Les Bonnes de Jean Genet, mise en scène de Mathieu Touzé
Les Bonnes de Jean Genet, mise en scène de Mathieu Touzé
Une pièce créée en 1947 par Louis Jouvet, on l’oublie trop souvent. Inspirée par l’affaire des sœurs Papin, un meurtre perpétué au Mans (Sarthe) quatorze ans plus tôt. Mais Jean Genet l’a toujours nié… Elle sera adaptée au cinéma par Nikos Papatakis: Les Abysses (1963). Puis Nancy Meckler a réalisé en 94 Sister My Sister et Claude Chabrol, un an après sur cette même affaire, tourna La Cérémonie avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire. Enfin, Jean-Pierre Denis réalisa Les Blessures assassines en 2000.
Ce crime hors du commun s’était passé en 1933 dans une rue tranquille du vieux Mans, pas loin de là où était située l’Ecole des Beaux-Arts dont une enseignante avait bien connu les protagonistes de ce crime. Lequel avait fait du bruit. Le Mans était à l’époque une petite ville.
Léonie et René Lancelin avaient engagé six ans avant, une cuisinière: Christine Papin et une femme de chambre, sa sœur Léa. Bien payées, bien nourries, logées et blanchies. Aucun différent entre employeur et employées. Et pourtant, un jour vers 17 h30, Christine a dit à sa patronne que le fer à repasser faisait péter les plombs, ce qui expliquait le noir dans la maison. Le ton monte et naît une dispute entre elle et l’aînée des sœurs, puis une vraie bagarre.
Christine se met très en colère, tape sérieusement sur Léonie Lancelin et sa fille à qui elle arrache un œil. Puis, Léa arrache aussi ceux de la mère avec ses doigts et, avec un couteau et un marteau, les sœurs tailladent et tapent durement sur leurs victimes, jusqu’à ce qu’elles meurent. Le sang coule : Léa et Christine se laveront puis se mettront tranquillement ensemble au lit. René Lancelin, rentré à la maison, prévient la police. Ausitôt arrêtés, les sœurs Papin, reconnaîtront les faits et dirent qu’elles n’avaient absolument rien à reprocher à leurs patronne. Une grande affection liait Christine et Léa…
Christine sera condamnée à mort pour double meurtre et Léa à dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour, pour meurtre avec collaboration. Christine sera graciée par le président de la République Albert Lebrun et la peine commuée aux travaux forcés à perpétuité.
Hospitalisée à l’asile public d’aliénés à Rennes, elle devient schizophrène : immobile et muette, elle y meurt à trente deux ans.Léa elle retrouvera sa mère à sa libération en 1943 et travaillera longtemps comme femme de chambre dans des hôtels et meurt à 89 ans, à Nantes.
Malgré de lourd antécédents familiaux : père alcoolique, violences conjugales, inceste sur la sœur aînée, cousin aliéné, oncle pendu… ce crime, restera mal élucidé. Pourquoi cet acharnement sadique? Jacques Lacan en verra l’origine dans une psychose paranoïaque.. Il y aurait aussi dans ce crime, la haine sociale de ces jeunes femmes même bien traitées. Mais humiliées elles sortaient peu, n’avaient aucun amant ou amie, ne connaissaient personne et se sentaient enfermées…
Tout cela pour dire que ce crime hors du commun a fasciné nombre d’écrivains comme, entre autres, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Paul Eluard, Benjamin Péret et…Jean Genet. Et le fait-divers resté un des intrigants du XX ème siècle, continue à fasciner. Mais l’œuvre qui a presque quatre-vingt ans, n’a sans doute pas bien vieilli et son parfum scandaleux s’est évaporé.
Dans un rituel bien établi, Claire s’amuse à imite Madame dans sa chambre en compagnie de Solange. Plaisir de la transgression: se retrouver dans un lieu interdit, mettre les robes de Madame, utiliser ses maquillages… Mais Claire écrira aussi une lettre anonyme à la police pour dénoncer Monsieur, l’amant de Madame, qui est un voleur. Affolement des sœurs qui craignent d’être prises au piège: Madame suspecte quelque chose. Mais finalement, Monsieur sera mis en liberté provisoire…
Elles iront ensuite essayer de faire boire à Madame une tasse de tisane où elles ont ajouté la dose exacte de Gardénal, le somnifère de l’époque, pour éviter de se faire démasquer. Mais Madame ne la boit pas et ira retrouver Monsieur. Claire qui joue le rôle de Madame, boira la tisane empoisonnée et meurt…
A la création par Louis Jouvet, cela se passait dans un appartement bourgeois. Puis il y eut, en 70, la mise en scène de Victor Garcia, un jeune Argentin, avec les actrices espagnoles Nuria Espert et Julieta Serrano, chaussées de cothurnes à clochettes. Le spectacle participait d’un rituel baroque d’une rare violence souvent sur un lit rond couvert de soie noire… Une réalisation dont nous nous souvenons encore. Puis il y eut celle d’Alain Ollivier, très dépouillée. La pièce a été ensuite souvent montée, avec plus ou moins de bonheur. Mais avec efficacité par Jacques Vincey.
Jean Genet l’a dit et redit, comme pour exorciser les choses: sa pièce n’est pas un plaidoyer pour les domestiques. Mais il y a bien une couleur lutte sociale dans les dialogues et les didascalies, même si ces bonnes sont assez ambivalentes, fascinées par le luxe de Madame: « Je hais votre poitrine pleine de souffles embaumés. Votre poitrine… d’ivoire ! Vos cuisses… d’or ! Vos pieds… d’ambre ! (Elle crache sur la robe rouge) Je vous hais ! » Et Madame, quand elle est imitée par Claire, tire aussi à vue: « Ce qui vient de la cuisine, est crachat. »
Matthieu Touzé a voulu, semble-t-il,rajeunir la vieille dame qu’est cette pièce, avec d’abord une scénographie dominée par le blanc : rideaux, nombreux robes de Madame, sol, meubles dont un secrétaire suspendu par des fils (comprenne qui pourra!), accessoires et très longues guirlandes de fleurs en plastique sans intérêt, tout ici est rigoureusement blanc… Mais cela ne fonctionne pas. Dans ce décor assez laid, il y a des marches que ces pauvres bonnes doivent sans arrêt grimper, ce qui nuit au jeu et des praticables enveloppés de tissu blanc et trop hauts, qui empêchent souvent de bien voir certains moments de la pièce. Ce qui est plutôt ennuyeux…
Dans cet espace réduit et compliqué, Elizabeth Mazev et Stéphanie Pasquet,
actrices expérimentées, font ce qu’elle peuvent mais n’ont pas l’âge de leur personnage. Et Mathieu Touzé tord le cou au texte et on se demande surtout pourquoi il a demandé à Yuming Hey de jouer, travesti, le rôle de Madame. Cet excellent acteur (voir Le Théâtre du Blog) se livre ici à une sorte de performance… qui n’a pas grand chose à voir avec la pièce, mais plus avec un numéro de chez Michou.
Et, à moins de connaître Les Bonnes, le public doit avoir du mal à distinguer la parodie de Madame auxquelles Claire et Solange se livrent, de leur conversation à elles. Il y a un certain flottement dans la direction des comédiennes…Et pourquoi un homme nu traverse-t-il le plateau au début du spectacle? Un clin d’œil mais lequel? Bref, cette mise en scène est trop approximative…
Le public, pas très jeune, dont on a l’impression, à écouter certaines réflexions, que visiblement, il ne connait ni Jean Genet ni Les Bonnes, semble être venu s’encanailler à ce qui n’est vraiment pas un bon spectacle… Mais succès: la petite salle est pleine jusqu’à la fin des représentations…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 23 mars Théâtre 14, 40 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.
Du 9 au 12 avril, Théâtre National de Bordeaux-Aquitaine.
Du 14 au 16 mai, Théâtre de la Manufacture, Nancy. Le 30 mai, La Maison de Nevers-Scène conventionnée Art en territoire.