Sauve qui peut (la révolution)d’après le roman de Thierry Froger,adaptation et mise en scène de Laëtitia Pitz
Sauve qui peut (la révolution) d’après le roman de Thierry Froger, adaptation et mise en scène de Laëtitia Pitz
Difficile à attraper une révolution? Faut-il la sauver, ou s’en sauver ? Point de départ de ce roman: un film sur la Révolution française dont la commande aurait été passée à Jean-Luc Godard (ici J.L.G.) par la Mission du bicentenaire de la Révolution de 1789, par Jacques Lang, à l’époque, ministre de la Culture. L’auteur de cette œuvre curieuse mêle par un effet de montage à la Godard, les recherches formelles et saillies du cinéaste, sa rencontre avec les personnages révolutionnaires et ses amours avec la jeune Rose, fille de Jacques Pierre, un soi disant ex-camarade maoïste.
Recycler, couper, coller: un credo que Thierry Froger prête à son J.L.G. Comme dans ce roman imprimé en plusieurs typographies et où il procède par courtes séquences juxtaposées, Laëtitia Pitz a mis en scène une adaptation en quatre épisodes d’une heure chacun, en entrecroisant les thématiques, à la manière d’une série: «La mise en lien de Jean-Luc Godard-le cinéaste d’une vie-et Georges Danton, mais aussi les XX ème et XVIII ème siècles et un thème brûlant: la Révolution… Tout cela m’a immédiatement séduite chez Thierry Froger.»
Un même lieu rassemble les personnages: une île sur la Loire où Robespierre a exilé le tribun et où Jean-Luc Godard retrouvera son ami historien, par ailleurs biographe de Danton. On regarde la fin des années 1790, depuis le début des années 1990, elles-mêmes dans le rétroviseur de mai 1968! Mais l’utopie ne saurait survivre, comme toute révolution.
Sur le plateau, quelques tables et chaises d’école, un fauteuil, des écrans de toute taille et, au lointain, une forêt de micros : un décor simple conçu par Anaïs Pélaquier qu’elle manipule au gré des épisodes… Une présence quasi silencieuse aux côtés des acteurs Didier Menin et Camille Perrin qui est aussi, lui, à la console musique. Chacun se présente et annonce la couleur : «Les acteurs doivent citer, disait le père Brecht. » Lesquels joueront avec une juste distance les nombreux personnages. Et défilent en contrepoint sur les écrans, des extraits de films de J.L.G, interviews, photos, images d’actualité, archives… Le roman convoque aussi Jules Michelet avec, d’abord, le massacre de la princesse de Lamballe.
Nous allons suivre en parallèle la Révolution française et le parcours du film Projet 1789 de J. L. G. qui deviendra au fil du temps : Projet Quatre vingt treize et demi (un clin d’œil au roman de Victor Hugo et au film Huit et demi de Federico Fellini..) Et comme la guillotine de la Terreur coupe la tête des révolutionnaires, ce projet tournera court…
Mais nous serons passés par bien des anecdotes, comme ces échanges épistolaires -fictifs- entre Isabelle Huppert et J.L.G. qui lui propose de jouer Sarah Bernhardt bégayant dans le rôle de Théroigne de Méricourt, une héroïne de la Révolution devenue folle. Refus de la star et bouderie du réalisateur.
Thierry Froger s’amuse aussi à pasticher des citations du cinéaste mais en rapporte aussi de vraies: les limites se brouillent entre fiction et réalité. Il convoque aussi dans son livre Antoine de Baecque, historien du cinéma et spécialiste de Godard, soi-disant chargé par la Mission du Bicentenaire, de rendre compte de l’avancée de ce Quatre-vingt-treize et demi … Il y a aussi un vrai/faux de avec Jean-Luc Godard avec la psychanalyste Elisabeth Roudinesco, biographe de Théroigne de Méricourt…
Au millefeuille de Sauve qui peut (la révolution), Laëtitia Pitz ajoute un dialogue cocasse entre le cinéaste et Marguerite Duras (ne figurant pas dans le roman), avec un échange ping-pong entrecoupé de remarques sèchement ironiques sur les relations entre l’écrit et l’image, la représentation de l’irreprésentable comme les camps de concentration, et des réflexions sur la télévision, Moïse, Rousseau ou Sartre… Un feuilleton littéraire en trois épisodes…pas vraiment indispensable. L’idylle entre Rose et J. L. G. s’affirme puis se délite au troisième: cela va interrompre les fils narratifs tendus pour s’attarder sur la vie intime du cinéaste.
Mais la série se conclut brillamment par le procès de Danton, avec un extrait de La Mort de Danton de Georg Büchner où le tribun, dans un discours flamboyant, prédit à son ami le même sort que le sien… Enfin, après ces tours et détours et jeux de miroir entre réalité et fiction, le roman nous offre la définition du mot: révolution du Larousse: «Nom féminin, mouvement circulaire d’un objet autour d’un point central par lequel il revient à son point de départ.»
Faut-il revenir à la Révolution, comme le propose joyeusement ce spectacle et l’historienne de la Révolution, Sophie Wahnich ? « Appeler à la Révolution est une manière de proposer, dans une conjoncture mortifère et délétère, marquée par l’abandon des lois protectrices du bien-être et la valorisation des seules lois du libéralisme, un avertisseur d’incendie. Essayer de fabriquer des passages pour transmettre une expérience inouïe qui permette d’entendre à nouveau que la politique n’est pas seulement une activité, une profession, mais, pour les êtres humains, une condition. »
Laëtitia Pitz qui dirige la compagnie Roland Furieux (tout un programme !) et dont nous avions apprécié Perfidia et Les Furtifs (voir Le Théâtre du Blog), nous entraîne ici dans une belle traversée politique, littéraire et théâtrale. Il faudra suivre cette équipe lorraine. Et lire le roman fleuve de Thierry Froger.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 10 février, Théâtre de l’Échangeur, 59 avenue du Général de Gaulle, Bagnolet (Seine-Saint-Denis). T. : 01 43 62 71 20
Le roman est publié chez Actes Sud (2016).