Les Crabes de Roland Dubillard, mise en scène de Frank Hoffmann
Les Crabes de Roland Dubillard, mise en scène de Frank Hoffmann
Cet auteur un peu oublié, aurait eu cent ans en décembre dernier. Il avait très jeune, écrit des poèmes remarqués par Raymond Queneau, des nouvelles et un conte, Les aventures merveilleuses de Michele Ange, en 1945. Les sketches Grégoire et Amédée ont été créés pour la radio à partir de 1953. Écrits quotidiennement soit par Roland Dubillard, dit Grégoire, et Philippe de Chérisey, dit Amédée, chaque soir sur Paris-Inter. Avec un tel succès qu’ils en feront un spectacle de cabaret jusqu’en 1955.
En 1976, Roland Dubillard a réuni ces sketches dans Les Diablogues. Souvent joués entre autres par François Morel et Jacques Gamblin en 2008 puis repris quatre ans plus tard par Muriel Robin et Annie Grégorio.
Où boivent les vaches, est créée en 1972 par la compagnie Renaud/Barrault. Il avait aussi écrit Si Camille me voyait, une opérette sans musique, créée pour la radio qui fut aussi jouée au Théâtre Babylone. La même année, il écrit Naïves Hirondelles qui sera montée en 61 par Arlette Reinerg et Mel Howard. Roland Dubillard est aussi l’auteur du Jardin aux betteraves et en 71, des Crabes. Cette pièce a été jouée dans cette mise en scène au Théâtre du Chêne noir au dernier festival d’Avignon.
L’histoire est à la fois simple et compliquée : un jeune couple-Elle (Nèle Lavant) et Lui (Samuel Mercer) n’ont pas de nom-vit dans une maison Le Crabe au bord de la mer. Ils ont des problèmes de plomberie et la baignoire déborde mais personne ne vient les dépanner. Endettés, pour se renflouer, ils ont décidé de louer une partie de leur maison à un couple plus âgé (Maria Machado l’épouse de Roland Dubillard qui jouait la jeune femme à la création et Denis Lavant).
Ils vont débarquer avec leurs petites haines et leurs ennuis. Ils ont un chien mais on ne le verra jamais. Ils sont venus manger des crabes qui ont «tendance, avec leurs pinces, leurs pattes, à remonter»et à leur grignoter leur estomac. Très vite, ce couple plus âgé va s’en prendre au jeunes avec une rare sauvagerie… Lesquels vont se sentir comme emprisonnés… Jusqu’au jour où l’Homme plus âgé les tuera. Ensuite il tirera à coups de kalachnikov sur sa femme dans la baignoire, avant de se suicider. Le texte de ce «cauchemar comique » selon l’expression de son auteur, est, sur fond d’absurde, pas loin de celui d’Eugène Ionesco mais sans sa virulence… Et la pièce n’a pas le mordant des Diablogues…
Sur la très petite scène de cet amphithéâtre d’une centaine de places, aux dures banquettes en contre-plaqué, juste un lit-une place et une échelle en alu posée contre le mur du fond où est projeté un bord de mer et aussi un torrent qui coule quand on parle des fuites et de la baignoire… Bon! Cela commence par un dialogue assez plat entre le jeune homme et la jeune femme. Il a une excellente diction et une gestuelle assez drôle mais elle ne semble pas très à l’aise…
Puis arrive la tornade, avec un Denis Lavant survolté, en vieux pantalon noir et blouson plus qu’usé, chaussé de godasses montantes qui ont dû faire des milliers de kms, et coiffé d’un petit chapeau rond. Il tire une valise mal fermée qui déborde de câbles rouges. Suivi de sa femme (Maria Machado, à la création de la pièce, elle jouait la jeune femme et est l’épouse de l’auteur).
Acrobate et acteur des plus expérimentés, Denis Lavant a une gestuelle incomparable, monte l’escalier et le redescend à toute vitesse. Même chargé d’un gilet pare-balles… Il en fait beaucoup ? Oui, et heureusement. Le metteur en scène peine à donner vie à ce texte qui n’a pas bien vieilli et auquel on a du mal à s’accrocher. A voir? Oui, mais pour Denis Lavant qui a une rare sensibilité et un jeu exceptionnel. Une grande leçon d’interprétation, ou comment sauver une pièce de théâtre contemporain pas bien fameuse, grâce à une interprétation clownesque et à une concentration maximale….
Philippe du Vignal
Jusqu’au 26 mai, Théâtre La Scala, 13 boulevard de Sébastopol, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.