L’Oiseau de Prométhée, mise en scène de Camille Trouvé et Brice Berthouda

L’Oiseau de Prométhée, mise en scène de Camille Trouvé et Brice Berthoud 

 La compagnie Les Anges au Plafond mêle une fois de plus théâtre et politique: après la désobéissance civile dans Une Antigone de papier, après la lutte pour les droits civiques dans White Dog (voir Le Théâtre du Blog), les metteurs en scène et marionnettistes nous plongent ici dans la crise économique grecque de 2010 à 2018 , avec quatre copains, garçons et filles qui se retrouvent dans un restaurant d’Athènes des années plus tard. Ex-activistes, ils se remémorent aujourd’hui les événements marquants de leur jeunesse.
Mais ils ne sont pas seuls à la table. Apparaissent, sous forme de marionnettes genre Guignols de l’info, les acteurs politiques européens des négociations: Giórgos Papandréou, Christine Lagarde, Michel Sapin, Angela Merkel… Puis, Aléxis Tsipras qui, avec son parti, Syriza affronta la  terrible troïka qui dépouilla la Grèce avec les représentants de la Banque Centrale Européenne, du Fond Monétaire International et de la Commission Européenne. Et les Dieux antiques de l’Olympe veillent encore sur les hommes. Ces marionnettes géantes ont été convoquées par l’oiseau de Prométhée, un gros volatile qui s’agite en haut de la scène et assure narration et commentaires.

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Pour ce projet grand format, Camille Trouvé et Brice Berthoud, une fois n’est pas coutume, ne sont pas  sur scène. Ils ont écrit la pièce avec  Christos Chryssopoulos, un auteur grec, et confié à des manipulateurs, les marionnettes, de taille et facture contrastées, selon qu’elles figurent humains ou immortels. Le compositeur présent  au plateau rythme avec bonheur les différentes séquences d’une musiqueélectro-acoustique mâtinée de rebetiko.

 Comme dans une série, la pièce est un feuilletage spatio-temporel avec, à la même table, les retrouvailles des quatre amis, les négociations entre la troïka et la Grèce, et le banquet des Dieux. Les gargotiers, bon enfant, s’affairent derrière un bar-castelet et deviennent au fil du récit, les trois Parques déjantées aux masques en carton pâte, habilement animées par Christelle Ferrera.  Ici, Prométhée trompe Zeus en faveur des hommes mais celui-ci condamne le voleur de feu à un terrible châtiment: chaque jour un vautour  lui dévore le foie, tout comme l’Europe a dépecé la Grèce. Une  tragédie qui annonce peut-être de sombres lendemains pour notre continent, dominé par un vautour criard et avide.

Ces fils conducteurs s’entrecroisent, et alternent règlements de compte entre les quatre amis, démêlés de la réal-politique, et ceux de la mythologie. Cette narration complexe  n’est pas toujours lisible, et la forme vient parfois brouiller le fond. Le champ politique nous apparaît clairement, bien mené et documenté mais s’accorde mal à l’univers des dieux. Le funambule qui traverse le plateau, symbolisant l’équilibre précaire des négociations, apporte peu d’éclaircissements, comme à la fin, l’apparition de Dionysos… On se perd dans les trajectoires multiples de cet Oiseau de Prométhée, même si l’on retrouve avec plaisir le savoir-faire et l’esthétique des Anges au Plafond dont les fondateurs ont été nommés en  2021 à la tête du Centre Dramatique National de Normandie -Rouen.  

 Mireille Davidovici

 
Spectacle vu le 21 février au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique National (Val-de-Marne).
Les 7 et 8 mars, Les Passerelles-Scène de Paris-Vallée de la Marne, Pontault-Combault (Seine-et-Marne). Les 21 et 22 mars, Festival MARTO, Scène Nationale de Malakoff (Hauts-de-Seine).Le 26 mars, Théâtre Paul Eluard-Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique, Choisy-le-Roi (Val-de-Marne).

Les 3 et 4 avril, Le Sablier-Centre National de la marionnette, en collaboration avec la Comédie de Caen-Centre Dramatique National, (Calvados). Avec l’aide de SPRING-Festival des nouvelles formes de cirque en Normandie.

 

 

Archive pour 25 février, 2024

Le mariage forcé de Molière, mise en scène de Louis Arene

 Le Mariage forcé de Molière, mise en scène de Louis Arene

Crée, il y a juste quatre cent ans le 29 janvier 1664, au palais du Louvre devant le roi Soleil, cette comédie-ballet est composée en trois actes et en prose sur une musique de Jean-Baptiste Lully et Marc-Antoine Charpentier. La pièce fut ensuite jouée devant le public en un acte, le 15 février 1664 au théâtre du Palais-Royal.

Sganarelle, un baron fortuné de  cinquante trois ans, veut épouser la jeune et belle Dorimène.  Mais son ami Geronimo le lui déconseille. Sganarelle demande alors à deux philosophes et à des bohémiennes leur avis dont les réponses ne font qu’accroîtrent sa grande hésitation.
Dorimène confie à son amant Lycaste, sans savoir que Sganarelle l’entend, qu’elle se marie pour l’argent et qu’elle compte bien être veuve avant six mois. Sganarelle veut alors renoncer au mariage mais le frère de Dorimène ne l’entend pas ainsi et le provoque  en duel. Devant son refus de se battre, le frère de Dorimène le roue de coups. Sganarelle accepte le mariage.

Quatre ans pensionnaire de la Comédie-Française, Louis Arene a quitté l’illustre Maison en 2016 pour fonder avec Lionel Lingesler, le Munstrum Théâtre. A la Filature de Mulhouse en décembre dernier, ils avaient créé 40° sous zéro de Copi, en juxtaposant Les quatre Jumelles et Lhomosexuel ou la difficulté de sexprimer (voir Le Théâtre du Blog).
À nouveau, l’étonnement et l’originalité sont au rendez-vous dans cette reprise du Mariage forcé au Théâtre du Rond-Point, dans la mise en scène de Louis Arene, créée au Studio-Théâtre de la Comédie-Française en 2022.

Dès le début, l’atmosphère carnavalesque et fantasmagorique jaillit. Après les trois coups répétés plusieurs fois avec une sonorité métallique -pour vérifier que tout était en ordre de marche avant la représentation-apparait Sganarelle au centre de la scène, dans un décor de Louis Arene et Éric Ruf. Sobre et astucieux avec trappe, fenêtre et porte invisibles, Il ressemble à une boîte ouverte avec trois murs et un sol en lambris incliné, l’ensemble peint d’un blanc sans éclat et sous un éclairage fade. 

Seul en scène, Sganarelle, coiffé d’une énorme perruque grise longue et frisée, tremblote et bafouille des répliques mémorables extraites de pièces de Molière. Une belle idée que ce dédoublement, comme si, derrière Sganarelle, se cachait l’auteur: « Que diable allait-il faire dans cette galère ? (Les Fourberies de Scapin), une réplique bien venue pour ouvrir le spectacle vu le sort réservé à Sganarelle. Puis: « Le petit chat est mort » (L’Ecole des femmes) et la célèbre réplique : «Cachez ce sein que je ne saurais voir.» dans Tartuffe ou l’Imposteur), ces répliquent enchantent le public et lancent le ton follement décalé de la mise en scène.

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©Brigitte Enguerrand


Autre surprise et singularité: certains des personnages masculins sont joués par une femme, comme celui de Sganarelle par l’extraordinaire Julie Sicard. Admirable de présence, elle est sur scène pendant la majeure partie de la représentation et nous éblouit par les facettes qu’elle prête à ce vieux baron libidineux, à la fois odieux, violent, tragique et misérable! Nous finissons par éprouver du dégoût mais aussi une certaine empathie  envers ce personnage odieux.

Le rythme du spectacle et le jeu des comédiens donne une tension dramatique remarquable, aujourd’hui assez rare dans les mises en scène du théâtre de Molière. Tout particulièrement lorsqu’il s’agit de créer une réactualisation de l’écriture classique de cet immense auteur. Trouvailles audacieuses, étrangeté, horreur, humour, avec masques et prothèses, font surgir toute la folie de cette comédie humaine! Sans aucune grossièreté le metteur en scène ose l’extravagance et le décalage, pour notre plus grand plaisir.
Il fait résonner tambour battant la violence et le ridicule, le profit mais aussi la naïveté, à travers la géniale écriture de Molière. En dix scènes, le spectacle présente une succession de situations très condensées mais éclatantes  et nous fait vivre intensément la situation dramatique de Sganarelle qui vire au cauchemar.
Au début de la pièce, bien décidé à épouser la belle Dorimène pour rendre son âge vieillissant plus joyeux, et satisfaire aussi ses désirs sexuels, il se retrouve face à une vérité insoutenable, en entendant l’avis de son fidèle ami Géromino. Le metteur en scène excelle d’inventivité de toute part. Comme avec son excellent choix en faisant appel, pour la création des costumes,  à Colombe Loriot-Prévost. Les habits de scène, au mélange d’étoffes précieuses, et costumes inachevés issus du stock de la Comédie-Française : « Ils laissent apparaître la peau, dit Louis Arène, ou bien les faux corps de certains personnages.», ou d’autres 
plus grand-guignol ou actuels, avec un blouson en cuir, une casquette, renforcent avec esprit, le caractère de chacun des personnages et leur interprétation par tous les comédiens, remarquable … Magnifique et comme un clin d’œil aux oeuvres picturales de Goya mais aussi au calcul secret de la belle jeune femme: devenir très vite la veuve de Sganarelle, Dorimène entre en scène dans sa robe au tissu délicat et soyeux, couleur pastel  et son ombrelle toute en rivière de dentelle dissimulant son visage. Celui du comédien Christian Hecq ! Encore un des comédiens masculin interprétant un rôle de femme. L’acteur est tous aussi épatant dans le jeu de Marphurius.

 

© Brigitte Enguerrand

© Brigitte Enguerrand

Louis Arene s’empare de cette comédie dramatique assez peu jouée et nous la fait partager jusqu’aux limites les plus audacieuses de la comédie. Entre fantasme, tragique, farce, et artifice, orchestrés avec subtilité dans la mise en scène, Louis Arene reste fidèle à l’écriture, et à l’intelligence sensible de Molière dont les protagonistes sont prêts à tout pour arriver à leurs fins. Quatre siècles après, sont encore bien vivants: lubricité, cupidité, prétention, esprit de vengeance, lâcheté…

Avec une distribution et une mise en scène brillantes, Louis Arene parvient, -les spectateurs sont enthousiastes- à donner à cette pièce du XVIIème siècle, une éminente modernité. Une performance théâtrale à ne pas manquer, toutes générations confondues !   

Elisabeth Naud 

Jusqu’au 1er mars, Théâtre du Rond-Point, 2 bis, av. Franklin D. Roosevelt, Paris ( VIII ème). T.:  01 44 95 98 21. 

 

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