Neandertal, texte et mise en scène de David Geselson
Comme, dans Kaddish où, avec beaucoup de finesse, il avait entrepris de raconter la vie son grand-père Yehouda, il a voulu ici mettre en scène la vaste question posée par de nombreux scientifiques sur les origines de l’homme et évoquer les racines du conflit entre Israël et Palestine. Lisa Navarro lui a créé une scénographie où le texte puisse faire l’aller et retour entre plusieurs espaces de jeu. Devant des rochers en polyester mais revendiqués comme tels, un bureau de chercheur, un laboratoire très fermé où on analyse les génômes et un grand écran avec, en 94, des images d’actualités en Israël, et la projection de séquences de génômes de néandertal et d’homo sapiens
.L’auteur et metteur en scène est en désaccord avec le gouvernement de Benjamin Netanyahou. Nous n’avions pu voir le spectacle quand il a été créé au festival Avignon 2023, donc avant le massacre du Hamas en octobre dernier et ceux à Gaza, ce qui lui donne maintenant une toute autre dimension !
Comme toujours chez David Geselson, il y a ici un parallèle entre son histoire personnelle et la grande histoire, celle de milliards d’êtres humains issus de l’homme néandertalien et de l’homo sapiens… Il y a environ quarante mille ans : soit le double de l’âge des peintures de Lascaux. Quand ces néandertaliens et ces homo sapiens ont dû un jour se rencontrer et ont « fusionné ». De quoi donner le vertige…
Il y a dans ses spectacles, comme une marque de fabrique: des allers-retours entre récit fondé sur une histoire réelle et un documentaire. Ce serait dans la région de Jérusalem que néandertaliens et homo sapiens se seraient rencontrés et auraient mélangé leurs génomes. Là aussi où règne depuis six mois, ce conflit sanglant entre Israéliens et Palestiniens. Pour dire, si on a bien compris le message, que, malgré toutes les horreurs actuelles, les habitants de cette planète sans aucune exception, ont une origine commune.
L’auteur et metteur en scène s’est inspiré de Néandertal, à la recherche des génomes perdus, où le paléogénéticien suédois Svante Pääbo, prix Nobel de médecine et de physiologie 2022, raconte comment, avec son équipe, il a réussi à obtenir un séquençage complet du génome des néandertaliens. à partir de fossiles en évitant les contaminations par l’ADN moderne. En lisant les lettres A-C-T-G (quatre types de bases nucléiques) constituant les fragments d’ADN que l’on a extraits, il a réussi à mettre bout à bout ces fragments pour reconstituer l’ensemble du génome de Néandertal. ce que les acteur surtout, au début expliquent…
Les premiers vivaient depuis des milliers d’années dans l’Ouest du continent eurasiatique et ont cédé la place aux homo sapiens venus d’Afrique. Mais il sont coexisté pendant quelques millénaires, puis l’ADN d’origine néandertalienne s’est introduit dans le génome des homo sapiens. Comment et pourquoi ? On en sait encore trop peu sur l’origine de nos grands-mères et grands-pères, mais on comprend que David Geselson ait pu en être fasciné, au point de vouloir en faire un spectacle…
Cela commence avec une distribution à l’entrée, d’un très petit fragment noir de météorite à chaque spectateur, histoire de relativiser l’espace et le temps. Avec trois directions dramaturgiques : en 1986 à l’université de Berkeley (Californie). Pas nouveau mais cela marche à tous les coups : pendant plusieurs minutes dans le noir intégral, puis, à la lueur d’un briquet, Rosa et Ludo (Laure Mathis et Elios Noël), spécialistes de l’A.D.N., vont filer le grand amour. Mais très loin, à 12.000 kms, a eu lieu un événement qui va pourtant concerner toute la planète : la centrale de Tchernobyl a explosé.
Ce couple va rencontrer Lüdo, un Suédois qui travaille sur l’origine de l’homme… Et comme, dans le bon vieux théâtre de boulevard (mais sans doute ici au second degré) on retrouve ici le fameux triangle amoureux. Plus tard, apparaît Adèle, une jeune paléo-généticienne en proie à une maladie de la mémoire. Amoureuse de Mila dont le laboratoire à Zagreb possède des os de néandertaliens Enfin, arrive le père de Lüdo qui veut renouer avec son fils qu’il abandonna à sa naissance. Voilà, c’est pour la partie : amours compliqués des humains au XXI ème siècle…
Mais il y aussi une démonstration de cette recherche de génomes, orale au début, et à la fin, sur grand écran. Pas facile à suivre quand on n’est pas scientifique. L’homme le plus ancien aurait quelque sept millions d’années. Et dans notre douce France, la première trace d’occupation humaine en France remonte à de plus de 1,1 million d’années. Le premier homme connu est le très fameux crâne de l »homme de Tautavel, » 570.000 ans ! Le séquençage de l’ADN nucléaire néandertalien réalisé depuis 2006, a montré un « flux de gènes » ancien entre les hommes de Néandertal et ceux « modernes » d’Eurasie. Les humains actuels non africains possèdent entre 1,8 et 2,6 % de gènes néandertaliens, acquis par hybridation il y a environ 50. 000 ans, peu après leur sortie d’Afrique et environ 20 % du génome néandertaliien survit dans la population actuelle à différents endroits de notre génome.
Donc, pas de quoi faire les malins, semble aussi nous dire David Geselson qui se réfère aussi à l’époque contemporaine avec ces images impressionnantes de journaux télévisés de manifs à Tel-Aviv, avant et après l’assassinat d’Yitzhak Rabin, premier ministre de 74 à 77 puis de 92 à 95 quand il fut assassiné. Ce qui a freiné le processus de paix israélo-palestinien. Et hélas, on connait la suite. Et comme disait Alexis de Tocqueville, equand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres. »
Et cela fonctionne? Pas totalement : David Geselson a quelques difficultés à imposer un tricotage de ces trois éléments. Malgré une scénographie d’une rare qualité signée Lisa Navarro, avec un labo scientifique très précisément construit pas plus que les rochers qualifiés dans une réplique de « décor » (le théâtre dans le théâtre) et qui ne servent à rien, ou ces os de néandertaliens. Tout cela ne fait pourtant guère illusion et sonne un peu faux. Mais, à l’impossible, nul n’est tenu et c’est cette relation fiction/réalité que David Geselson a du mal à imposer sur le plateau.
Il a su heureusement s’entourer de ses interprètes complices habituels, tous remarquables et eux crédibles… avec lequel il joue : Laure Mathis ,Elios Noël. Mais aussi Adeline Guillot, Marian Keltchewsky, Jan Hammenecker. Tous arrivent sans difficulté à imposer leur personnage, même si ce spectacle (deux heures-vingt sans entracte) aurait mérité quelques coupes. Mais il a séduit les jeunes de Saint-Denis, sans doute fascinés par cette remontée dans le temps qui donne le vertige, et par une autre façon de concevoir le théâtre…
David Geselson a réussi en dix ans, à imposer son image de marque dans le théâtre actuel mais devrait sans doute penser à changer de logiciel et à rompre avec cette alternance le thème vie personnelle/vie collective qui devient un peu systématique chez lui. «Pour changer le monde, il nous faudra sans doute en faire un peu plus.» C’est justement signé David Geselson…
Philippe du Vignal
Spectacle vu au Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
Du 15 au 17 mars, Théâtre de Sénart et le 21 mars, Le Gallia, Saintes (Charente-Maritime).
Le 4 avril, Théâtre de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne); du 10 au 12 avril, Comédie de Reims (Haute-Marne).
Du 22 au 26 mai, Comédie de Genève (Suisse), et le 30 mai, Théâtre de Lorient (Morbihan).