Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Julie Delille a fondé sa compagnie, le Théâtre des trois Parques en 2015. Artiste associée à Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, elle y a créé ce spectacle en 2018.  Depuis l’an passé, elle dirige le Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) et intervient aussi actuellement auprès des jeunes acteurs de la Belle Troupe aux Amandiers-Nanterre.

Plusieurs minutes de noir et de silence avant qu’une voix fluette naisse de l’obscurité: « Nous, c’est le silence qui raconte, les hommes, il leur faut une voix. » Ici, c’est la bête qu’on entendra. Julie Delille, féline et souple, donne chair à Méline, une enfant sauvage qui a appris sur le tard le langage des humains.
Bébé abandonnée dans un placard, elle a été élevée par une chatte qui l’a nourrie et l’a enveloppée de sa chaleur, lui a appris la chasse, la pêche et l’impitoyable loi de la jungle où la raison du plus fort est toujours la meilleure.

© Florent Gouëlou

© Florent Gouëlou

Jusqu’à ses six ans, l’enfant quadrupède s’ébat dans les bois, glapit, miaule, rugit et fouit dans les terriers. Avant d’être capturée par un vieil apiculteur et forcée de s’adapter au monde civilisé. Dans une langue poétique et drue inventée par l’autrice, Julie Delille nous fait vivre la forêt, sa beauté et ses dangers… Dans un cache-cache permanent entre lumière et obscurité, d’une voix modulée, Méline raconte sa vie intérieure, ses plaisirs et ses douleurs, le goût du miel et aussi du sang: dans le règne animal, il faut tuer pour vivre. Pas de sentimentalisme: «Les bêtes n’ont pas de larmes, c’est une eau qui part dans leur salive. Les bêtes ne savent pas pleurer. Car il faut la parole pour nourrir un chagrin et le faire durer.»

Anne Sibran, comme son héroïne, réside entre la France où elle a commencé à écrire et l’Equateur. Elle a appris le quechua pour aller auprès des Indiens d’Amazonie, menacés par l’extraction pétrolière et la déforestation: «La langue peut dire : la bête est moins que l’homme. Et la bête se tait.» Ici, l’animal parle. Une langue puissante, crue et organique qui nous fait vivre l’expérience de Méline.La mise en scène est d’une grande beauté et, des savants clairs-obscurs d’Elsa Revol, naît un paysage vierge puissant et sauvage; l’environnement sonore d’Antoine Richard donne toute son intensité à ce conte dramatique. Seule sur le grand plateau nu, la comédienne, enfantine et animale, naïve et rusée, se glisse dans la pénombre brumeuse, rampe sous un sol arachnéen, semble disparaître dans un fourré, échappe à la blessure mortelle d’une fouine… Puis, quand elle rejoint le monde des humains, elle relate l’apprentissage laborieux du langage, les vêtements qui entravent, les murs qui encagent… Quand le jour bascule, dit-elle, alors j’ai besoin de viander. »

Survivra-t-elle parmi ses semblables-les plus cruelles de bêtes qui l’ont abandonnée- et résistera-t-elle à l’appel de la forêt? « Soudain, toutes les paupières s’écartent, en une fois, en même temps. Toutes les paupières des bêtes descendues jusque là, dévalé la montagne pour regarder les hommes en face. Leur ouvrir ces pupilles luisantes comme des miroirs tendus. » (…) « Ainsi, la forêt s’embrase d’une prodigieuse attention où ce qui se cachait depuis toujours, est plus présent que l’arbre. »
Ni femme ni bête, Méline incarne la part animale qui sommeille en chacun de nous, oubliée, et la nature dont l’homme contemporain s’est éloigné, jusqu’à la saccager…
Dans certaines scènes, l’actrice happée par son récit nous y entraîne. Il y a d’autres séquences, présentées avec plus de distance où Anne Sibran questionne notre humanité. Un texte admirable porté par une comédienne rare. On pourra voir prochainement ici, mise en scène par Julie Delille, La Jeune Parque, un long poème de Paul Valéry sous le titre Le Métier du Temps. Une artiste à suivre

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 4 avril Je suis la bête. Du 30 mars au 7 avril Le Métier du Temps au Théâtre Nanterre -Amandiers-Centre Dramatique National, 7 avenue Pablo Picasson Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70 00 RER A arrêt : Nanterre Préfecture. Attention, plus de navette pour venir: prendre le bus 259. Mais il y en a une pour le retour vers le RER.

 Le roman, Je suis la bête, a été a publié aux éditions Gallimard (2007).

 


Archive pour 30 mars, 2024

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Je suis la Bête d’Anne Sibran, mise en scène de Julie Delille

Julie Delille a fondé sa compagnie, le Théâtre des trois Parques en 2015. Artiste associée à Equinoxe-Scène Nationale de Châteauroux, elle y a créé ce spectacle en 2018.  Depuis l’an passé, elle dirige le Théâtre du Peuple à Bussang (Vosges) et intervient aussi actuellement auprès des jeunes acteurs de la Belle Troupe aux Amandiers-Nanterre.

Plusieurs minutes de noir et de silence avant qu’une voix fluette naisse de l’obscurité: « Nous, c’est le silence qui raconte, les hommes, il leur faut une voix. » Ici, c’est la bête qu’on entendra. Julie Delille, féline et souple, donne chair à Méline, une enfant sauvage qui a appris sur le tard le langage des humains.
Bébé abandonnée dans un placard, elle a été élevée par une chatte qui l’a nourrie et l’a enveloppée de sa chaleur, lui a appris la chasse, la pêche et l’impitoyable loi de la jungle où la raison du plus fort est toujours la meilleure.

© Florent Gouëlou

© Florent Gouëlou

Jusqu’à ses six ans, l’enfant quadrupède s’ébat dans les bois, glapit, miaule, rugit et fouit dans les terriers. Avant d’être capturée par un vieil apiculteur et forcée de s’adapter au monde civilisé. Dans une langue poétique et drue inventée par l’autrice, Julie Delille nous fait vivre la forêt, sa beauté et ses dangers… Dans un cache-cache permanent entre lumière et obscurité, d’une voix modulée, Méline raconte sa vie intérieure, ses plaisirs et ses douleurs, le goût du miel et aussi du sang: dans le règne animal, il faut tuer pour vivre. Pas de sentimentalisme: «Les bêtes n’ont pas de larmes, c’est une eau qui part dans leur salive. Les bêtes ne savent pas pleurer. Car il faut la parole pour nourrir un chagrin et le faire durer.»

Anne Sibran, comme son héroïne, réside entre la France où elle a commencé à écrire et l’Equateur. Elle a appris le quechua pour aller auprès des Indiens d’Amazonie, menacés par l’extraction pétrolière et la déforestation: «La langue peut dire : la bête est moins que l’homme. Et la bête se tait.» Ici, l’animal parle. Une langue puissante, crue et organique qui nous fait vivre l’expérience de Méline.La mise en scène est d’une grande beauté et, des savants clairs-obscurs d’Elsa Revol, naît un paysage vierge puissant et sauvage; l’environnement sonore d’Antoine Richard donne toute son intensité à ce conte dramatique. Seule sur le grand plateau nu, la comédienne, enfantine et animale, naïve et rusée, se glisse dans la pénombre brumeuse, rampe sous un sol arachnéen, semble disparaître dans un fourré, échappe à la blessure mortelle d’une fouine… Puis, quand elle rejoint le monde des humains, elle relate l’apprentissage laborieux du langage, les vêtements qui entravent, les murs qui encagent… Quand le jour bascule, dit-elle, alors j’ai besoin de viander. »

Survivra-t-elle parmi ses semblables-les plus cruelles de bêtes qui l’ont abandonnée- et résistera-t-elle à l’appel de la forêt? « Soudain, toutes les paupières s’écartent, en une fois, en même temps. Toutes les paupières des bêtes descendues jusque là, dévalé la montagne pour regarder les hommes en face. Leur ouvrir ces pupilles luisantes comme des miroirs tendus. » (…) « Ainsi, la forêt s’embrase d’une prodigieuse attention où ce qui se cachait depuis toujours, est plus présent que l’arbre. »
Ni femme ni bête, Méline incarne la part animale qui sommeille en chacun de nous, oubliée, et la nature dont l’homme contemporain s’est éloigné, jusqu’à la saccager…
Dans certaines scènes, l’actrice happée par son récit nous y entraîne. Il y a d’autres séquences, présentées avec plus de distance où Anne Sibran questionne notre humanité. Un texte admirable porté par une comédienne rare. On pourra voir prochainement ici, mise en scène par Julie Delille, La Jeune Parque, un long poème de Paul Valéry sous le titre Le Métier du Temps. Une artiste à suivre

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 4 avril Je suis la bête. Du 30 mars au 7 avril Le Métier du Temps au Théâtre Nanterre -Amandiers-Centre Dramatique National, 7 avenue Pablo Picasson Nanterre (Hauts-de-Seine) T. : 01 46 14 70 00 RER A arrêt : Nanterre Préfecture. Attention, plus de navette pour venir: prendre le bus 259. Mais il y en a une pour le retour vers le RER.

 Le roman, Je suis la bête, a été a publié aux éditions Gallimard (2007).

 

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