Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz de Mohammed Kacimi, mise en scène de Christophe Daci
Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz de Mohammed Kacimi, mise en scène de Christophe Daci
C’est un pièce attachante de ce dramaturge qui avait été montée avec succès il y a cinq ans par Marjorie Nakache à la Chapelle du Verbe incarnée au festival d’Avignon (voir Le Théâtre du Blog). Dans une maison d’arrêt, cinq femmes se retrouvent tous les jours à la bibliothèque dirigée par Barbara. Comme elle, Rosa, Marylou, Zélie et Lily sont là, le plus souvent à la suite d’un conflit avec leur homme qui a très mal tourné, quand elles ont voulu se défendre… Et la dernière arrivée, avait emmené sa fille avec elle…
Elles découvrent que seule, la solidarité leur permet de rêver encore un peu au vert paradis de leur amour disparu. Mais Barbara leur a fait vite la leçon: maris, amants, ou compagnons ont tous une voiture qui tombent en panne quand ils doivent leur rendre visite…. Quant aux bébés, vous entendez leurs cris dans cette maison d’arrêt mais pas plus de neuf mois avec vous, leurs mères… Dura lex, sed lex. Et cela, Mohamed Kacimi connait: «Depuis quelques années, j’anime durant les fêtes en fin d’année, un atelier d’écriture à la maison d’arrêt des femmes à Fleury-Mérogis ( Essonne). J’ai vu comment la prison réagit sur les hommes. Elle les broie, les écrase et en fait des monstres.
Elle éteint les femmes. Elle nie leur féminité, leur corps, et même leur maternité. Ainsi rayées de la carte, elles se dessinent d’autres visages, d’autres parcours, d’autres vies pour pouvoir exister encore. Elles cherchent à échapper à leur condition carcérale par tous les moyens: le rêve, le délire, le rire, la folie ou, parfois, la mort.”
Enfin, il y a dans cette taule, malgré les bruits insupportables et les inévitables disputes, une solidarité réelle. Un soir de Noël, elles sont libres, enfin un peu… Elles ont pu quitter leur cellule et c’est une occasion d’une petite fête à la bibliothèque où certaines se font même une ligne. Sur la table en tôle, elles boivent aussi un coup de “vin”… du jus de pomme qu’elles ont fait fermenter…Et elles préparent des cadeaux pour leurs enfants.
Mais arrive Frida que l’on a arrêtée pour avoir enlevé sa fille. Au moment où elle achetait dans une librairie On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. En état de choc, elle veut mourir. Aussitôt Barbara et les autres la prennent en charge et proposent de monter avec elle un peu de cette célèbre pièce. Un exorcisme comme un autre.- Le théâtre dans les conditions les plus simples, peut être alors un moyen d’échapper quelques heures à leur incarcération. Mais la pièce de Mohamed Kacimi sur la fin, a tendance à patiner.
Côté mise en scène, cela commence mal avec, dans la pénombre, un jet de fumigène envahissant le plateau mais aussi la salle! Classé deuxième après Rohtko sur quinze spectacles, au concours des fumigènes depuis janvier 2024! Mais bon, cela s’arrange vite et les actrices sont toutes crédibles dès qu’elles entrent dans cette bibliothèque. Justine Dalmat (Lili), Isabelle San Augustin (Marilou), Liliane Meynaud (Barbara), Catherine Juliéron (Zélie), Léna Soulié (Rosa) et Tatiana Shunk (Frida), toutes impeccables, sont sobrement dirigés par Christophe Daci.
Il lui faudrait diminuer le volume de certaines criailleries et revoir la fin, moins solidement tenue et où on entend mal la fameuse tirade de cette pièce romantique si chère-presque deux siècles après son écriture- aux élèves des écoles de théâtre qui s’identifient vites aux personnages: « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. «
A ces réserves près, c’est une mise en scène très soignée d’une bonne pièce du répertoire contemporain avec uniquement des personnages féminins, ce qui est rarissime: les pièces comptant toujours ou presque plus de rôles masculins. Mi-Tout devrait être enfin content…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 16 mars, le samedi seulement, Théâtre Maurice Clavel, 3 rue Clavel, Paris ( XIX ème).