Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner
Zazie dans le métro d’après le roman de Raymond Queneau, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman, musique de Reinhardt Wagner
Le pape de l’Oulipo ne pouvait être mieux servi avec cette comédie musicale enlevée, fidèle à l’esprit du roman et à ses personnages fantasques. «Zazie dans le métro a accompagné de cinq à quinze ans, dit Zabou Breitman. Avant Zabou, pour Isabelle, j’ai eu Zazie.»Avec la même impertinence que l’héroïne, la metteuse en scène, auteure de la scénographie et des paroles des chansons, nous entraîne dans le Paris populaire de 1959 sur la musique de Reinhardt Wagner. Au grand dam de Zazie, le métro est en grève mais d’autres aventures parsèment son voyage initiatique au terme duquel elle pourra dire du haut de ses treize ans : «J’ai vieilli ».
De petites fenêtres s’ouvrent dans le décor où s’agitent les silhouettes de films animés. À un rythme que l’orchestre présent sur scène et les acteurs tiendront sur toute la durée. Dès que la gamine apparaît sous les traits mutins d’Alexandra Datman, on retrouve avec plaisir sa gouaille communicative et le franc-parler qui imprègne toute l’œuvre. Jeanne, sa mère (Florence Pelly) vient de la confier à Tonton Gabriel, le temps d’un week-end: « J’ai deux jours pour m’envoyer en l’air.», chante-t-elle, avant de disparaître sur un tapis roulant pour retrouver son Jules….«Elle est mordue. » commente Zazie.
Voici oncle et nièce partis en taxi avec le cousin Charles, son conducteur, choqué par le vocabulaire de Zazie qui souligne chacune de ses phrases d’un : «mon cul ». Au café du coin, la Cave où officie l’accorte et rousse Mado P’tits-Pieds (Delphine Gardin), ils retrouvent Turandot, tenancier grognon et le fameux: «Tu causes ,tu causes, c’est tout c’que tu sais faire » lancé à tout-va par son perroquet Laverdure…
Rien n’étonne Zazie qui explore la ville d’un pied léger, sans s’encombrer des remontrances ou bizarreries des grandes personnes mais toujours fuyant leurs « papouilles zosées » traumatisée par un père violeur, un épisode tragique qu’elle conte tout à trac au premier venu. La modeste tante Marceline (Jean Fürst), ménagère de son état, s’avère être un homme (il-elle chante ses secrets), comme Gabriel qui se révèlera en Gabriella, danseuse de charme au Mont de Piété où se terminera en beauté le périple de Zazie.
Avant, il y aura eu la foire aux puces et l’épisode du bloudjin , la visite de la tour Eiffel, la rencontre avec des touristes en route pour la Sainte-Chapelle, « joyau de l’art gothique », entonnant en chœur Kouavoir à Paris et l’obsession de Zazie à découvrir ce que veut dire: homosessuel, un mot qu’elle a entendu à propos de son oncle en écoutant aux portes..
Les chansons de Zabou Breitman s’inspirent de l’argot de Raymond Queneau et les styles musicaux de la partition leur donnent une petite touche désuète, avec songs à la Kurt Weill, en passant par jazz, java, cha cha cha et chansons réalistes, comme les costumes. Mais du rétro vu par le prisme de notre époque, Raymond Queneau, en visionnaire, dénonce le sort de la ménagère, le viol en famille… Et dans sa naïveté, son héroïne épingle la bourgeoisie, le patriarcat, l’Église, l’école, l’armée… Seul interdit : on ne touche pas à un enfant.
Avec ses personnages ancrés dans le Paris populaire mais aux identités troubles qui changent de nom et de sexe sans crier gare, cette version de Zazie dans le métro est un régal d’humour. Dans une mise en scène très travaillée, Zabou Breitman fait entendre chaque mot et chaque tournure repris au bond par les comédiens-chanteurs. Franck Vincent, tonton bon enfant, devient l’incandescente Gabriella. Fabrice Pillet joue le cousin Charles et endosse toutes les identités de Trouscaillon, un homme qui change de nom et d’aspect comme de chemise. Florence Pelly fait un malheur en veuve Mouaque dans un twist endiablé, plébiscité par le public. Remarquables, les musiciens jouent aussi certains personnages.
Les costumes stylés d’Agnès Falque et les perruques élaborées de Cécile Kretschmar contribuent à donner tout son brillant à ce spectacle proche du music-hall… Il n’y a pas toujours de quoi rire dans cette histoire, comme une certaine nostalgie pour le transformiste tristounet mais les gros mots de Zazie, jamais vulgaires, et son insatiable énergie sont là pour nous dérider. A voir.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 23 mars, MC93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis). T. : 01 41 60 72 72.
Les 27 et 28 mars, L’Azimut , Antony-Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 3 et 4 avril, Le Volcan, Le Havre (Seine-Maritime).
Du 10 au 13 avril, Théâtre de Liège (Belgique) ; du 16 au 18 avril, Anthéa, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes Maritimes) ; le 24 avril, Equilibre Nuithonie, Fribourg (Suisse).
Les 2 et 3 mai, Scène Nationale Sud-Aquitaine, Anglet (Pyrénées-Atlantiques); les 14 et 15 mai, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime)
Du 22 au 25 mai Théâtre National Populaire, Villeurbanne (Rhône).
Zazie dans le métro de Raymond Queneau est publié aux éditions Gallimard.