L’Art de la joie, d’après le roman de Goliarda Sapienza, adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

L’Art de la joie, d’après le  roman de Goliarda Sapienza, traduction de Nathalie Castagné. adaptation et mise en scène d’Ambre Kahan

Il fallait une certaine flamme pour réaliser à partir d’une œuvre aussi touffue, que passionnante, ce spectacle au long cours. Ambre Kahane nous fait  partager son enthousiasme pour ce roman-culte dont elle met en scène les deux premières parties. Une solide équipe d’acteurs nous embarque pour la Sicile. Nous suivons avec délices les aventures de Modesta (Noémie Gantier). Cinq heures en scène, l’actrice est cette héroïne, de l’enfance, à l’âge mûr. Une fresque avec douze comédiens et deux musiciens qui embrasse le début du XXème siècle où le sort des personnages croise l’histoire mouvementée de l’Italie.

 Farouche et insoumise, l’héroïne de L’Art de la joie, née le 1er janvier 1900 dans une famille miséreuse s’affranchit au fil du temps des préjugés sociaux et religieux dans une Sicile encore féodale. Ce texte de six cents pages ne fut édité qu’après la disparition de Goliarda Sapienza (1924-1996), grâce à l’acharnement  d’Angelo Maria Pellegrino, son dernier compagnon.

Ambre Kahan, est comédienne, notamment d’Anatoli Vassiliev, Thomas Jolly, Éric Lacascade ou encore Simon Delétang  mais n’a  réalisé à ce jour qu’une création, Ivres d’Ivan Viripaev, spectacle mort-né à cause du covid, s’attaque à ce chef-d’œuvre avec appétit,  sans jamais nous rassasier. « Modesta effectue des allers-retours entre ce qu’elle vit et ce qu’elle nomme. Il s’agit d’un livre de souvenirs et non d’un journal, dit la metteuse en scène. Pour rester dans l’excès si caractéristique de l’écriture, pour garder le tumulte, le désordre et le débordement je n’ai dans cette adaptation, opéré aucun resserrement, aucune simplification et elle se situera comme  le roman, du côté du bruit et de la fureur.»

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©Matthieu Sandjivy.

 Noémie Gantier entre en scène et entame modestement la lecture du roman, livre en main, nous présentant son personnage, avant de nous entrainer dans son enfance sulfureuse : « Me voici à quatre, cinq ans traînant un bout de bois immense dans un terrain boueux… ». Et l’actrice-narratrice  devient cette fillette par le miracle du théâtre. Elle sera Modesta, à tous les âges de sa vie. Animée par l’appétit de liberté, dans la première partie elle est cette gamine sauvage et curieuse du sexe, entre une mère miséreuse, une sœur handicapée. Malgré un viol, des années au couvent, guidée par son instinct de survie, elle apprend vite tandis que ses sens s’éveillent. Le hasard la propulse dans les hautes sphères de la noblesse sicilienne décadente. Une ascension sociale inattendue qu’elle saisit au bond. A la fin de cette première partie haletante et très rythmée la petite plébéienne aura découvert vécu une grossesse et les affres de l’accouchement, les plaisirs du sexe, tendres avec les femmes, rudes avec les hommes et acquis sa place au soleil…Le spectacle comprend deux actes, séparés par l’entracte et les différents épisodes, enchevêtrent habilement récit et scènes dialoguées. Des intermèdes facétieux adressés au public allègent l’écriture dense et prolixe, portée par la comédienne

Le temps passant, dans le deuxième acte, Modesta, devenue une maîtresse-femme, rencontre la politique, le communisme et sera confrontée à la montée inéluctable du fascisme. Dans un monde dominé par les hommes, cette jeune sauvageonne raffinée, trouve une voie de liberté, sans jamais renoncer à ses désirs.  Noémie Gantier qu’on a vue chez Julien Gosselin, Tiphaine Raffier, et récemment dansTogether de Dennis Kelly, évolue avec une gracile aisance bien en habit, que nue. Mais elle n’est jamais vulgaire, même dans les scènes érotiques les plus torrides.

Dates et lieux s’inscrivent sur des arcades que les interprètes déplacent facilement. Accessoires et lumières animent cette scénographie mouvante, signée Anne-Sophie Grac, où des escaliers en fond de scène mènent à des espaces intimes. Une troupe bigarrée gravite autour de Noémie Gantier et se partage une vingtaine de rôles : un vieil amant viril qui initie Modesta à l’amour charnel (Serge Nicolaï), un jeune médecin idéaliste (émouvant Laurent Favier), une nonne aux appétits coupables et une princesse sicilienne tyrannique (Aymeline Alix), des servantes, et Béatrice, une jeune châtelaine (pulpeuse Élise Martin)…
Complètent la distribution Aloïs Belbachir (Tuzzu, Mattia, José, Günter), Vanessa Koutseff (Mademoiselle Inès, Carmela), Léonard Prego (Tina, Ippolito), Louise Rieger (Vif Argent, l’historienne Maria G.) , Richard Sammut (Le père de Modesta, Sœur Constanza, Pasquale, un prêtre, Soeur Clara, professeur Bernardo, Rosario), Romain Tamisier (Le Capitaine, une soeur, Licata, Vicenzo) et Sélim Zahrani (La mère de Modesta, Pietro).

Leur jeu, souvent décalé, apporte un contrepoint à l’histoire de Modesta et désamorce ce qu’il pourrait y avoir de pathos dans L’Art de la joie. Les musiciens Amandine Robillard et Romain Thorel, infusent, discrètement présents, un climat particulier à chaque scène… Ambre Kahane dirige avec bonheur cette équipe qui s’en donne à cœur-joie et qui nous offre quelques attractions pendant l’entracte… Ce spectacle créé à la Comédie de Valence, est une réussite. Nous attendons avec impatience la suite des aventures de la belle et rebelle Modesta : « La joie, écrit Gilles Deleuze, ça n’est pas être content de soi, la joie, c’est la conquête, la conquête de soi-même ou, pour un peintre, la conquête de la couleur (…) La joie est puissance de vie.»

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 10 mars à la MC93 (en partenariat avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers), 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 42 60 72 72.

 Les 16 et 17 mars, L’Azimut Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 29 et 30 mars, Théâtre André Malraux, Chambéry (Savoie).

Les 11 et 12 octobre, Châteauvallon-Théâtre Liberté, Ollioules (Var).

 L’Art de la joie est publié aux éditions Le Tripode

 

 

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