Painkiller, texte et mise en scène de Pauline Haudepin
Painkiller, texte et mise en scène de Pauline Haudepin
Une voix de robot accueille les spectateurs placés dans le noir et selon un dispositif bi-frontal. Comme générée par une intelligence artificielle, elle dérape quelquefois et nous précipite dans un univers insolite…
Que fait ce jeune homme dans la baignoire vide d’un businessman sur le retour ? Painkiller, un humoriste talentueux qui porte le nom de son dernier spectacle, a été, sans savoir comment, kindappé par Sadking, un magnat de l’industrie pharmaceutique et président d’un gros club de foot. Le vieil homme veut en faire son bouffon et se cache, assiégé par la presse en raison de ses magouilles. Quel salut attend-il de son otage qui a renoncé à être acteur. Celui-ci le guérira-t-il, de la mélancolie ?
Pauline Haudepin revendique ce huis-clos comme un«drame de salle de bains»: « Il n’est pas anodin de placer la crise d’identité de mes personnages dans ce lieu d’hygiène ritualisé où on est réduit à être un corps vulnérable.» En voix off, ils prennent alternativement la parole. « Sadking: -C’est l’histoire d’une transaction./ Painkiller : -C’est l’histoire d’un homme qui achète un jeune homme pour le divertir et qui se rend compte que la marchandise est pourrie, que la marchandise est aussi dépressive que lui, mais c’est trop tard. »
C’est l’histoire d’une rencontre entre deux solitudes… Painkiller et Sadking,littéralement « tue-douleur » et «roi triste» rejouent, à l’aune des angoisses contemporaines, le duo mythique du roi et de son fou, que sous-tend ici un conflit générationnel. Pauline Haudepin tisse une fable où l’absurde côtoie l’onirisme. Son écriture acérée s’égare parfois dans un humour potache, désamorçant la tension entre cet homme mûr, à la fois répugnant et touchant (John Arnold avec le métier qu’on lui sait) et un amuseur public, désinvolte mais fragile (campé avec grâce par Mathias Bentahar).
Entre baignoire et cuvette des wc, ils se livrent à de petits numéros comiques, inversant les rôles et scellant ainsi leur connivence. Les deux compères, partis ensemble à la pêche trouveront au bout de leur ligne, une sirène rageuse et sexy (Pauline Haudepin) venue des égouts par les tuyaux de la salle de bains. Elle couvre d’invectives ce Sadking représentant la génération qui empoisonne la planète: selon elle, le monde de l’industriel pue davantage, que les bas-fonds où elle habite.
La mise en scène de Sabine Haudepin est très maîtrisée et le texte flirte avec l’absurde et le surréalisme, tout en étant ancré dans la post-modernité. Et truffé de références contemporaines: le mot: painkiller désigne aussi les antalgiques et renvoie à une série de Netflix sur le scandale de l’usage non médical des opioïdes aux Etats-Unis. Puis, dans une chansonnette en forme de comptine, un chat pète: «Chatgpt » pour les initiés… Un jeu de rôles, bien servi par les acteurs mais l’autrice n’évite pas les facilités d’écriture ni les clichés qui collent aux personnages, opposant riche et saltimbanque, pourri et pur, roi et bouffon, père et fille….
Pauline Haudepin nous entraîne dans un univers théâtral singulier, entre comique et mélancolie. Dans la scénographie de Constant Chiassai-Polin les lumières froides de Laurence Magnée sont de plus bel effet sur les faïences de la salle de bain et la bande son aux voix artificielles de Sarah Munro diffuse une ambiance futuriste. Un exercice réussi mais ce Painkiller puise à trop de sources, au risque de s’égarer…
Cette jeune créatrice a du talent. Repérée dès son premier spectacle: Les Terrains Vagues (2017), un conte noir d’après Raiponce des frères Grimm, elle a été saluée par la critique pour Chère chambre en 2021 au Théâtre National de Strasbourg où elle était autrice associée. Depuis l’an dernier, elle est en résidence au Théâtre de la Cité Internationale à Paris. Une artiste à suivre.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 30 mars, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.