Festival Everybody 2024
Festival Everybody
Pendant cinq jours, la vaste halle du Carreau du Temple s’ouvre à cette manifestation singulière: le corps et sa diversité. En question, les regards des artistes sur les stéréotypes, liés au genre, à la couleur de peau, au handicap… Avec sept spectacles atypiques, des cours de danse, de yoga et maquillage où on s’interroge sur le langage du corps (tout public). Une manifestation joyeuse en cette veille de la Saint Valentin, carnaval érotique qui célébrait le printemps au Moyen Age et jusqu’à la Renaissance.
Tatiana de et par Julien Andujar
L’artiste nous accueille, travesti en une Tatiana rouquine joviale et volubile : la femme fantasmée que serait devenue sa sœur ainée, disparue le 24 septembre 1995 en gare de Perpignan. Elle avait dix-sept ans et son ce corps fut recherché en vain mais on retrouva celui de Mokhtaria Chaïb (dix-neuf ans ans) tuée le 21 décembre 1997, de Marie-Hélène Gonzalez (vingt-deux ans), tué le 16 juin 1998 comme Fatima Idrahou (vingt-trois ans) le 9 février 2001. Toutes les trois dans des conditions similaires!
Julien Andujar incarne tour à tour le garçon de onze ans qu’il était lors de cette disparition, et les personnes ayant marqué sa mémoire d’enfant : la meilleure amie à l’accent du Sud- Est, l’avocate avec son langage juridique, Salvador Dali pour qui la gare de Perpignan était le centre du monde, le gendarme qui enquête en chantant, façon comédie musicale tristounette…
Cet acteur et danseur évoque ces fantômes avec humour. Jouant sur le vocabulaire et le physique de chacun, il déclenche les rires d’un public complice et se moque de lui-même, drôlement accoutré d’un juste-au-corps intégral couleur chair. Mais derrière une apparente bonhommie, se cache une grande émotion. Ce numéro de cabaret déjanté en quarante-cinq minutes résonne comme un témoignage d’amour à la jeune disparue et serre le cœur.
Danseur, chorégraphe, fantaisiste, comédien et performeur drag-queen à ses heures, Julien Andujar a commencé à danser à Perpignan avec la troupe Évasion et a rencontré à ses débuts Daniel Larrieu, Odile Duboc et Hervé Robbe. Depuis 2010, il codirige la compagnie VLAM Productions avec Audrey Bodiguel et signe des pièces protéiformes mêlant danse, cinéma, performance. Il collabore aussi avec Yuval Rozman sur sa Quadrilogie de ma terre (Ahouvi en hébreux).
Whip, chorégraphie Georges Labbat
Variation pour trois interprètes avec fouet, cette performance de quarante minutes joue sur la symbolique à la fois violente et érotique de cet outil. Performeur et artiste, Georges Labbat s’entoure ici des jeunes Synne Elve Enoksen et Letizia Galloni. Après s’être lentement dévêtus au milieu du public, les danseurs s’emparent de leur fouet respectif et en vastes gestes circulaires, le font tournoyer pour dégager l’aire de jeu, éloignant ainsi les spectateurs.
Les corps oscillent. en harmonie ou à contretemps et les lanières des fouets émettent claquements et sifflements, tantôt synchrones, tantôt dissonants mais singuliers. Le fouet devient ici un instrument auquel le corps donne son rythme, entre la légèreté d’un courant d’air et la violence d’une détonation. Un élégant érotisme nait de cette chorégraphie en perpétuelle rotation qui explore la symbolique ambigüe du fouet, objet à la fois de domination, violence et plaisir.
Dans la continuité de Self/Unnamed (2022), avec lui comme un seul danseur et son double en plastique, Georges Labbat se focalise sur les jeux de force et contraste entre les corps.Il crée des spectacles sur le rapport du texte, au mouvement. Le chorégraphe et aussi concepteur des statues en résine, iDioscures, chorégraphie de Marta Izquierdo Muñoz
Dioscures chorégraphie de Marta Izquierdo Muñoz,
Le titre désigne les jumeaux Castor et Pollux, fils de Léda, la reine de Sparte, séduite et fécondée par Zeus métamorphosé en cygne. Dans la mythologie grecque, Castor, dompteur de chevaux et Pollux, boxeur invincible, symbolisent la jeunesse virile et conquérante. Ces Dioscures (du grec ancien : Διόσκουροι, jeunes garçons de Zeus) sont interprétés ici par des performeurs queers et non binaires.
»Après mon triptyque sur les communautés féminines, dit Marta Izquierdo Muñoz, j’ai eu envie de travailler sur la masculinité avec ces jeunes interprètes, apparus comme des colosses, véritables sculptures en mouvement. Mina Serrano qui a entamé sa transition et vient du théâtre et du cabaret, jouer avec les codes de la masculinité dont il en train de s’éloigner. Ebène, un Toulousain d’origine ivoirienne, lui, vient du « voguing » et de la pratique drag.«
Aux allures androgynes, ils dansent en miroir, avec des accessoires féminins, coiffés de caques dorés, interchangeables. D’abord en phase, dans une séduction mutuelle, ils s’affronteront bientôt en frères ennemis mais leur gestuelle détourne ironiquement les codes guerriers. Leurs corps à corps brutaux, à la virilité décalée, se muent en tendres étreintes. La danse emprunte aux registres de la rue, du disco, voire de la lutte gréco- romaine…
Un duo de cabaret bien réglé, festif et dans l’air du temps. Marta Izquierdo Muñoz, interprète auprès de Catherine Diverrès et François Verret se lance en 2007 dans des projets personnels en mariant jazz, danse contemporaine, flamenco, clubbing. Son triptyque au féminin Imago-Go (2018), Guérillères (2021) et Roll (2024), sera présenté au prochain festival Jogging cette année du Carreau du Temple.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 10 février, au Carreau du Temple, 2 rue Eugène Pierrée, Paris (III ème). T. : 01 83 81 93 30.
Tatiana, les27, 28 et 29 juin, Contrepoint Café-Théâtre, Agen (Lot-et Garonne) et en octobre, Théâtre du Rond-Point, Paris (VIII ème)
Dioscures, le 13 juillet Kilowatt Festival Sansepolcro, Italie.
Du 17 ou 24 octobre, BAD Festival, Bilbao, Espagne.