Passeport, texte et mise en scène d’Alexis Michalik
Passeport, texte et mise en scène d’Alexis Michalik
Après Une Histoire d’amour, et Edmond où il retrace la création de Cyrano de Bergerac, une pièce habilement tricotée qui remplit toujours les salles (voir Le Théâtre du Blog), l‘auteur et metteur en scène maintenant bien connu, essaie de peindre la vie dramatique des migrants dans la «jungle» de Calais. « J’ai parfaitement conscience, dit-il, que cela reste une pièce de théâtre qui s’adresse à une petite partie de la population. Néanmoins, une œuvre peut avoir un petit impact et amener un contrepoint à ce discours assez +réac+ en ce moment autour de la loi :immigration. »
On peut croire en sa sincérité mais bon, il y a ici quelque chose d’assez naïf… Comme l’ont montré les nombreux documentaires, tout est maintenant bien connu sur cette situation internationale: des milliers d’hommes survivant dans des conditions très limite, attendent de passer en Angleterre en se cachant dans un camion circulant dans le tunnel sous la Manche… ou au-dessus dans un bateau pneumatique surchargé donc ultra-dangereux.
Issa (Jean-Louis Garçon), un jeune Érythréen a été violemment tabassé dans cette jungle. L’hôpital a bien fait son boulot et Issa a physiquement récupéré mais, même s’il a un passeport, donc une identité réelle, il a complètement perdu la mémoire. Abrité dans un conteneur avec Arun, un Indien (Kevin Razy) et Ali, un prof syrien qui connaît bien Shakespeare (Fayçal Safi). Malgré un rude parcours obligatoire où il lui faut passer par différentes administrations, Issa va quand même essayer d’obtenir un titre de séjour.
Issa, après Poitiers, arrive à Paris où il dort sous les ponts et travaille dur dans un restaurant de cuisine africaine. Il vit ensuite dans un centre d’accueil temporaire et a des rendez-vous à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il fréquente une bibliothèque où il rencontre Yasmine, une Française, née de père algérien et de mère marocaine, qui a vécu en Bretagne… Ils attendront un enfant. Tous les lieux sont évoqués par de grandes et très habiles images-vidéo sur fond gris en fond de scène.
Et il y a aussi une autre histoire, celle de Lucas Lefèvre, un jeune né aux Comores. Michel, un fonctionnaire et sa femme Christine (Patrick Blandin et Ysmahane Yaqini) l’ont adopté. Puis ils sont revenus en métropole et habitent justement Calais. Lucas devenu gendarme s’est trouvé une amie. Jeanne d’origine malienne est née à Toulouse (Manda Touré). Lui voudrait aller à Mayotte pour retrouver sa mère biologique. Pour le moment, il vit sa vie de gendarme chargé d’empêcher les migrants de monter dans un camion pour l’Angleterre et ne connait même pas la trop fameuse « jungle ».
L’histoire ronronne doucement quand arrive enfin une vraie scène de théâtre. Lucas est allé dîner chez ses parents pour leur présenter son amie, jeune et brillante journaliste. Mais le ton monte vite et Michel, le père de Lucas, ne s’attendait pas à ce que sa possible future belle-fille soit noire… Et il dit tout et n’importe quoi sur l’immigration. Jeanne, elle, reste calme et polie mais a vite fait, chiffres à l’appui, de recadrer les choses avec une intelligence remarquable. Lucas lui, ne dit rien : ce que son père lui reprochera. Raciste, ce père ? Pas vraiment, mais enfin quand même un peu…
Jeanne enfoncera le clou et quittera Lucas qui n’a pas osé affronter son père lors de cette soirée foutue. Mais il ne donne plus de ses nouvelles et Michel sera alors très doux quand, très inquiet, il appellera Jeanne. Même si la scène est cousue de fil blanc, il se passe enfin quelque chose de théâtral.
Il y a, tout au long de la pièce, de nombreux retours en arrière et si on a bien compris, Issa aurait été tabassé par Lucas, le gendarme devenu violent après sa rupture avec Jeanne. Il aurait voulu vivre la « jungle » de l’intérieur et aurait pris l’identité d’Issa mort… Mais lui-même aurait été reconnu par un Syrien qui deviendra son ami et tabassé, il aurait perdu la mémoire…Vous suivez toujours ? Mais nous n’allons pas vous emmener dans ce labyrinthe où, dans cette quête d’identité, temps et espace s’embrouillent. Même si on retrouve par moments l’influence des mises en scène d’Ariane Mnouchkine ou de Jérôme Savary.
Alexis Michalik est un bon fabricant : sens du rythme, habile évocation des lieux grâce à des images vidéo très réussies, progression jusqu’au dénouement. Et il sait choisir et diriger au cordeau ses acteurs-tous crédibles… Ici, comme dans ses spectacles précédents, tout est bien ficelé et, même si la dramaturgie est inutilement compliquée et les dialogues, pauvrets, le public semble fasciné par la succession de saynètes qu’il a mises au point avec virtuosité.
Aucun doute là-dessus, Alexis Michalik a une véritable énergie mais cette pièce, souvent d’une écriture assez naïve et maladroite, n’est pas du bois dont on fait les flûtes et, en filigrane, elle dégouline de bons sentiments. Comme il y a toujours quelque chose qui se passe, on ne s’ennuie pas vraiment mais la mise en scène, par ailleurs très précise, ressemble une fois de plus à une entreprise de déménagement avec arrivée d’éléments toutes les cinq minutes: un praticable sur roulettes qui sera une camionnette de gendarmerie, un compartiment de train.. Mais aussi des tables, un lit, des éléments et accessoires de cuisine… Une maladie du théâtre contemporain. Même réalisé avec fluidité, cela détourne l’attention et parasite l’action.
Ici, mieux vaut donc ne pas être trop exigeant quant à la qualité du texte, à la limite un peu réac, sur l’air de : «Réjouissez-vous, braves gens, la France reste une terre d’accueil exemplaire pour les migrants et Issa pourra même ouvrir son restaurant… L’auteur-metteur en scène qui œuvre uniquement dans le théâtre privé, choisit des thèmes de société comme la prison, les couples homosexuels… Et il sait y faire pour donner bonne conscience à son cher public. Il aborde un thème «porteur» comme on dit mais avec une dramaturgie et une pseudo-modernité à trois centimes d’euro: entrelacement de scènes, décors en vidéo et juste une petite touche de fumigènes (la vingtième au compteur pour nous depuis janvier dernier).
Ce public, la cinquantaine et assez bourgeois, (les places au parterre sont à 60 € pour le carré OR!) est celui habituel d’Alexis Michalik et il a fait une ovation debout aux sept acteurs qui sont tous crédibles et passent avec virtuosité d’un rôle à l’autre. Mais l’auteur et metteur en scène, en louvoyant, loin d’un théâtre documentaire ou d’agit-prop, va plutôt vers la très petite-comédie. Bref, le nouveau boulevard est arrivé et il est passé à côté d’une tragédie surtout africaine qui est loin d’être finie. Nous ne nous faisions pas trop d’illusions quant à ce Passeport mais le compte n’y est pas vraiment. Dommage.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 30 juin, Théâtre de la Renaissance, 20 boulevard Saint-Martin, Paris (X ème). T. : 01 42 08 18 50.