Ce qu’il reste de mon carnet de Jacques Livchine


 Ce qu’il reste de mon carnet… de Jacques Livchine

Le 18 mai 1991, Le Théâtre de l’Unité a été d’un attentat à Jérusalem. Ma tête, cette nuit, est comme un grenier avec des loirs qui galopent. Des phrases-sentences me labourent la chair. Celle d’Arthur Rimbaud:«Je suis de la race qui chantait dans le supplice”. A quoi pensait-il, il y a cent-cinquante ans? Et celle d’Albert Camus: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Curieux de voir que Juifs et Arabes, unis dans la même configuration, sont mal nommés. Etre Juif, c’est difficile à expliquer: il y a confusion entre peuple et religion… Et puis voilà, toi, Jacques Livchine, t’es français et pourtant juif. D’origine ukrainienne mais, à l’époque, l’Ukraine, c’était la Russie…Ton père avait un gros accent? T’es qui, toi? Arabe ne veut pas dire musulman. Arabes, une émigration d’Arabie. Les Kabyles comme les Berbères ne sont pas arabes… Il y a toutes sortes de croyances sans aucune vérité historique mais, c’est comme ça, les hommes adorent croire à de fausses histoires. Quand le Théâtre de l’Unité est allé jouer en Israël, nous sommes tombés sur des illuminés. Selon eux, la Palestine n’aurait jamais existé et ces salauds d’Arabes auraient construit avant 680 à Jérusalem, la mosquée al-Aqsa sur les ruines du temple de Salomon. Et il serait bien temps de la détruire pour reconstruire le temple dont il reste le mur où on se lamente..

Surprise! A Tel Aviv, Atay Citron, directeur artistique du festival international de théâtre de rue Bat-Yam  entre 2007 et 2010, me demande si je préfère manger juif, ou arabe! Nous sommes dans un magnifique restaurant arabe face à la mer et il me dit qu’il vit à Jaffa dans un quartier où ses voisins arabes sont ses meilleurs amis.
Ces Yéménites qui, à Tel Aviv font un excellent houmous, sont-ils Juifs ou Arabes ? Je dois revoir mes fiches… Haïfa avec environ 25.000 Arabes israéliens, Saint-Jean d’Acre, une ville peuplée en majorité d’Arabes, eux aussi israéliens et ces deux millions d’Arabes qui ont la nationalité israélienne et qui vivent bien côte à côte ? Alors, pourquoi pas un seul Etat pour deux peuples ? Je discute avec un sympathique Français qui a fait son « allia ». Ici, dit-il, on n’a plus de marge de manœuvre pour une pensée originale ou pacifiste, respectueuse des Palestiniens. On est pris dans le flux et, conditionné, on ne quitte jamais son arme.
Nous passons une très agréable soirée dans une belle maison ; un stagiaire est le fils du conservateur du musée de Tel-Aviv. «Oui, dit-il, elle a du cachet cette maison, c’est une des belles occupations de 1967. Je lui demande si cela ne le gêne pas de vivre dans un lieu dont les propriétaires ont encore la clef?: «C’est ça, dit-il, le sens de l’Histoire. Tous les pays se fondent sur des conquêtes. »
A Jérusalem, nous jouons notre spectacle Mozart au chocolat. Nous allons voir le vieux quartier de la Médina.
Nous avions garé la voiture de location dans une grande avenue mais. au retour de nos emplettes, la bagnole a été incendiée! Je vais au café voisin où on me dit : «C’est l’intifida! C’est ça, Jérusalem : on vous a pris pour des espions israéliens. » Je sauve un de mes précieux carnets, à moitié carbonisé. Les attentats, cela n’arrive pas qu’aux autres.

©Jacques Livchine

©Jacques Livchine  Mon carnet

Je vais dans une colonie. C’est fou! Elle a été construite sur des champs d’oliviers appartenant à des paysans palestiniens. Un colon me dit: «Nous sommes chez nous ici. Les Palestiniens ne vont pas nous faire croire qu’ils sont chez eux!» Quelle violence! Cela ne demande qu’à péter et là, on entre dans le vif du sujet : la terrible attaque du 7 octobre 2023… Le Hamas, terroriste ou résistant ? On s’empoigne sur la sémantique.
Un ami israélien m’envoie un film où on veut prouver que la Palestine n’existe pas. La suite ? On la connait: la vengeance! Mais je persiste à dire qu’on n’a jamais gagné une guerre contre un peuple. Les valeureux Vietnamiens aux sandales en vieux pneus de caoutchouc l’ont gagnée contre les Etats-Unis…
Et les milliers de bombes israéliennes ne font que renforcer le Hamas. En principe, les hostilités financées par les Etats-Unis-quatre milliards de dollars- devaient durer quatre mois… Si on coupait les vivres à Tsahal  (en hébreu: la force de défense d’Israël) trois jours plus tard, la guerre s’arrêterait.
La leçon de l’Histoire? Foutaises. Je me fâchais contre mon père il y a quarante ans: « Après ce que tu as vécu : la perte au camp de Sobibor, de ta mère et ta sœur, tu devrais juste te dire qu’aucun Juif n’a le droit d’humilier le moindre peuple. Même une araignée, tu n’as pas le droit de la tuer!» Mon père ne m’entend plus. Personne autour de moi ne m’entend… Et cette nuit, à quatre heures quarante-cinq, une armée de loirs galope dans ma tête.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité, Audincourt ( Doubs).

 


Archive pour 24 février, 2024

Ce qu’il reste de mon carnet de Jacques Livchine


 Ce qu’il reste de mon carnet… de Jacques Livchine

Le 18 mai 1991, Le Théâtre de l’Unité a été d’un attentat à Jérusalem. Ma tête, cette nuit, est comme un grenier avec des loirs qui galopent. Des phrases-sentences me labourent la chair. Celle d’Arthur Rimbaud:«Je suis de la race qui chantait dans le supplice”. A quoi pensait-il, il y a cent-cinquante ans? Et celle d’Albert Camus: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Curieux de voir que Juifs et Arabes, unis dans la même configuration, sont mal nommés. Etre Juif, c’est difficile à expliquer: il y a confusion entre peuple et religion… Et puis voilà, toi, Jacques Livchine, t’es français et pourtant juif. D’origine ukrainienne mais, à l’époque, l’Ukraine, c’était la Russie…Ton père avait un gros accent? T’es qui, toi? Arabe ne veut pas dire musulman. Arabes, une émigration d’Arabie. Les Kabyles comme les Berbères ne sont pas arabes… Il y a toutes sortes de croyances sans aucune vérité historique mais, c’est comme ça, les hommes adorent croire à de fausses histoires. Quand le Théâtre de l’Unité est allé jouer en Israël, nous sommes tombés sur des illuminés. Selon eux, la Palestine n’aurait jamais existé et ces salauds d’Arabes auraient construit avant 680 à Jérusalem, la mosquée al-Aqsa sur les ruines du temple de Salomon. Et il serait bien temps de la détruire pour reconstruire le temple dont il reste le mur où on se lamente..

Surprise! A Tel Aviv, Atay Citron, directeur artistique du festival international de théâtre de rue Bat-Yam  entre 2007 et 2010, me demande si je préfère manger juif, ou arabe! Nous sommes dans un magnifique restaurant arabe face à la mer et il me dit qu’il vit à Jaffa dans un quartier où ses voisins arabes sont ses meilleurs amis.
Ces Yéménites qui, à Tel Aviv font un excellent houmous, sont-ils Juifs ou Arabes ? Je dois revoir mes fiches… Haïfa avec environ 25.000 Arabes israéliens, Saint-Jean d’Acre, une ville peuplée en majorité d’Arabes, eux aussi israéliens et ces deux millions d’Arabes qui ont la nationalité israélienne et qui vivent bien côte à côte ? Alors, pourquoi pas un seul Etat pour deux peuples ? Je discute avec un sympathique Français qui a fait son « allia ». Ici, dit-il, on n’a plus de marge de manœuvre pour une pensée originale ou pacifiste, respectueuse des Palestiniens. On est pris dans le flux et, conditionné, on ne quitte jamais son arme.
Nous passons une très agréable soirée dans une belle maison ; un stagiaire est le fils du conservateur du musée de Tel-Aviv. «Oui, dit-il, elle a du cachet cette maison, c’est une des belles occupations de 1967. Je lui demande si cela ne le gêne pas de vivre dans un lieu dont les propriétaires ont encore la clef?: «C’est ça, dit-il, le sens de l’Histoire. Tous les pays se fondent sur des conquêtes. »
A Jérusalem, nous jouons notre spectacle Mozart au chocolat. Nous allons voir le vieux quartier de la Médina.
Nous avions garé la voiture de location dans une grande avenue mais. au retour de nos emplettes, la bagnole a été incendiée! Je vais au café voisin où on me dit : «C’est l’intifida! C’est ça, Jérusalem : on vous a pris pour des espions israéliens. » Je sauve un de mes précieux carnets, à moitié carbonisé. Les attentats, cela n’arrive pas qu’aux autres.

©Jacques Livchine

©Jacques Livchine  Mon carnet

Je vais dans une colonie. C’est fou! Elle a été construite sur des champs d’oliviers appartenant à des paysans palestiniens. Un colon me dit: «Nous sommes chez nous ici. Les Palestiniens ne vont pas nous faire croire qu’ils sont chez eux!» Quelle violence! Cela ne demande qu’à péter et là, on entre dans le vif du sujet : la terrible attaque du 7 octobre 2023… Le Hamas, terroriste ou résistant ? On s’empoigne sur la sémantique.
Un ami israélien m’envoie un film où on veut prouver que la Palestine n’existe pas. La suite ? On la connait: la vengeance! Mais je persiste à dire qu’on n’a jamais gagné une guerre contre un peuple. Les valeureux Vietnamiens aux sandales en vieux pneus de caoutchouc l’ont gagnée contre les Etats-Unis…
Et les milliers de bombes israéliennes ne font que renforcer le Hamas. En principe, les hostilités financées par les Etats-Unis-quatre milliards de dollars- devaient durer quatre mois… Si on coupait les vivres à Tsahal  (en hébreu: la force de défense d’Israël) trois jours plus tard, la guerre s’arrêterait.
La leçon de l’Histoire? Foutaises. Je me fâchais contre mon père il y a quarante ans: « Après ce que tu as vécu : la perte au camp de Sobibor, de ta mère et ta sœur, tu devrais juste te dire qu’aucun Juif n’a le droit d’humilier le moindre peuple. Même une araignée, tu n’as pas le droit de la tuer!» Mon père ne m’entend plus. Personne autour de moi ne m’entend… Et cette nuit, à quatre heures quarante-cinq, une armée de loirs galope dans ma tête.

Jacques Livchine, co-directeur avec Hervée de Lafond, du Théâtre de l’Unité, Audincourt ( Doubs).

 

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