Pulcinella et L’Heure espagnole, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Guillaume Gallienne, chorégraphie de Clairemarie Osta

Pulcinella et L’Heure espagnole, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Guillaume Gallienne, chorégraphie de Clairemarie Osta

 Louis Langrée a voulu mettre en valeur la création artistique au début du XX ème siècle en réunissant dans une même soirée, deux œuvres peu jouées. En octobre 1918, Serge Diaghilev écrit à Pablo Picasso : «Je voudrais beaucoup te prier de faire un grand portrait de Massine en Pulcinella, une peinture en pied. J’ai mis de côté dix mille francs pour ça.» En 1920, Pulcinella voit le jour dans une troisième série de spectacles dansés par Les Ballets russes à l’Opéra. Massine en assure la chorégraphie, Picasso, les costumes et Igor Stravinski, la musique: «Que puis-je écrire après Le Sacre du Printemps, a dit  le compositeur qui restructure alors une partition de Jean-Baptiste Pergolèse.

© S. Brion

© S. Brion

 Dans ce ballet voisin de la pantomime, Pulcinella est un séducteur des rues mais fiancé que les filles convoitent… et que les garçons jalousent. Cela le met dans une impasse. Il simule un suicide pour rétablir l’authenticité de ses relations avec autrui! Massine interprétait le rôle-titre avec un masque de commedia dell’arte : les photos de répétition font penser à des travaux d’élèves de l’école Jacques Lecoq.
Pour cette re-création à l’Opéra-Comique, Clairemarie Osta a imaginé une danse néo-classique. Pulcinella (excellent Oscar
Salomonsson) ressemble au Monsieur Hulot du film éponyme  de Jacques Tati. Lunaire et peu motivé quant à la présence de sa fiancée, (la gracieuse Alice Renavand, ancienne danseuse-étoile de l’Opéra de Paris. L’ensemble a un petit côté désuet…

Mais agréable surprise avec L’Heure espagnole, un spectacle créé à l’Opéra-Comique en 1911. Conception, mariée à Torquemada, attend chaque jeudi qu’il parte régler les pendules de Tolède, pour recevoir son amant le poète Gonzalve… qui n’est pas à la hauteur de ses attentes érotique. Quand apparait un banquier, amoureux de la belle Conception et Ramiro, et un muletier prêt à lui rendre tous les services,  y compris… remplacer son amant.
Pour mettre en scène cette pièce légère/comédie musicale «en un acte et vingt et une scènes et pour cinq voix solistes», Guillaume Gallienne a adopte le parti-pris d’un vaudeville. «Maurice Ravel, dit Louis Langrée, recommandait aux chanteurs de dire, plutôt que de chanter.» Malgré ce conseil, les cinq artistes étonnent avec leurs belles vocalises. Louis Langrée dirige l’orchestre des Champs-Élysées avec ferveur. Les décors de Sylvie Olivé, tout en hauteur, sont efficaces: la demeure de Torquemada ressemble à une chapelle dont les escaliers permettent au courageux muletier de monter, ou redescendre régulièrement deux grandes horloges où se cachent l’amant et le banquier.
Un critique de l’époque écrivait: «L’œuvre est si personnelle, si nouvelle, si curieuse, qu’elle sera certainement le début d’un genre. Maurice Ravel se sert de l’orchestre à la perfection. Les instruments ont de l’esprit, font des mots ou des à-peu-près, rient, plaisantent, et ne le cèdent en rien aux personnages pour mettre dans l’action, une drôlerie de bon aloi. Ce qu’on ressent à l’écoute de cette pièce.
« À l’opéra et pour un ballet, dit Guillaume Gallienne, je suis un metteur en sc
ène plus directif et je sais que cela facilite la tâche des chanteurs et danseurs qui ont développé une grande réactivité. Ils ont de nombreuses contraintes techniques dont je dois tenir compte, surtout avec une partition aussi exigeante que L’Heure espagnole… Et ici le metteur en scène a dû chercher le juste tempo à l’intérieur de la partition. » Pari gagné.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 17 mars, Opéra-Comique, place Boieldieu, Paris (IIème). T. : 01 70 23 01 31.

     


Archive pour 13 mars, 2024

L’Imposteur de Kris Krainock, mise en scène d’Aurore Kahan ( spectacle en français, et en anglais surtitré)

L’Imposteur de Kris Krainock, mise en scène d’Aurore Kahan (spectacle en français, et en anglais surtitré)

Kris Krainock, cinéaste indépendant, producteur, dramaturge et poète américain  ets l’auteur de cette pièce qui a été créée au cours de plusieurs résidences entre Paris, Alençon et Avignon. La véritable première a lieu au Fringe Theatre Festival à Kiev en septembre dernier. Cela se passe sur la petite scène d’une salle en sous-sol aux chaises pliantes non attachées (bonjour, la sécurité!).
Janice, une comédienne française la trentaine (Julie Zeno) qui vit à Paris, prépare une audition pour obtenir un rôle dans une série américaine. Comme pour toutes les actrices ou presque, le travail est souvent rare et cela lui permettrait enfin- du moins elle le croit- de faire décoller sa carrière…

©x

©x

Mais elle subit les attaques de plus en plus virulentes d’une voix qui semble provenir aussi bien de l’intérieur d’elle-même, que de l’extérieur… Ce  solo  de cinquante minutes) est né de la rencontre entre Kris Krainock et Julie Zeno pendant le covid. Il participe d’un questionnement sur notre rapport à nous-même. On n’est pas loin du célèbre Γνῶθι σεαυτόν (Connais-toi toi même) utilisé  par Socrate dans les œuvres de Platon. Elle  lui donne la possibilité d’exprimer le fait qu’une recherche sur les exigences morales commence par une introspection. Mais on est près aussi du chrétien: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même” pour avoir confiance et estime en soi-même et avoir une vraie relation avec autrui.
Cette exploration au plus profond de soi-même a été le fait de nombre d’entre nous, bloqués quelque part pendant le covid… Quelles sont les motivations, les vraies valeurs qui nous constituent réellement? Y-a-t-il des obstacles qui nous bloquent pour enfin vivre notre vie? Comment gagner le combat avec cet imposteur,  un adversaire redoutable caché en nous-même ?

Sur le plateau, une chaise et un petit comptoir blanc… Et une caméra que Janice va installer une caméra pour que l’on voit son visage retransmis sur écran. Julie Zeno parle en français et anglais et le surtitrage s’affichera au-dessus de la scène. On entend d’abord la voix de sa mère: « C’est quand même étrange qu’ils envisagent de choisir une Française, alors que ça serait beaucoup plus simple de trouver directement une Américaine, mais bon, j’y connais rien à ces choses là. Peut-être qu’ils t’ont prise pour une Américaine quand tu as commis ce crime en écorchant ton prénom. Enfin bon. Je croiserai les doigts pour que ça marche. Et n’oublie pas que tu pourras faire tous les efforts du monde, mais au final, ça ne dépend pas de toi. Bisous ma chérie. »

Suit une phrase guère optimiste et menaçante:«Tu n’es qu’un femme parmi des milliers et elles sont toutes bien meilleures que toi pour le rôle. » Puis une autre : Tu n’as jamais vécu ce que cette fille a vécu. Tu viens d’un milieu privilégié. Aisé. Qu’est-ce que tu en sais de ses souffrances ? Comment peux-tu prétendre les rendre vraies ? »
Ces interrogations de la jeune actrice.. qui n’est plus toute jeune quand même, sonnent juste. Et la voix insiste lourdement : « Sors les violons. Je vais te jouer un petit air pour accompagner ton histoire de pleurnicheuse. Tu t’en es bien sortie. Tu n’as jamais été «toi» car le vrai «toi» n’existe pas. Seulement un personnage dans l’attente d’un nouveau scénario. De toute façon, ce n’est pas pareil. Rien que le fait d’avoir essayer de mettre ces expériences sur le même plan, tu devrais avoir honte. C’est vraiment dégueulasse. »

Julie Zeno a une excellente diction, une belle présence et réussit à imposer son personnage avec maîtrise.Mais pourquoi la metteuse en scène lui a fait jouer en anglais ce solo teinté d’absurde et assez inégal. Et pourquoi avoir eu recours à des images de ce personnage filmé en gros plan? Une vieille ficelle usée dont on s’étonne qu’elle soit encore employée. Enfin, ces cinquante minutes passent très vite. A voir ? Oui, pour cette jeune actrice…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 mars, Théâtre de l’Echo, 31-33 Rue des Orteaux, Paris (XX ème).

 


 

L’Art de la joie, d’après le roman de Goliarda Sapienza, adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

L’Art de la joie, d’après le  roman de Goliarda Sapienza, traduction de Nathalie Castagné. adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

Il fallait une certaine flamme pour réaliser à partir d’une œuvre aussi touffue, que passionnante, ce spectacle au long cours. Ambre Kahane nous fait  partager son enthousiasme pour ce roman-culte dont elle met en scène les deux premières parties. Une solide équipe d’acteurs nous embarque pour la Sicile. Nous suivons avec délices les aventures de Modesta (Noémie Gantier). Cinq heures en scène, l’actrice est cette héroïne, de l’enfance, à l’âge mûr. Une fresque avec douze comédiens et deux musiciens qui embrasse le début du XXème siècle où le sort des personnages croise l’histoire mouvementée de l’Italie.

 Farouche et insoumise, l’héroïne de L’Art de la joie, née le 1er janvier 1900 dans une famille miséreuse s’affranchit au fil du temps des préjugés sociaux et religieux dans une Sicile encore féodale. Ce texte de six cents pages ne fut édité qu’après la disparition de Goliarda Sapienza (1924-1996), grâce à l’acharnement  d’Angelo Maria Pellegrino, son dernier compagnon.

Ambre Kahan, est comédienne, notamment d’Anatoli Vassiliev, Thomas Jolly, Éric Lacascade ou encore Simon Delétang  mais n’a  réalisé à ce jour qu’une création, Ivres d’Ivan Viripaev, spectacle mort-né à cause du covid, s’attaque à ce chef-d’œuvre avec appétit,  sans jamais nous rassasier. « Modesta effectue des allers-retours entre ce qu’elle vit et ce qu’elle nomme. Il s’agit d’un livre de souvenirs et non d’un journal, dit la metteuse en scène. Pour rester dans l’excès si caractéristique de l’écriture, pour garder le tumulte, le désordre et le débordement je n’ai dans cette adaptation, opéré aucun resserrement, aucune simplification et elle se situera comme  le roman, du côté du bruit et de la fureur.»

©x

©Matthieu Sandjivy.

 Noémie Gantier entre en scène et entame modestement la lecture du roman, livre en main, nous présentant son personnage, avant de nous entrainer dans son enfance sulfureuse : « Me voici à quatre, cinq ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux… ». Et l’actrice-narratrice  devient cette fillette par le miracle du théâtre. Elle sera Modesta, à tous les âges de sa vie. Animée par l’appétit de liberté, dans la première partie elle est cette gamine sauvage et curieuse du sexe, entre une mère miséreuse, une sœur handicapée. Malgré un viol, des années au couvent, guidée par son instinct de survie, elle apprend vite tandis que ses sens s’éveillent. Le hasard la propulse dans les hautes sphères de la noblesse sicilienne décadente. Une ascension sociale inattendue qu’elle saisit au bond. A la fin de cette première partie haletante et très rythmée la petite plébéienne aura découvert vécu une grossesse et les affres de l’accouchement, les plaisirs du sexe, tendres avec les femmes, rudes avec les hommes et acquis sa place au soleil…Le spectacle comprend deux actes, séparés par l’entracte et les différents épisodes, enchevêtrent habilement récit et scènes dialoguées. Des intermèdes facétieux adressés au public allègent l’écriture dense et prolixe, portée par la comédienne

Le temps passant, dans le deuxième acte, Modesta, devenue une maîtresse-femme, rencontre la politique, le communisme et sera confrontée à la montée inéluctable du fascisme. Dans un monde dominé par les hommes, cette jeune sauvageonne raffinée, trouve une voie de liberté, sans jamais renoncer à ses désirs.  Noémie Gantier qu’on a vue chez Julien Gosselin, Tiphaine Raffier, et récemment dansTogether de Dennis Kelly, évolue avec une gracile aisance bien en habit, que nue. Mais elle n’est jamais vulgaire, même dans les scènes érotiques les plus torrides.

Dates et lieux s’inscrivent sur des arcades que les interprètes déplacent facilement. Accessoires et lumières animent cette scénographie mouvante, signée Anne-Sophie Grac, où des escaliers en fond de scène mènent à des espaces intimes. Une troupe bigarrée gravite autour de Noémie Gantier et se partage une vingtaine de rôles : un vieil amant viril qui initie Modesta à l’amour charnel (Serge Nicolaï), un jeune médecin idéaliste (émouvant Laurent Favier), une nonne aux appétits coupables et une princesse sicilienne tyrannique (Aymeline Alix), des servantes, et Béatrice, une jeune châtelaine (pulpeuse Élise Martin)…
Complètent la distribution Aloïs Belbachir (Tuzzu, Mattia, José, Günter), Vanessa Koutseff (Mademoiselle Inès, Carmela), Léonard Prego (Tina, Ippolito), Louise Rieger (Vif Argent, l’historienne Maria G.) , Richard Sammut (Le père de Modesta, Sœur Constanza, Pasquale, un prêtre, Soeur Clara, professeur Bernardo, Rosario), Romain Tamisier (Le Capitaine, une soeur, Licata, Vicenzo) et Sélim Zahrani (La mère de Modesta, Pietro).

Leur jeu, souvent décalé, apporte un contrepoint à l’histoire de Modesta et désamorce ce qu’il pourrait y avoir de pathos dans L’Art de la joie. Les musiciens Amandine Robillard et Romain Thorel, infusent, discrètement présents, un climat particulier à chaque scène… Ambre Kahane dirige avec bonheur cette équipe qui s’en donne à cœur-joie et qui nous offre quelques attractions pendant l’entracte… Ce spectacle créé à la Comédie de Valence, est une réussite. Nous attendons avec impatience la suite des aventures de la belle et rebelle Modesta : « La joie, écrit Gilles Deleuze, ça n’est pas être content de soi, la joie, c’est la conquête, la conquête de soi-même ou, pour un peintre, la conquête de la couleur (…) La joie est puissance de vie.»

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 10 mars à la MC93 (en partenariat avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers), 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 42 60 72 72.

 Les 16 et 17 mars, L’Azimut Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 29 et 30 mars, Théâtre André Malraux, Chambéry (Savoie).

Les 11 et 12 octobre, Châteauvallon-Théâtre Liberté, Ollioules (Var).

 L’Art de la joie est publié aux éditions Le Tripode

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...