Guerre de Lars Norén, traduction de Katrin Ahlgren et René Zahnd, mise en scène de Christian Benedetti

Guerre de Lars Norén, traduction de Katrin Ahlgren et René Zahnd, mise en scène de Christian Benedetti

Cette pièce du grand poète, metteur en scène et dramaturge suédois (1944-2021), dont les œuvres sont maintenant bien connue en France (voir Le Théâtre du Blog) a été créée en 2003, l’année où les États-Unis envahissaient l’Irak… Même s’il ne les nomme pas, il a dû surtout penser aux conflits dans l’ancienne Yougoslavie de 1991 à 2001. Dans la remarquable mise en scène de Christian Benedetti, elle est reprise ici, en partenariat avec l’Institut suédois et l’Arche Editeur. «Le silence, le silence après le cri, dit le metteur en scène. Comment parler dans ce silence? Dans un présent impossible… L’incapacité de chacun à s’exprimer. La violence comme seul refuge pour survivre. La tragédie, c’est la reconnaissance de la responsabilité d’être humain. Donc de notre responsabilité du monde. »

Sur le petit plateau de cet ancien entrepôt de vins à la belle charpente en bois, sur le sol, une sorte de poussière blanc-gris, dans le fond, quelques stèles blanches de tombes, une table de camping, quelques chaises en stratifié des années cinquante. Et, à cour, des vieux vêtements accrochés au mur du fond et tout près du public, deux matelas minces côte à côte avec de mauvaises couvertures et, au milieu de la scène, un cadre de porte en fer rouillé pour indiquer l’entrée de la maison.

© A.Mesnil

© A.Mesnil

Ici, c’est la guerre, sans doute dans un pays occupé, les trafics  et la misère. Y vivent ou plutôt survivent, dans un grand dénuement, une mère (Stéphane Caillard ) et ses deux filles.  L‘une, Fleur (Fitoussi) a treize ans, et l’autre, un peu plus âgée (Pia Lagrange), cynique et sans illusions, n’hésite pas à se prostituer pour gagner de quoi faire vivre sa famille. La mère ne veut rien voir.

N
on-dits en rafale, douleurs intérieures, désirs mais aussi rancœurs bien cachées, avec des paroles au compte-goutte mais surtout avec des silences et regards qui en disent encore plus, dans cette société patriarcale. La mère, présumée veuve, n’a aucune nouvelle de son mari, prisonnier de guerre…

Mais, après deux ans d’absence, surprise! Il revient, habillé d’une vieille capote militaire, aussi usée que lui (Marc Lamigeon). Aveugle après qu’un officier ennemi sadique a fait approcher la flamme d’un briquet contre ses yeux. Il est là, dans l’encadrement de la porte mais sa femme l’accueille froidement: elle vit avec son frère! Quant à ses filles elles sont devenues des femmes et il ne retrouve pas grand-chose du monde qu’il a quitté. La vie a continué ici même dans un grand dénuement (elles ont fini par manger leur chien!) mais sans lui et il est devenu un étranger: et cela lui fait très mal.
Silence total devant cette ombre qui ne les voit pas: donc incompréhension totale. Il essayera de violer sa femme et sa plus jeune fille.
Son frère, Ivan (Jean-Philippe Ricci),lui,  s’est planqué pour ne pas aller au front et vit donc plus ou moins avec sa femme et est proche de ses nièces. Ils sont là, très proches de nous autour d’une pauvre repas…

©x

©x La mère, La plus âgée des filles, l’adolescente, le Père et son frère

Ce père, même aveugle, a une véritable intuition et sent bien qu’y a quelque chose d’étrange… Il finira par comprendre que sa femme vit avec son frère et se bagarrera férocement avec lui. Les proches qu’il a connus et sans doute aimés, sont donc bien loin et l’irréparable de la guerre avec ses traumatismes sur la population civile, comme une violence sourde dans les silences ici singulièrement efficaces. La famille du père est bien là avec lui y compris le frère qui reste muet mais les trois femmes ont le plus grand mal à parler avec lui.

Chaque moment est clôturé par une faible lumière qui offre une courte respiration. Belle idée de mise en scène mais un peu systématique avec, à chaque fois, un silence avant. Sinon, c’est un vrai bonheur de théâtre, les acteurs sans exception,  sont tous crédibles et Christian Benedetti met en scène la pièce avec une rare efficacité. Impossible d’être indifférent : cela fait peur par les temps qui courent…
La guerre a déjà eu lieu dans notre douce France et il nous souvient de cette histoire dans la banlieue parisienne, que commentait notre famille…Un prisonnier n’était jamais rentré d’Allemagne après la guerre. Disparu, mais pas officiellement mort: cela ne suffisait donc pas pour que sa femme, seule avec une enfant, soit déclarée veuve de guerre et ait droit une pension. Quelques années plus tard, un habitant de la petite ville croisait dans une rue, outre-Rhin, un copain: l’ex-prisonnier… La guerre laisse des traces bien des générations plus tard, et Lars Norén, né en 44, en savait quelque chose.
Il faudrait que ce bon spectacle (sans micros H.F. ni fumigènes ni fond sonore électronique…) soit aussi joué dans Paris même. Le théâtre contemporain a parfois de ces mystères! Enfin, une tournée est prévue et, si jamais Guerre passe près de chez vous, n’hésitez pas.
« L’espoir et la lumière ne sont pas sur la scène mais chez le spectateur. L’important, disait son auteur, c’est que le spectateur soit touché, c’est lui qui pourra amener cette lumière. Le théâtre ne peut peut-être pas changer les gens immédiatement, mais il peut semer une graine qui, ensuite, grandira. (…) Le public et les acteurs doivent respirer ensemble, écouter ensemble, dire les choses en même temps. Je préfère un théâtre où le public se penche en avant pour écouter à celui qui se penche en arrière parce que c’est trop fort. » C’est vraiment le cas ici.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été repris du 26 février au 16 mars, au Studio d’Alfortville, 16 rue Marcelin Berthelot, Alfortville (Val-de-Marne).


Archive pour 19 mars, 2024

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Dorothée Zumstein, mis en scène de Christiane Jatahy ( en français, avec passages en portugais surtitré)

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Dorothée Zumstein, mise en scène de Christiane Jatahy ( en français, avec passages en portugais surtitré)

 Résumons cette célèbre pièce pour la commodité du lecteur, et du spectateur: Horatio, ami du jeune prince, l’avertit que le spectre de son père, le roi Hamlet, vient chaque soir hanter le rempart. Révélation : sa mort n’a rien d’accidentel et il a été assassiné par Claudius, son frère, qui a aussitôt épousé la reine Gertrude, la toute récente veuve. Hamlet séduit Ophélie, sans donner vraiment suite, tue par erreur Polonius, le père d’Ophélie qu’il prend pour Claudius. Et, à des comédiens de passage, il va faire jouer une scène pour faire éclater la vérité sur le meurtre de son père,. Il surveille la moralité de sa mère et dialogue avec le crâne de l’ancien bouffon. La tragédie finit dans un croisement d’épées et poisons: tous les protagonistes seront éliminés.

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Le jeune Hamlet, vengeur de son père, est ici une jeune femme (Clotilde Hesme). Il n’est plus un adolescent joué par une actrice, comme autrefois Sarah Bernhardt, puis récemment Anne Alvaro, et quelques autres grandes actrice. Mais ici, Hamlet est cette jeune femme elle-même. Cela déconstruit évidemment ses relations avec une mère dont on nous suggère qu’elle est plus complice, plus proche d’Ophélie qui prend sa part du masculin quand elle est aussi le porte-parole de son frère Laërte.
Ce n’est pas clair? Essayons quand même de suivre l’affaire. Christiane Jatahy a inventé une unité de lieu et de temps : pas seulement celle de la représentation, mais celle de la rêverie de cette jeune femme, nommée Hamlet.

Tout se passe dans le salon où se sont succédé le banquet après l’enterrement du roi Hamlet, et celui du remariage de la Reine avec son beau-frère Claudius. À peine le temps que les viandes refroidissent… Le plateau est un immense loft où vit la famille d’Hamlet et la demeure de tous les fantômes, avec quelques vivants quand même : merci à Rozencrantz et Guildenstern (David Houri et Tom Adjibi). Cela donne un spectacle, avec arbres frissonnants au lointain projetés sur une gigantesque baie vitrée et des invités, en vidéo sur tulle qui papotent, verre à la main, avec les acteurs en chair et en os. Il y a aussi bien sûr l’apparition du fameux et immense spectre (Loïc Corbery)-si facilement ridicule quand il est réduit aux moyens traditionnels de l’artisanat théâtral, à l’exception mémorable du magnifique cavalier silencieux chez Patrice Chéreau (1988)

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

La réalisatrice a voulu faire entrer la pièce dans notre siècle, et notre siècle, dans la pièce. D’abord par la technologie et le spectaculaire : cela procure un plaisir visuel, même si l’esthétique est bien pompière ! Saluons le travail du directeur de la photo Thomas Walgrave et du cadreur Paulo Calacho, le système vidéo de Julio Parente et le savoir-faire de Victor Araujo et Pedro Vituri. responsables de la musique et du son,
Mais quant au sens de cette mis en scène d’Hamlet, malgré l’apport de cette nouvelle traduction, les conseils dramaturgiques de Marcia Lipiani et Christophe Triau, nous sommes restée perplexe… La féminisation d’Hamlet entraînerait-elle l’effacement de Laërte, le frère d’Ophélie? Et du belliqueux Fortimbras, le voisin va-t-en-guerre, finalement élu roi réconciliateur du Danemark ?
Ce choix doit-il modifier la portée politique d’Hamlet, au point qu’on n’en distingue plus rien ? On n’est pas fâché quand arrive le massacre final… Hamlet tue Laërte qui le tue à son tour avec son épée empoisonnée, la Reine boit le poison qu’avait préparé son fils et Claudius meurt évidemment là, pris au piège qu’il a tendu.
Pas fâché, non plus que cette fin soit expédiée sous forme d’un récit vite dit à l’avant-scène, par Hamlet elle-même. Mais cela dit, quid de la puissance politique au féminin ? « Le reste est silence ».

Ce pari du féminin est visible sur des détails et points précis : entre autres, le rôle de Gertrude, « décrochée » de son Claudius et rendue très vivante pour un fantôme (Servane Ducorps). Nous sommes bien contents qu’Ophélie (Isabel Abreau) ne soit plus morte folle sur l’eau d’un ruisseau parmi les fleurs, comme dans le tableau de John Everett Millais (1852). « En tant que femme, dit Christiane Jatahy, Hamlet refuse d’alimenter les rouages de la machine violente qui a tué son père, refuse de répondre avec les mêmes armes. »
Mais nous aurions bien aimé saisir les intentions de la metteuse en scène… La féminisation de la pièce ne marche pas et Christiane Jatahy n’arrive pas à suivre la trace qu’elle a dessinée. Clotilde Hesme, sobre, presque trop androgyne quant au parti-pris, ne démérite pas mais n’ emmène pas Hamlet vers une lecture radicalement nouvelle. Elle affirme que son texte comporte 85% de celui de Shakespeare. On veut bien mais comment a-t-elle défini ce pourcentage ?
Un humoriste définissait Hamlet comme «une pièce pleine de citations» : ce qu’on entend ici et les extraits les plus connus  des célèbres monologues du jeune homme mélancolique, sont répétés à intervalles réguliers par la protagoniste. Mais comme l’indique le programme, encore, « agir ou ne pas agir » serait la bonne question, plutôt qu’être ou ne pas être». Le reste est énigme. À l’honneur de cet essai pour réveiller la pièce au féminin (dormir ? Rêver ?) , Christiane Jatahy ne résout pas cette énigme  mais c’est la moindre des choses. ..

Christine Friedel

Jusqu’au 14 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VIème) , T. 01 44 85 40 40

Du 31 mai au 2 juin, Wiener Festwochen, Vienne (Autriche).

Du 11 au 13 juin, Les Nuits de Fourvière, Festival international de la Métropole de Lyon et du 21 au 23 juin, Holland Festival Amsterdam (Pays-Bas).

Les 24 et 25 juillet, Grec Festival, Barcelone (Espagne).

 

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