L’Enfant brûlé , adaptation du roman de Stig Dagerman, mise en scène de Noëmie Ksicova

L’Enfant brûlé, adaptation du roman de Stig Dagerman,  mise en scène de Noëmie Ksicova

Encore une adaptation d’un roman, celui-ci bien connu de cet écrivain suédois qui se suicidera en 1954. Stig Dagerman aurait aujourd’hui cent ans et, à le relire, cet Enfant brûlé reste d’une étonnante modernité. « Cette fiction offre une matière théâtrale incroyable, dit la metteuse en scène  et « une caisse de résonance à mes problématiques intimes: «J’ai tendance, dit-elle, à faire théâtre, des choses qui appartiennent à ma vie personnelle. Je conçois le plateau comme un espace de questionnement, mais aussi de réparation et de consolation. C’est une sorte de clé de voûte de mon travail. »

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

«Les questionnements que j’avais », « mes problématiques », « ma vie personnelle » « mon travail, » « moi qui travaille sur le rythme », « mes spectacles rendent compte de la rythmique de nos existences. » Mes, ma, mon, mes… Et Stig Dagerman et nous, dans tout cela ?
Noémie Ksicova a eu bien du mal à se sortir de ce qui semble être une fausse bonne idée. Ce qu’elle avoue honnêtement: « 
Je ne suis pas sûre que les fans de Dagerman soient très contents de cette adaptation.» «Dès le début, j’avais l’intuition que sa langue était trop belle pour qu’on puisse cohabiter. »
Mais aucune langue n’est trop belle quand il s’agit de porter un roman au théâtre, et cela, quel que soit l’angle d’attaque. Cela dit, la chose n’est jamais facile mais c’est curieusement devenu un sport national! (voir Le Théâtre du Blog).
Il faut opérer, puisque la notion de temps n’est pas la même, des coupes efficaces dans une matière souvent touffue mais avec une grande vigilance, sans dénaturer la fiction, et au besoin, avec générosité, réécrire certains moments. Il faut aussi suggérer les différents espaces. Bref, la quadrature du cercle…

Cela commence plutôt bien, et même si ce n’est pas très nouveau, marche à tous les coups. Dans le noir total, on entend une merveilleuse voix d’enfant et celle de sa mère qu’il ne veut pas quitter. Un impressionnant dialogue. Et ensuite? Lumière sur un pauvre petit logement: une salle à manger avec table et chaises en stratifié, un lit à une place, et derrière une chambre seulement fermée par un rideau. Ici, vit Knut, un ébéniste pas bien riche et qui boit facilement (Vincent Dissez) avec son fils Bengt (Théo Oliveira Machado).
Accablé par la mort de sa mère, irascible et jaloux, Bengt ne supporte plus grand monde: sa fiancée, la douce Bérit (Lumîr Brabant) qu’il accable de reproches acerbes
et surtout son père: il apprend qu’il fréquentait déjà Gun (Cécile Péricone), bien avant la mort de sa femme, Alma.
Pour Bengt: 
«Être pur, c’est ressentir en soi un feu auquel ne résiste aucun doute, aucune lâcheté, aucun scrupule. On est entier et fort. On va droit au but sans hésiter. On devient aussi courageux. Être pur, c’est pouvoir tout sacrifier excepté ce pour quoi on vit : je m’y suis préparé, et je n’ai aucune raison d’avoir honte. » On sait où mène cette dangereuse revendication de pureté, voire de race pure!

Ce jeune homme a des comptes à régler avec les vivants: il déteste les humains donc Gun et les animaux comme Mésa, un gros chien noir très paisible que Knut a acheté. Mais aussi  les morts: il ne supporte pas que sa mère Alma ait eu autrefois une liaison. Bref, rien ne trouve grâce à ses yeux. La tension est palpable : repas en silence, coups, tentative de suicide…
Gun essaye de tout faire pour cela aille au mieux entre eux mais Bengt, encore très ado dans sa tête, reste buté. Lui, son père et Bérit partiront rejoindre Gun dans une petite maison de campagne: là aussi, Bengt reste toujours aussi désemparé, aussi muré, bref, comme dit le titre, un  « enfant brûlé ».
Il violera Bérit jusqu’au jour où, fasciné par Gun, il ira faire l’amour avec elle. Pas besoin d’être grand psy pour voir ce qui le motive. Pourtant, Gun finira par épouser Knut. Une page est tournée. Père et fils auront alors des relations plus paisibles.
Mutisme et méchanceté sous-jacente de Bengt, profond mal-être de Knut, liberté sexuelle et sentimentale de Gun, transparence de Bérit: il y a des moments où Noémie Ksicova arrive à traduire ce qui fait la couleur de l’écriture de Stig Digerman mais pas la violence et  cette mise en scène, trop sage, ne fonctionne pas bien.
La faute à quoi ? D’abord sans équivoque possible, à une scénographie assez lourdingue et peu crédible. Au début, sur le grand plateau des ateliers Berthier, ce petit appartement sur un praticable aussi étroit, semble déjà curieux. Mais cela ne va plus quand l’arrière du décor pivote et représente une maison de campagne. Et dans le fond, il y a une piscine avec de l’eau véritable. Ce qui a sûrement coûté  cher mais qui sert très peu et dont on ne voit pas bien l’intérêt. Et Noémie Ksicova aurait pu faire davantage appel à l’imaginaire. 

©x

©J.L. Fernandez

Anouk Dell’Aiera a visiblement oublié que  scénographie ne signifiait pas réalité mais réalisme et suggestion, ce qui n’est pas la même chose. « S’il est une chose,  dit Angelica Liddell, la grande créatrice et metteuse en scène espagnole, que l’événement scénique offre au spectateur, c’est la possibilité de désirer et de se souvenir.Les objets veulent d’abord être désirés, puis qu’on se souvienne d’eux. »
Mais ce ballet répété de praticables, que règle avec efficacité une armée de techniciens, parasite l’action, casse le rythme du jeu.
Par ailleurs, toute la première partie souffre d’une réécriture par Noémie Ksicova qui a du mal à nous  convaincre. Ce texte manque  d’unité  avec la suite des dialogues. Et  le spectacle souffre d’une  sonorisation des voix avec micros H.F.  qui ne fait pas sens. Comme ces moments où à l’avant-scène, amplifiés sur un chemin caillouteux, les pas d’un Knut titubant sous l’emprise de l’alcool…
Noémie Ksicova dirige ses acteurs avec précision mais souvent de façon souvent trop statique. Et l’interprétation qui était un peu raide ce soir de première à Paris, a certainement dû progresser.
Cela dit, y avait-il besoin de ces deux heures trente sans entracte pour traduire les angoisses existentielles de Stig Dagerman? Pas sûr! Enfin, le spectacle permet au moins  à ceux qui ne le connaissaient pas, de découvrir le roman du grand écrivain suédois. A l’impossible, nul n’est tenu mais en l’adaptant à la scène, Noémie Ksicova a raté son coup.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 mars, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris ( XVII ème). T. :  01 44 85 40 40.

Le roman est publié aux éditions Gallimard. 

 


Archive pour 3 mars, 2024

Showgirl, conception, texte et interprétation de Jonathan Drillet et Marlène Soldana, librement inspiré de Showgirls de Paul Verhoeven

Showgirl, conception, texte et interprétation de Jonathan Drillet et Marlène Saldana, librement inspiré de Showgirls de Paul Verhoeven

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A l’origine, un
film  réalisé il y a trente ans:  échec au départ et devenu culte ensuite. Une jeune femme Nomi Malone va à Las Vegas en espérant y être show-girl. Jeff, qui l’a prise en auto-stop, lui vole ses affaires et son argent. Seule et perdue, elle rencontre une créatrice de costumes qui la loge et l’invite au casino Stardust où elle travaille.

Suivra une série d’aventures où, après des rencontres parfois douteuses, ce sera pour gloire et fortune pour Nomi dont le père a tué sa mère puis s’est suicidé. Mais ensuite, elle sera arrêtée pour possession et usage de drogue, racolage et agression à main armée. Vu la situation, Nomi quittera Las Vegas et fera de l’auto-stop pour aller à Los Angeles. Par hasard, elle retombe sur Jeff, celui qui lui avait tout volé à son arrivée. Pour qu’il lui redonne sa valise, elle le menacera d’un couteau.

 Créé à Chaillot l’an passé, ce Show-Girl commence bien avec, dans une presque obscurité, un visage féminin éclairé d’un pinceau de lumière. On devine un corps ou plutôt la silhouette d’une danseuse… en fait juste imprimée sur une robe ample. Une voix éructe une litanie de propos obscènes à l’écriture simple, parfois rythmée en décasyllabes, voire en alexandrins et aux rimes d’une pauvreté absolue (le tout au second degré bien entendu sur fond d’humour et vulgarité… Le mauvais goût ici élevé au rang d’une esthétique revendiquée comme telle.
Nous sommes emportés de gré ou de force par une oralité où les mots : chatte, bitte, merde, sexe, sang… reviennent en boucle. Dans un tradition finalement bien française, proche d’une culture populaire
, avec comme chez Rabelais ou dans les chansons paillardes, avec des expressions crues, voire obscènes et insupportables aux autorités religieuses. Pendant une vingtaine de minutes, Marlène Saldana chante à peu près nue pour finir en string…
Le corps nu sur scène? Pas nouveau et plus souvent féminin, que masculin. Des metteurs en scène comme Jérôme Savary très souvent, Antoine Vitez, une fois ou deux, et une foule d’autres. Mais un corps aussi volumineux et face public, rarement, voire jamais. C’est une remarquable performance comme celles de la grande créatrice Angelica Liddell qui sait aussi appeler une chatte, une chatte.
Aucun répit, aucune pause dans ce torrent verbal signé des auteurs, et musical de Rebeka Warrior.  Cette giclée de mots permanente écrase toute autre forme artistique. Comme il n’y a rien d’autre, à part une scénographie sans intérêt, cela tombe bien… Et Marlène Saldana sait y faire pour s’imposer.
Côté cour, il a une sorte d’arc en polyester moulé, et côté jardin de fausses plantes vertes d’une laideur exemplaire, chères à la S.N.C.F. Le tout passé à la peinture couleur alu. Et quatre marches d’un escalier sur roulettes recouvert de peluche crème, que viendra installer plusieurs fois le coauteur et interprète Jonathan Drillet, chaussé de hautes bottines pailletées. Tout cela, kitsch absolu.
Grosse cerise sur ce gâteau de provocation, un sexe masculin dressé et suspendu (deux mètres de hauteur, en grosses perles de plastique avec lumières intégrées). Bref, le tout-meuch comme disent les Cantaliens, élevé au rang d’œuvre d’art. Une performance corps et âme assez réussie, même si la balance chant/musique n’a guère été le souci de Jonathan Drillet et Marlène Saldana.

Mais après ce moment poético-musical réussi la chose devient beaucoup, beaucoup moins convaincante. L’autrice l’avoue: «Il a finalement fallu trouer le spectacle par des scènes dialoguées entre Jonathan et moi, car on n’en pouvait plus d’entendre des obscénités sur de la musique techno. » Comme la dizaine de spectateurs qui ont fui…  Mais ces scènes dialoguées sont bien longuettes.
Ce pseudo-texte assez confus censé relater des moments de la vie de Nomi Maldone reste la plupart du temps incompréhensible car submergé par la techno… Marlène Saldana qui joue plusieurs des personnages du film, écrit sans état d’âme que «la conversation, c’est une manière de travailler et une manière d’écrire. » Ou: « On aime bien donner à voir une pensée qui avance qui se construit, qui se contredit totalement, tout en éclairant le sens des moments les plus abstraits du spectacle.» Vous avez dit : prétentieux ?

Mais encore pendant une heure, Marlène Saldana fait feu de tout bois et la musique aussi forte, continue à marteler nos pauvres têtes… Pour essayer de masquer cette indigence, arrivent bien conventionnel des rafales de fumigène (les vint-quatrièmes au compteur pour nous depuis janvier), entre autres pour imiter un volcan en action et à la fin, il  y a même un petit feu d’artifice!
Le public était partagé… Il y a de quoi ! Certains hurlaient de joie, d’autres semblaient indifférents et applaudissaient à peine… A vouloir faire d’une performance, un acte théâtral, on est sûr de rater son coup. Toujours le même refrain : une histoire de temps… «Peut-être, écrivait Albert Camus, y a-t-il même deux temps, celui qu’on observe, et celui qui nous transforme.»
La deuxième partie de
Show Girl, ennuyeuse et décevante, elle, ne nous a pas transformé! Tout le monde n’est pas Angelica Liddell qui  maîtrise admirablement la durée scénique. Et reste cette éternelle question: les musées d’art contemporain accueillent volontiers ce type de performance, même sur une demi-heure. Mais les théâtres, sauf dans le cadre d’un festival et encore, ne le font jamais: le minimum admis est en général d’au moins cinquante cinq minutes: question de culture…Dommage. Voilà, en espérant que ces quelques lignes pourront vous éclairer… A vous de choisir.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 9 mars, Théâtre de la Bastille,  76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

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