Le Molière imaginaire, un film d’Olivier Py

Le Molière imaginaire, un film d’Olivier Py

 

Au théâtre, tout est possible, au cinéma aussi, pourvu que cela marche et que nous y croyons. Surtout si le réalisateur revendique l’imaginaire: confier à un homme d’une santé éclatante, le rôle d’un mourant. Laurent Lafitte joue sincèrement la mort de Molière, même si cette mort jouée ressemble plus à celle d’un motard chutant en pleine accélération, qu’à celle, tout aussi violente, d’un homme atteint d’une maladie pulmonaire et vomissant le sang : « Le poumon ! Le poumon, vous dis-je ! » Il meurt à la force de l’âge, entouré d’une jeunesse tendre et attentive: une Armande un peu pâle (sa bientôt veuve) et un Baron plus présent, favori  de Molière.

©x

©x

Le scénario de ses dernières amours, imaginé par Olivier Py et Bertrand de Roffignac (qui joue le rôle de Baron) s’appuie sans nuances sur un pamphlet anonyme La Fameuse comédienne ou l’histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière (1688). Lequel attribue surtout à Armande, remariée et toujours actrice, et par contagion à son défunt mari, tous les péchés de Sodome et Gomorrhe. Sans oublier une accusation d’inceste: dans Le Malade imaginaire (entre autres), elle aurait joué le rôle de la fille d’Argan, et donc de son mari.
Quant à Baron, l’enfant de la balle, un orphelin recueilli par Molière, il serait sa dernière passion, évidemment malheureuse. «Il tenait Baron chez lui comme un enfant .(…), il le gardait à vue dans l’espérance d’en être le seul possesseur. Il était écrit dans le ciel qu’il serait cocu de toutes les manières.», selon l’aimable auteur de ce pamphlet, bien renseigné sur l’intimité du dramaturge.

Ce même Baron trahit son mentor, en quittant la troupe ( elle n’était plus que celle du fidèle Lagrange) pour l’Hôtel de Bourgogne rival, jusqu’à une fin heureuse quand ces compagnies s’unissent pour former la Comédie-Française. Olivier Py s’amuse de cette fusion et suggère de lui donner, entre autres, le nom de: Théâtre du Soleil… En hommage à Louis XIV bien sûr mais absent du film, et pour cause : c’est le moment, sinon de la disgrâce, au moins de sa désaffection pour Molière, au profit de Lully. C’est dit dans le film, mais ni joué ni montré.

©x

©x

 Alors l’enjeu politique de ce Molière imaginaire, s’il y en a un?s’efface. On ne verra du monde que la boîte du théâtre avec ses comédiens bien vivants sur scène, qui ne renverra rien de ce monde là, et avec aussi ses spectateurs momifiés dans la salle. Plâtrés de fard blanc au plomb (dont on nous apprend, ce que nous savions, qu’il est mortel) et de rouge aux pommettes, surmontés de perruques carnavalesques, quatre petits marquis et six duchesses-dont Judith Magre, Dominique Frot et Catherine Lachens disparue en septembre dernier  jouent Les Vieilles de Goya (un tableau exposé musée de Lille) dans les loges d’un fragile décor.

Image de la décadence du théâtre, mort de son public, vraiment? Ou est-ce une question que l’on se pose : il faut bien s’occuper quand on vous repasse la même scène pour la quatrième fois ! La caméra plonge par des trappes et échelles, dans les dessous de la scène : c’est plus intéressant que les moments dans les loges, eux assez conventionnels. Ici, le temps est suspendu, on peut vivre ses amours-passons sur un interminable scène de bain entre beaux garçons-réelles ou imaginaires dans une forêt de charpentes. En s’enfermant au plus profond d’u théâtre, on échappe peut-être à sa représentation banale. Mais là encore, l’imagination fait défaut.

Un acteur en particulier nous ramène à un Molière qu’on connaît moins. Jean-Damien Barbin joue Chapelle, un homme d’esprit qui a fait connaître à l’auteur les libertins de la pensée. Beau travail : avec une constance humanité et un présence sensible, il porte sur ses épaules un XVII ème siècle, à la fois marginal et moderne.
Une scène liée à ce thème de la pensée éclate au milieu du film et offre une image de ce qu’il aurait pu être: Laforêt (Marie-Christine Ory), la fidèle servante-peut-être le modèle de Dorine dans Tartuffe et la Toinette du Malade imaginaire- fait des papillotes pour friser la perruque du Maître… Et si ces petits bouts de papier n’étaient autres que les brouillons de la traduction de Lucrèce entreprise par lui. Vrai ou faux ? C’est en tout cas l’œuvre à jamais détruite d’un homme qui n’a laissé aucun écrit, confronté au malentendu de sa vocation. Il se voulait, en secret, philosophe, il n’aura été qu’un amuseur. Sans savoir qu’en étant amuseur, il était philosophe. Mais avant tout, il avait une troupe à faire vivre.

Cela aussi, le film le dit mais ne le montre pas, sinon avec le personnage du « comptable « Lagrange, et il reste pauvre. Faute de moyens, ou d’imagination ? Même quand Olivier Py met en scène le désir et la mort, Éros et Thanatos, avec de beaux danseurs et danseuses à moitié nus, au lieu du ballet des médecins avec leurs clystères, cela manque de force et de chair. Il fallait montrer la modestie du théâtre : ce génie de Molière a été de créer quelque chose de grand, avec presque rien, et il a ouvert des portes (symboliques) dans un espace fermé, a joué la mort et a en fait du vivant. Mais ici, Olivier Py a manqué à son devoir d’imagination.

Christine Friedel

Ce film est en salles actuellement. 

 


Un commentaire

  1. Jack Cerisier dit :

    Bonjour,
    Les 3 vieilles duchesses, que vous comparez au tableau « les vieilles » de Goya, ressemblent plus aux moires grecques ou Parques (romaines).
    Cordialement

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...