Le voyage dans l’Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey

Le Voyage dans l’Est de Christine Angot, mise en scène de Stanislas Nordey

Un spectacle créé au Théâtre National de Strasbourg, l’an passé. Sur un écran, l’image d’une femme dans un train. Elle regarde par la fenêtre, nulle part, hors du temps mais vers l’Est, vers Strasbourg. Puis elle (Cécile Brune) entre en scène. Deux temporalités cohabitent : celle du voyage, et celle du récit. On suivra tout au long du spectacle la vie de cette femme, dans un présent chargé d’un passé qui, décidément… ne passe pas.

Christine et sa mère habitent Châteauroux. Elle a treize ans. Un jour, elles partent vers l’Est. A  Gérardmer, Christine va découvrir son père… Enfin, se dit-elle, il va me reconnaître, il va m’aimer! Mais elle sent très vite qu’il se passe quelque chose de trouble, d’anormal : il embrasse sur la bouche sa fille à peine rencontrée à qui le mot: inceste  vient à l’esprit. Elle voudrait bien avoir avec lui des relations “normales »,  de père à fille… Mais lui, arrogant et dominant, (Pierre-François Garel) ne compte pas un instant censurer ses désirs. Il a pris possession de sa fille  et la rend responsable de la situation : «C’est toi qui le voulais.» De mois en mois, d’année en année, il domine l’adolescente puis l’adulte.

Stanislas Nordey a eu une belle et juste idée de mise en scène : l ‘acteur qui joue le prédateur ne change pas mais sa proie évolue au fil des années, toujours enchaînée à l’inceste. La jeune Carla Audebaud, excellente, joue adolescente puis Charline Grand et enfin Cécile Brune, prennent le relais. La vie change, avance mais le traumatisme reste toujours là. En parler ? À sa mère (Julie Moreau), à ses premiers amoureux ? Impossible, difficile mais finalement, ce sera fait. Du premier viol, l’adolescente ne dira à sa mère que : « Il m’a dit que je n’étais pas chez moi , chez lui. » Autrement dit : tu n’es pas ma fille et ce rejet, cette négation d’elle-même au cœur de l’inceste, et de la place dans la famille n sont le nœud de cette souffrance. Suffit-il de libérer la parole ?
Les témoignages récents mettent en lumière une évidence : il faut bien que l’écoute se libère, comme l’action. La réplique du premier séisme est terrible : le silence de Claude (Claude Duparfait), l’ex-mari de celle qui a entendu mais n’a pas vu et qui n’ose pas témoigner. Un abandon insupportable…

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

L’écriture de Christine Angot est d’une rigueur exemplaire et elle tisse étroitement récit et analyse. Récit des sensations, analyse d’une défaite qui n’est jamais un consentement. Et terrifiante observation, aujourd’hui, de la réaction des auditeurs et spectateurs….
Elle le raconte en épilogue : parmi les questions posée à l’autrice, à un « bord de plateau », lesquelles ne basculent pas vers la complicité inconsciente avec le prédateur, ou tout au moins, l’indifférence ? Vous avez su, vous avez entendu mais cela ne constitue pas une preuve, donc vous vous taisez.
Porter plainte ? La loi a changé depuis mais, au moment des faits, l’inceste n’est pas qualifié comme crime,et relève de la seule Correctionnelle, même avec la circonstance aggravante de viol par ascendant. La narratrice, jeune adulte, est reçue par un policier bienveillant, ce qui est rare à l’époque mais il l’informe que, faute de preuves matérielles, ce sera parole contre parole et étant donné le statut du prédateur, haut fonctionnaire au Conseil de l’Europe, elle risque, s’il y a procès, un non-lieu. Un tTerme juridique mais insupportable : cela a eu lieu, définitivement et elle ne portera pas plainte.

Un spectacle long, mais cette longueur est indispensable: les dégâts causés par l’inceste sont sans fin… On l’entend bien dans ce qui constitue un épilogue: rien n’est fini, la victime, qui ne veut pas être réduite au statut de victime, n’est pas écoutée. On ne la croit pas réellement, on l’écarte : c’est du passé. Elle lasse : «On en a assez parlé ». Eh ! Bien, non, on n’en avait pas encore parlé avec une telle clarté.
Ce n’est pas vraiment du théâtre ? Le metteur en scène lui-même le dit mais autre chose : une parole circulant entre actrices et acteurs qui donnent des points de repère. Même si le texte est celui d’un roman, il importe qu’on l’entende avec ce que le mot: parole comporte de vérité et d’engagement. Mais aussi de liberté, avec même des moments de rire, comme devant l’aimable cynisme et la forfanterie tranquille du père. Les images à l’écran jouent comme une basse continue, donnant l’épaisseur du temps: décidément l’inceste, cette « catastrophe familiale, psychique, anthropologique» ne passe pas.
Le spectacle le dit, avec le regard clinique et la lucidité dont fait preuve l’autrice, avec la rigueur du metteur en scène. Et dans cette rigueur, nous éprouvons une sorte de plaisir comme une pensée qui nettoierait le monde ou au moins la scène, du mensonge, du flou et de la mauvaise foi.

Christine Friedel

Jusqu’au 15 mars, Théâtre de Nanterre-Amandiers, 1 avenue Pablo Picasso. T. : 01 46 14 70 00.

 A écouter sur you tube  (la Règle du jeu) : Aimer : Christine Angot  et Léonore Chasragner, dialogue entre deux artistes, mère et fille.

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...