Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

Lichen de Magali Mougel, mise en scène de Julien Kosellek

 Récit choral d’un drame familial sur fond de rénovation urbaine. Trois actrices s’emparent d’un monologue, issu des rencontres de l’auteure avec des habitants du bassin minier du Pas-de-Calais, lors d’une résidence à la Scène Nationale-Culture Commune à Loos-en-Gohelle.
Dans une maison vouée à la démolition – les bulldozers se déchainent alentour (bande-son de Cédric Colin)- , une petite fille vit des jours et des nuits d’angoisse : sa mère est partie et son père s’entête à rester là où il est né. Piètre résistance face à un pouvoir sans visage, venu d’en haut.
Lichen s’inspire d’une situation vécue. «Un jour, dit Magali Mougel, je me suis retrouvée dans une concertation citoyenne pour la réhabilitation d’un quartier en face du Louvre-Lens. Un homme, seul avec ses enfants, découvrait que sa maison allait être rasée. Je ne lui ai pas parlé mais la crispation sur son visage, l’angoisse dans ses yeux de ne pas savoir de quoi demain serait fait, ne m’ont pas quittée.»

@RomainKosellek

@Romain Kosellek

Cette tragédie du quotidien nous est relatée sans pathos, transmuée par une écriture où l’autrice avec le sens du détail, crée des effets de réel. Le récit, à la deuxième personne du singulier, nous fait entrer de plain-pied dans l’histoire mais avec un peu de distance. Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno, Viktoria Kozlova, émouvantes et drôles, se partagent le rôle chacune à sa manière, soutenues par la musique d’Ayana Fuentes-Uno qu’elle joue sur le plateau. Des chansons entonnées en chœur ménagent, à la façon des «songs» brechtiens, des respirations dans cette matière textuelle à haute densité. Le trio joue aussi, toujours à hauteur d’enfant, le Père, la Mère, l’Institutrice, des hommes du chantier, en les imitant avec quelques gimmicks.

Magali Mougel dit que son texte part d’une interrogation : « Comment lutter quand a priori, il n’y a plus rien ?» Avec Lichen, elle raconte cette lutte et nous transmet la résistance qui unit une petite fille à son père. L’autrice donne voix au combat de tous ces invisibles. En une heure et demi, un oratorio théâtral réussi.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mars,Théâtre de Belleville, passage Piver, Paris (XIème)T. : 01 48 06 72 34 16.

Le texte est édité aux éditions Espaces 34

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Archive pour 14 mars, 2024

Neandertal, texte et mise en scène de David Geselson

Neandertal, texte et mise en scène de David Geselson

Comme, dans Kaddish où, avec beaucoup de finesse, il avait entrepris de raconter la vie son grand-père Yehouda, il a voulu ici mettre en scène la vaste question posée par de nombreux scientifiques sur les origines de l’homme et évoquer  les racines du conflit entre Israël et Palestine. Lisa Navarro lui a créé une scénographie où le texte puisse faire l’aller et retour entre plusieurs espaces de jeu. Devant des rochers en polyester mais revendiqués comme tels, un bureau de chercheur, un laboratoire très fermé où on analyse les génômes et un grand écran avec, en 94, des images d’actualités en Israël, et la projection de séquences de génômes de néandertal et  d’homo sapiens
.L’auteur et metteur en scène est en désaccord avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Nous n’avions pu voir le spectacle quand il a été créé au festival Avignon 2023, donc avant le massacre du Hamas en octobre dernier et ceux à Gaza, ce qui lui donne maintenant une toute autre dimension !

Comme toujours chez David Geselson, il y a ici un parallèle entre son histoire personnelle et la grande histoire, celle de milliards d’êtres humains issus de l’homme néandertalien  et de l’homo sapiens… Il y a environ quarante mille ans : soit le double de l’âge des peintures de Lascaux. Quand ces néandertaliens et ces homo sapiens ont dû un jour se rencontrer et ont « fusionné ». De quoi donner le vertige…
Il y a dans ses spectacles, comme une marque de fabrique:  des allers-retours entre récit  fondé sur une histoire réelle et un documentaire. Ce serait dans la région de Jérusalem que néandertaliens et homo sapiens se seraient rencontrés et auraient mélangé leurs génomes. Là aussi où règne depuis six mois, ce conflit  sanglant entre Israéliens et Palestiniens. Pour dire,  si on a bien compris le message, que, malgré toutes les horreurs actuelles,  les habitants de cette planète sans aucune exception, ont une origine commune.

 L’auteur et metteur en scène s’est inspiré de Néandertal, à la recherche des génomes perdus, où le paléogénéticien suédois Svante Pääbo, prix Nobel de médecine et de physiologie 2022, raconte comment, avec son équipe, il a réussi à obtenir un séquençage complet du génome des néandertaliens. à partir de fossiles en évitant les contaminations par l’ADN moderne. En lisant les lettres A-C-T-G (quatre types de bases nucléiques) constituant les fragments d’ADN que l’on a extraits, il a réussi à mettre bout à bout ces fragments pour reconstituer l’ensemble du génome de Néandertal.  ce que les acteur surtout, au  début expliquent…
Les premiers vivaient depuis des milliers d’années dans l’Ouest du continent eurasiatique et ont cédé la place aux homo sapiens venus d’Afrique. Mais il sont coexisté pendant quelques millénaires, puis l’ADN d’origine néandertalienne s’est introduit dans le génome des homo sapiens. Comment et pourquoi ? On en sait encore trop peu sur l’origine de nos grands-mères et grands-pères, mais on comprend que David Geselson ait pu en être fasciné, au point de vouloir en faire un spectacle…

Cela commence avec une distribution à l’entrée, d’un très petit fragment noir de météorite à chaque spectateur, histoire de relativiser l’espace et le temps. Avec trois directions dramaturgiques : en 1986 à l’université de Berkeley (Californie). Pas nouveau mais cela marche à tous les coups : pendant plusieurs minutes dans le noir intégral, puis, à la lueur d’un briquet, Rosa et Ludo (Laure Mathis et Elios Noël), spécialistes de l’A.D.N., vont filer le grand amour. Mais très loin, à 12.000 kms, a eu lieu un événement qui va pourtant concerner toute la planète : la centrale de Tchernobyl a explosé. 

Ce couple va rencontrer Lüdo, un Suédois qui travaille sur l’origine de l’homme… Et comme, dans le bon vieux théâtre de boulevard (mais sans doute ici au second degré) on retrouve ici le fameux triangle amoureux. Plus tard, apparaît Adèle, une jeune paléo-généticienne en proie à une maladie de la mémoire. Amoureuse de Mila dont le laboratoire à Zagreb possède des os de néandertaliens Enfin, arrive le père de Lüdo qui veut renouer avec son fils qu’il abandonna à sa naissance. Voilà, c’est pour la partie : amours compliqués des humains au XXI ème siècle…
Mais il y aussi une démonstration  de cette recherche de génomes, orale au début, et à la fin, sur grand écran. Pas facile à suivre quand on n’est pas scientifique. L’homme le plus ancien aurait quelque sept millions d’années. Et dans notre douce France,  la première trace d’occupation humaine en France remonte à de plus de 1,1 million d’années. Le premier homme connu est le très fameux crâne de l »homme de Tautavel, » 570.000 ans ! Le séquençage de l’ADN nucléaire néandertalien réalisé depuis 2006, a montré un « flux de gènes » ancien entre les hommes de Néandertal et ceux « modernes » d’Eurasie. Les humains actuels non africains possèdent entre 1,8 et 2,6 % de gènes néandertaliens, acquis par hybridation il y a environ 50. 000 ans, peu après leur sortie d’Afrique et environ 20 % du génome néandertaliien survit dans la population actuelle à différents endroits de notre génome.
Donc, pas de quoi faire les malins, semble aussi nous dire David Geselson qui se réfère aussi à l’époque contemporaine avec ces images impressionnantes de journaux télévisés de manifs à Tel-Aviv, avant et après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, premier ministre de 74 à 77 puis de 92 à 95 quand il fut assassiné. Ce qui a freiné le  processus de paix israélo-palestinien. Et hélas, on connait la suite. Et comme disait Alexis de Tocqueville, equand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. »

Et cela fonctionne? Pas totalement : David Geselson a quelques difficultés à imposer un tricotage de ces trois éléments. Malgré une scénographie d’une rare qualité signée Lisa Navarro, avec un labo scientifique très précisément construit pas plus que les rochers qualifiés dans une réplique de « décor » (le théâtre dans le théâtre) et qui ne servent à rien, ou ces os de néandertaliens. Tout cela ne fait pourtant guère illusion et sonne un peu faux. Mais, à l’impossible, nul n’est tenu et c’est cette relation fiction/réalité que David Geselson a du mal à imposer sur le plateau.
Il a su heureusement s’entourer de ses interprètes complices habituels, tous remarquables et eux crédibles… avec lequel il joue : Laure Mathis ,Elios Noël. Mais aussi Adeline Guillot, Marian Keltchewsky, Jan Hammenecker. Tous arrivent sans difficulté à imposer leur personnage, même si ce spectacle (deux heures-vingt sans entracte) aurait mérité quelques coupes. Mais il a séduit les jeunes de Saint-Denis, sans doute fascinés par cette remontée dans le temps qui donne le vertige, et par une autre façon de concevoir le théâtre…
David Geselson a réussi en dix ans, à imposer son image de marque dans le théâtre actuel mais devrait sans doute penser à changer de logiciel et à rompre avec cette alternance le thème vie personnelle/vie collective qui devient un peu systématique chez lui. «Pour changer le monde, il nous faudra sans doute en faire un peu plus.» C’est justement signé David Geselson…

Philippe du Vignal


Spectacle vu au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Du 15 au 17 mars, Théâtre de Sénart  et le 21 mars, Le Gallia, Saintes (Charente-Maritime).

Le 4 avril, Théâtre de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne);  du 10 au 12 avril, Comédie de Reims (Haute-Marne).

Du 22 au 26 mai, Comédie de Genève (Suisse), et le 30 mai, Théâtre de Lorient (Morbihan).

 

Le voyage dans l’Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey

Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey

Un spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg, l’an passé. Sur un écran, l’image d’une femme dans un train. Elle regarde par la fenêtre, nulle part, hors du temps mais vers l’Est, vers Strasbourg. Puis elle (Cécile Brune) entre en scène. Deux temporalités cohabitent : celle du voyage, et celle du récit. On suivra tout au long du spectacle la vie de cette femme, dans un présent chargé d’un passé qui, décidément… ne passe pas.

Christine et sa mère habitent Châteauroux. Elle a treize ans. Un jour, elles partent vers l’Est. A  Gérardmer, Christine va découvrir son père… Enfin, se dit-elle, il va me reconnaître, il va m’aimer! Mais elle sent très vite qu’il se passe quelque chose de trouble, d’anormal : il embrasse sur la bouche sa fille à peine rencontrée à qui le mot: inceste  vient à l’esprit. Elle voudrait bien avoir avec lui des relations “normales »,  de père à fille… Mais lui, arrogant et dominant, (Pierre-François Garel) ne compte pas un instant censurer ses désirs. Il a pris possession de sa fille  et la rend responsable de la situation : «C’est toi qui le voulais.» De mois en mois, d’année en année, il domine l’adolescente puis l’adulte.

Stanislas Nordey a eu une belle et juste idée de mise en scène : l ‘acteur qui joue le prédateur ne change pas mais sa proie évolue au fil des années, toujours enchaînée à l’inceste. La jeune Carla Audebaud, excellente, joue adolescente puis Charline Grand et enfin Cécile Brune, prennent le relais. La vie change, avance mais le traumatisme reste toujours là. En parler ? À sa mère (Julie Moreau), à ses premiers amoureux ? Impossible, difficile mais finalement, ce sera fait. Du premier viol, l’adolescente ne dira à sa mère que : « Il m’a dit que je n’étais pas chez moi , chez lui. » Autrement dit : tu n’es pas ma fille et ce rejet, cette négation d’elle-même au cœur de l’inceste, et de la place dans la famille n sont le nœud de cette souffrance. Suffit-il de libérer la parole ?
Les témoignages récents mettent en lumière une évidence : il faut bien que l’écoute se libère, comme l’action. La réplique du premier séisme est terrible : le silence de Claude (Claude Duparfait), l’ex-mari de celle qui a entendu mais n’a pas vu et qui n’ose pas témoigner. Un abandon insupportable…

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

L’écriture de Christine Angot est d’une rigueur exemplaire et elle tisse étroitement récit et analyse. Récit des sensations, analyse d’une défaite qui n’est jamais un consentement. Et terrifiante observation, aujourd’hui, de la réaction des auditeurs et spectateurs….
Elle le raconte en épilogue : parmi les questions posée à l’autrice, à un « bord de plateau », lesquelles ne basculent pas vers la complicité inconsciente avec le prédateur, ou tout au moins, l’indifférence ? Vous avez su, vous avez entendu mais cela ne constitue pas une preuve, donc vous vous taisez.
Porter plainte ? La loi a changé depuis mais, au moment des faits, l’inceste n’est pas qualifié comme crime,et relève de la seule Correctionnelle, même avec la circonstance aggravante de viol par ascendant. La narratrice, jeune adulte, est reçue par un policier bienveillant, ce qui est rare à l’époque mais il l’informe que, faute de preuves matérielles, ce sera parole contre parole et étant donné le statut du prédateur, haut fonctionnaire au Conseil de l’Europe, elle risque, s’il y a procès, un non-lieu. Un tTerme juridique mais insupportable : cela a eu lieu, définitivement et elle ne portera pas plainte.

Un spectacle long, mais cette longueur est indispensable: les dégâts causés par l’inceste sont sans fin… On l’entend bien dans ce qui constitue un épilogue: rien n’est fini, la victime, qui ne veut pas être réduite au statut de victime, n’est pas écoutée. On ne la croit pas réellement, on l’écarte : c’est du passé. Elle lasse : «On en a assez parlé ». Eh ! Bien, non, on n’en avait pas encore parlé avec une telle clarté.
Ce n’est pas vraiment du théâtre ? Le metteur en scène lui-même le dit mais autre chose : une parole circulant entre actrices et acteurs qui donnent des points de repère. Même si le texte est celui d’un roman, il importe qu’on l’entende avec ce que le mot: parole comporte de vérité et d’engagement. Mais aussi de liberté, avec même des moments de rire, comme devant l’aimable cynisme et la forfanterie tranquille du père. Les images à l’écran jouent comme une basse continue, donnant l’épaisseur du temps: décidément l’inceste, cette « catastrophe familiale, psychique, anthropologique» ne passe pas.
Le spectacle le dit, avec le regard clinique et la lucidité dont fait preuve l’autrice, avec la rigueur du metteur en scène. Et dans cette rigueur, nous éprouvons une sorte de plaisir comme une pensée qui nettoierait le monde ou au moins la scène, du mensonge, du flou et de la mauvaise foi.

Christine Friedel

Jusqu’au 15 mars, Théâtre de Nanterre-Amandiers, 1 avenue Pablo Picasso. T. : 01 46 14 70 00.

 A écouter sur you tube  (la Règle du jeu) : Aimer : Christine Angot  et Léonore Chasragner, dialogue entre deux artistes, mère et fille.

 

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