Que sur toi se lamente le Tigre, d’après le roman d’Émilienne Malfatto, adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff

Que sur toi se lamente le Tigre, d’après le roman d’Émilienne Malfatto, adaptation et mise en scène d’Alexandre Zeff

Que sur toi se lamente le tigre

© Victor Tonelli

Il en a vu des guerres et des massacres, le fleuve Tigre. Mais voilà une mort de trop: une jeune femme va payer de sa vie le fait d’avoir cédé à son fiancé ensuite parti au front. Son frère la tuera, parce qu’elle porte en elle le fruit de l’amour. Et ce grand fleuve qui traverse l’Irak du Nord au Sud, sorti de son lit, gronde et sa voix terrible se mêle à celles de la victime, de sa mère, sa sœur, ses frères….

Lina El Arabi incarne avec grâce cette jeune Irakienne insouciante qui, du jour où le sang a coulé entre ses cuisses, s’enveloppe de noir, selon la coutume perpétuée de mère en fille… Dans cette prison de tissu, se glisse son amoureux pour une étreinte érotique volée. Puis le destin s’acharne contre elle ! En une succession de monologues, les personnages de cette tragédie familiale contemporaine déploreront ce crime d’honneur, tout en acceptant un verdict inique.
«Notre corps ne nous appartient pas, il est la propriété familiale », se lamente la jeune fille. Et «Je suis celui par qui la mort arrive, dit Amir, son frère (Nadhir El Arabi). » (…) « Je vais tuer tout à l’heure et je penserai que je n’ai pas le choix. Sa vie ou notre honneur à tous. Ce n’est pas moi qui tuerai, mais la rue, la ville. le quartier, le pays. »

 Alexandre Zeff a adopté la construction kaléidoscopique du roman, et a mis en scène ce texte avec de nombreux décors sur toute la profondeur du plateau, derrière les eaux du fleuve qui clapotent à l’avant-scène. Au fond, un grand tissu ivoire qui enfle: le Tigre rugit. Et le sol tremble. Un dessin animé sur un tulle, évoque les bombardements, accompagnés du vrombissement d’un hélicoptère. Derrière des voilages translucides, la sœur ainée se félicite de sa grossesse, malgré la brutalité du mari qu’on lui a imposé. Une nappe de brouillard enveloppe le fantôme du fiancé (Mahmoud Vito) criant sa rage d’être mort…

Chaque séquence est pensée comme une sorte de performance dans les lumières et la scénographie inventives de Benjamin Gabrié  avec de nombreux effets spéciaux visuels lumineux et sonores, réussis pour la plupart. Pour Alexandre Zeff, il «s’agit de décupler le choc émotionnel et la sensation de vertige où la lecture du texte nous plonge». Mais ici, l’émotion que procure ce texte poignant, incisif et nécessaire, nous parvient difficilement…
Les voix amplifiées des acteurs manquent de nuances et nous aurions aimé plus de simplicité pour entendre cet oratorio polyphonique. Le chant des femmes, en particulier la mère (Afida Tahri ), nous touche et le spectacle gagne en profondeur quand Wassim Halal aux percussions, et Grégory Dargent au oud, apparaissent au lointain.
Nous ne pouvons rester indifférents au cri de révolte porté par ces ces interprètes engagés que sont Hillel Belabaci, Amine Boudelaa, Lina El Arabi, Nadhir El Arabi, Afida Tahri, Mahmoud Vito, Myra Zbib et les musiciens Grégory Dargent, Wassim Halal et à l’écran Liya Chtaiti. Ils veulent dénoncer l’oppression des femmes de par le monde.
Puissent ces paroles êtres entendues…
Comme celles de Gisèle Halimi dans sa plaidoirie pour une jeune fille qui s’était faite avorté à Bobigny (Seine-Saint-Denis) en 70 : « Ce que je voudrais que le Tribunal comprenne et, après lui, les hommes qui nous gouvernent, c’est que nous sommes des êtres libres et responsables, tout comme les hommes. Et puisque nous devons donner physiologiquement la vie, il faut que nous le décidions en êtres libres et responsables, et sans le contrôle de personne. »

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 11 février, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes+navette gratuite. T. 01 43 28 36 36. 

 Le 8 mars, Scène Watteau, Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne) ; le 14 mars, La Faïencerie, Creil (Oise)  et le 22 mars, Théâtre Romain Rolland, Villejuif (Val-de-Marne).

 Que sur toi se lamente le Tigre d’Émilienne Malfatto, prix Goncourt du premier roman, est publié aux éditions Elyzad.

 

 

 

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Archive pour janvier, 2024

Ils nous ont oubliés de Séverine Chavrier, basé sur le roman La Plâtrière de Thomas Bernhard, adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier


Ils nous ont oubliés
de Séverine Chavrier, basé sur le roman La Plâtrière de Thomas Bernhard, adaptation et mise en scène de Séverine Chavrier

C’est une reprise du spectacle qui avait été créé en 2022 à l’Odéon-Ateliers Berthier (voir Le Théâtre du Blog) et il a sûrement évolué. Cela commence mal avec une (légère) faute de français sur le titre de cet opus de madame Chavrier, en quatre heures mais avec deux entractes!
C’est une fois de plus l’adaptation d’un roman en langue allemande au théâtre… Sur le grand plateau de la Colline, à jardin, une sorte de grande boîte fermée par des rectangles de placo, que les acteurs à peine arrivés, vont casser à coups de pioche et de hache. (Quel intérêt ? Il faut bien entendu refaire cette cloison pour chaque représentation ! Vous avez dit écolo?)

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

La Plâtrière est une ancienne usine dans une forêt .Chez Thomas Bernhard, la nuit du 24 décembre, des rôdeurs tombent sur le corps d’une femme qui a été tuée d’un coup de fusil à la tête sur son fauteuil roulant. On retrouvera son mari quelques jours plus tard fou, et presque mort dans une fosse à purin.
Ici, un couple plus tout jeune, vit enfermé dans un réduit avec juste la visite quotidienne d’une «auxiliaire de vie» comme on dit, un personnage ajouté par Séverine Chavrier. Konrad veut écrire un grand essai sur l’ouïe… sans jamais arriver à le commencer. Sa femme paralysée (Marijke Pinoy) est assise dans un fauteuil roulant et il doit tout faire : la soigner, préparer les repas, gérer la maison en mauvais état… Bien entendu, il ne la supporte plus, et réciproquement. Toujours une cigarette à la bouche, elle pense sans arrêt au dîner et refuse de prendre ses médicaments. Refrain, hélas, bien connu !
Et on a la nette impression qu’elle se venge sur son mari qui l’a forcée à vivre dans ce taudis. Leur jeunesse a bien disparu, avec ses rêves fous de création artistique et littéraire. Bref, devant nous la vie de ces anciens amoureux s’effiloche et comme chez August Strindberg ou Ingmar Bergman, elle est devenue un enfer sur terre.
L’excellent Laurent Papot (Konrad), double paire de lunettes sur le nez, est assez inquiétant avec une dizaine de fusils chargés et accrochés au mur. Il s’active sans raison, lit quelques pages de Novalis à son épouse. Caractériel mais dans un autre genre, et tout aussi insupportable qu’elle. Une relation toxique: Konrad vit reclus avec cette paralysée, dans une double relation de maître à esclave. Même s’il est en relativement en bon état physique, il n’a personne à qui parler, sauf les livreurs de repas et l’auxiliaire de vie qu’il convoite. Mais absolument paranoïaque, il voudrait qu’on «l’écoute écouter ».  Et il est angoissé que «des espèces soient en voie de disparition», il crie et s’étonne aussi que personne «ne s’occupe des cerveaux en voie de disparition ».

Dehors une évocation de la forêt toute proche avec à jardin, un arbre mort (un rappel de celui d’En attendant Godot?) et côté cour, un sapin, un échafaudage métallique et deux timbales où batteur (Florian Satche) improvise. Des personnages masqués passent et il y a aussi des mannequins assis dans la pénombre (une assez belle image). Il y a partout des micros cachés, et le bruit des pas, les très fréquentes fermetures de porte, les coups de fusil et les voix des acteurs équipés de micros H.F. comme la musique, sont amplifiés au maximum. Et cela devient une bouillie sonore, vite insupportable.

Il y a parfois heureusement des images fortes comme ce cercueil qu’on fait doucement glisser sur la neige. Et quelques moments de vrai théâtre: le maigre repas du couple où un corbeau noir vient picorer des miettes, la petite scène où l’auxiliaire de vie colle sur le mur des photos de famille que lui tend la vieille dame
Ou quand des vagabonds trouvent le corps de l’épouse de Konrad qui, lui a disparu. «Ils m’ont dit qu’ils envoyaient une ambulance, mais, à ce niveau-là, elle aurait plutôt besoin d’un corbillard. »


Louise Sari a imaginé une scénographie intelligente et précise: un  étroit corridor surmonté d’un toit où se baladent des vrais pigeons. Là, sans aucun autre meuble qu’une petite table, une chaise et un fauteuil roulant, vit donc en permanence ce couple infernal. En-dessous, un sous-sol que l’on verra sur écran et où Konrad accumule des dizaines de feuillets blancs et essaye de dormir. Et il y a d’immenses tulles où Quentin Vigier montre des vidéos impeccables d’arbres mais aussi les visages des acteurs en très gros plan.

On peut comprendre que ce roman ait attiré la metteuse en scène. Pourtant, malgré quelques courtes scènes qui font vraiment théâtre, et parfois de belles images, l’ensemble ne fonctionne pas et distille un remarquable ennui.Ce Ils nous ont oubliés est un cas d’école pour de jeunes metteurs en scène: comment rater l’adaptation au théâtre d’un roman? Ici, La Plâtrière, un des premiers du grand Thomas Bernhard (1931-1989)….
-D’abord, sous-estimer l’adversaire: cette descente aux enfers racontée par un narrateur dont nous ignorons tout et qui rapporte les dires, impressions ou hypothèses de deux témoins, est intéressante… quand Thomas Bernhard nous en parle. Mais difficile à adapter sur une scène; ici il y a sauf par instants, un manque de vrais dialogues qui fassent sens! L’écrivain autrichien lui-même ne s’y était pas attaqué…
-Ensuite procéder à une révision/adaptation…loin très loin, sauf au tout début, du texte original; puis faire réaliser un important montage vidéo, et surtout utiliser les stéréotypes à la mode depuis vingt ans: utilisation abusive des micros H.F., création d’un univers sonore puissant, invasif, en direct et/ou enregistré, grossissement systématique en vidéo du visage des acteurs (alors qu’ils sont sur scène et sous-éclairés) grâce à de petites caméras infra-rouge planquées, ou tenues par eux, et projection par moments de paysages sur un immense tulle à l’avant-scène.
-Adopter une dramaturgie prétentieuse où on maîtrise mal le temps et en imposer le résultat peu convaincant au public pendant quatre heures (avec deux entractes!). Ne pas vraiment diriger les acteurs et les faire criailler en permanence.
-Enfin, introduire des fumigènes sans véritable raison (pour nous, déjà le quatrième de l’année et le concours se poursuit).
-Mettre au point un système il y a déjà six ans dans Les Palmiers sauvages (voir Le Théâtre du Blog) et s’y conformer:  « une réalisation surtout fondée sur des visages retransmis en gros plan de scènes filmées par caméra infra-rouge. Et bien entendu, un recours incessant à la vidéo avec paysages filmés en noir et blanc: nous ne changerons pas une ligne de ce que nous avions écrit!
-Depuis, utiliser le même système qui doit plus à une superbe technique, qu’à l’art théâtral…
Pas question de nier l’arrivée des nouvelles technologies mais à condition qu’elles fassent sens sur une scène, mais on est là trop souvent plus près d’une installation d’art plastique que du théâtre.
-Penser que «pour se satisfaire d’une œuvre qu’il attend et qui ne vient jamais mais aussi l’espoir «d’un art plutôt qu’un autre». C’est créer à partir de l’absence de ce qui devrait avoir lieu. C’est l’effondrement permanent de l’idéal artistique philosophique, au profit du réel le plus désuet et quotidien. C’est l’abandon de la représentation sans cesse perturbée par la réalité.» Tous aux abris ! Le public n’est pas assez naïf pour entrer dans ce système!

Question abandon de la représentation, nous avouons avoir quitté celle-ci au deuxième entracte : il y a des limites au masochisme comme à l’ennui, et la vie est courte. Donc, nous ne vous parlerons pas de la troisième et dernière partie… Mais selon un ami critique qui l’avait vue à l’Odéon-Ateliers Berthier, elle est aussi faible! En cette première, la salle à moitié pleine s’est encore vidée pour le troisième volet! Nous souhaitons bien du courage au Théâtre de la Colline pour faire venir le public. Et vous l’aurez compris: pas la peine de vous déplacer…
Mais on se demande pourquoi Wajdi Mouawad, comme le Théâtre National de Strasbourg, s’est-il fait refiler ce plat chaud, et le prétentieux spectacle de Vincent Macaigne créé en novembre à la MC 93 à Bobigny? Pas très clair…
Si les Théâtres nationaux se mettent à se refiler leurs créations: avis de tempête! Et il n’y a plus qu’à tirer l’échelle, comme disait Molière ! Enfin, Rachida Dati va revoir tout cela….
Dans ce marasme, une bonne nouvelle: au  Théâtre de la Colline, reprise la saison prochaine la merveilleuse création que fut en octobre dernier, Les Personnages de la pensée, texte, peinture et mise en scène de Valère Novarina (voir Le Théâtre du Blog). Là, courez-y.

*A voir dans le hall du Théâtre: une intéressante exposition de quinze maquettes de scénographie.
Réalisées par les étudiants de l’École nationale d’architecture Paris-La Villette, l’Ecole supérieure des arts appliqués-École Duperré et l’École Supérieure des arts et techniques-Ecole Hourdé. Chaque année, soixante-dix imaginent la scénographie d’un spectacle présenté à La Colline et cette fois, les projets ont été conçus à partir du texte d’Ils nous ont oubliés. Les étudiants ont rencontré Louise Sari, la scénographe du spectacle, Didier Kuhn, responsable de l’atelier de construction à La Colline, Sébastien Dupont, régisseur principal de la machinerie et Marion Turrel, adjointe.

 Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 février, Théâtre de la Colline, 16 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.

Cosmos de Kevin Keiss, en collaboration avec Maëlle Poésy, mise en scène de Maëlle Poésy

Cosmos de Kevin Keiss, en collaboration avec Maëlle Poésy, mise en scène de Maëlle Poésy

La directrice du Centre Dramatique National de Dijon-Bourgogne revient avec une œuvre à mi-chemin, entre théâtre et performance d’art plastique. Mais Cosmos s’inspire de faits réels: dans les années soixante aux États-Unis, en pleine guerre froide, l’armée a mis au point un programme clandestin Mercury 13. On a ainsi recruté treize jeunes femmes pilotes d’avion expérimentées qui ont ensuite subi des batteries de tests difficiles pour qu’on examine leur capacité à aller dans l’espace. Résultats? Nettement supérieurs à ceux obtenus par les hommes…
Sur scène, trois actrices et deux artistes issues des arts du cirque, incarnent les Mercury 13 mais aussi la parole de deux spécialistes rencontrées par Maëlle Poésy et Kevin Keiss. Puis la paroi côté cour se casse et des astronautes pénètrent sur le plateau… Et nous font entrer dans un récit-fiction sur une véritable histoire, celle de ces treize femmes admises à participer au programme Mercury 13.

© Jean-louis Fernandez

© Jean-louis Fernandez

Une opération scientifique mais aussi et surtout politique de grande ampleur voulue entre autres par le président John Kennedy, assassiné en novembre 63. Les dirigeants mâles et blancs américains avaient décidé avant l’URSS déjà très avancée dans ce domaine, être le premier pays à envoyer une ou des femmes dans l’espace.
Mais fin des réjouissances, tout sera stoppé net sur ordre du gouvernement: ces pilotes de ligne, sans aucune exception très expérimentées, ne peuvent aller dans l’espace. Motif du renvoi?  Elles ne sont pas pilotes de chasse. Et si on accordait à ces femmes une telle possibilité, ce serait aussi l’offrir  à d’autres  minorités… (comprenez les Noirs). Donc impossible aux Etats-Unis, revendiquant la Palme d’or de la démocratie!
Les acrobaties de Dominique Joannon et Liza Lapert, rappellent les performances des ingénieurs vivant en état d’apesanteur dans les capsules spatiales. Et Maëlle Poésy sait remarquablement utiliser des extraits de films d’actualité. Il y a, aux meilleurs moments de ce spectacle, une belle évocation poétique de ce qui fut un rêve pour ces jeunes femmes dont certaines mères de famille, sont aujourd’hui âgées ou disparues. Mais aussi une revendication féministe à la fois bien jouée et bien dansée (chorégraphie  de Leïla Ka). Leur lutte pour se faire admettre dans ce club de spationautes machistes, ici retracée avec une grande maîtrise, aura échoué mais au moins, elles auront ouvert la route… Et les Russes en 63 enverront Valentina Terechkova seule à bord de son Vostok: elle aura été la première femme à aller dans l’espace!

Des bémols? Des micros H.F. une fois de plus inutiles, un dialogue un peu laborieux qui n’est pas toujours à la hauteur du thème… Et (déjà pour nous le quatrième spectacle de 2024) une série de fumigènes sans aucun intérêt que Maëlle Poésy aurait pu nous éviter. A ces réserves près, Cosmos est bien réalisé et a été très applaudi.


Philippe du Vignal

 Jusqu’au 21 janvier, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National de Saint-Denis. T. : 01 48 13 70 00.

Le Pôle Sud, Châtenay-Malabry, (Hauts-de-Seine) du 20 janvier au 3 février.

Théâtre de la Cité-Centre Dramatique National,Toulouse-Occitanie (Haute-Garonne), les 24 et 25 janvier.

Comédie de Saint-Etienne-Centre Dramatique (Loire), du 13 au 16 février.

Centre culturel de Meudon (Hauts-de-Seine), le 27 mars.

Théâtre National de Strasbourg (Bas-Rhin) du 3 au 7 avril. Le Préau-Centre Dramatique National de Normandie, Vire ( Calvados), le 18 avril.

 

L’Amour de l’art, écriture et jeu de Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier

L’Amour de l’art, écriture et jeu de Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier

Elle a fait de longues études de philo puis a fait le choix d’être metteuse en scène et actrice.  Avec le comédien et metteur en scène Antoine Thiollier, elle nous invite à une analyse picturale mais avec une remarquable ironie et un art du décalage virulent, voire poétique. Ici, des guides ou « médiateurs culturels » comme on dit maintenant.. Elle, en tailleur rouge, collants blancs et escarpins noir. Lui, en pantalon et veste, tennis bleu. Cela ne commence pas très bien avec des excuses en rafales sur leur état physique, « une rétrocession qui leur forcerait à quitter la salle». Comment croire une seconde à ce préambule-longuet et pas dirigé- qui ne fait pas vraiment sens et aurait pu être évité…

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Puis, un laser rouge en main, les complices vont analyser ou plutôt faire semblant d’analyser des natures mortes de peinture dite classique sur le thème du memento mori avec une série de crânes. La première et la plus belle: Vanité (1644) de Philippe de Champaigne avec une évocation du Temps humain.  Sur une longue pierre, au milieu un crâne, à droite un sablier en train de s’écouler, trop plein en haut,  et à gauche, une belle tulipe qui, au XVII ème siècle, a fait la fortune des Hollandais.

Le peintre évoque la jeunesse avec cette fleur qui s’ouvre, la vie dans le sablier à moitié écoulé et la mort prochaine.Tout le monde n’est pas le formidable critique d’art Hector Obalk (voir Le Théâtre du Blog) qui a le pouvoir de faire jaillir toute la vie y compris dans ses détails d’une œuvre picturale projetée en grand format. Mais Stéphanie Aflalo et Antoine Thiollier s’y prennent assez bien. Même si les autres natures mortes sur écran dont ils parlent n’ont pas la même force.  Mais avec un sérieux inimitable, ils se livrent avec le plus grand sérieux à  une analyse truffée de bêtises et anachronismes. Ils savent avec talent mettre le doigt là où cela fait mal: de l’art de de parler pour ne rien dire, comme certains guides et conférenciers… Imbus d’eux-même et finalement loin des œuvres qu’ils sont censés faire découvrir. Efficace et assez drôle. Pas nouveau mais cela marche et le public rit volontiers.

Soit l’art comme terrain de jeu. «J’avais envie, dit Stéphanie Afalo, de travailler avec Antoine Thiollier qui a coécrit le spectacle avec moi et on se proposait des choses sans jamais tomber d’accord. (…) En lisant L’Amour de l’art de Pierre Bourdieu et Alain Darbel, la thématique s’est précisée. Nous pouvions dépasser le gag et creuser cette piste qui consiste à s’interroger sur la manière dont le musée, censé être accessible à toutes et tous, et malgré une volonté d’inclusion, renforce une sacralité et un sentiment d’illégitimité à parler des œuvres qui y sont présentées. Dans une interview, Pierre Bourdieu raconte ainsi que dans un documentaire, on voit un prolo et un bourgeois-je reprends ses termes- qui passent devant un tableau. Le prolo est embarrassé de sa propre inculture et refuse de dire quoi que ce soit. Le bourgeois dit: «Excellent, remarquable ! ». Il n’en sait pas plus mais met un mot passe-partout par dessus. Cette question m’a intéressée : cela ressemblerait à quoi de ne pas s’inhiber, que l’ignorance ne devienne pas une injonction au silence ? Comment pourrait-elle devenir un principe créatif et pas une source de honte ? »

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Ici, avec son complice, l’ancienne philosophe Stéphanie Afalo dit devoir beaucoup à Ludwig Wittgenstein et s’amuse à imaginer avec intelligence une parodie fondée sur un détournement des codes du langage, sur les stéréotypes sémantiques et la mise en abyme de la bêtise. De là, «à voir la parodie non comme une simple moquerie mais comme le moyen d’accéder à une forme de créativité, d’ouvrir la voie à de nouvelles perspectives », c’est peut-être aller un peu vite… Et le troisième volet du spectacle : une analyse et une description gestuelle à deux sur un tableau que nous ne verrons jamais avec des personnages à l’avant et dans le fond de la scène représentée traîne un peu. Le « contrat» comme elle dit, avec une dimension parodique poussée à l’extrême, ne fonctionne pas aussi bien. Puis, à la fin, Stéphane Afalo reprend en la citant, la performance de l’artiste serbe Marina Abramovic, mondialement connue. Elle avait coupé un oignon cru face à une caméra, avec son ami, l’artiste allemand Ulay maintenant disparu… Pendant quelques minutes, la philosophe-actrice parle la bouche pleine de cet oignon cru, une autre belle mise en abyme de l’art contemporain. Puis elle embrasse avec une grande douceur, Antoine Thiollier… histoire de partager avec lui le parfum spécial de ce légume mythique? Celui qu’on voit souvent dans les natures mortes. Ou de l’art de bien finir un spectacle-sabotage intelligent qui se transforme en performance.
Vous l’aurez compris, il est assez inégal et nous ne voudrions pas faire à leçon à une philosophe mais Stéphanie Afalo semble confondre le temps et le mouvement. Pourtant aux meilleurs moments, L’Amour de l’art est plein d’humour et attachant. Trop long- c’est souvent le cas de spectacles qui se baladent entre théâtre et performance, cette pièce mériterait d’être dramaturgiquement mieux conçue et mise en scène. Donc à suivre…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 20 janvier, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

Festival Les Singuliers, Le Cent-Quatre, Paris (XIX ème) les 24, 26 et 27 janvier.

Musée du Louvre, Lens (Nord), le 10 février.

Théâtre universitaire, Nantes ( Loire-Atlantique), le 21 mars.

 

Dive, chorégraphie d’Édouard Hue par le Beaver Dam Company

Dive, chorégraphie d’Édouard Hue par le Beaver Dam Company

Le chorégraphe propose une plongée dans le mouvement,  communiqué par les percussions de Jonathan Soucasse. Cette pièce pour sept danseurs explore la notion d’instinct et laisse jaillir la danse. Après quelques échauffements, aux tempos impérieux d’une boîte à rythme, les interprètes se rejoignent et s’accordent. Parfois en synchronie impeccable, parfois en léger décalage, ils commencent assis, par de rapides passages de geste.

Ils déploient épaules, coudes, poignets, mains, doigts, selon la mécanique imperturbable des articulations. Cela fait penser aux Temps modernes de Charlie Chaplin. Pas question d’arrêter non plus, quand, debout, ils rebondissent comme des ressorts, s’éloignent et se retrouvent en petits groupes joyeux.

© Zoé Dumont

© Zoé Dumont

En un deuxième temps, l’éclairage bascule brutalement et, dans un rai de lumière, accrochés les uns aux autres, ils tâtonnent vers l’inconnu, comme des naufragés vers le rivage.
La danse est alors fluide et les gestes restent suspendus sur une musique plus harmonieuse.
Immergés dans la pénombre, ils semblent à la recherche d’un second souffle, avant de se relever pour marteler leur pas sur un beat électro final, brut et obstinant.

Cette pièce d’une heure, bien construite est fondée sur une dramaturgie contrastée où alternent mouvements vifs et anguleux, et gestuelle plus déliée, en passant par des moments informels.

Une danse organique à l’énergie communicative, flirtant parfois avec le style des chorégraphies de Michael Jackson, portée par des artistes aguerris: Alison Adnet, Alfredo Gottardi, Jaewon Jung, Tilouna Morel, Rafaël Sauzet, Angélique Spiliopoulos, Mauricio Zuñiga, des artistes aguerris…

Formé au ballet junior de Genève, Édouard Hue a dansé pour Hofesh Shechter, Damien Jalet et Oliver Dubois, avant de s’orienter vers la chorégraphie et de fonder en 2014, la Beaver Dam Company, basée à Annecy et Genève. Révélé par All I need , il poursuit ses créations avec sa compagnie, comme dernièrement Shiver ( voir Le Théâtre du blog)  

Il a aussi créé No Matter à la Gauthier dance company à Stuttgart, Titan pour le Ballet Basel à Bâle et L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky à l’Opéra du Grand Avignon en 2023. Un artiste à suivre.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 27 janvier, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30. 

 

La Vengeance est un plat, la lamentable histoire de Titus et André Nicus mise en scène et scénographie de Sophie Perez

La Vengeance est un plat ou la lamentable histoire de Titus et André Nicus, textes de Sophie Perez, Pacôme pour les deux premiers actes, et de William Shakespeare, mise en scène et scénographie de Sophie Perez

Les titres des spectacles de la compagnie Zerep fondée en 98 ressemblent à ceux de bandes dessinées d’Edika : Purge Baby Purge, Biopigs, Broute Solo, Deux Masques et la plume… Avec cette libre adaptation de La très lamentable tragédie romaine de Titus Andronicus de William Shakespeare, la première pièce de l’auteur mythique, elle continue à brouiller les pistes…Le grand Will est ici qualifié de «trentenaire  bisexuel, pas encore entré au panthéon du Théâtre avec œuvres philosophiques». Un comédien énumère les mises en scène qui ont marqué l’histoire de cette pièce et, dit-il, « ils ne comprennent pas, ici, ce n’est pas le public du Théâtre de la Colline ou de l’Odéon-Ateliers Berthier! »

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Difficile de reconnaître ici la tragédie initiale! Cet assemblage hétéroclite d’effets de théâtre amateur fait pourtant mouche auprès de certains spectateurs : les personnages vivent des meurtres d’enfants, des viols, du sang et des larmes. Et Sophie Pérez dénonce l’hypocrisie des bobos professionnels signant des pétitions dans leur propriété en Sologne et qui se retrouvent «en Avignon » à des cocktails à l’hôtel de la Mirande! Sophie Perez fait même déclamer une vraie critique savante écrite par elle.

Des ratages en cascades font dire à une comédienne: «C’est toujours pareil en France mais comment vous allez faire avec les Jeux Olympiques ? Ou « Ce n’est pas compliqué : c’est Thomas Jolly qui s’en occupe, tout sera donc sous contrôle aseptisé. »Tout se mélange ici. On y danse, chante, hurle, on se maquille et change de costume à vue… Sophie Pérez utilise les artifices de feu le Grand Guignol, un théâtre de l’épouvante et du sang connut son apogée dans la première partie du XX ème siècle. La salle est l’actuel International Visual Theatre dirigé par Emmanuelle Laborit et Jennifer Lesage-David. On y côtoie « le théâtre de nos Chattes » et un portrait de Samuel Beckett posé à l’avant-scène, une référence indispensable…

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Cette pochade jubilatoire n’est pas du goût de tous.. Mais les vieux amoureux du Footsbarn Travelling Theater ou du Théâtre de l’Unité trouveront quelques références de jeu dans  cette mise en abyme et on pense aussi au film burlesque Hellzapoppin’ d’H.C. Potter (1941). « Ce carnaval de boucherie, cette vallée du grabuge » est remarquablement interprété par Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Marlène Saldana, Gilles Gaston-Dreyfus, Françoise Klein, Erge Yu, Marie-Pierre Brébant, Adrien Castillo, Baptiste de Laubier, fidèles compagnons de route de la metteuse en scène.
Cette pièce est salvatrice et nécessaire dans une époque trop bien pensante. A voir donc et sans modération.

 Jean Couturier.

Jusqu’au 21 janvier, Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet, 2-4 square de l’Opéra-Louis Jouvet, Paris (IX ème). T. : 01 53 05 19 19.

Curtain Call, mise en scène de Johannes von Matuschka et Judith Rosmair (en allemand, surtitré en français)

Curtain Call, mise en scène de Johannes von Matuschka et Judith Rosmair (en allemand, surtitré en français)

Découverte au Théâtre national de la Colline en 2017 dans Tous des oiseaux, la comédienne, autrice et metteuse en scène Judith Rosmair nous livre ici un solo. En une heure dix, accompagnée par le musicien Johannes Lauer, elle joue le rôle d’une actrice souffrant d’insomnie chronique: la veille de la première d’Anna Karénine d’après Léon Tolstoï, elle ne trouve pas le sommeil et se plonge dans le Journal intime de sa mère récemment disparue. 

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Cette pièce mêle des moments de la vie de l’actrice, à des pensées sur le célèbre roman: «Une œuvre littéraire, dit-elle, qui joue en miroir des artistes-femmes d’aujourd’hui, souvent confrontées à un univers empreint de misogynie, ou communément en proie à des injustices sociales, liées ou non au genre. Encore aujourd’hui, chacun occupe dans la société un rôle qui lui a été attribué ou pour lequel il a été conditionné. Il y a eu une émancipation depuis le XIX ème siècle quand est paru ce roman mais les standards et carcans sont restés similaires. »

Un voyage intérieur où on apprend que Judith Rosmair est tombée amoureuse du comédien qui joue le rôle du comte Vromski dans Anna Karénine. Ici, on rejoint alors le vécu des répétitions. « Depuis, dit-elle, je pense à maman. » Et la lecture de ce Journal intime la plonge dans l’évocation de sa maladie, une tumeur cérébrale au très mauvais pronostic. S’agit-il d’une insomnie riche en péripéties ou d’un rêve éveillé? A chacun son interprétation. Des praticables, quelques accessoires suffisent à nous convaincre de cette histoire sans fin réelle.
La musique souligne avec intensité un récit entre fiction et réalité. Ce que résume bien Judith Rosmair : «A l’intérieur de moi, Il y a encore une autre. J’en ai peur. » Sensible et fragile, elle nous captive. Elle joue, chante et danse sur Je t’aime moi non plus de Serge Gainsbourg, l’ouverture d’Ainsi parlait Zarathoustra, un poème symphonique de Richard Strauss. Parfois Curtain Call prend la forme d’un cabaret avec des songs style Kurt Weill. Son interprétation rappelle des scènes jouées par Romy Schneider dans le film d’Andrzej Żuławski,  L’important c’est d’aimer. » Il faut aller découvrir cette courte pièce, remarquablement interprétée,

Jean Couturier

Jusqu’au 21 janvier, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème).  

 

Festival Paris des Femmes

Festival Paris des Femmes

©x Les autrices de ce festival

©x Les autrices de ce festival

Une manifestation avec, en trois jours, neuf pièces courtes écrites par des autrices, une conférence, etc. Depuis douze ans: un thème. En 2024: la nuit. Pourquoi pas?

Des créations sous forme de lecture et mises en scène (sic), avec, au programme de ce jeudi, trois courtes pièces de Claire Chazal, une Française, Aliyeh Ataei, une Irano-Aghane, et Maria Larréea,  une Espagnole.
Ces textes de théâtre ont été mis en scène par le même réalisateur, un  Français.


Une Résolution de Claire Chazal, mise en scène de Benjamin Guillard 

L’autrice, par ailleurs journaliste bien connue, a longtemps présenté Le  Journal de 20 heures sur TF1 et a animé Entrée Libre (France 5), Passage des arts (France 2), et dirige actuellement Le grand Echiquier sur France 2. Elle a aussi écrit des romans, une biographie et un essai. Elle a aussi joué dans plusieurs films et au théâtre.

A dix-neuf heures, une femme plus toute jeune mais qui va bientôt se marier, retrouve à dix-neuf heures, un ancien amant. Puis à vingt-et-une heures, elle revoit un ami fidèle, vieux compagnon de sorties.
À minuit, seule dans un bar, elle rencontre un médecin, seul, lui aussi. Cassé par son métier avec des vies qu’il n’arrive pas toujours à sauver. L’une et l’autre ont besoin de se parler… et donc, ils se parlent, comme s’ils se connaissaient depuis toujours…
Pour cette femme, une nuit de retrouvailles, avec émotions et souvenirs à la clé. Un scénario qui en vaut un autre…
Cela commence plutôt bien avec, en fond de scène, quelques images exemplaires de La Notte un bon film en noir et blanc de Michelangelo Antonioni (1961). Parmi les «silhouettes», il y avait Umberto Eco…à vingt-huit ans. Giovanni Pontano, un jeune écrivain à succès et sa femme Lidia  (Marcello Mastroianni et Jeanne Moreau) sont, après plusieurs années de mariage, las et désemparés : ils narrivent plus à communiquer et marchent dans une friche.
Ici, en même temps sur ces magnifiques images en noir et blanc, une jeune interprète chante en s’accompagnant au synthé, la fameuse mélodie interprétée entre autres par Johny Hallyday ,
Retiens la nuit écrite par Charles Aznavour et composée par Georges Garvarentz en 61 comme le film.  Un beau début mais après les choses se gâtent : Anne Brochet qu’on a connue plus inspirée, bute sur les mots du texte qu’elle a pourtant à la main et est à peine audible. Désolé quand on joue/lit un spectacle, même pour un soir, c’est pour une salle entière et pas seulement pour les premier rangs.
Les trois hommes sont joués par Pierre Rochefort, au début assis dans la salle, lui aussi à peine audible. Même chose, de nouveau assis dos au public jouant le client d’un restaurant, Mais quand il est le médecin, face public, on l’entend enfin. Bref, un semblant de mise en scène pour un texte qui n’est sans doute pas génial mais qui aurait mérité d’être  correctement traité…

Danse de fumée d’Aliyeh Ataei, traduit du persan par Sabrina Nouri, mise en scène de Benjamin Guillard

Cette écrivaine irano-afghane de quarante-et-un ans a publié cinq livres en Iran dont La Frontière des oubliés (2021), son premier texte traduit en français chez Gallimard.
Ce solo est bien interprété par Lara Suyeux qui réussit à être émouvante en si peu de temps… Dans un village à la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan, Golshah, une chanteuse et sa famille, ont fui les talibans et se sont réfugiées dans une maison. De loin, la fille du propriétaire observe Golshah dont la beauté et la grâce des danses envoûtent tout le monde.
Nourullah, l’homme de confiance de la maison, tombe amoureux de Golshah. Mais une nuit les talibans entrent par surprise dans le jardin et vont la tuer, elle et son amant puis brûler leurs corps. Golshah est une des ces femmes que le malheur a poursuivie, victime de la haine des hommes qui auraient pu être ses frères ou son père…
Un monologue qu’on entend clairement, bien dit par la jeune actrice. Sans aucun doute le meilleur de cette courte soirée. Mais Benjamin Guillard aurait pu nous épargner ces jets de fumigène une manie actuelle mais sans aucun intérêt (déjà les deuxièmes au compteur de l’année 2024 !)

Les Nuits avec mon père de Maria Larrea, mise en scène de Benjamin Guillard

L’autrice née à Bilbao, a fait ses études à Paris, notamment à la Femis. Scénariste, réalisatrice et écrivaine, elle a publié son premier roman Les Gens de Bilbao naissent où ils veulent chez Grasset.  Cela se passe aussi comme pour les autres textes, pendant une nuit. Une fille danse. Un père se meurt. Une fille boit. Un père est saoul. Une fille embrasse. Un père insulte. Une fille se perd. Un père la trouve. Une nuit, une femme raconte son père.
Là aussi la mise en scène est aux abonnés absents. A la fin, les interprètes sont assis au bord du plateau…,inaudibles ou presque.

Bilan de cette première soirée : vraiment maigre et on ne comprend pas qu’Anne Rosenberg soit aller chercher un metteur en scène ici peu inspiré- le théâtre contemporain a parfois de ces mystères-alors qu’il a mis en scène de nombreux monologues entre autres ceux de Pierre Palmade, François Morel, Olivier Saladin… Désolé, le compte n’y est pas du tout et ce spectacle,  heureusement assez court, ne nous a pas donné envie d’aller voir la suite de ce mini-festival, malgré hier la présence de la formidable Ophélia Kolb… Il vous reste encore un soir pour assister à une conférence d’histoire de l’art sur les artistes-femmes et aller jeter un œil sur les spectacles… Mais bon, vous êtes prévenus.

Philippe du Vignal 

Spectacle vu le 11 janvier au Théâtre de la Pépinière-Opéra, 7 rue Louis Le Grand, Paris (Ier).

Le festival se poursuit jusqu’au 13 janvier. 

 

Christian Laurent

Christian Laurent

Il est né il y a soixante-seize ans à Montmartre où sa grand-mère tenait un café en face du Théâtre de l’Atelier. Enfant, il avait toujours voulu faire du théâtre mais personne de sa famille ne travaillait dans le spectacle. Christian Laurent a toujours su qu’il ferait du théâtre, du music-hall mais surtout qu’il deviendrait propriétaire d’un théâtre et d’un cirque. L’école ne l’intéressait pas  et à quatorze ans, il l’a quittée pour travailler dans les assurances, puis chez Hachette. Enfin, dans un magasin d’électroménager où il travaillait, il a rencontré Maria Sandrini qui faisait partie des Trois Ménestrels. Elle l’a introduit dans le métier en l’invitant à l’ABC où elle passait en vedette américaine de Dario Moreno.
Au Théâtre de l’Atelier, on jouait L’Invitation au Château de Jean Anouilh avec Brigitte Bardot qui débutait sur scène.Puis y fut créé L’Oeuf de Félicien Marceau avec Jacques Duby, Madeleine Barbulée, Jacques Dynam dont il ne savait pas… qu’il les engagerait un jour.
Il a suivi les Trois Ménestrels qui l’ont emmené à l’Olympia, à Bobino et il a alors appris le théâtre aux cours Simon: malgré ses seize ans, il y a été été accepté; puis comme tous les jeunes comédiens, il a joué en tournée et fait beaucoup de figurations à l’Opéra de Paris, à la Comédie-Française où il a rencontré Dominique Besnehard. Il a alors été engagé comme stagiaire mais a continué à suivre des cours au théâtre des Capucines avec Catherine Brieux. Pour les financer, il était ouvreur à l’Empire Cinérama, a encore fait de la figuration et des tournées.…

 Puis il a a été engagé durant un mois le magicien Henri Kassagi (1932-1997) dit Kassa. Un pickpocket qui apprenait aux policiers comment les pickpockets volaient. Impressionnant ! Il était capable de tout dérober, ce qui lui a valu l’Oscar mondial de la magie. A une grande soirée à Monte-Carlo , Borra a présenté ses tours au dîner et il a réussi à chiper la montre de Robert Hossein! Puis, en tournée en Suisse avec la comédienne Micheline Dax, Christian Laurent en a profité pour assister à une séance au Cirque Knie avec Borra. Déguisé en placeur, celui-ci avait reconnu Christian Laurent et lui a fait un clin d’œil. Aux autres, il volait quelques objets: lunettes, ceintures, cravates…

© Steve Bouteiller

© Steve Bouteiller

Puis Christian Laurent a produit L’Illusionniste de Sacha Guitry avec Jean-Claude Brialy et Alain Feydeau. « Et plus tard, j’ai pu rencontrer le célèbre illusionniste français Dani Lary, dont j’avais pu voir son spectacle deux fois au Théâtre Marigny. Son ancien associé Éric Debeaumont le produisait tout comme le duo comique Shirley et Dino qui s’appelait Achille Tonic. Ils jouaient sous un petit chapiteau près de la gare d’Austerlitz… »
Christian Laurent y était allé avec son ami Patrick Hourdequin, conseiller artistique du Festival international du cirque de Monte-Carlo et fondateur du festival Monte-Carlo Magic Stars où ils présentaient des spectacles. À l’époque, ils proposaient divers numéros avec, comme attraction principale, Henny Bario, l’épouse de Freddy Bario, malheureusement disparu qui faisait un numéro de claquettes.
Il a pu aussi participer à un numéro de grandes illusions au Gala de l’Union des artistes, qu’ils avaient préparé chez Mireldo, alias Henri Chrétienneau (1910-1994). « Nous présentions ce tour avec mon associé Jean-Georges Tharaud, avec aussi Corinne et Jean Le Poulain… qui a, un jour, oublié de faire la manipulation pour protéger Corinne, des flammes Par chance, Jean-Georges Tharaud et lui ont discrètement actionné la manette. Pour détourner l’attention du public, Jean Le Poulain faisait la danse du ventre et l’orchestre continuait à jouer. Tout le public du Cirque d’Hiver a ri aux éclats. Aujourd’hui, Jean-Georges Tharaud est directeur du Théâtre de Passy à Paris (XVI ème). Passionné de magie depuis sa plus tendre enfance (Robert-Houdin, Houdini…), il a été magicien professionnel au cirque Mora lsè.

« De mon côté, dit Christian Laurent, j’avais monté dans les années 2000 le Cirque Madison avec mon ami Patrice Roche où nous avions un numéro de grande illusion. Un jour, en matinée à un spectacle scolaire, la partenaire du magicien n’eut pas le temps de changer de costume lors du célèbre tour de la malle des Indes et s’est retrouvée les seins nus devant les enfants hilares.
J’allais beaucoup au Cirque Medrano qui a été détruit et au Cirque d’hiver Bouglione. J’ai ainsi pu voir le célèbre éducateur animalier Gunther Gebel Williams qui présentait un tigre monté sur un éléphant mais aussi une petite quinzaine d’éléphants. Son épouse, elle, présentait trente chevaux en piste. Le programme changeait mensuellement et nous découvrions des vedettes comme le célèbre trio clownesque Les Barios ou les tigres de Gilbert Houcke…

 Christian Laurent s’est nourri d’une solide culture. Quand il a commencé à être acteur, il ne ressentait pas un besoin vital de jouer et la création lui plaisait avant tout. «Recevoir un manuscrit, le lire, distribuer les rôles, choisir le metteur en scène et le costumier, créer le décor… En lisant les premières pages d’un manuscrit, dit-il, je savais si la pièce était bonne et à qui je confierai tel ou tel rôle.
Nous avons ensuite créé avec Jean-Georges Tharaud Spectacles 2000 qui a eu un grand succès grâce en partie, à mon viel ami et mentor Jean Le Poulain. Il a accepté d’en devenir le parrain et de signer la mise en scène… qu’en fait, j’avais conçu en m’inspirant de celle d’une pièce d’Au Théâtre ce soir que Jean Le Poulain avait jouée et mise en scène avec Maria Pacôme.
J’étais donc son assistant: à l’époque, sociétaire de la Comédie-Française, il venait superviser de temps à autre mon travail. Plus tard, j’ai déménagé de mes bureaux rue La Bruyère, je m’occupais toujours des tournées mais je continuais à diriger La Comédie de Paris. Je faisais aussi Les lundis de la Comédie de Paris, puis j’ai monté Les P’tits Vélos, deuxième pièce de mon ami Patrick Haudecœur. »

« Nos spectacles étaient vendus partout en France et à Monaco où nous sommes venus régulièrement pendant vingt-cinq ans, avec des pièces jouées deux à trois fois durant une petite semaine. Mon copain Patrick Hourdequin y a lancé le festival Monte-Carlo Magic Stars qui a fonctionné pendant dix-neuf ans. Il était aussi mordu de théâtre et de cirque… Docteur en droit, il avait été administrateur du cirque Bouglione. Puis il s’est installé à Monaco où il a a été conseiller du Prince Rainier III pour le festival international du Cirque de Monte-Carlo.
Il a aussi dirigé le Théâtre Princesse Grace et a aussi fondé l’Association monégasque des amis du cirque. En 2024, on fêtera les cinquante ans de ce festival. Le premier chapiteau était celui de la famille Bouglione installé déjà à l’époque à Fontvieille. »

Christian Laurent a collaboré avec Romain Duris qui remplaçait Guillaume Canet dans Grande École de Jean-Marie Besset. Et il a produit Jean-Paul Belmondo dans Frederick et a fait débuter au théâtre Anthony Delon dans Sud de Julien Green.  Il souhaite reprendre la direction d’un lieu et a mis en scène récemment les Étoiles de Léo au Théâtre de Passy.  Il prépare actuellement celle de deux tours de chant  et la création d’une web série…

 Bénigne Tainturier

(pour le site https://artefake.fr/)

J’ai la mémoire des planches de Christian Laurent est paru aux éditions de la Librairie théâtrale (2023).

Éducation Nationale de François Hien et l’Harmonie Communale, mise en scène de François Hien et Sigolène Pétey

Éducation Nationale de François Hien et l’Harmonie Communale, mise en scène de François Hien et Sigolène Pétey

© François Cavalca

© François Cavalca

 

A l’école, faut-il privilégier la transmission des savoirs ou le développement des personnalités? Instruire ou éduquer ? Comment accueille-t-on des enfants tout neufs dans une société déjà vieille ? Des questions et bien d’autres posées par les artistes de l’Harmonie Communale et qu’ils nous livrent, après deux ans d’enquête. Une ambitieuse proposition brillamment menée.

Nous vivons pendant trois heures trente (entracte compris) au rythme du lycée Jean Zay, dans la ville imaginaire de Virieux-en-Vezon, avec les professeurs, le proviseur et l’intendante, le CPE ( conseiller principal d’éducation), l’ AESD (assistant d’éducation à domicile), lAESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap), et d’autres agents de l’Éducation nationale.
Sur scène, chaque soir, une classe de terminale participe au spectacle et ce pour deux représentations. Aujourd’hui, les élèves en Langues, littératures et cultures étrangères au lycée Pierre Brossolette à Villeurbanne. Ils ont été entraînés dans les ateliers de pratique théâtrale, comme ceux qui leur succéderont, .

Au lycée Jean Zay, à la rentrée des classes, les enjeux sont posés: manque de moyens et d’effectifs, réformes maladroites de l’enseignement, ordres contradictoires des rectorats, incidents répétés avec élèves à problème. Sur une année scolaire, nous naviguons entre plusieurs classes, la salle des profs, le bureau du proviseur, l’infirmerie… Nous assistons aux cours de maths, anglais, français… selon différentes pédagogies. Il y a des conflits entre enseignants et avec l’administration, des heurts ou certains élèves… Bref, la vie d’un bahut de mille trois cents élèves en perte d’effectifs et où chaque prof ou administratif,  essaye de gérer les choses tant bien que mal.

 En trois actes composs de courtes séquences, nous assistons à un conseil de classe et d’orientation, un conseil de discipline, à la visite d’une inspectrice, aux réunions syndicales, etc. Cela témoigne des tensions qui montent et pour finir, il y aura une grève et une occupation des locaux, et  une assemblée générale avec doléances et propositions.

L’écriture, simple et efficace, permet de glisser d’une scène et d’un espace de jeu, à l’autre. Il suffit aux comédiens de pousser rapidement tables, chaises et murs. Entre les lignes, Education Nationale suggère des solutions collectives portées par des enseignants solidaires… Une traversée passionnante…
Et nous rions souvent, en accord avec les acteurs, chacun excellant dans plusieurs rôles de composition. Chaque spectateur se sent concerné dans son rapport à l’école et y reconnaît l’élève qu’il est ou a été, les professeurs qui l’ont marqué…  Une connivence s’installe entre les interprètes, les enseignants, les parents d’élèves et le public .

« Nous adoptons résolument la perspective des adultes ou plutôt nous nous interrogeons sur la pratique et les métiers des acteurs de l’éducation», dit Sabine Collardey, professeur de philo, dramaturge et interprète d’Éducation nationale:  » François Hien a eu la responsabilité du texte et je livre beaucoup de mon expérience d’enseignement et de la réflexion qu’elle suscite depuis des années.»

Ce spectacle très animé a demandé un gros travail en amont auprès de dix établissements de la métropole lyonnaise, soixante professeurs et deux cent-cinquante neuf élèves. Un texte a été publié avec le scénario du spectacle, témoignages et problématiques de personnes rencontrées. Une matière à réflexion…

Ici, on montre du doigt un système en crise à travers des personnages bien campés par des acteurs qui passent habilement d’un rôle à l’autre. Devant un public séduit, Éducation nationale clôt en beauté la résidence de François Hien et de sa compagnie L’Harmonie communale, au T.N.P. où ils ont créé La Crèche mécanique d’un conflit et joué d’autres pièces de leur répertoire. 

Il faut  voir ce spectacle qui sera en tournée dans la région Rhône-Alpes puis au-delà: il aborde avec sérieux et humour l’éducation des futurs citoyens, quand une nouvelle réforme des lycées prône la loi du chacun pour soi, avec parcours individualisés clivants.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 19 janvier, Théâtre National Populaire, place Lazare Goujon, Villeurbanne (Rhône). T. 04 78 03 30 00.

 Les 1er et 2 février, Le Vellein-Scènes de la CAPI, Villefontaine (Isère) ; le 9 février, Théâtre du Parc, Andrézieux-Bouthéon (Loire) ; le 15 février, 5C, Vaulx-en-Velin (Rhône).

Les 6 et 7 mars, Théâtre de Villefranche-sur-Saône (Rhône); les 14 et 15 mars Théâtre Théo Argence, Saint-Priest (Rhône).

 Éducation nationale de François Hien et Sabine Collardey est publié aux éditions Libel.

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