Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie
Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie
Le dramaturge a eu le temps, juste avant de mourir il y a un an, de voir une répétition du spectacle et a souhaité que ce travail exemplaire avec les élèves du Studio de formation théâtrale de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) soit présenté au public. Il avait écrit la pièce en 1984, soit trente ans après le procès en assises de Pauline Dubuisson. Etudiante en médecine, elle était jugée pour avoir tué de trois coups de revolver son amant, lui aussi en médecine qui avait rompu pour se fiancer avec une autre.
Son procès aux Assises fit grand bruit et inspira Henri-Georges Clouzot pour La Vérité. Pauline Dubuisson, une bonne élève avait été exclue à quatorze ans de l’école pour avoir été vue avec un marin allemand. En 1944, bac en poche, elle veut faire médecine, est aide-infirmière à l’hôpital allemand de Dunkerque où elle devient la maîtresse du médecin-chef, le colonel von Dominik, cinquante-trois ans. A la Libération un «tribunal du peuple» la condamne à mort. Son père, officier de réserve, réussit à la faire libérer mais ils doivent quitter Dunkerque. Traumatisée, elle fait une tentative de suicide.
En 47, à la fac de médecine de Lille, elle rencontre Félix Bailly, un fils de bonne famille. Après une nuit d’amour, il lui propose de se marier mais elle veut rester libre et refuse. Elle a plusieurs amants, quitte Lille pour Paris sans laisser d’adresse. Lui, sort avec une étudiante… Mais Pauline Buisson le rejoint quelques semaines plus tard mais essuie un nouveau refus. Elle obtient alors un permis de port d’arme, achète un revolver à Dunkerque, soit pour le tuer, soit pour se suicider… La logeuse de Félix lui dit que la jeune femme est armée. Elle le tuera de trois coups de revolver et ouvre ensuite le gaz pour se suicider mais est secourue à temps.
Son père apprend le meurtre commis par Pauline et se suicide au gaz. Décidément! Trois semaines avant son procès, elle essaye encore de se tuer à nouveau, en s’ouvrant les veines. Aux Assises de Paris, elle est accusée d’être intéressée par l’argent de ses amants. L’Avocat général dit qu’elle a simulé son suicide et René Floriot, avocat de la partie civile, impitoyable, en rajoute: «C’est la troisième ou quatrième fois que vous ratez vos suicides. Décidément, vous ne réussissez que vos assassinats. »
L’Avocat général refuse toute circonstance atténuante et rejette l’atténuation de responsabilité diagnostiquée par les psychiatres. Il demandera la peine capitale. Pour l’avocat de la défense, Pauline Dubuisson a eu une «éducation infernale. » Elle n’exprimera aucun remords et sera condamnée aux travaux forcés à perpétuité. La pièce de Michel Vinaver s’arrête là.
Incarcérée,Pauline Dubuisson est libérée pour bonne conduite sept ans plus tard. Elle reprend ses études de médecine puis devient interne à l’hôpital de Mogador au Maroc (aujourd’hui Essaouira). Elle rencontre un ingénieur qu’elle veut épouser. Mais, quand elle lui révèle son passé, il refuse de la revoir. Pauline Dubuisson se suicide aux barbituriques. Elle avait seulement trente-six ans !
Une pauvre vie évoquée par cette pièce, créée à Londres il y a une vingtaine d’années et mise en scène par Anne-Marie Lazarini en 2010.
Michel Vinaver l’avait écrite à partir des comptes-rendus du procès publiés dans Le Monde. Cela se passe là où vit Pauline Dubuisson, ici Sophie Auzanneau et Xavier Bergeret à Dunkerque, Lille, avec les parents, la logeuse … Et aux Assises, avec le Président, l’Avocat général, ceux de la défense et de la partie civile. Il y a dans le texte, de fréquents allers et retours entre les différents lieux et moments, magistralement tricotés par l’auteur, toujours entre réalité et fiction. Sophie Ozanneau restera jusqu’au bout le personnage énigmatique et complexe, que fut Pauline Dubuisson. A la fois, éprise de liberté et ressentant un immense besoin de protection, celle qu’elle n’a sans doute pas eu, enfant, pendant la guerre.
Ici, aucun micro H.F, aucun fumigène, aucune vidéo, aucune lumière stroboscopique, aucune basse électronique insupportable, aucune voix off, aucune criaillerie, aucune incessante manipulation de meubles ou accessoires, aucun théâtre dans le théâtre, aucun jeu dans la salle…Tant pis pour les amateurs des stéréotypes actuels! Mais du vrai et bon théâtre, loin de toute prétention et d’une grande exigence où, en une heure vingt, tout est dit. Chapeau !
Sur le plateau, une grande table rectangulaire pour le Président de la Cour d’assises, une quatre petite table en bois et un guéridons de café ; quelques verres, et un grand drap blanc pour figurer la chambre du couple mais c’est tout. La réalisation de Matthieu Marie dans cette belle salle aux murs et parquet en bois debout-et nous pesons bien les mots- est en tout point exemplaire. Elle est à la fois d’une grande précision orale et gestuelle et ce n’est nullement incompatible, d’une grande sensiblité. Ici jamais rien de statique et une concentration maximum, même quand ils ne jouent pas. Très crédibles, ils interprètent plusieurs personnages (à part Sophie Auzanneau et son amoureux) sans difficulté et avec une belle présence.
Ici, malgré un texte pas facile à maîtriser, aucune rupture de rythme mais une qualité de parole, très fluide, mais aussi de silence: du rarement vu sur un plateau avec d’aussi jeunes acteurs. Cela demande un gros travail en amont et Mathieu Marie a très bien dirigé Arthur Boucheny, Alexandre Lucas-Bécourt, Inès Fakhet, Clémence Henry, Kessy Huebi-Martel, Matéo Nédellec, Julien Ottavi, Johana Rebelo, Emile Rigaud, MaLou Vezon. Et Lou Dubernat, (Sophie Auzanneau) et Emile Rigaud (Le Président) Inès Fakkhet (Maître Cancé): mention spéciale à eux trois. Mais leurs camarades sont tous justes.
La Cartoucherie, c’est souvent loin pour nombre de spectateurs et il nous faut plus d’une heure pour y aller. Mais aucun regret: quel bonheur de voir enfin un spectacle aussi simple et aussi fort.
Surtout, n’hésitez pas et le metteur en scène Matthieu Marie joue lui à 21 h, dans l’excellent Empédocle, mise en scène de Bernard Sobel, juste à côté dans la grande salle de l’Epée de Bois. (voir Le Théâtre du Blog). Donc vous pouvez aussi faire coup double.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 18 février, du jeudi au samedi. ATTENTION, à 19 h.
Les samedi et dimanche à 14 h 30, Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Métro : Château de Vincennes+ navette ou bus : 112. T. : 01 48 08 39 74.
La pièce est parue dans Théâtre Complet de Michel Vinaver chez Actes Sud (2022).