Fantômes, Philippe Minyana/Laurent Charpentier/Hugues Quester

Fantômes, Philippe Minyana, Laurent Charpentier.Hugues Quester

 

Petite explication sur ce titre. Ces Fantômes ont émergé à trois. Le texte de Philippe Minyana, Laurent Charpentier qui le met en scène et Hugues Quester qui brûle de le jouer.
Qui fait quoi ? Le fondement, c’est le texte. Et l’on a découvert avec Inventaires (1987) le talent, la force de Philippe Minyana à aller chercher dans la vie la plus privée, la plus collée à la peau, quelque chose d’universel. Le metteur en scène et l’acteur, eux, y ont construit leur propre maison, faisant naître de cette prose poétique le dialogue qui y était en gestation, adoptant pour chacun des personnages, le nom de son interprète.
Le théâtre, tout simplement : ils renvoient à l’auteur, ce qu’ils se sont approprié de son texte. Cela se passera donc chez Hugues, à Dole (Jura) où Laurent vient lui demander de parler de toutes ces photos. Des cartons entiers, des albums, dans les poches, et sur le bureau, par terre, roulant comme des feuilles mortes.

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Passion pour cette collection de photos : Hugues souffre, sans pouvoir s’en arracher, de la présence si intense de ses fantômes. Quester, puisqu’il faut distinguer l’interprète de son personnage- exprime la souffrance de cette passion avec une sorte de colère. Il parle fort comme un sourd , râle contre la vieillesse, engueule le passé… Il faut dire qu’il y a de quoi : sur la photo, la maison d’enfance est encore une Cerisaie mais Hugues le raconte… Il a la mauvaise idée d’y aller en pèlerinage mais des pavillons ont été construits sur le jardin, des familles inconnues y sont chez elles…

Une haute fenêtre-écran ouvre l’espace au lointain  (scénographie de Laïs Foulc, vidéo d’Hervé Bellamy) : la mère, si belle, si jeune pour l’éternité, y apparaît, le visage masqué par un contrejour, des «cartons poétiques » viennent ouvrir une autre porte vers le passé, des images y naissent et disparaissent… Face à Hugues, Laurent est lui aussi pris de passion pour ces photos. Mais d’une passion joyeuse, tout à l’excitation de la découverte de ce passé qui n’est pas le sien et qui se révèle inépuisable.
Poids du passé, douleur, colère d’un côté et émerveillement de l’autre, devant ces photos toutes chargées d’un roman possible, qui agrandissent et densifient pour lui le monde. Parfois le dialogue est conduit comme si Laurent Charpentier gardait sur le plateau un petit quelque chose de sa fonction de metteur en scène. Pas seulement à l’instant précieux où il est en présence d’un texte dont il va creuser le passé, mais dans la façon de questionner son partenaire et de le faire accoucher de ses souvenirs et tourments.

,L’auteur et ses interprètes se connaissent, font réellement équipe pour nous envoyer à la figure le double visage de la nostalgie qui n’est en rien un sentiment pâle. Nous les remercions pour leur théâtre direct, à voix nue, à l’ancienne. Les récentes générations de metteurs en scène ont tellement essayé de nous habituer aux micros H.F., qu’on est ici dérouté par la puissance de ces voix mais on s’y fait vite. Pas de diction fantomatique : les fantômes, ici, naissent de ces photos que nous ne voyons pas. À écouter Hugues Quester, ils ne sont pas commodes, mais à écouter Laurent Charpentier (réunissons les rôles et les interprètes), ils sont pleins de vie.

Ces récentes décennies, le récit intime comme porte ouverte sur l’universel, est presque devenu un genre en soi et le public est preneur. Et pour ceux que le texte aura touchés, il y a au Théâtre de la Ville, une librairie ouverte avant et après les spectacles, aussi riche qu’elle est petite. On y trouve les œuvres de Philippe Minyana et celles de l’actualité du théâtre. Mais aussi une belle collection d’essais et romans: cela donne envie de renouveler sa bibliothèque.

Christine Friedel

Jusqu’au 9 mars, Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, 2 place du Châtelet, Paris (IVème). T. : 01 42 74 22 77

Fantômes,de Philippe Minyana, est publié aux Solitaires Intempestifs (Théâtre 2021-2023 vol. II)

 

 

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