Le Repas des gens,texte et mise en scène de François Cervantes

Le Repas des gens, texte et mise en scène de François Cervantes

© Christophe Raynaud de Lage-

© Christophe Raynaud de Lage

Pour cette création, François Cervantes,  auteur associé au Théâtre de la Criée à Marseille, maintenant dirigée par Robin Renucci, devait mettre en scène une nouvelle pièce mais cela n’a pu se faire. Et il est parti de son précédent spectacle Le Cabaret des absents où on offre un dîner sur la scène à  un couple qui n’est jamais venu au théâtre.
Robert et sa femme ne sont plus tout jeunes, sans qu’on puisse leur donner vraiment un âge. Elle a conclu depuis longtemps un accord avec lui et il n’a sans doute pas osé refuser: « Alors je lui ai dit: Bon, écoute Robert, ce qu’on a à se dire, on va le garder pour le dîner, et puis dans la journée, on se parle pas. Voilà. Ça va très bien comme ça. Et le texte aux courtes répliques, ressemble parfois curieusement à du Beckett. Robert : «  Oui. » Elle : « On aime parler quand on mange. » Robert : « Oui. » Elle : « C’est quand on mange qu’on parle. Robert: Oui. » (…)
Ces braves gens, comme on disait autrefois, vivent depuis toujours dans le même quartier dont ils sortent peu. Un quartier pas très riche où tout le monde se connait et s’entraide- une machine à laver sert à plusieurs familles- comme une sorte de tribu, avec ses bonheurs et ses malheurs. La maison de ce couple généreux est toujours ouverte et les gens passent au moment du dîner, boire un verre, manger un morceau et discuter. Comme ce cousin éloigné, directeur d’un théâtre, resté dîner avec eux.
Elle explique avec une certaine fierté pourquoi ils sont là : « Il nous a dit: vous ne voulez pas venir passer une soirée au théâtre? Je serais touché que vous veniez rencontrer le public, on vous invite à dîner.  On a accepté, et c’est pour ça qu’on est là. Et elle ajoute en confidence: «On nous a prêté une voiture. »

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Elle a fait un effort vestimentaire.. mais son tailleur rose fané est vieillot et son sac à main marron, des plus ringards. Lui aussi a essayé de s’habiller pour cette sortie et a mis une triste chemise bleu pâle, un aussi triste gilet gris et une veste.
Robert et sa femme arrivent un peu hésitants et paumés sur ce grand plateau où une table a été dressée pour eux deux. Au-dessus, un curieux lustre qui a dû servir autrefois pour un spectacle. Christian, le régisseur de scène tout en noir (Stéphan Pastor) les accueille avec attention et fera office de maître d’hôtel.
Ils découvrent avec étonnement la salle du théâtre. Devant eux, plusieurs centaines de personnes les regardent. Eux se demandent bien pourquoi mais ils les saluent poliment,  comme Xavier, le régisseur-lumière là-haut, même s’ils ne le voient pas. Puis ils se mettent à table face public. Ils savourent le vin et les plats. Christian les sert mais va aussi répondre à leurs questions naïves sur le fonctionnement d’un théâtre: « Eh ! Ben, tout est écrit ! On a un texte, tout est marqué ! Ce que les acteurs vont dire, ce qu’ils vont faire, par où ils vont entrer. Tout !/ Robert: «Ils disent toujours les mêmes phrases ? /Christian : Bien sûr ! »

Elle va se mettre à raconter la vie de sa famille, encore émue d’être sur scène, seule avec son mari devant tout ce public. Mais elle boit pas mal et est donc vite assez pompette, comme elle dit. »Oh ! La, la ! Oui, je mélange tout, je confonds avec des livres que j’ai lus. Oh ! La, la ! (Elle regarde la bouteille). «On n’a pas bu tant que ça pourtant… C’est cet endroit qui tourne la tête, c’est tellement émouvant. Et Robert ajoute timidement: «Quand même, fais attention.»
C’est tout, et c’est merveilleux. Suivra un dialogue aussi surréaliste avec réponse d’une syllabe ou trois maximum, quand Robert, avec un grand sérieux, essaye de trouver la recette du plat fumant qu’ils dégustent : «C’est un fond de blanc de volaille ? Christian : Oui. Robert : De la dinde, non ? Christian : Oui. Robert : Clarifié au blanc d’œuf? Christian : Oui. Robert : Au gros sel et à l’ail. Christian : Oui. Elle : C’est très bon. Christian : Merci. Robert : Du poivre, de l’oignon?  Christian : Oui. » Et tout le public rit de plus en plus…

« Leur hospitalité naturelle fait venir au plateau des fantômes de théâtre et la soirée devient une rencontre du visible avec l’invisible, dit joliment de ses personnages, François Cervantes. Il y a des millions de personnes qui ne sont jamais entrées dans un théâtre de leur vie et qui n’y entreront jamais (mais pour autant des millions de personnes sont contents de savoir qu’il y a des théâtres, sans pour autant y aller. »
Oui, c’est du théâtre dans le théâtre… Mais heureusement, très loin de ce qu’on voit d’habitude, en général facile et peu efficace. Et ici fait avec une grande intelligence scénique et en même temps, un indéniable capital de tendresse pour ces personnages d’une rare banalité que François Cervantes sait rendre terriblement émouvants. La démarche clownesque de Catherine Germain et Julien Cottereau, très crédibles dans le moindre geste ou intonation, est d’une rare qualité comique, toute en nuances. Et leur jeu est exceptionnel de vérité mais aussi d’une grande poésie.

Il faut la voir quand, elle,après avoir beaucoup trop bu, met avec un grand naturel, le reste de son verre, pour ne pas le perdre, dans son sac à main! Et lui, silencieux, quand il écoute très attentif ce qu’elle dit, en le ponctuant d’un seul oui, ou non. Ils ressemblent,  quarante après, aux personnages  imaginés par Macha Makeieff et Jérôme Deschamps, ceux entre autres de leur célèbre Lapin Chasseur où le personnel d’un restaurant minable buvait lui aussi beaucoup…
Avec un comique d’une grande précision et vraiment savoureux, ce Repas des gens est aussi une sorte de manifeste et d’hymne au théâtre, comme à son public. Elle et Robert le disent  avec leurs mots à eux, du genre: «C’est ballot, quand même. C’est la première fois qu’on vient au théâtre, et y’a pas de théâtre ! (Au public): On est désolés, y’a pas de théâtre ce soir. (A Christian): « Ça n’a pas l’air de les déranger. Ils sont gentils quand même. » C’est superbement dit et récompensé par les rires sans fin du public, en osmose avec les acteurs.

Apparaît au milieu de la scène, une grande flaque d’eau qui augmente, assez menaçante. Ici, aucun naturalisme et c’est tant mieux. Puis en fond de scène, dans une nuée de fumigènes et sur une musique de basses électroniques: deux stéréotypes mais bon, on oubliera!), une revenante aux longs cheveux d’Agnès, une jeune fille morte noyée :un avatar d’Ophélie? jouée par Lisa Kramars. «Ma maison est à côté de la rivière, il doit y avoir mes parents et ma sœur Angèle. Je ne la retrouve plus la maison. Pourquoi est-ce que vous pleurez, madame ? Elle : Angèle, c’était ma grand-mère, vous êtes la petite sœur de ma grand-mère » Mais c‘est longuet, et pas le plus réussi de ce Repas des gens.
Puis, des châssis se lèvent et apparait tout ce grand plateau avec projecteurs, caisses, accessoires, rideaux… Un bel hommage au théâtre et au travail des techniciens, invisible mais nécessaire à tout spectacle.
Ensuite par une porte sur le côté de la salle, arrive
Sylvie, la fille du couple (Fanny Giraud). Elle  retrouve ses parents mais ne parle pas beaucoup. Il y a une très belle fin. Robert dit simplement: «Bonsoir, tout le monde.» Et sa femme lui répond : «On va se tourner vers la gauche, on va marcher jusqu’à la porte, et on va partir. Xavier mettra une musique de Schubert, quand on aura disparu.» Effectivement, les acteurs quittent la scène et nous entendons du Schubert. Deux minutes plus tard, ils réapparaissent pour saluer… dans leurs vêtements du quotidien et au naturel. Catherine Germain avec ses longs cheveux. Une métamorphose complète, histoire pour l’auteur et metteur en scène de préciser en un dernier clin d’œil, que nous sommes bien au théâtre et heureux d’y être…

Merci, François Cervantes pour ce spectacle qui fera date. Rares sont ceux que nous avons envie de revoir et celui-ci, nous le reverrons, quitte à sacrifier autre chose au festival d’Avignon, quand il y sera repris cette année. C’est si rare de rire en ces temps difficiles et le théâtre public actuel est plutôt du genre radin en comique! Le théâtre privé, moins, mais il y est très souvent vulgaire. Allez voir ce Repas des gens quand il passera près de chez vous ou en Avignon. C’est, nous vous le garantissons, le meilleur spectacle de cette saison et une authentique réussite.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé du 16 au 27 janvier, à La Criée, Théâtre National de Marseille, 30 quai de Rive neuve (VII ème). 

Du 29 juin au 21 juillet, Théâtre des Halles, Avignon (relâche les mercredis: 3, 10, et 17 juillet).

 

 


Archive pour 31 janvier, 2024

Musique de tables, d’après la partition de Thierry De Mey, conception et interprétation d’Éléonore Auzou-Connes, Emma Liégeois et Romain Pageard

Musique de tables, d’après la partition de Thierry de Mey, conception et interprétation d’Éléonore Auzou-Connes, Emma Liégeois et Romain Pageard

Développé à partir de la pièce éponyme en sept minutes pour trois percussionnistes sur table, créée en 1987, ce spectacle tient autant de la performance musicale que théâtrale. Les acteurs l’ont découverte quand ils étaient encore élèves à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Séduits par son potentiel scénique, alors qu’ils n’étaient pas musiciens, ils l’ont traduite en gestuelles, rythmiques et images. Résultat : un fascinant trio à six mains.

© Raoul Gilbert

© Raoul Gilbert

Thierry de Mey, compositeur, entre autres, pour les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaeker et Michèle Anne de Mey, a inventé une notation spécifique avec dix-neuf façons de taper sur la table pour créer différents sons, donc autant de positions de mains codifiées dans un répertoire de symboles. «Au point de rencontre entre musique et danse, dit-il, le geste importe autant que le son produit.»

Ici, blanches, noires, croches, triolets et autres rythmes alternent avec des résonances mates ou aigües, selon que l’on frappe le bois, de la paume, du bout des doigts, que l’on claque des mains, ou que l’on passe le tranchant d’une main sur la surface lisse…Les artistes ont imaginé une série de jeux de scène, sur les planches et dans l’espace, sous des éclairages rasants qui font surgir de l’ombre leurs bras ou leur tête

Dans la première partie, chacun cherche son style, le confronte à celui des autres, défie leur regard dans une rivalité ludique. Puis ils se mettent à l’unisson: les bras se croisent et les mains se baladent, comme de petits monstres à cinq pattes sans qu’on sache laquelle appartient à qui. Un étrange ballet sonore et visuel semblant émaner d’un corps à trois têtes et six bras et trente doigts.. Comme les danseurs, leurs doigts sont habillés des sparadraps blancs protecteurs: le bois est dur et les articulations, fragiles… Musique sur tables, un petit bijou de cinquante minutes de virtuosité et d’humour,  créé au Théâtre National de Strasbourg, est promis à une belle carrière.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 12 février, 2-4 Square de Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris (IX ème). T. : 01 53 05 19 19.

 

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