Nora, Nora, Nora ! de l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre, d’après d’Henrik Ibsen, texte et mise en scène d’Elsa Granat
Nora, Nora, Nora! de l’influence des épouses sur les chefs-d’œuvre, d’après Henrik Ibsen, texte et mise en scène d’Elsa Granat
L’an passé, Aurore Fattier mit en scène Hedda et Sylvain Maurice vient de créer Petit Eyolf dont nous vous parlerons. En ce moment le grand dramaturge norvégien a la cote. En 1879, lucide et précurseur, très en avance sur son temps, dans Une Maison de poupée, il fait un diagnostic sans appel du mariage, en particulier sur le rôle et la place que tiennent les femmes dans une société fermée, soumises à leur mari… Un patriarcat qui ne dit pas vraiment son nom….
Aujourd’hui, Mi-Tout ne dirait pas mieux: «Une femme ne peut pas être elle-même dans la société contemporaine, c’est une société d’hommes, avec des lois écrites par les hommes, dont les conseillers et les juges évaluent le comportement féminin à partir d’un point de vue masculin. »
Maison de poupée, créée en France il y a déjà cent trente ans.. et qu’avait si finement monté Thomas Ostermeier (voir Le Théâtre du Blog), est une pièce devenue culte dans le théâtre contemporain. Et elle a fait l’objet de nombreuses mises scène dont celles en 2009 de Stéphane Braunschweig avec Chloé Réjon, et, l’année suivante par Jean-Louis Martinelli avec Marina Foïs. Jamais par une metteuse en scène. Après 68, le personnage de Nora est revendiqué par les féministes et Elfriede Jelinek écrit en 77, Ce qui arriva après que Nora eut quitté son mari ou les soutiens des sociétés, avec une relecture critique d’Henrik Ibsen.
Ici aussi le texte a été revu et corrigé de façon aussi virulente, que féministe par Elsa Granat. Dans la pièce d’Henrik Ibsen, Nora, la jolie et gentille épouse, va découvrir qu’elle a été prise au piège des trois K symboliques de la morale allemande: Enfants, Cuisine, Eglise qui devaient sévir aussi dans les pays nordiques. Elle finira par quitter son mari et ses trois enfants.
Nora et Torvald Helmer, un directeur de banque, sont mariés depuis huit ans et ils ont trois enfants. Apparemment, tout va bien et leur vie est un long fleuve tranquille… comme dit faussement la Bible. Nora, toujours gaie, attentionnée envers les siens, gère au mieux sa maison et est appréciée de tous, et par leur médecin et grand ami Rank, amoureux en secret d’elle et qui va mourir. Mais le ver est déjà dans le fruit: Thorvald l’appelle son «alouette » ou son « petit écureuil». Vous avez dit besoin de domination? Même pas. Helmer n’est pas méchant mais croit naïvement qu’il a avec elle un rapport normal pour son époque entre mari et femme…
Mais Rank dit à Nora que Thorvald est gravement malade et que le seul moyen de le guérir est de l’emmener se reposer en Italie.. Oui, mais Nora n’en a pas les moyens et fait un faux en écriture pour obtenir cet argent. Inconsciente de la gravité de cet acte illégal…Un certain Krogstad, ancien amoureux de Christine, une amie de Nora, est un employé d’Helmer Thorvald qui veut le licencier. Il a prêté l’argent nécessaire à Nora et la fait chanter : il menace de tout révéler si elle n’intervient pas auprès de son mari pour qu’il garde son poste. Nora est prête à tout pour qu’Helmer ne sache pas ce qu’elle a fait… Trop tard! Krogstad dans une lettre, expliquera la situation à Helmer Thorvald. Le banquier, très en colère contre Nora-pour lui la Loi est la Loi- n’admet pas qu’elle ait pu faire cela, même par amour pour lui.
Krogstad renonce à porter plainte réécrit et Helmer Thorvald pardonnera à sa femme. Donc tout devrait rentrer dans l’ordre mais ce prêt dissimulé aura été, une sorte de révélateur pour son mari et Nora. Elle réalise qu’elle a eu la première conversation sérieuse avec lui et enfonce le clou : son père, dit-elle, la traitait lui aussi comme une poupée…Nora quittera donc mari et enfants pour n’être plus jamais une sorte de poupée et mieux assumer sa vie. Un possible retour à la maison? La pièce finit sur une note positive : la jeune femme impose une condition «que leur vie en commun puisse devenir un vrai mariage». Mais croit-elle vraiment que cela soit possible? Lou Andreas-Salomé l’avait bien vu: «Nous quittons ainsi Nora au moment de son entrée dans l’inconnu et le lointain de la vie (…) Rien encore ne lui dit, si elle trouvera le chemin à travers cette obscurité, si elle atteindra son but. »
Dans la scénographie très réussie de Suzanne Barbaud, cela commence un peu facilement mais c’est assez drôle. Sur une grande bâche de protection pour pour gros travaux arrive une cuvette de wc revue: socle de statue… Où le grand auteur au beau collier de barbe, va debout être statufié à coups de peinture blanche par des femmes en combinaison tout aussi blanche, que la neige très épaisse de son pays (il préféra vivre à Rome la plus grande partie de sa vie mais c’est est une autre histoire…)
Traduction probable: rappelons avant de commencer, que le patriarcat est bien mort et que nous allons vous faire aussi revivre une Nora vivant en 2024. Les enfants de Nora, maintenant adultes, viennent dans sa maison de retraite, demander des comptes à la vieille dame. Une question, jamais résolue, les taraude. Pourquoi leur mère est-elle partie de la maison; en les laissant à leur père. Qu’a-t-elle fait de sa vie ? Mais Nora ne répondra pas…
Ici les trois jeunes frères et sœur d’aujourd’hui évoquent le quotidien et la véritable identité de cette Nora d’il y déjà plus d’un siècle. Elsa Granat écrit bien et garde toujours une distance par rapport au texte original. Et elle sait casser sans arrêt la dramaturgie d’origine et l’illusion théâtrale. Tout en gardant une richesse et une vérité permanente. Et chose étonnante, tous les personnages comme ces trois Nora sont toujours crédibles, même dans une intrigue aussi finement… malmenée.
A un rythme qui ne faiblit jamais, malgré un déménagement de meubles trop fréquent… Mais quelle intelligence, quelle dramaturgie efficace, quelle précision dans la mise en scène! On oubliera ces foutus et si laids micros H.F. qui affublent certains des interprètes et dont ne voit pas l’utilité dans cette petite salle. Mais on retrouve ici ce qui faisait tout la force et le charme du King Lear Syndrome d’Elsa Granat (voir Le Théâtre du Blog)..
Un spectacle à voir absolument et il faut espérer qu’il soit repris, malgré une distribution un peu lourde. Elsa Granat, ses jeunes interprètes et Gisèle Antheaume et Victoria Chabran formidables, le méritent. En plus, à la Cartoucherie, il y a le chant de ses oiseaux, donc allez voir cet ovni, plus que bienvenu par les temps qui courent… Loin des misérables mais très chères créations comme ce spectacle pourtant joué par une vedette mais qui fait fuir le public…
Philippe du Viganl
Jusqu’au 31 mars au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro : Château de Vincennes+ navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.