mais il y a un mais! dirait notre amie Christine Friedel. Comment en effet ne pas être partagé devant ce spectacle ? Cet immense plateau n’est pas fait pour
Tartuffe qui se joue dans une « pièce à vivre » , comme on dirait maintenant. Mais ici les comédiens se parlent souvent à plusieurs mètres de distance: comment faire autrement? A l’impossible, nul n’est tenu, disaient nos grand-mères. Et il y aurait suffisamment de place pour que public et interprètes cohabitent sur la même surface…
Et s’ajoute un réel problème acoustique: la réverbération des voix est telle que souvent, le texte passe à la trappe. Et ces jeunes interprètes (à part Lucas Bonetti/Tartuffe) maîtrisent parfois mal la difficile pratique de l’alexandrin.
Affaire de respiration, de diction et mais aussi d’approche de la langue… En six syllabes avec  césure, il nécessite un véritable apprentissage, comme celui que dispensaient les acteurs et excellents enseignants Nita Klein, Pierre Vial, ou Madeleine Marion, Antoine Vitez aujourd’hui disparus,
Quand Dorine, la servante au grand cœur mais au verbe haut, apostrophe Marianne : «Avez-vous donc perdu, dites-moi la parole./Et faut-il qu’en ceci, je fasse votre rôle ?/ Souffrir qu’on vous propose un projet insensé/Sans que du moindre mot, vous l’ayez repoussé». Ces vers sont aussi une musique parlée. Même l’écriture de Molière, Racine, ou des deux Corneille dépend de l’alexandrin. Ainsi
substantif et adjectif ne peuvent figurer en aval et en amont de la césure.Ce fameux alexandrin est une sorte de trésor national* arrivé jusqu’à nous (Apollinaire, ensuite Aragon, etc.), même dans les annonces triviales…«Le train ne peut partir que les portes fermées.» Ou «Attention à la marche en descendant du train. »

Alors que faire? Pour une future tournée ou une reprise, il faudrait revoir la diction de ce texte en alexandrins. Quant au plateau, cela dépendra du lieu où il se jouera… Et cela peut tout changer. En attendant, que vive Tartuffe… Comme le dit justement Marion Coutris, « la pièce reste une des premières du théâtre moderne», avec un scénario et un sens du dialogue incomparables.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 3 février, Théâtre des Calanques, Marseille.

* Voir le numéro spécial de Théâtre Public coordonné par Christine Friedel et l’excellent Dire le vers de François Regnault (avec Jean-Claude Milner), Le Seuil (1987).

 

 


Archive pour 30 janvier, 2024

Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Mateï Visniec, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Catherine Papageorgiou

Le Mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux de Mateï Visniec, traduction d’Ersi Vassilikioti, mise en scène de Catherine Papageorgiou

Avec cette œuvre clairement antimilitariste(2005), l’écrivain roumain francophone met l’accent sur les conséquences humanitaires et la culpabilité d’une «victime», symptôme de tout désastre qui s’abat sur l’homme. Des cadavres s’entassent dans une pièce où la solitude de soldats morts écrase celle des vivants qui ont perdu leur enfant, ignorant aussi la terre (la tombe) qui les recouvre.
La Mère, représentant toutes les mères, s’exclame  : «Dans ce pays, une mère heureuse est une mère qui sait où sont enterré son enfant. (…) Elle peut s’occuper à volonté d’une tombe et est sûre que, dans cette tombe-là, se trouve bien le corps de son fils et non pas un cadavre de fortune ». Ce cri de désespoir universel s’accompagne d’actions presque uniques dans leur symbolisme. Ici, les femmes enterrent leur fils dans des chariots-tombeaux mobiles…

Mateï Visniec économise l’action avec une trouvaille ingénieuse: parmi d’autres, celle du présent-absent. Le fils (Vibko), protagoniste mort, réapparaît comme une ombre désirable  qui parle mais sans  jamais vraiment parler, à ses parents. Le tragique, dans la même économie, est imprégné d’actions violentes touchant au grotesque, en soulageant le spectateur et en rendant aussi pathétique, l’univers du deuil. Catherine Papageorgiou illustre le texte avec imagination, en soulignant le scepticisme amer que dégage le personnage d’une vieille Folle: «Tous les os mélangés, maintenant, c’est comme ça. À quoi bon vouloir une tombe ? Toute la terre est une tombe. »

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La metteuse en scène suit l’esthétique de l’auteur, fait évoluer les personnages dans un monde cauchemardesque entre réalisme et absurde, voire métaphysique.  Myrto Stampoulou a imaginé une scénographie où sont séparées clairement les actions, avec un objet caractéristique: une table boiteuse au centre du plateau est le signe de la destruction totale de la maison. Les costumes d’Irini Georgakila, la musique originale de Marina Chronopoulou et les éclairages de Kostis Mousikos contribuent à illustrer le deuil et l’identité des personnages.

Mania Papadimitriou, grande actrice grecque (la Mère) exprime avec une émotion contrôlée la profondeur et le poids du chagrin. Elle embellit aussi le rôle de la Patronne avec des éléments comiques: exubérance et extraversion. Dimitris Petropoulos évolue dans le même esprit, en exprimant intérieurement l’angoisse et le désespoir du Père mais il montre aussi le cynisme d’un impitoyable maquereau.
Tassos Lekkas incarne le Fils, traçant avec clarté la ligne de démarcation entre le monde des morts et celui des vivants. Il est également Caroline, un travesti intelligent qui condamne avec un esprit caustique toutes les idéologies qui ont mené l’Humanité vers des conflits sanglants et des impasses.

Alexandros Varthis interprète Stanko le Milicien, le nouveau Voisin, le Soldat, avec le poids des mots et une expression fondée sur l’exagération. Dans le Nouveau Voisin en particulier, il exprime de façon para-linguistique mais poignante l’attitude impitoyable d’un homme n’ayant ni barrières ni inhibitions… et à l’intelligence et à l’empathie limitées…
Elisa Skolidi joue Ida, une fille effrayée et vulnérable, réduite à se prostituer, transmettant terreur et insécurité. La danse sensuelle sur une barre suspendue (chorégraphie de Chrysiis Liatziviri et pole danse, Mello Diannellaki) symbolise l’éclat trompeur d’un monde nocturne où rien n’est ce qu’il semble être. , Elisa Skolidi excelle en Mirka, la vieille dame folle au visage mauvais et dans une transformation fulgurante, elle joue habilement des tons comiques ou dramatiques, toujours sur le fil du rasoir.

L’image finale de ce spectacle incontournable est le retour de la Fille, à la maison, optimiste malgré tout:«La maison n’est pas entièrement brûlée, on va s’en sortir. Et quand Ida creuse la terre et y plante une fleur, un jeune homme, sans dire un mot, arrose cette fleur avec… du papier-monnaie: l’argent gouverne le monde et c’est l’ennemi… Mateï Visniec serait sans doute heureux de voir ce spectacle !

 Nektarios-Georgios Konstantinidis

 Théâtre Bellos, 1 rue Kekropos, Plaka, Acropole d’Athènes. T. : 00306948230899.

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