Culottées, d’après la bande dessinée de Pénélope Bagieu, adaptation de Rachel Arditi et Justine Heynemann, mise en scène de Justine Heynemann

Culottées, d’après la bande dessinée de Pénélope Bagieu, adaptation de Rachel Arditi et Justine Heynemann, mise en scène de Justine Heynemann

Éric Ruf, dans sa programmation, a toujours fait confiance aux jeunes créatrices. Cette pièce est à la gloire des femmes de l’ombre qui ont pourtant marqué l’histoire de l’Humanité et ont agi selon leur volonté. Une bande dessinée parue en deux volumes (2016 et 2017) les a fait revivre.

© V. Pontet

© V. Pontet

Cinq actrices incarnent ces femmes exceptionnelles dans des numéros de cabaret, accompagnées par Manuel Peskine qui a aussi écrit la musique. «Culottées, dit Justine Heynemann, raconte leur puissance mais le mot est à prendre dans tous les sens du terme: la force, et le potentiel, dont elles doivent être assurées pour l’exploiter. Et quand je dis: les femmes, ce sont toutes les femmes. Pas uniquement les impératrices, chercheuses ou écrivaines mais aussi celles qu’on croise et qu’on ne regarde pas. »

Ce que l’on ressent pendant la chanson finale, entonnée en chœur avec jubilation: «Tu décides de ton destin…devenir une culottée (…) Vous êtes souveraines, femmes qui côtoyez la haine !» Mais il faut un certain temps pour entrer dans cette galerie de portraits au début brouillon et on s’attache avec peine à ces fragments de vie. L’adaptation et l’interprétation de cette B.D.  sont peu lisibles mais progressivement, certains portraits émergent avec de beaux moments de poésie.
Clémentine Delait, la femme à barbe, est jouée avec humour par Séphora Pondi. Claïna Clavaron chante joliment Bette Davis, autrice et compositrice, la muse de Miles Davis. Elissa Alloula interprète avec rage Sonita Alizadeh, une rappeuse afghane qui dénonce la violence faite aux femmes et Coraly Zahonero incarne Agnodice, une gynécologue qui a bravé l’interdiction pour les femmes de pratiquer la médecine. Françoise Gillard est très convaincante en Temple Grandin : diagnostiquée autiste, elle deviendra éthologue et sera une digne représentante de l’exception autistique. Une belle rencontre avec ces oubliées de l’histoire. A découvrir.

Jean Couturier

Jusqu’au 3 mars, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). T : 01 44 58 98 54.  


Archive pour 3 février, 2024

Par les villages de Peter Handke, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, mise en scène de Sébastien Kheroufi

Par les villages de Peter Handke, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt, mise en scène de Sébastien Kheroufi

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© Christophe Raynaud de Lage

Pour sa seconde réalisation, le metteur en scène au lieu du cadre rural imaginé par l’auteur, a situé l’action dans une cité de banlieue en déshérence. Ce choix fait en accord avec l’écrivain autrichien, offre un intéressant focus à cette pièce créée en 1982 par Wim Wenders au festival de Salzbourg et par Claude Régy, l’année suivante au Théâtre National de Chaillot.

Il y a ceux qui quittent leur village et ceux qui y restent. Gregor, le frère aîné, parti à la ville, est devenu écrivain. Tout le sépare socialement, culturellement de son frère Hans, ouvrier, et de sa sœur Sophie, vendeuse demeurés sur place.  Le conflit autour de la maison des parents décédés, que Hans demande à Gregor de céder à leur sœur pour y ouvrir un commerce, révèle l’abîme de défiance ouvert entre eux comme une plaie à vif.

Gregor revient sur les lieux de son enfance, accompagné de Nova, une étrange guide (ou muse?). Au prologue, elle l’incite au voyage et elle aura aussi la mot de la fin dans l’épilogue lyrique qui clôt Par les villages.

Le spectacle démarre dans le hall du théâtre, avec un long exposé de l’ainé sur son village natal: il a sentiment de trahison de l’avoir quitté et de culpabilité d’avoir abandonné Hans et Sophie à leur triste sort de prolétaires. Peter Handke décortique son vécu, donnant sa tonalité et son rythme à la pièce, faite de dialogues qui prennent le temps d’approfondir les points de vue de chaque personnage.   »Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, dit Nova, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis. »

Et nous suivons Gregor jusque dans la petite salle du théâtre. Y est installée la baraque du chantier où travaille Hans. Mais les retrouvailles sont amères. «Figé, raidi de dignité et de culpabilité» selon Hans, l’aîné (impeccable Lyes Salem) affronte les reproches du cadet (Amine Adjina, tout en rage). Les mots qu’il lui lance, en arabe ou en français, par longues salves bien senties, blessent comme des flèches.
Le silence gêné de l’écrivain provoque la colère de l’ouvrier humilié qui clame sa différence de classe et lui présente ses camarades: Ignaz, l’ivrogne coriace (Ulysse Dutilloy-Liégeois) et Albin, l’imbécile heureux (Benjamin Grangier). «Nous les exploités, les offensés, les humiliés, peut-être sommes-nous le sel de la terre. » (…) « Nous sommes mutuellement parrains de nos enfants et porteurs de nos cercueils mais nous ne sommes pas amis.», crie Hans. Mais il lui fait remarquer que, malgré leur condition d’esclaves, ils appartiennent au «peuple des charpentiers », fiers de leur travail et attentifs à la beauté.

L’intendante du chantier (Gwenaëlle Martin), elle, ressent la poésie de cette vallée où «les cloches n’appellent plus personne, et où rien n’est plus transmis». Et dont seul, un artiste peut traduire les vibrations. Elle demande à Gregor de le faire : «Nous voulons qu’on fasse notre éloge. Mieux encore : notre endroit doit être magnifié, avec ses couleurs et ses formes. (…) Qu’il s’appelle lieu sauvage, ou pays sans nom, maintenant, vous pouvez de nouveau nommer ce lieu: terre.»

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Le conflit familial s’aggrave quand Sophie (Hayet Darwich) fait part à Gregor de son rêve : ouvrir, avec l’argent de l’héritage, un commerce bien à elle. Son frère est hostile à ce projet continue de la considérer comme une employée subalterne et l’accable de son mépris. Mais elle l’enverra au diable!

En prenant longuement la parole, chacun des dix personnages raconte son histoire dans ce territoire oublié. Tous, jusqu’à la vieille femme du cimetière et dernière rencontre de Gregor (Anne Alvaro à l’ironie tragique), disent leur sentiment d’abandon. Elle regrette beaucoup la perte du monde d’avant et de tous ses repères. «Comme tout est devenu étranger ici. Comme cette cité est sans valeur. »

 Trois heures et demi ne sont pas de trop ici, pour entendre les mots simples mais amples de ce poème épique. Peter Handke qui a trempé sa plume dans la tragédie grecque, se défend d’écrire par monologues : «Cette pièce est faite de longs dialogues où l’un des partenaires répond profondément à l’autre. » Il cite Friedrich Nietzsche dès la première page : “Une tendre lenteur est le tempo de ce discours autre, de là d’où je viens .»

Artiste associé du Théâtre des Quartiers d’Ivry, Sébastien Kheroubi a voulu ancrer ce poème dramatique dans le contexte de cette ville et il a inclut dans le spectacle un chœur d’habitants: «Je veux explorer les différentes zones de la société. »
P
eter Handke donne ici la parole à celles et ceux qui ne parlent jamais et le metteur en scène talentueux prend le relais avec d’excellents  artistes issus de la diversité. Ils incarnent des hommes et des femmes, porteurs de mondes inépuisables et toujours inattendus. Des mots en arabe ou en d’autres langues, émaillent le spectacle… « Il y est parlé de ce qu’on néglige, de cet essentiel que l’on élude et qui fonde tout ce qui a lieu, écrivait le (remarquable) traducteur Georges-Arthur Goldschmidt. (…) Une épopée du quotidien où chacun des personnages parle, par, et pour les autres. »

La mise en scène vigoureuse, sans aucun temps mort et loin de toute sophistication, nous transporte dans ces territoires perdus de la République que sont aujourd’hui certaines banlieues. Le décor simple, fait de matériaux de récupération et conçu pour tenir dans un camion, se transforme à vue. Une paroi vient masquer la baraque de chantier style dortoir Algéco et la sœur y peint à grands traits son futur magasin. Quelques mottes de terre répandues et nous voici au cimetière, avec la vieille dame et une petite fille.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Loin de tout naturalisme, les mots transcendent les personnages. Et, aux cinglantes prophéties de malheur dont Grego (Lyes Salem) accable les habitants de la cité. rassemblés autour de lui comme un noir tribunal, Nova  répond : magistrale, la rappeuse antillaise Casey fait un éloge lumineux de la vie réelle, peut-être insignifiante   mais qui se révèle dans toute sa puissance.
Ses incantations chamaniques débouchent sur un vaste chant poétique : «On ne peut pas renoncer ; ne jouez donc pas les solitaires intempestifs (…) Bougez un peu, pour savoir être lents : la lenteur est le secret et la terre est parfois très légère : une image sans pesanteur, accueillez en vous cette image pour continuer votre chemin: elle montre le chemin, et sans l’image d’un chemin, on ne peut pas continuer à penser (…) Laissez s’épanouir les couleurs. Suivez ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez par les villages.»
Un magnifique message de foi. Ne manquez pas de passer par ces villages, ici présentés sous un jour nouveau.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 11 février, Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre dramatique national du Val-de-Marne, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine. T. : 01 43 90 11 11.

Les 16 et 18 février, Centre Georges Pompidou, Paris (III ème). Le 27 février, L’Azimut-Antony, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine).

La pièce est publiée aux éditions Gallimard.

 

La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction de Gérard Wacjman, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajman

La Mouette d’Anton Tchekhov, traduction de Gérard Wacjman, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajman

Notre amie Christine Friedel avait rendu compte de cette création il y a juste un an ( voir Le Théâtre du Blog). C’est donc une reprise sur ce même plateau des Abbesses avec, p
riorité au texte dans une «traduction au langage plus actuel». «En vérité, dit la metteuse en scène, j’adore la traduction d’Antoine Vitez, mais elle a quarante ans et, en travaillant avec Gérard Wajcman, nous avons cherché la pus grande fluidité possible.»

 

© Gilles Le Mao

© Gilles Le Mao

La Mouette, c’est en quatre actes et selon les riches didascalies d’Anton Tchekhov, autant de lieux: d’abord le parc, au soleil couchant de la grande exploitation rurale des Sorine, avec une estrade. Puis au II ème acte, un terrain de croquet sous le soleil avec un banc. Au III ème, la grande salle à manger. Et enfin au IV ème acte, deux ans après, un salon-cabinet de travail à la nuit tombée, avec une seule lampe à abat-jour. Mais ces didascalies ne sont jamais respectées à la lettre…
Avec une dizaine de personnages, Anton Tchekhov a tissé plusieurs histoires d’amour sur fond de nostalgie, d’à quoi bon, de trop tard… et à partir de sa vie personelle… Lika Misinova, une jeune professeur au lycée, collègue de sa sœur,  du dramaturge qu’elle aima en vain, essaya de faire du théâtre et du chant, mais sans beaucoup de résultat. Elle eut comme amant l’écrivain Potapenko dont elle eut un enfant. Bref, c’est déjà l’histoire de Nina, une mouette, qui sera sacrifiée, comme celle que Treplev, son amoureux, tuera et lui apportera en cadeau. Mais bon, le grand acteur polonais Andrezj Seweryn nous avait dit que la traduction par : « mouette » en français, n’était pas bonne : le mot, employé par le grand dramaturge, désigne en fait un petit oiseau… Ce qui change évidemment le sens de la scène.

Arkadina, une actrice très connue et Trigorine, son amant, écrivain, sont venus passer quelques jours à la campagne chez le frère de celle-ci. Mais Trigorine va tomber amoureux de la jeune et belle Nina et réciproquement.  Konstantin Treplev, le fils d’Arkadina a écrit une courte pièce que va jouer Nina, son amoureuse, devant la famille. C’est le thème de l’art et du théâtre chers à Tchekhov: parmi les personnages, il y a un écrivain et un futur dramaturge, une actrice et une jeune femme qui le deviendra. Enfin, Chamraiev le régisseur du domaine, aime raconter des anecdotes sur les grands acteurs.
Brigitte Jaques a voulu que « cette question du théâtre, aussi bien pour les auteurs que pour le jeu des acteurs, se pose tout au cours de la pièce. » Dans la pièce,
il y a l’influence de Skakespeare qu’Anton Tchekhov admirait tant.  Avec du théâtre dans le théâtre: des extraits de l’œuvre de Treplev sont joués trois fois : il cherche à créer une autre dramaturgie, avec, dit-il, «des formes nouvelles» à tendance symboliste. Sa mère Arkadina, sans doute habituée à jouer un théâtre plus conventionnel, se moquera maladroitement de ce texte qu’elle n’aime pas du tout : ce qui blessera gravement son fils
Nina veut être actrice et admire beaucoup Arkadina mais qui aime-t-elle vraiment?  Cet homme plus âgé qu’elle et pas très intéressant, ou bien l’image d’un grand écrivain à succès qui la fascine, elle, la jeune provinciale rêvant d’être actrice à Moscou? Elle le le rejoindra mais payera cher ce rêve de jeunesse… Leur enfant mourra, puis Trigorine l’abandonnera pour revenir auprès d’Arkadina et elle ne jouera qu’en province.  Un tiercé gagnant!

Treplev, lui, désespéré, essaye mais en vain, de se suicider. Accablé, quand Nina revient le voir après deux ans mais lui dit ne pas vouloir vivre avec lui et s’en va, il réussira cette fois à se tuer d’un coup de revolver. Le ton est donné dès les premières répliques: «Je porte le deuil de ma vie, dit la jeune Macha, je suis malheureuse. » Elle aime Treplev sans espoir. Medvedienko, une jeune instituteur, lui, l’aime passionnément et elle se laissera épouser… Ils auront un enfant.
Sorine, le frère d’Arkadina supporte mal de vieillir. Chamraiev, l’intendant du domaine, lui, bouscule sa femme, Paulina, amoureuse de Dorn,  un médecin comme lui, Anton Tchekhov. Il reste assez cynique. Bref, et en résumé, Medviedenko aime Macha qui aime Konstantin qui aime Nina qui aime Trigorine qu’aime Arkadina qui fascine Dorn qu’aime Paulina… Une chaîne qui rappelle celle d’Andromaque, trop compliquée pour rester dans l’axe avec, en fin de partie de loto, le suicide de Treplev … Ces personnages pessimistes mais intelligents et lucides, se laissent comme étouffer par une vie à laquelle ils peinent à donner un sens. Mais tous très attachants…

Comment Brigitte Jaques-Wajeman a-t-elle monté La Mouette (une pièce de Tchekhov pour la première fois) texte simple mais pas si facile à appréhender… On entend très bien le texte et les acteurs, crédibles, ont tous une très bonne diction. Ici, et heureusement, pas de micros H.F! En fond de scène, un grand ciel peint qui évoluera. Le petit théâtre, une estrade  où joue Nina, est faite d’un carré de centaine de parallélépipèdes en bois. Dont les acteurs feront écrouler une partie…
Mais ce carré plastiquement assez beau et qui fait penser aux sculptures de Sol Lewitt avec  uns structure  géométrique simple, encombre le plateau et ne fait pas vraiment sens quand il ne sert pas. Et nous n’avons guère ressenti d’émotion, sauf dans la scène entre Arkadina jalouse de Nina et son amant. Même à la fin, le suicide de Treplev aurait pu être mieux traité.
Cette Mouette parmi la dizaine que nous avons vue, restera pour nous un spectacle honnête mais sans beaucoup de rythme, et finalement assez décevant. Est-ce dû en partie à cette reprise? Mais nous avions nettement préféré les somptueuses mises en scène des pièces de Corneille par Brigitte Jaques-Wajeman où elle semblait plus à l’aise. Enfin, reste le plaisir de retrouver le texte de cette pièce créée en 1896 à Moscou et d’une étonnante fraîcheur…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 11 février, Théâtre des Abbesses, 17 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

 

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