Phèdre de Jean Racine, mis en scène de Matthieu Cruciani
Phèdre de Jean Racine, mis en scène de Matthieu Cruciani
La pièce a été montée par les plus grands: Anne Delbée (1995), Luc Bondy (1998), Patrice Chéreau(2003) Philippe Adrien (2006), Brigitte Jacques (2020) et encore, François Gremaud (voir Le Théâtre du Blog). Et récemment, d’une sobriété exemplaire, mise en scène par Robin Renucci. Tous avec un regard personnel mais aussi un grand respect de la prosodie de l’alexandrin…
Cela se passe au palais de Thésée, roi d’Athènes. Mais ici seul, le haut des murs est blanc. En bas, d’un triste brun sale, peut-être un symbole de la décadence de cette famille royale? Côté jardin, des couvertures marron type militaire, cachent un squelette de tête de taureau et un grand miroir… comme on le découvrira plus tard. Et il y a quelques chaises coque rouge vif, une banquette en bois, histoire de situer les choses au XX ème siècle…
Côté cour, pour figurer le lit du jeune Hippolyte, un matelas posé sur des palettes. Une lampe de bureau articulée, à côté des pochettes de disques 33 tours et au-dessus une cible où, au début, il tirera trois flèches. Au milieu du plateau, séparé en deux par un grand rideau bleu pâle, une estrade blanche d’une vingtaine de cms avec, aussi couverts de cette même couverture marron, une table basse et une chaise. Côté cour, un passe-plats…
En fond de scène, un rideau en plastique transparent laisse deviner une plage de sable et la mer, avec au loin, des montagnes. A la presque fin, cet inutile rideau tombera et apparaîtra alors un sublime paysage maritime qui aurait largement suffi…. Tout ce bric-à-brac réaliste pollue visuellement et ne sert qu’à faire soi-disant actuel… Côté création lumières, Kellig Le Bars joue constamment sur la pénombre devant le rideau et la lumière éclatante méditerranéenne en fond de scène. C’est sur le plan pictural assez beau mais ne sert en rien la mise en scène et surtout au début, on peine à voir le visage des acteurs !
Le scénario de cette pièce mythique que Jean Racine écrit et fait jouer en 1777, dix ans après Andromaque et trois ans après Bérénice (1670), est simple: Phèdre attend le retour de Thésée, roi d’Athènes et son fils Hippolyte va lui, vite la fasciner, son épouse, Phèdre… Mais il est sous le charme de la jeune Aricie, prisonnière de Thésée. Phèdre pense que sa passion est criminelle,ce qu’elle avouera à Oenone, sa confidente. Elle finit par dire à Hippolyte qu’elle l’aime passionnément mais il la repousse. Les choses se compliquent quand Thésée revient. Phèdre, manipulée par sa confidente Oenone, accuse Hippolyte d’avoir voulu la violer. Thésée maudira son fils mais: « L’intrépide Hippolyte Voit voler en éclats tout son char fracassé Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé. Excusez ma douleur. Cette image cruelle Sera pour moi de pleurs une source éternelle. J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils Traîné par les chevaux que sa main a nourris. » Oenone se suicidera, comme Phèdre après avoir avoué sa faute à son mari.
Pourquoi ne pas jouer à fond la carte du réalisme mais le metteur en scène rapetisse et la pièce, et les personnages. Les habiller en costumes contemporains? Racine en a vu d’autres… Ici, ils sont de la vie quotidienne, et assez laids : jeans, T.Shirt pour Hippolyte, robe longue et escarpins pour Phèdre. Laquelle portera trois robes et un pantalon… Comme souvent dans le théâtre de boulevard! Mais, disait finement le grand Jérôme Savary, «si c’est pour voir sur un plateau ce qu’on voit dans la rue, cela ne m’intéresse pas. » Bien pensé.
Ici, la scénographie, les costumes, les lumières ne tiennent pas vraiment la route et il faudrait au moins que les personnages de cette tragédie aient plus de hauteur et soient crédibles quand ils parlent. Désolé, mais une chose n’est jamais négociable quand on monte une tragédie écrite en alexandrins : le respect de cette écriture qui fait aussi toute la force de ces admirables vers.
On ne dira jamais assez combien ces dialogues doivent beaucoup à un travail sur le langage, proche d’une musique envoûtante: ourquoi s’en priver ,à condition de savoir le faire!) au lieu de rajouter un fond musical? Là c’est vraiment une erreur de tir et n’apporte absolument rien. Ici, aucun des acteurs n’arrive jamais à maîtriser ces alexandrins, sauf peut-être Hélène Viviès (Phèdre) à certains moments. C’est le gros point noir de ce spectacle et on comprend difficilement le texte, souvent couvert par ce fond musical invasif, vieux poncif actuel, avec légers ronronnements de basses. Ce qui n’arrange rien et que Matthieu Cruciani aurait pu nous épargner.
Manque ici une véritable direction d’acteurs. Hélène Viviès (Phèdre) a de bons moments mais son personnage manque d’ampleur. Quant à Hippolyte (Maurin Ollès) Ambre Febvre ( Aricie) qui bouge sans arrêt, ils ne sont en rien crédibles. Thomas Gonzalez, lui, parle très mal et n’arrive pas à imposer le personnage de Thésée. Lina Alsaied (Oenone) et Jade Emmanuel (Ismène et Panope) sont elles, plus justes. Seul, Philippe Smith réussit à donner une certaine envergure à un Théramène incarnant la voix de la raison.
Bref, on est loin du compte… Cette formidable pièce qui exige beaucoup d’un metteur en scène, mérite mieux que cette direction d’acteurs trop approximative. Enfin, cela peut donner envie de relire la pièce où Racine dit si bien, comment un grand amour peut ravager les humains soumis à la fatalité et pris au piège d’un combat inégal entre raison et passion…
Décidément, entre la Bérénice sans âme de Romeo Castelluci dont nous vous parlerons et cette Phèdre, notre grand Racine, ce mois-ci, n’a pas eu de chance! Que sauver de ce spectacle? La remarquable toile peinte en fond de scène… Et sans doute la scène où Phèdre avoue son amour à Hippolyte et celle, où lui et Aricie s’embrassent fougueusement. Sur une heure cinquante, bien décevant et c’est dommage. A écouter une bande de lycéens à la sortie, ils ne semblaient pas convaincus ! Un signe qui ne trompe jamais…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 17 mars, Les Gémeaux-Scène nationale, 49 avenue Georges Clemenceau, Sceaux ( Hauts-de Seine). T. : 01 46 61 36 67.
Bonjour,
Vous ne citez pas l’admirable « Phèdre » montée par Robin Renucci (dans le cadre des Tréteaux de France), et qui tourne peut-être encore. Je ne peux la comparer qu’à celles de Bondy et de Chéreau n’ayant pas vu les autres, mais c’est celle qui m’a fait la plus forte impression, par son intensité et sa beauté.