Hamlet de William Shakespeare, traduction de Dorothée Zumstein, mis en scène de Christiane Jatahy ( en français, avec passages en portugais surtitré)
Hamlet de William Shakespeare, traduction de Dorothée Zumstein, mise en scène de Christiane Jatahy ( en français, avec passages en portugais surtitré)
Résumons cette célèbre pièce pour la commodité du lecteur, et du spectateur: Horatio, ami du jeune prince, l’avertit que le spectre de son père, le roi Hamlet, vient chaque soir hanter le rempart. Révélation : sa mort n’a rien d’accidentel et il a été assassiné par Claudius, son frère, qui a aussitôt épousé la reine Gertrude, la toute récente veuve. Hamlet séduit Ophélie, sans donner vraiment suite, tue par erreur Polonius, le père d’Ophélie qu’il prend pour Claudius. Et, à des comédiens de passage, il va faire jouer une scène pour faire éclater la vérité sur le meurtre de son père,. Il surveille la moralité de sa mère et dialogue avec le crâne de l’ancien bouffon. La tragédie finit dans un croisement d’épées et poisons: tous les protagonistes seront éliminés.
Le jeune Hamlet, vengeur de son père, est ici une jeune femme (Clotilde Hesme). Il n’est plus un adolescent joué par une actrice, comme autrefois Sarah Bernhardt, puis récemment Anne Alvaro, et quelques autres grandes actrice. Mais ici, Hamlet est cette jeune femme elle-même. Cela déconstruit évidemment ses relations avec une mère dont on nous suggère qu’elle est plus complice, plus proche d’Ophélie qui prend sa part du masculin quand elle est aussi le porte-parole de son frère Laërte.
Ce n’est pas clair? Essayons quand même de suivre l’affaire. Christiane Jatahy a inventé une unité de lieu et de temps : pas seulement celle de la représentation, mais celle de la rêverie de cette jeune femme, nommée Hamlet.
Tout se passe dans le salon où se sont succédé le banquet après l’enterrement du roi Hamlet, et celui du remariage de la Reine avec son beau-frère Claudius. À peine le temps que les viandes refroidissent… Le plateau est un immense loft où vit la famille d’Hamlet et la demeure de tous les fantômes, avec quelques vivants quand même : merci à Rozencrantz et Guildenstern (David Houri et Tom Adjibi). Cela donne un spectacle, avec arbres frissonnants au lointain projetés sur une gigantesque baie vitrée et des invités, en vidéo sur tulle qui papotent, verre à la main, avec les acteurs en chair et en os. Il y a aussi bien sûr l’apparition du fameux et immense spectre (Loïc Corbery)-si facilement ridicule quand il est réduit aux moyens traditionnels de l’artisanat théâtral, à l’exception mémorable du magnifique cavalier silencieux chez Patrice Chéreau (1988)
La réalisatrice a voulu faire entrer la pièce dans notre siècle, et notre siècle, dans la pièce. D’abord par la technologie et le spectaculaire : cela procure un plaisir visuel, même si l’esthétique est bien pompière ! Saluons le travail du directeur de la photo Thomas Walgrave et du cadreur Paulo Calacho, le système vidéo de Julio Parente et le savoir-faire de Victor Araujo et Pedro Vituri. responsables de la musique et du son,
Mais quant au sens de cette mis en scène d’Hamlet, malgré l’apport de cette nouvelle traduction, les conseils dramaturgiques de Marcia Lipiani et Christophe Triau, nous sommes restée perplexe… La féminisation d’Hamlet entraînerait-elle l’effacement de Laërte, le frère d’Ophélie? Et du belliqueux Fortimbras, le voisin va-t-en-guerre, finalement élu roi réconciliateur du Danemark ?
Ce choix doit-il modifier la portée politique d’Hamlet, au point qu’on n’en distingue plus rien ? On n’est pas fâché quand arrive le massacre final… Hamlet tue Laërte qui le tue à son tour avec son épée empoisonnée, la Reine boit le poison qu’avait préparé son fils et Claudius meurt évidemment là, pris au piège qu’il a tendu.
Pas fâché, non plus que cette fin soit expédiée sous forme d’un récit vite dit à l’avant-scène, par Hamlet elle-même. Mais cela dit, quid de la puissance politique au féminin ? « Le reste est silence ».
Ce pari du féminin est visible sur des détails et points précis : entre autres, le rôle de Gertrude, « décrochée » de son Claudius et rendue très vivante pour un fantôme (Servane Ducorps). Nous sommes bien contents qu’Ophélie (Isabel Abreau) ne soit plus morte folle sur l’eau d’un ruisseau parmi les fleurs, comme dans le tableau de John Everett Millais (1852). « En tant que femme, dit Christiane Jatahy, Hamlet refuse d’alimenter les rouages de la machine violente qui a tué son père, refuse de répondre avec les mêmes armes. »
Mais nous aurions bien aimé saisir les intentions de la metteuse en scène… La féminisation de la pièce ne marche pas et Christiane Jatahy n’arrive pas à suivre la trace qu’elle a dessinée. Clotilde Hesme, sobre, presque trop androgyne quant au parti-pris, ne démérite pas mais n’ emmène pas Hamlet vers une lecture radicalement nouvelle. Elle affirme que son texte comporte 85% de celui de Shakespeare. On veut bien mais comment a-t-elle défini ce pourcentage ?
Un humoriste définissait Hamlet comme «une pièce pleine de citations» : ce qu’on entend ici et les extraits les plus connus des célèbres monologues du jeune homme mélancolique, sont répétés à intervalles réguliers par la protagoniste. Mais comme l’indique le programme, encore, « agir ou ne pas agir » serait la bonne question, plutôt qu’être ou ne pas être». Le reste est énigme. À l’honneur de cet essai pour réveiller la pièce au féminin (dormir ? Rêver ?) , Christiane Jatahy ne résout pas cette énigme mais c’est la moindre des choses. ..
Christine Friedel
Jusqu’au 14 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VIème) , T. 01 44 85 40 40
Du 31 mai au 2 juin, Wiener Festwochen, Vienne (Autriche).
Du 11 au 13 juin, Les Nuits de Fourvière, Festival international de la Métropole de Lyon et du 21 au 23 juin, Holland Festival Amsterdam (Pays-Bas).
Les 24 et 25 juillet, Grec Festival, Barcelone (Espagne).