La Solitude des mues de Naema Boudoumi et Arnaud Dupont, mis en scène de Naema Boudoumi

La Solitude des mues de Naema Boudoumi et Arnaud Dupont, mise en scène de Naema Boudoumi

Un titre intriguant pour cette fable contemporaine. Daphné (Shannen Athiaro-Vidal) et Emma (Clara Paute), inséparables amies et se font appeler Pastèque et Kiki. Elle sont là avant que le public arrive. Deux poupées immobiles en robe bouffante, petits nœuds dans les cheveux et paillettes argentées sur le visage. L’une de type européen, et l’autre, africain.
Grâce à internet, elles ont découvert la civilisation japonaise qui les fascine et passent le plus clair de leur temps sur les réseaux sociaux, via leur portable qu’elles quittent rarement. En proie à une crise d’identification dans un monde où les valeurs, traditionnelles ou non, s’enfuient en TGV.
Reste tout ce que peut apporter à ces jeunes filles, la toile et le virtuel comme trompe-misère, dont une promenade à Tokyo grâce à un écran vert qu’on utilise pour placer des personnages dans un décor réel projeté, un trucage utilisé depuis la fin du XIX ème siècle et bluffant… On voit ainsi les ados se balader côte à côte, alors qu’elles sont assises sur leurs genoux et mimant leur marche dans la rue. Effet connu- l’action sur scène en décalage avec sa reproduction sur écran mais garanti!

 

©  luc battiston

© Luc Battiston

Pas de mère à l’horizon, Kiki vit seule avec son père. Elle a toujours le plus grand mal à se lever le matin et à quitter sa chambre. Elle et Pastèque s’amusent à changer d’apparence et à s’afficher sur les réseaux sociaux. Mais le  père de Kiki (Arnaud Dupont) exaspéré par ses humeurs d’adolescente, va la gifler! La crise!
Sa fille ne le supporte plus et court se réfugier dans son lit. Acceptant juste de lui, un peu de nourriture qu’il lui apporte. A la fin, devant son silence il cassera même la cloison à coup de hache ( le dernier stéréotype à la mode et le déjà le troisième pour nous en janvier) 

Terriblement anxieux et désemparé, ce père trouvera refuge dans la forêt, sous les feuilles mortes. Une bête-de sexe indéterminé-viendra lui rendre visite… Elle  fait penser aux yôkai, ces créatures surnaturelles japonaises. Et pour les auteurs, «elle est tour à tour un habitant de la forêt, la projection psychique d’une crainte ou d’un fantasme… Elle est le passage, l’animal blessé auquel s’identifie le père, comme le monstre tapi sous le lit de la jeune fille, la bête à talon, le désir, le vivant, la mue, le tout et renvoie chaque personnage à sa condition. »

Le texte-léger-va un peu dans tous les sens mais cette plongée dans un onirisme à la fois visuel et sonore sur fond de vie quotidiennes, se laisse découvrir grâce à de superbes images. Rien de trop sur la scène : deux grands modules sur roulettes pour représenter la chambre de Kiki et des milliers de languettes en tissu multicolore pour dire la forêt et le corps de la bête incarnée par une remarquable acrobate (Élise Bjerkelund Reine).
Cela ne fonctionne pas toujours mais, aux meilleurs moments, le temps semble comme suspendu dans le grand silence de la Cartoucherie. Naema Boudoumi a incontestablement le sens de l’image et comme, pour une fois, la retransmission des personnages par vidéo (beau travail de Luc Battiston) est justifiée, qu’il y a une belle rigueur dans le jeu, et que cela dure juste une heure et demi, nous n’avons pas boudé notre plaisir. Ce n’est pas un chef-d’œuvre absolu: ce spectacle a des longueurs mais aussi de belles images: on ne s’ennuie pas et si vous avez le courage d’aller jusque là-bas, il y a dans cette petite salle, un travail à découvrir.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 11 février, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route de Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes+ navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.


Archive pour 1 février, 2024

Mister Robinson, qui êtes-vous ?

Mister Robinson, qui êtes-vous?

Un magicien… Mon premier souvenir d’enfant: l’émission Le plus grand cabaret du monde. J’avais été fasciné par un numéro d’apparition de colombes. Puis, je suis entré dans la pratique de la magie à dix ans. J’ai dû changer d’école primaire: cela n’a pas été très simple et j’avais des difficultés à aller vers mes camarades.
Un jour, j’ai ressorti ma boîte de magie et cela m’a épanoui en dehors de l’école, en allant vers les autres. J’ai vite aussi voulu en savoir plus. Avec l’aide de mon père, je me suis procuré
Le Manuel de prestidigitation de Patrick Page. Cela a été une immersion dans l’univers de la magie: du close-up, à la grande illusion! Cet ouvrage  que j’ai très souvent lu, me permettait de m’évader..

© Bossu

© Bossu

J’ai véritablement appris avec la collection Au cœur de la magie de Sylvain Mirouf, mon encyclopédie d’apprentissage. Les DVD sont d’une très bonne qualité pédagogique, avec une diversité de tours. Les fiches fournissent de nombreuses informations sur les grands magiciens, l’histoire, les illusions d’optique. Merci à son auteur: c’est vraiment un beau travail. Puis en 2007 au festival Magie et Humour organisé à Thouaré-sur-Loire (44) où il y aavit un concours de magie, je me suis alors inscrit: j’avais treize ans ! Je pratiquais déjà le théâtre en amateur et le choix de la scène a été évident…
J’ai présenté un numéro de manipulation avec des boules- éponges, que je multipliais entre mes doigts. J’avais choisi comme fond sonore, la musique du
Grand Blond avec une chaussure noire composée par Vladimir Cosma. Un clin d’œil à l’introduction du film d’Yves Robert dont Gérard Majax avait réalisé le générique avec des manipulations de cartes.
Sur la fiche d’inscription au concours, était demandé un nom de scène. J’ai alors choisi: Robinson  (en lien avec mon nom de famille). Puis on m’a présenté comme Mister Robinson! J’ai conservé ce nom qui est finalement ma part d’enfance et le rêve, l’imaginaire.
Ma rencontre avec Gildas Massé, alias Alan Gill, a tout changé: il m’a fait entrer  à l’Amicale Robert Houdin. Et il a su m’épauler dans mon apprentissage, aux moments forts et à d’autres, plus difficiles. Je lui dois beaucoup et nous partageons la même vision de la magie. Je me souviens aussi d’un dîner improvisé chez Laurent Beretta avec des échanges enrichissants sur le métier et sur sa théorie. Ensuite, de petits événements m’ont freiné mais m’ont aussi permis de grandir artistiquement!

 À l’adolescence, je  me posais des questions: je me concentrais sur les études et la magie passait au second plan.  Mais quand je devins étudiant, c’était mon job, même si c’était parfois difficile d’allier les deux. Il y avait des moments intenses comme en décembre: enchaîner les représentations et en même temps, réviser les partiels. En janvier, la grosse saison des spectacles était finie et les examens aussi. C’était donc le vide : allais-je me lancer dans la magie et quels choix devais-je faire.

On peut dire que je suis un  touche-à-tout mais mon domaine de compétence reste la magie scénique. J’aime écrire des histoires et les réaliser. Je travaille parfois dans les E.H.P.A.D. ou dans les théâtres: nous devons nous adapter aux lieux et publics.
Je me suis récemment consacré au mentalisme et à la magie dite  « bizarre »qui n’a jamais eu autant de sens qu’aujourd’hui.
Le monde vit des changements profonds. Les gens sont inquiets et se tournent de plus en plus vers les croyances alternatives en consultant des magnétiseurs ou des voyants. J’ai écrit Les Secrets d’An Diaoul où je mets en scène un personnage qui a reçu un colis posté en 1953 par un magicien nantais au nom de scène d’An Diaoul. En réalité, ce personnage historique s’appelle Jules Bonduelle et a fondé l’Amicale Robert-Houdin à Nantes. Dans ce spectacle, j’entre en contact avec son esprit mais suis juste un interlocuteur entre le public et ce fantôme. Cela m’amuse beaucoup. Pour approfondir cet écrit, j’ai fait un stage à La Casa des Merveilles, avec Claude de Piante et Céline Noulin. Je le recommande ce stage aux curieux de spectacle spirite.

Au sein de l’Amicale, je suis un simple membre mais depuis la mort de Fernand Ridel,  j’ai eu envie de faire perdurer la longue histoire de ce cercle de magie et essaie de faire venir des conférenciers.  Ainsi nous avons recu l’an passé Sylvain Mirouf, puis en novembre dernier, Céline Noulin, et en mai prochain, nous accueillerons Gabriel Werlen. Fernand Ridel avait rénové cette amicale fondée en 1933 par Jules Bonduelle , Robert Olivaux (Tréborix) et quatre autres magiciens.
Après la seconde guerre mondiale, cette amicale a connu une période trouble et il y avait de moins en moins de membres actifs. À la fin des années cinquante, des jeunes , sont arrivés,  dont Fernand Ridel. D’une grande sensibilité, très souriant, il avait une immense culture de notre art, mais jouait aussi du piano, aimait le jazz, le grec ancien… C’était aussi un homme de caractère et, avec son père, une figure de la Résistance à Nantes. Et il n’hésitait pas à témoigner auprès des lycéens d’une expérience qu’il aimait transmettre aux jeunes.
Auprès des membres, il a toujours su partager ses connaissances. En relation avec les magiciens du monde entier, il parlait anglais couramment. Nous avons reçu à Nantes, Joan Caesar, ancienne présidente d’I.B.M. Fernand Ridel qui, ensuite en a passé le relais en douceur à Jean-Marc Vilette, a assuré la présidence de 1960 à 2010 . Il a aussi fondé notre revue bi-annuelle
L’Ami Rob’Houn, publiée depuis 66… Je suis content de voir qu’il y a une très bonne dynamique autour de la célébration de nos quatre-vingt dix ans.

J’ai avant tout, été passionné de magie et d’histoire. Et grâce à un mémoire de recherche  sur le spectacle en Grèce ancienne, je me suis intéressé à celle de la magie… Encore plus secrète  et très difficile pour un novice qui s’y intéresse vraiment de pouvoir approfondir le sujet et trouver des références. Bien sûr, il y a les bons livres de Max Diff et Fanch Guillemin. Mais si on se lance dans des recherches historiques, pas commode de trouver des sources! Et merci à Thibault Ternon qui a fait un travail remarquable sur son site Internet Munito. Il a ensuite publié des documents dans les ouvrages spécialisés, grâce à sa maison d’édition: Le Cabinet d’Illusions.  Ce qui a déclenché une véritable construction de notre histoire.
Quand j’imagine un magicien, un personnage illustre apparaît avec Lance Burton qui a présenté un numéro à la F.I.S.M. mêlant modernité et tradition, peut-être pas le plus original mais il incarne le magicien au sens universel. Choisir Les Quatre saisons de Vivaldi en fond sonore, c’est aussi vouloir s’inscrire dans l’histoire de notre art.
Et
Arturo Brachetti fait son cinéma m’a marqué. J’ai rarement vu une prouesse technique et scénique réalisée de façon aussi minutieuse. Un artiste à voir au moins une fois dans sa vie !
L’Ombre Orchestre de Xavier Mortimer a été un moyen pour moi  de comprendre que notre art est aussi un exercice de style. Nous avons la capacité d’emmener le public dans des  univers variés et lui a su mêler poésie, magie et musique avec brio.
Avec 
Le Syndrôme de Cassandre, Yann Frisch m’a mis une grosse claque. J’ai apprécié son côté noir et le fait que la magie puisse transmettre des idées et ouvrir des champs de réflexion mais aussi des émotions.

En ce moment, j’ai un goût prononcé pour la «magie bizarre » qui, dans les années soixante, n’a pas eu la mise en lumière qu’elle méritait. Mais elle parle aux spectateurs d’aujourd’hui. La crise du covid, le dérèglement climatique, les conflits en Ukraine et en Palestine, l’inflation…  ont créé désespoir et peur: les gens ont besoin de s’évader de leur quotidien…
La « magie bizarre » a toute sa place dans notre société, puisqu’elle revient à une pratique originelle fondée sur le mystère et qu’elle dépasse le champ des possibles. Mais j’aime aussi les manipulations et des numéros comme ceux d’Hector Mancha qui met en abyme un personnage, avec un art minimaliste..Mes influences artistiques au-delà de la magie ? Orson Welles, Eugene Burger, Max Maven, Derren Brown, Lance Burton, Jay Sankey, Darwin Ortiz, Juan Tamariz, Xavier Mortimer, Yann Frisch, Dion, Alain Simonov…

On me demande souvent ce qu’il faut conseiller à un débutant.Avec Internet, commencer aujourd’hui n’a jamais été aussi simple mais il y a quantité d’informations… Un débutant doit aller dans une boutique de magie, bien qu’il n’y en ait plus beaucou ou dans une association. Les relations humaines sont ce qu’il y a de mieux pour apprendre et approfondir notre art. Les vidéos sur les réseaux sociaux permettent d’apprendre des tours pour briller en société. Comme les films d’apprentissage en musique où on vous donne les cordes à pincer ou les touches à appuyer, mais sans information sur les notes et les gammes. Rien de plus.
En magie, même chose : il faut apprendre les techniques et pratiquer en parallèle les arts du cirque, la danse, ou le théâtre. Cela permet d’être à plus l’aise avec le milieu du spectacle. Un bon numéro, c’est aussi et surtout, un personnage, un costume, une vraie mise en scène et un texte qui tient la route!

Notre art, je pense, doit toucher à l’émotion. Robert-Houdin disait que «le magicien est un acteur qui joue le rôle d’un magicien ». Nous sommes en effet des acteurs et nous devons raconter des histoires, transmettre des émotions.Par exemple, le travail de Raphaël Navarro est intéressant et novateur. La magie évolue très vite, nous devons vivre dans notre époque et nous adapter: il y a une grande diversité de styles et de personnages. Aujourd’hui, il faut créer un lien fort avec le spectateur. Je ne crois pas à la transmission d’une ambiance magique, à travers une vidéo sur un portable. Pour faire rêver les gens, ressortir de vieux objets et les rendre magiques peut avoir une force incomparable!  On véhicule ainsi le souvenir, la nostalgie, mais aussi l’idée qu’on fait vivre un instant  privilégié aux autres…

L’histoire, la littérature, les expositions d’art, la musique, le théâtre, l’opéra, le cinéma… autant de sources d’inspiration pour nos spectacles. Il faut que nous restions curieux et pas fixés sur ce que nous aimons et connaissons.  Et aussi que nous nous confrontions à d’autres cultures pour évoluer et apprendre.
Passionné de cinéma, j’y vais régulièrement mais je regarde aussi des films chez moi. J’aime apprendre des anecdotes sur les acteurs, actrices et réalisateurs mais aussi cultiver ma culture du film, ses évolutions techniques et, bien sûr, son histoire, très liée à notre art.

Sébastien Bazou

Entretien réalisé le 28 janvier à Dijon (Côte-d’Or).

 

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